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Les naines brunes et les planètes errantes

Illustration d'une naine brune de type Y qui n'est pas plus chaude qu'une planète gazeuse. Document NASA/JPL-Caltech.

Les naines brunes

Selon l'Union Astronomique Internationale (UAI), qui est l'organisme qui définit la nomenclature des astres, si un astre gazeux présente une masse supérieure à 13 Mj (13 fois la masse de Jupiter) et au maximum comprise entre 0.08 et 0.13 M et est facultativement capable d'assurer la fusion du deutérium, il entre dans la catégorie des naines brunes comme l'a suggérée Jill Tarter de l'Institut SETI en 1975.

Le fait que certains astronomes et l'UAI associent les étoiles naines froides aux naines brunes prête à confusion. En efffet, tous les astrophysiciens vous diront qu'une naine brune n'est pas une étoile car elle n'est pas capable de déclencher la fusion thermonucléaire de l'hydrogène. D'ailleurs quasiment tous les astronomes font bien attention à ne jamais associer le mot "étoile" avec "naine brune" dans leurs articles académiques ou lors d'interviews pour des magazines ou des reportages.

Si l'UAI mélange les deux catégories, cela veut dire qu'elle considère que certaines naines brunes sont capables d'assurer la nucléosynthèse, en particulier du deutérium (cf. la chaîne proton-proton), au même titre d'ailleurs que les proto-étoiles dès que la température dans leur coeur atteint 1 million de kelvins (cf. F.Palla et H.Zinnecker, 2002). C'est donc un abus de langage voire une erreur scientifique de dire qu'une naine brune est une étoile. Si certains les placent dans la même catégorie, c'est uniquement par commodité. Pour ajouter à la confusion, les naines brunes représentent environ 15% de la population dite "stellaire" de la Voie Lactée.

Selon une étude sur les naines brunes publiée en 2004 par Fred Adams de l'Université de Michigan et son équipe, on estime qu'une naine brune de 0.08 M et peu lumineuse (comme Trappist-1) peut survivre pendant 12000 milliards d'années.

En raison de leur faible masse, ces "étoiles ratées" incapables d'assurer la nucléosynthèse de l'hydrogène n'ont donc jamais atteint la Séquence principale. Mais elles peuvent malgré tout être intégrées dans la classification spectrale de Harvard à partir de la classe spectrale M8 si leur température effective atteint ~ 2500 K comme c'est le cas du fameux système Trappist-1 abritant 7 exoplanètes tandis que les naines plus froides sont placées au-delà de la classe spectrale M.

La plupart des naines brunes sont tellement froides qu'elles sont uniquement visibles en infrarouge. Aussi, grâce aux satellites spatiaux WISE, Spitzer et bientôt le JWST et des instruments infrarouge montés sur les plus grands télescopes terrestres (Gemini, Keck, NTT, etc.), les astonomes ont répertorié plusieurs centaines de naines brunes dont la température superficielle est inférieure à 1100 K (1500°C) et les ont classées en fonction de leur température en 3 types :

- Naine de type L : ~2100 à 1300 K et de couleur rouge sombre

- Naine de type T : ~1300 à 625 K et de couleur rouge sombre ou magenta foncé

- Naine de type Y : < 625 K (< 350°C) dont on ignore la couleur.

Naine de type L

Les naines brunes de type L sont plus froides que les étoiles naines rouges de type M avec une température effective comprise entre 2100 et 1300 K soit ~1800 à 1000°C. Elles présentent une couleur rouge ou brune sombre, d'où leur nom. Ces naines brunes présentent des raies de métaux alcalins (Na I, K I, Cs I, Rb I), les plus chaudes présentent des bandes des oxydes métalliques dont ceux du vanadium (VO) et du titane (TiO) et des hybrides métalliques (FeH, CrH, Mg H et CaH).

Dans l'environnement du Soleil, les astres les plus froids hormis les planètes et les petits corps sont des naines brunes de type L. Deux exemples sont emblématiques.

Illustration du système binaire le plus proche du système solaire, Luhman 16, situé à 6.5 années-lumière. Il est composé de deux naines brunes dont Luhman 16B à l'avant-plan qui présente des bandes horizontales comme Jupiter. Document T.Lombry.

D'abord Luhman 16 (voir aussi l'article sur arXiv) ou WISE J104915.57−531906.1 qui est le système binaire constitué de deux naines brunes le plus proche de la Terre. Il est situé à 6.5 années-lumière dans la constellation des Voiles (Véla). La parallaxe de Luhman 16 est de 0.5"/an et son mouvement propre est de 2.79"/an.

L'astre principale Luhman 16A fut découvert en 2010 par Kevin Luhman de l'Université d'État de Pennsylvanie (Penn State) grâce au satellite infrarouge WISE mais la découverte ne fut annoncée qu'en 2013 en même temps que l'existence du système binaire. Toutefois, dans les archives, la naine brune apparaissait déjà sur les photos du DSS prises en 1978 et en 1992. Luhman 16A est de classe spectrale L7.5 et présente une température effective de 1350 K pour une masse de 34 Mj soit 0.032 M.

Son compagnon Luhman 16B est de classe spectrale T0.5 (juste à la transition L-T) et présente une température effective de 1210 K pour une masse de 28 Mj. L'étude de son atmosphère indique que l'existence d'un courant jet comme sur la Terre. Cette circulation générale engendre la formation de nuages suggérant queson atmosphère contient soit des taches soit plus probalement est erclée de bandes sombres (cf. D.Apai et al., 2021).

Luhman 16B serait donc assez semblable à Jupiter avec des vents soufflant à grande vitesse parallèlement à l'équateur. Ces vents redistribuent la chaleur qui remonte de l'intérieur de la naine brune. De plus, comme sur Jupiter, les tourbillons dominent les régions polaires, des phénomènes que certains modèles atmosphériques avaient tels ceux d'Adam Showman du LPI.

Selon Apai, "Savoir comment les vents soufflent et redistribuent la chaleur dans l'une des naines brunes les mieux étudiées et les plus proches nous aide à comprendre les climats, les températures extrêmes et l'évolution des naines brunes en général".

La naine brune principale est visible à la magnitude 8.8, son compagnon est de magnitude ~9.3. Le système présente une luminosité de seulement 0.002 L. La séparation angulaire des deux composantes est actuellement de 1.5" (mesure prise avec le télescope Gemini South en 2013). On en déduit que les deux astres sont distants d'environ 3.5 UA et orbitent autour de leur barycentre commun en ~27 ans. Si ce système disposait d'un système planétaire, à cette distance nous pourrions l'observer directement. Mais apparemment ce système n'abrite aucune exoplanète.

La seconde naine brune typique est GD 165B située à 103 années-lumière dans la constellation du Bouvier. De type spectral L4, sa température effective est de 1800-1900 K. Elle ne présente pas les bandes des oxydes métalliques comme les naines plus chaudes de type M.

A voir : Chasing Storms in Brown Dwarfs with NASA’s TESS, Steward Obs.

Des superéruptions

Dans une étude publiée par l'équipe de James A.G. Jackman de l'Université de Warwick dans les "MNRAS" en 2019 (en PDF sur arXiv), les auteurs ont décrit l'éruption survenue sur ULAS J224940.13-011236.9, une naine brune de classe L2.5 située à 248 années-lumière dans les Poissons, à la lisière du Verseau, et de la taille de Jupiter (10% du rayon du Soleil). On savait que ce type de naine brune pouvait déclencher de violentes éruptions mais la plupart du temps les naines brunes sont calmes et trop pâles pour être accessibles aux télescopes optiques et ce n'est que lors d'une éruption majeure qu'elles deviennent visibles.

Les données recueillies pendant 146 jours dans le cadre des sondages NGTS de l'ESO, 2MASS et par le télescope infrarouge WISE ont permis de déterminer que cet astre dont la température effective est de 1930 K a subi le 13 août 2017 une superéruption dix fois plus intense que les plus violentes éruptions solaires !

A gauche, la courbe lumineuse de la naine brune de classe L2.5 ULAS J224940.13-011236.9 enregistrée dans le cadre du sondage NGTS de l'ESO le 13 août 2017. A droite, illustration de la superactivité de cette naine brune qui produisit une éruption dix fois plus violente que celles du Soleil alors que ce n'est pas une étoile. La limite entre les deux catégories est donc subtible. Documents J.A.G. Jackman et al. (2019) et Mark Garlick.

Les chercheurs ont estimé que l'éruption atteignit une amplitude de 10 magnitudes, la naine brune devenant en quelques minutes 9500 fois plus brillante que la normale. Sa luminosité atteignit 530 octillions de erg/s (5.3x1029 erg/s) soit 1/10000e de la luminosité du Soleil ou encore 53000 milliards de GW et libéra une énergie de 3.4x1033 erg, équivalente à une puissance de 9.4x1013 GWh ! L'énergie libérée correspondait à 80 milliards de mégatonnes de TNT soit dix fois l'énergie libérée lors de la tempête de Carrington survenue en 1859.

Notons que du fait que cette naine brune est relativement froide, elle émet la majeure partie de son rayonnement dans l’infrarouge mais les superéruptions se manifestent en UV et peuvent donc passer inaperçues dans les télescopes optiques.

En ce qui concerne l'exobiologie, selon Warwick, "pour obtenir des réactions chimiques sur toutes les exoplanètes en orbite et former les acides aminés à la base de la vie, il faudrait un certain niveau de rayonnement UV. Normalement, ces étoiles n'en produisent pas car elles émettent principalement dans l’infrarouge. Mais si elles produisent une superéruption comme celle-ci, cela pourrait déclencher des réactions chimiques." Ceci dit, nous savons aussi que les UVC détruisent en quelques minutes toutes les formes de vie élémentaires et brûlent jusqu'au troisième degré toutes les formes de vie plus évoluées qui s'exposeraient à ce rayonnement invisible. Ce type d'astre n'est donc pas propice au développement de la vie.

Enfin, dans une étude publiée dans la revue "Astronomy & Astrophysics" en 2020, Andrea De Luca de l'INAF en Italie et ses collègues ont découvert dans les archives du projet EXTraS (Exploring the X-ray Transient and variable Sky) une superéruption X similaire à celle décrite ci-dessus sur la naine brune de type L1 J0331-27. Elle s'est produite le 5 juillet 2008 et fut détectée grâce à la caméra EPIC (European Photon Imaging Camera) du satellite XMM-Newton de l'ESA. C'est la seconde naine de type L détectée en rayons X.

J0331-27 est située à 783 années-lumière dans la constellation du Fourneau. L'éruption X atteignit une énergie de ~2x1033 erg et une luminosité X maximale (pic) de 6.3x1029 erg. Cette éruption libéra au moins 10 fois plus d'énergie que la plus puissante éruption solaire ! L'éruption dura ~2400 s et le plasma fut porté à ~16 MK, similaire aux éruptions X des étoiles naines de type M. C'est la plus grande éruption jamais observée sur une naine brune de type L.

Selon les chercheurs, cette découverte montre que de très importants phénomènes de reconnexion magnétique et le chauffage du plasma qui en découle sont toujours présents même dans des astres ayant des photosphères froides portées à ~2100 K. Toutefois, l'absence d'autres éruptions au-dessus du seuil de détection de ~2.5x1032 erg suggère que l'énergie magnétique libérée par J0331-27 et probablement par toutes les naines L se manifeste principalement sous la forme de superéruptions.

Naine de type T

Les naines brunes de type T ont une température effective oscillant entre ~1300 et 625 K soit ~1000 à 350°C et présentent une couleur visuelle rouge sombre ou magenta foncé. Leur spectre présente de nombreuses bandes du méthane qui est donc abondant dans leur atmosphère, ce qui les rapproche des planètes joviennes et des "Hot Jupiters".

La première naine brune de ce type est Gliese 229B découverte en 1995 grâce au télescope de 5 mètres du Mont Palomar et qui orbite autour de la naine rouge Gliese 229A située à 19 années-lumière. Gliese 229B présente une masse comprise entre 20 et 50 Mj et une température inférieure à 1200 ou 1000 K. Cette température est très faible pour une naine car même la flamme du bougie peut dépasser 1600 K soit 1327 °C dans la zone la plus brillante.

Illustrations de deux naines brunes de type T. A gauche, le système binaire Gliese 229 avec son compagnon Gliese 229B à l'avant-plan et l'exoplanète Gliese 229Ab. A droite, CFBDSIR J214947.2-040308.9 appartenant au groupe AB Doradus en transit devant l'amas globulaire Terzan 5. Documents T.Lombry.

Parmi les naines brunes de type T citons CFBDSIR J214947.2 qui fut découverte en 2012 à 100 années-lumière dans la constellation du Verseau. Elle présente une masse comprise entre 5 et 15 Mj et son atmosphère présente une température de seulement 370 à 470 °C. Il s'agit d'une naine brune errante qui évolue de concert avec le groupe en mouvement AB Doradus (ABDMG) comprenant environ 80 astres d'âge et de composition similaires. La naine brune serait âgée entre 50 et 120 millions d'années. Son atmosphère contient du méthane et de l'eau. On reviendra plus bas sur ce type de naine brune.

Naine de type Y

Jusqu'en 2011, il s'agit d'une classe théorique jusqu'à ce qu'on découvre quelques naines brunes appartenant à cette famille. Les naines brunes de type Y présentent une température superficielle < 625 K soit < 350°C. On ignore leur couleur mais étant donné leur très faible température et la présence de raies moléculaires, elles peuvent être semblables à l'une des planètes géantes du système solaire et donc varier du brun clair au magenta foncé en passant par le vert bouteille.

En 2011, grâce au satellite WISE les astronomes avaient identifié 6 naines de types Y dont la température de l'atmosphère oscille entre 448 et 248 K soit entre 175°C et à peine 25°C. Pour cette raison elles sont surnommées les naines brunes ultra froides.

La première naine brune de type Y qui fut identifiée est WISE 1828+2650 présentée ci-dessus à droite découverte en 2011 à quelque 40 années-lumière dans la constellation de la Lyre dont la température de l'atmosphère est inférieure à 25°C. Sa masse est estimée entre 3 et 20 Mj.

A gauche, comparaison entre quelques étoiles naines et naines brunes emblématiques. A droite, la naine brune de type Y WISE 1828+2650 dont la température de l'atmosphère est inférieure à 25°C. Documents T.Lombry inspiré de Viki Joergens/MPIA et NASA/Caltech/UCLA.

Le record est détenu par WISE 0855-0714 découverte en 2014 (mais déjà détectée en 2013 grâce au télescope Gemini North) à 7.17 années-lumière dans la constellation de l'Hydre. La température de son atmosphère oscille entre 225-260 K soit entre -48 et -13°C et sa masse se situe entre 3-10 Mj bien que l'incertitude varie d'un facteur deux. Cette sous-naine brune contient principalement de l'eau (sous forme de vapeur ou de glace) et affiche des nuages comme l'atmosphère de Jupiter (125 K soit -148°C) mais elle est plus calme. Il s'agirait en fait d'une planète errante (voir plus bas).

Rappelons comme expliqué dans l'article sur la définition d'une planète qu'une naine brune en orbite autour d'une autre étoile ne constitue pas pour autant une exoplanète mais plus généralement un système binaire. Selon une définition actuellement officieuse, un astre qui ressemblerait à un "Hot Jupiter" mais dont la masse est supérieure à environ 10 fois celle de Jupiter n'est plus une planète mais une naine brune[1].

Modélisation des naines brunes

La taille des naines brunes étant inférieure à la résolution des plus grands télescopes, les astronomes utilisent la méthode de la cartographie par rotation de phase (RPM) pour étudier leur surface, ce qui permet comme on le voit ci-dessous à gauche, de distinguer les zones brillantes et sombres et de suivre leur évolution au cours du temps.

A gauche, cartographie par le VLT de la surface de la naine brune Luhman 16b (alias WISE J104915.57-531906.1B) située à 6.5 années-lumière. A droite, composition de l'atmosphère supérieure des naines brunes de Type L et T comparées à celle de Jupiter. Documents Ian Crossfield/ESO et Daniel Apai/U.Az adaptés de Yang et al. (2015).

Les naines brunes ont une atmosphère similaire à celle des "Hot Jupiters", des exoplanètes géantes composées de gaz chaud. Selon une modélisation réalisée par l'astrophysicien Daniel Apai de l'Université d'Arizona et ses collègues présentée ci-dessus, l'atmosphère supérieure des naines brunes se compose de monoxyde de carbone (CO) contenant une ou plusieurs couches nuageuses dont la composition varie selon le type de naine brune. Ces nuages contiennent notamment des oxydes métalliques (Ca-Ti et du Corindon, c'est-à-dire de l'oxyde d'aluminium) et des silicates à base de magnésium, une substance qu'on retrouve notamment dans le talc.

Les analyses photométriques de 44 naines brunes réalisées par Metchev et ses collègues grâce au télescope infrarouge Spitzer montrent que leur luminosité varie périodiquement comme celle des étoiles variables. Or, les naines brunes n'ont pas l'énergie nucléaire suffisante pour déclencher de tels phénomènes. L'origine de ces fluctuations lumineuses est donc différente et provient d'un processus non thermique qui n'a rien à voir avec les puissantes émissions qu'on peut observer sur les étoiles compactes (naines blanches et autre novae ou les pulsars).

Les données enregistrées par les télescopes VLT et Spitzer suggèrent que les naines brunes sont enveloppée d'une atmosphère nuageuse. Selon une étude de Stanimir Metchev de la Western University d'Ontario publiée en 2014, sachant que les naines brunes tournent sur leur axe en quelques jours, selon la latitude ces couches nuageuses sont entraînées autour de l'astre par la force de Coriolis et forment des bandes circulant en sens contraire à l'instar de celles qu'on observe sur Jupiter. C'est l'alternance de zones d'éclaircies et nuageuses qui expliquerait leur variation périodique de luminosité qui serait le signe d'une couverture nuageuse éparse et plus ou moins brillante comme on le voit dans les simulations suivantes.

A voir : Brown Dwarfs, Carnegie Science

Rotation des couches nuageuses d'une naine brune (.gif de 1.2 MB), NASA

A lire : M dwarfs, L dwarfs and T dwarfs, Neill Reid/STScI

A gauche, tempête de métal fondu, de silice et autres sels dans l'atmosphère d'une naine brune. A droite, la combinaison de la rotation d'une naine brune et de l'alternance de bandes nuageuses et d'éclaircies dans son atmosphère supérieure expliqueraient ses variations de luminosité. Documents NASA/JPL-caltech/U.W.Ontario et NASA/JPL.

Selon Metchev, ces couches nuageuses pourraient former des tempêtes torrentielles accompagnées éventuellement d'éclairs plus violents que ceux observés sur Jupiter où n'importe quelle autre planète. Des pluies pourraient tomber de ces nuages, non pas constituées de gouttelettes d'eau car la température est trop élevée (2000-625 K) mais de métal fondu, de silice (du sable fondu) et divers sels.

La transition L/T vers une atmosphère claire

Au sujet des nuages, les astrophysiciens ont également étudié l'évolution des naines brunes et la manière dont leur atmosphère se transforme à mesure qu'elles se refroidissent. Dans une étude publiée en 2018 dans "The Astrophysical Journal Letters", l'astrophysicien Jonathan Gagné de l'Institution Carnegie de Washington et ses collègues ont étudié la naine brune de type T2 2MASSJ13243553+6358281 membre du groupe errant AB Doradus (ABDMG) précité dont la masse est d'environ 11-12 Mj.

En comparant cet astre à d'autres naines brunes de cet amas, les chercheurs ont découvert que certains membres présentaient des couches nuageuses alors que 2MASSJ1324+6358 ne présente aucun nuage. Cela permit aux chercheurs de déterminer la température de transition à laquelle l'atmosphère nuageuse devient claire. Cette température de transition L/T se situe vers ~1150 K (contre 1250 K pour une naine brune) pour cet astre et d'autres naines brunes du groupe AB Doradus, rendant leur diversité et leur évolution un peu plus compréhensibles.

Ces études complétées par les programmes de recherches des exoplanètes permettent aux astrophysiciens de mieux comprendre non seulement la formation et l'évolution des naines brunes mais également de leurs "petits frères", les "Hot Jupiters", les "Hot Neptunes" et autres planètes géantes gazeuses chaudes. Cette recherche ouvre aux spécialistes une nouvelle fenêtre sur la météorologie des exoplanètes gazeuses qui représentent aujourd'hui de véritables laboratoires climatiques accessibles aux grands télescopes et aux radiotélescopes.

Les planètes errantes

Il existe des naines brunes qui sont entrées dans la catégorie des planètes uniquement en raison de leur très petite taille. Ouvrons donc une parenthèse pour décrire les planètes errantes car la majorité de celles découvertes à ce jour sont aussi des naines brunes.

En vertu des lois du chaos, suite à des perturbations orbitales et des conditions initiales particulières, une planète (ou un petit corps) peut toujours être éjecté de son orbite voire de son système planétaire et errer dans l'espace, devenant une planète errante. Si l'astre est gazeux et sa masse dépasse 5 à 10 fois celle de Jupiter, on le qualifie de naine brune. L'inverse est également possible. Il existe une petite probabilité (quelques pourcents) qu'une planète errante soit capturée par une étoile.

Illustration d'une planète errante gazeuse passant devant la région de Rho Ophiuchus. Document : ESO/M.Kornmesser, S.Guisard.

On en déduit qu'il existe deux types de planètes errantes : les naines brunes et les véritables planètes formées dans un disque protoplanétaire puis éjectées de leur système. Les recherches actuelles visent notamment à déterminer la proportion des unes et des autres.

A ce jour environ 170 planètes errantes ont été découvertes dont au moins 70 en 2021 grâce au télescope spatial CHEOPS (CHaracterising ExOPlanet Satellite) de l'ESA. Ces astres évoluent au sein d'une association de jeunes étoiles OB située dans les constellations du Scorpion et d'Ophiuchus (cf. N.Miret-Roig et al., 2021).

En août 2006, un couple de naines brunes errantes avait déjà été découvert dans la constellation d'Ophiuchus grâce au télescope NTT de l'ESO installé à La Silla, au Chili. Dénommés Oph 162225-240515 (Oph 1622), le couple se situe à 400 années-lumière. Cette année-là, au moins 6 naines brunes errantes furent découvertes dont la masse oscille entre 5 et 15 fois celle de Jupiter. Rappelons qu'actuellement nos moyens techniques permettent uniquement de détecter les plus grandes planètes errantes qui sont toutes gazeuses.

Parmi les planètes errantes, la plus proche est WISE 0855-0714 précitée située à seulement 7.17 années-lumière. Il s'agit en fait d'une naine brune de type Y, l'une des plus froides découvertes à ce jour (température ~250 K).

La deuxième planète errante la plus proche est SIMP J01365663+0933473 située à seulement 20 années-lumière du système solaire. Elle fut découverte en 2016 uniquement grâce à ses émissions radioélectriques, une technique qu'on ne manquera pas d'utiliser pour en découvrir d'autres. Cette planète errante est 12 fois plus grande que Jupiter et son champ magnétique est 200 fois plus puissant.

Citons également Cha 110913-77344 découverte par le télescope spatial Spitzer à 500 années-lumière dans la constellation du Caméléon. Elle fut considérée originellement comme la plus petite naine brune. L'astre est 8 fois plus massif que Jupiter et est âgé de 2 millions d'années. Il est entouré d'un disque de poussière.

Pour comprendre comment se forment les planètes errantes, des astronomes de l'Université de Leyde (cf. A.van Elteren et al., 2019) ont réalisé une simulation comprenant 1500 étoiles situées la région du Trapèze d'Orion. Dans la simulation, environ 500 de ces étoiles contenaient entre quatre et six planètes, ce qui donne à la simulation un total de 2522 planètes. Lorsque les chercheurs ont lancé la simulation, ils ont découvert que les effets gravitationnels des étoiles éjectèrent environ 350 planètes en dehors de leurs systèmes stellaires respectifs.

Si cela se produit dans la réalité et qu'on extrapole ce résultat à toute la Voie Lactée, les chercheurs estiment qu'il pourrait exister 50 milliards de planètes errantes dans la Galaxie ! Sur ~200 milliards d'étoiles, cela représente une proportion de 1:4. Un ou deux d'entre elles peuvent même provenir du système solaire.

Extrait d'une simulation de 1500 étoiles de la région du Trapèze d'Orion dont ~500 sont escortées de 4 à 6 planètes. A gauche, la situation de départ (conditions initiales adoptées par Portegies Zwart, 2016). Au centre, à t = 1 Ma. A droite, à t = 11 Ma (conditions finales). Les étoiles sont les sphères rouges, les planètes errantes sont les triangles. Document A.van Elteren et al. (2019).

La difficulté pour débusquer ces planètes errantes est leur très petite taille et leur très faible luminosité, les rendant pratiquement impossibles à détecter en optique (visible ou IR). Actuellement, la méthode des lentilles gravitationnelles est la plus efficace pour les débusquer grâce à l'amplification de la lumière (lors de son passage devant une lentille gravitationnelle, l'amplification de la lumière dure quelques jours pour une étoile et quelques heures pour une planète errante). En revanche, on ne peut pas assurer de suivi de l'objet puisque ces planètes errantes n'ont pas d'orbite fermée autour d'une étoile.

Des centaines de candidates de planètes errantes sont en cours d'analyse, notamment grâce aux données des télescopes travaillant dans l'infrarouge. Des analyses spectrométriques ont déjà permis de déceler des molécules de CO et d'eau compatibles avec celles de l'atmosphère de planètes gazeuses. Mais la résolution reste insuffisante pour en savoir plus. Les astronomes espèrent rassembler plus de données et même pouvoir observer des planètes errantes en optique lorsque la prochaine génération de très grands télescopes terrestres et spatiaux sera opérationnelle. Cela a déjà commencé avec le télescope spatial Jame Webb (JWST) lancé le 25 décembre 2021 sur lequel certaines équipes ont déjà demandé du temps d'observation pour étuder les planètes errantes.

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[1] Entre la taille et la température des naines brunes et des planètes, il existait assez de place pour insérer une nouvelle catégorie d'astres, les "planémos". C'est un anglicisme proposé en 2003 par l'astronome Gibor Basri de Caltech à Berkeley formé à partir des mots "Planetary-mass object" signifiant objet de masse planétaire. Selon la définition de Basri, un planémo est "un objet [arrondi par sa gravité] qui n'a pas atteint la fusion de son noyau au cours de son existence". En voici une représentation par Jon Lomberg. Le terme fut proposé à l'UAI en 2003 qui ne l'a toutefois pas  accepté. En effet, la définition originale est imprécise et permet de confondre l'astre avec une naine brune. Par la suite, le terme planémo fut redéfini comme représentant des "objets de masse planétaire libres", c'est-à-dire non attachés à une masse gravitationnelle (free-floating planetary-mass objects), ce qu'on appelle communément des "planètes errantes" mais qui sont en réalité soit des planètes errantes soit des étoiles sous-naines ou des naines brunes errantes.


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