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Les Objets Transneptuniens et les KBO Composition des Centaures et TNO (III)
Pour rappel, les Centaures sont des TNO qui ont déplacé leurs orbites dans la région des planètes géantes après une rencontre gravitationnelle rapprochée avec Neptune. Vu leur distance (Plutinos, KBO et SDO sont à plus de 30 UA), leur taille (au maximum 2326 km pour Eris), leur magnitude (20 à 27), connaître la composition superficielle des TNO est un véritable défi. Les méthodes habituelles consistent à réaliser des spectres en lumière blanche et dans le proche infrarouge qui révèlent la composition du substrat de ces petits corps ce qui permet d'établir des comparaisons avec les autres membres du système solaire. Mais il est difficile de réaliser de tels spectres sur d'aussi petits corps, même en utilisant le puissant télescope Keck de 10 m d'Hawaï. Aussi, dans un premier temps, c'est en analysant des clichés couleurs large bande réalisés au moyen de caméras CCD performantes (8 et 12k pixels) que David Jewitt et ses collègues ont pu dresser les profils optiques de plusieurs dizaines de TNO et mettre en évidence des propriétés communes. Optiquement, les TNO présentent une grande variété de couleurs, allant du gris neutre (réfléchissant également toutes les longueurs d'ondes), au rouge profond. En outre, la gamme de couleurs (représentée par la pente des spectres de chaque objet dans le diagramme ci-dessous) est à peu la même que celle qui existe entre le très rouge Centaure "Pholus" et le gris presque neutre "Chiron". La gamme des couleurs optiques suggère donc une diversité de matériaux à la surface des KBO et des Centaures. Mais quelle est cette diversité ? Comme le montra Michael Brown du Caltech dans un article publié en 2012, a priori on s'attendrait à ce que la surface des KBO soit grise s'ils sont composés de glace d'eau et de gaz carbonique, ou noire et rouge en raison de l'abondance des composés carbonés. Leur teinte rouge résulte d'un bombardement prolongé du méthanol (CH3OH) présent à leur surface par les rayons cosmiques vecteurs de particules très énergétiques. Des expériences de laboratoire montrent en effet que les protons libèrent sélectivement l'hydrogène des matériaux de surface, favorisant la formation de polymères organiques complexes et notamment de tholines (hydrocarbures légers mélangés à des composés azotés). Une fois irradié, le matériau de surface est carbonisé au sens strict et prend une coloration noire, typique d'une croûte réfractaire telle qu'on l'observe sur le noyau des comètes par exemple. Ce processus de carbonisation des tholines fut décrit dans un article publié en 2016 dans l'International Journal of Astrobiology. Selon Chaitanya Giri de l'Institut Max Planck et principal auteur de cette étude, étant donné que ces astéroïdes sont à l'origine des comètes, la surface sombre des comètes pourrait avoir la même origine et notamment 67P/Churyumov-Gerasimenko sur laquelle se posa la sonde spatiale Philae de la mission Rosetta en 2014. En comparant cette découverte avec les analyses faites sur Titan, sur l'astéroïde Cérès et sur Pluton, les astronomes espèrent mieux comprendre comment se forment les tholines et leur implication dans les processus prébiotiques.
La gamme de couleurs que présentent les KBO peut avoir plusieurs origines. Première hypothèse, ils ont intrinsèquement une composition différente qui se traduit par une coloration particulière comme c'est le cas pour les astéroïdes dont la couleur est fonction du lieu et de leur température au moment de leur formation. Actuellement on pense que les KBO se sont tous formés dans l'espace au-delà de Neptune, dans un milieu porté à une température voisine de 40 à 50 K, qui ne peut donc pas expliquer leur variation prononcées de composition. Une autre interprétation considère que des collisions dans la Ceinture de Kuiper ont pu endommager leur croûte superficielle sombre, révélant le matériau intérieur non infiltré resté "frais". Un tel processus est par exemple visible sur la Lune et sur d'autres satellites révélant autour des cratères d'impacts récents des ensembles de raies brillantes recouvrant des matériaux plus sombres. Des simulations de ce processus semblent confirmer cette hypothèse (malgré la forte incertitude concernant le taux de collisions dans la Ceinture de Kuiper). Seule condition à réunir, l'échelle de temps nécessaire à ce "resurfaçage d'impact" doit être du même ordre de grandeur que l'échelle de temps nécessaire à l'irradiation du manteau de l'objet. En 1997, Robert H. Brown et ses collègues de l'Université d'Arizona ont obtenu un spectre dans le proche infrarouge du KBO 1993 SC. Bien que l'image soit très aplanie, il est pertinent de noter que les raies d'absorptions correspondent approximativement au système de raies identifiées sur Pluton. Cette similitude suggère une composition de surface similaire à celle de Pluton, à savoir CO et CH4 g elés ainsi que d'autres mélanges de glace sales. Dans ce contexte, en 2003 Michael Brown et ses collègues américains ont suggéré que Pluton n'était finalement pas différent des KBO. Officieusement il fait aujourd'hui partie de ces populations de petits corps perdus aux confins du système solaire au même titre que Sedna, Quaoar, Varuna, et consorts. Pluton est en fait le KBO le plus brillant, suivi par 2005 FY9, 2003 EL61 et Eris sur lesquels nous reviendrons. Trois groupes de composition distincts De nouvelles études sur les TNO et les Centaures menées par une équipe internationale de chercheurs offrent pour la première fois une image plus claire de la formation et de l'évolution du système solaire externe. Les résultats publiés dans deux articles dans la revue "Nature Astronomy" en décembre 2024 révèlent la distribution des glaces dans le système solaire primitif et la façon dont les TNO évoluent lorsqu'ils se déplacent vers l'intérieur de la région des planètes géantes, devenant des Centaures.
Dans le cadre du programme DiSCo-TNO du STScI qui fait partie du Cycle 1 du télescope spatial James Webb (JWST), les chercheurs ont découvert que les TNO peuvent être classés en trois groupes de composition distincts, façonnés par des lignes de rétention de glace remontant à l'époque où le système solaire se forma. Ces "lignes de glace" sont identifiées comme des régions où les températures étaient suffisamment froides pour que des glaces spécifiques se forment et survivent dans le disque protoplanétaire. Ces régions, définies par leur distance par rapport au Soleil, marquent des points clés dans le gradient de température du système solaire primitif et offrent un lien direct entre les conditions de formation des planétésimaux et leurs compositions actuelles. Pour l'étude des TNO, les chercheurs ont enregistré des spectres en haute résolution de 54 TNO à l'aide du JWST. En analysant ces spectres, ils ont pu identifier des molécules spécifiques à leur surface. A l'aide de techniques de regroupement, les TNO ont été classés en trois groupes distincts en fonction de leurs compositions de surface. Comme illustré à gauche, ces groupes ont été surnommés "Bowl" (Bol), "Double Dip" (Double Creux) et "Cliff" (Falaise) en raison de la forme de leur spectre d'absorption. Les chercheurs ont relevé trois caractéristiques : - Les TNO de type Bowl représentaient 25% de l'échantillon et étaient caractérisés par de fortes absorptions de glace d'eau et une surface poussiéreuse. Ils présentaient des signes clairs de glace d'eau cristalline et avaient une faible réflectivité, indiquant la présence de matériaux sombres et réfractaires. - Les TNO de type Double Dip représentaient 43% de l'échantillon et présentaient de fortes bandes de dioxyde de carbone et quelques signes de composés organiques complexes. - Les TNO de type Cliff représentaient 32% de l'échantillon et présentaient de forts signes de composés organiques complexes, de méthanol et de molécules azotées, et étaient de couleur plus rouge. Rosario Brunetto, coauteur du premier article (cf. N.Pinilla-Alonson et al., 2024) et chercheur à l'Institut d'Astrophysique Spatiale de l'Université Paris-Saclay, affirme que les résultats constituent le premier lien clair entre la formation des planétésimaux dans le disque protoplanétaire et leur évolution ultérieure. Ces travaux mettent en lumière la manière dont les distributions spectrales et dynamiques observées aujourd'hui ont émergé dans un système planétaire façonné par une évolution dynamique complexe. Selon Brunetto, "Les groupes de composition des TNO ne sont pas répartis de manière uniforme entre les objets ayant des orbites similaires. Par exemple, les classiques froids, qui se sont formés dans les régions les plus éloignées du disque protoplanétaire, appartiennent exclusivement à une classe dominée par le méthanol et les composés organiques complexes. En revanche, les TNO sur des orbites liées au nuage de Oort, qui sont nés plus près des planètes géantes, font tous partie du groupe spectral caractérisé par la glace d'eau et les silicates."
Selon Brittany Harvison, doctorante en physique à l'Université de Floride Centrale (UCF) et coautrice de cet article, les trois groupes définis par leurs compositions de surface présentent des qualités qui laissent entrevoir la structure compositionnelle du disque protoplanétaire : "Cela confirme notre compréhension du matériel disponible qui a contribué à la formation des corps extérieurs du système solaire tels que les géantes gazeuses et leurs lunes ou Pluton et les autres habitants de la région transneptunienne." Dans une seconde étude (cf. J.Licandro et al., 2024), les chercheurs ont étudié les spectres de cinq Centaures : 52872 Okyrhoe, 3253226 Thereus, 136204 alias 2003 WL7, 250112 alias 2002 KY14 et 310071 alias 2010 KR59. Les chercheurs ont découvert que les surfaces de ces Centaures présentaient des caractéristiques spécifiques et différentes des surfaces des TNO, suggérant que des modifications se sont produites suite à leur passage dans le système solaire interne. Les chercheurs ont découvert que Thereus et 2003 WL7 appartiennent au type Bowl, et tous deux sont pauvres en glaces volatiles. 2002 KY14 appartient au type Cliff et est recouvert d'une couche de régolite poussiéreux mélangée à de la glace. Les deux Centaures restants, Okyrhoe et 2010 KR59, ne correspondaient à aucune classe spectrale existante et ont été classés dans la catégorie "Shallow" (Peu Profond) en raison de leurs spectres uniques. Ce groupe nouvellement défini est caractérisé par une forte concentration de poussières primitives de type comète et peu ou pas de glaces volatiles. Cette découverte aide à comprendre la façon dont les TNO deviennent des Centaures lorsqu'ils se réchauffent en se rapprochant du Soleil et développent parfois des queues semblables à celles des comètes comme c'est actuellement le cas du Centaure LD2 illustré à droite. Selon Noemí Pinilla-Alonso du Florida Space Institute de l'UCF, spécialiste des petits corps et autrice principale du premier article, "Curieusement, nous identifions une nouvelle classe de surface, inexistante chez les TNO, qui ressemble aux surfaces pauvres en glace du système solaire interne, aux noyaux cométaires et aux astéroïdes actifs." Pour le planétologue Javier Licandro, chercheur principal à l'Institut d'Astrophysique des Canaries (IAC) et auteur principal des travaux sur les Centaures, la diversité spectrale observée chez les Centaures est plus large que prévu, ce qui suggère que les modèles existants de leur évolution thermique et chimique pourraient être affinés : "Par exemple, la variété des signatures organiques et le degré des effets d'irradiation observés par exemple, n'étaient pas entièrement anticipé." Selon Licandro, "La diversité détectée dans les populations de Centaures en termes d'eau, de poussière et de composés organiques complexes suggère des origines variées dans la population de TNO et différents stades d'évolution, soulignant que les Centaures ne sont pas un groupe homogène mais plutôt des objets dynamiques et transitoires. Les effets de l'évolution thermique observés dans la composition de surface des centaures sont essentiels pour établir la relation entre les TNO et d'autres populations de petits corps, tels que les satellites irréguliers des planètes géantes et leurs astéroïdes Troyens." Le planétologue Charles Schambeau du Florida Space Institute (FSI) de l'UCF, spécialisé dans l'étude des Centaures et des comètes (cf. UCF Today) et coauteur du second article souligne l'importance des observations et le fait que certains Centaures peuvent être classés dans les mêmes catégories que les TNO observés par DiSCo : "C'est assez important car lorsqu'un TNO se transforme en Centaure, il connaît un environnement plus chaud où les glaces et les matériaux de surface sont modifiés. Apparemment, dans certains cas, les changements de surface sont minimes, ce qui permet de relier les Centaures individuels à leur population de TNO parente. Les types spectraux des TNO et des Centaures sont différents, mais suffisamment similaires pour être liés." Pinilla-Alonso rappelle que les recherches précédentes de DiSCo ont révélé la présence largement répandue de divers oxydes de carbone à la surface des TNO, ce qui constitue une découverte importante : "Nous nous appuyons désormais sur cette découverte pour offrir une compréhension plus complète des surfaces des TNO. L'une des grandes découvertes est que la glace d'eau, que l'on pensait auparavant être la glace de surface la plus abondante, n'est pas aussi répandue que nous le pensions. Au lieu de cela, le dioxyde de carbone et d'autres oxydes de carbone, comme le monoxyde de carbone supervolatil, se trouvent dans un plus grand nombre de corps." Un anneau autour de certains TNO S'il fut surprenant de découvrir que plusieurs astéroïdes sont escortés par une ou deux lunes (cf. les astéroïdes), il est encore plus étonnant de découvrir qu'au moins 3 planètes mineures de la famille des TNO disposent d'un anneau. 1. Chariklo L'astéroïde Chariklo (ou Chariclo) fut découvert en 1997 par James Scotti du programme Spacewatch. Chariklo est membre du groupe des Centaures gravitant entre les orbites de Jupiter et de Neptune vers 15.8 UA. Il mesure 252 km de diamètre et présente une période orbitale proche de 63 ans. En 2013, à la faveur d'une occultation les astronomes découvrirent qu'il était encerclé par deux anneaux qui furent nommés Oiapoque et Chui d'un rayon de respectivement 396 et 405 km et d'envrion 7 km et 3.5 km de largeur. Les anneaux ressemblent à ceux d'Uranus. Ils sont séparés d'environ 9 km. Ils sont rocheux mais contiennent vraisemblablement de la glace d'eau mélangée à un matériau sombre, des débris d'un corps glacé qui est entré en collision avec Chariklo dans le passé. La découverte fut annoncée dans la revue "Nature" en 2024 (en PDF sur arXiv). Le 18 octobre 2022, à l'occasion de l'occulation de l'étoile Gaia DR3 6873519665992128512 par Chariklo (cf. ce GIF animé de 122 KB), le télescope JWST a pu clairement mesurer deux extinctions par les anneaux. Le spectre obtenu par le spectrographe NIRSpec confirme également la présence d'eau glacée à la surface de l'astéroïde (cf. NASA, 2023). Actuellement, on ignore l'origine de ces anneaux mais il est possible qu'ils se soient formés suite à une collision qui forma un disque de débris qui s'est ensuite dispersé selon la masse des particules sous la limite de Roche. Le fait que les anneaux soient étroitement confinés suggère que des satellites gardiens pourraient les maintenir en place. A
voir : ESOcast 64: First Ring System Around Asteroid,
ESA, 2014
Notons que Chariklo est trop petit et trop éloigné pour que le JWST puisse photographier directement les anneaux. Les occultations et la spectroscopie restent donc les seules méthodes pour caractériser ce système. 2. Hauméa 136108 Hauméa, alias 2003 EL61 est un TNO membre de la famille des "objets dispersés du disque" ou SDO qui rejoint Eris et beaucoup d'autres petits corps. Il appartient aussi à la famille des planètes naines. Comme les TNO, son orbite présente une forte excentricité. Sa découverte fut annoncée le 28 juillet 2005 par l'équipe de José Luis Ortiz de l'Institut d'Astrophysique d'Andalousie (IAA) utilisant le Telescopio Sierra Nevada de Grenade en Espagne. Entre-temps, les astronomes américains Michael Brown de Caltech et Chad Trujillo de l'Observatoire Gemini d'Hawaï découvrirent cet objet dans leurs données suite à une revue du ciel réalisée avec le télescope du Mont Palomar le 6 mai 2004. L'annonce fut retardée en raison de nouvelles observations effectuées à titre de confirmation par le télescope spatial Spitzer. Par un excès de prudence, la paternité de cette découverte revient donc aux astronomes espagnols. Hauméa est actuellement le deuxième TNO le plus brillant dans cette région après Pluton, devant Eris. Hauméa est un astre exotique à bien des égards. Il présente une forme allongée, mesurant environ 2322 x 1704 x 1138 km. Il gravite dans la région transneptunienne à environ 43 UA et effectue une révolution autour du Soleil en 284 ans. Hauméa est également escorté par deux satellites (Hi'iaka d'environ 310 km de diamètre et Namaka d'environ 170 km de diamètre). Hauméa possède un anneau découvert en 2017 par l'équipe de José Luis Ortiz qui utilisa pas moins de 12 télescopes répartis à travers l'Europe pour l'identifier lors de l'occultation de l'étoile URAT1 533-182543 dont voici les résultats préliminaires (2017). L'anneau présente un rayon d'environ 2287 km et une largeur de 70 km. La planète naine effectue trois rotations sur son axe pendant le temps que l'anneau complète une révolution. C'est la première fois qu'on découvre un anneau autour d'un petit corps qui n'est pas un Centaure. 3. Chiron L'astéroïde Chiron fut découvert par Charles T. Kowal en 1977 grâce à la chambre Schmidt de 1.2 m du Mont Palomar. Chrion mesure environ 160 x 80 km. Il gravite à environ 13.63 UA et boucle sa révolution autour du Soleil en 50.4 ans. Comme Chariklo, il appartient au groupe des Centaures. Comme nous l'avons expliqué, c'est une comète dormante (95P/Chiron). En 2015, suite à la découverte de l'anneau d'Hauméa, les données de plusieurs occultations stellaires par Chiron ont été réanalysées par l'équipe de José Luis Ortiz précité qui découvrit un segment d'anneau potentiel autour de cet astéroïde. Il serait elliptique avec un rayon d'environ 324 x 228 km. Sa largeur n'a pas encore été estimée. Il pourrait s'agir d'un système d'anneaux. Il s'agirait alors du plus petit Centaure entouré d'anneaux. A lire : Conversion of Absolute Magnitude to Diameter for Minor Planets, SFAU The H and G magnitudes system for asteroids (PDF), BAA
Parmi les KBO imposants il y a Quaoar, alias 2002 LM60. Il fut découvert en juin 2002 grâce au télescope Samuel Oschin de 1.20 m du Mont Palomar. Quaoar orbite à environ 42 UA ou 6.3 milliards de km du Soleil, soit 30% plus loin que Pluton quand il est au plus près du Soleil mais c'est aussi deux fois plus près que Sedna. Si nous devions y aller à pied, il nous faudrait environ 100000 ans pour atteindre Quaoar. A la vitesse de la navette spatiale il faudrait 25 ans. Quant à la lumière il lui faut tout de même plus de 5 heures pour l'atteindre. A cette distance le Soleil ne brille pas beaucoup plus que Vénus vue de la Terre et il gèle par -230°C.
Quaoar gravite sur une orbite quasi circulaire présentant une ellipticité égale à 0.04, inclinée d'environ 8° sur le plan de l'écliptique. Il accomplit sa révolution autour du Soleil en 285 années terrestres. Grâce aux mesures effectuées grâce au Télescope Spatial Hubble, les astronomes ont estimé le diamètre de Quaoar à environ 1280 km. D'autres analyses lui donnent un diamètre d'environ 1110 km. Il est donc moitié plus petit que Pluton (2370 km) et plus grand que Sedna (~1000 km). C'est en janvier 2005 que David Jewitt et Jane Luu ont obtenu le premier spectre en haute résolution de Quaoar grâce au télescope Subaru de 8.2 m installé au sommet du Mauna Kea. Ce spectre indique la présence d'eau glacée cristallisée. Les auteurs estiment qu'elle apparut à la surface de Quaoar voici 10 millions d'années. Grâce à cette signature caractéristique, Jewitt et Luu pensent que certains processus sont toujours actifs aujourd'hui, notamment des remontées de glace enfermées dans le sous-sol de Quaoar depuis 4.5 milliards d'années ou un réchauffement de sa surface qui pourrait expliquer la présence de cette glace d'eau. Bien que cette interprétention reste spéculative, c'est une bonne nouvelle car pour la première fois des astronomes ont pu obtenir un spectre révélant des propriétés inattendues et étranges à la surface de Quaoar. Statistiquement, David Jewitt estime qu'il existe environ 10000 objets de ce type présentant des paramètres orbitaux similaires. Un satellite : Weywot En 2007, sur base de photographies prises un an plus tôt par le Télescope Spatial Hubble, l'équipe de Michael Brown découvrit un satellite en orbite autour de Quaoar (cf. IAUC 8812). Il fut baptisé Weywot. Sur base de sa magnitude (Mph 24.9) et de son diamètre (3.3 mas) apparents, le satellite mesure environ 170 km de diamètre et orbite à 14500 km de Quaoar ou 24 rayons de Quaoar (RQ). Notons qu'à part Sedna, toutes les planètes naines et les plus grands KBO disposent d'au moins un satellite. Un premier anneau A l'occasion de plusieurs occultations survenues entre 2018 et 2021, plusieurs télescopes terrestres et le satellite CHEOPS (CHaracterising ExOPlanet Satellite) lancé par l'ESA fin 2019 ont enregistré la courbe lumineuse de Quaoar et découvert qu'il possède un anneau. Suite à la découverte ultérieure d'un second anneau (voir plus bas), ce premier fut appelé Q1R ou anneau extérieur. Mais à la grande surprise des astronomes, il se situe à 4100 km du centre de l'astre ou 7.4 RQ, bien au-delà de la limite de Roche située à 1780 km, indiquant que cette limite ne détermine pas toujours la distance sous laquelle un anneau se forme (cf. B.Morgado et al., 2023). Auparavant, les chercheurs pensaient que tout astre situé sous la limite de Roche devrait être disloqué par les forces de marée, ce qui signifie qu'un anneau de débris devrait se former. En théorie les corps situés en dehors de la limite de Roche devrait fusionner, formant une lune. Mais Quaoar n'obéit pas à cette règle.
Selon Morgado de l'Observatoire de Valongo de Rio de Janeiro au Brésil, "Nous pensons toujours que [la limite Roche] est simple. D'un côté se trouve une lune en formation, de l'autre côté un anneau stable. Maintenant cette limite n'est plus une limite." Selon les auteurs, "sur base d'expériences faites en laboratoire, les simulations montrent que les collisions élastiques peuvent maintenir un anneau loin de l'astre. De plus, l'anneau de Quaoar orbite près de la résonance 1/3 spin-orbite avec Quaoar, une propriété partagée par les anneaux de Chariklo et de Haumea, suggérant que cette résonance joue un rôle clé dans le confinement des anneaux pour les petits corps." Mais Morgado propose plusieurs explications. L'une est qu'on a découvert l'anneau au bon moment, juste avant qu'il ne se transforme en lune. Mais il avoue que cette probabilité est faible. Il est aussi possible que la petite lune Weywot ou une autre lune invisible joue le rôle de satellite "gardien" et contribue à maintenir par gravité l'anneau en place d'une manière ou d'une autre. Ou peut-être que les particules de l'anneau entrent en collision de telle manière qu'elles évitent de se coller les unes aux autres et de former une lune. Selon David Jewitt, les particules devraient être particulièrement élastiques - comme des balles en caoutchouc - pour que cela fonctionne. Mais l'observation étant confirmée, actuellement il n'y a aucun moyen de savoir laquelle de ces explications est correcte, d'autant moins qu'il n'y a pas de prédictions théoriques pour des anneaux aussi lointains que l'on puisse comparer avec la configuration de Quaoar. Un deuxième anneau Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Chrystian L. Pereira de l'Observatoire National du Brésil annonça en 2023 la découverte d'un deuxième anneau autour de Quaoar alors qu'elle étudiait le premier anneau Q1R (cf. C.L. Pereira et al., 2023). Ce deuxième anneau appelé Q2R ou anneau intérieur se situe sous l'anneau Q1R mais toujours dans la zone toute aussi improbable que le premier, en dehors de la limite de Roche, ce qui contredit les théories décrivant la formation des lunes et des anneaux.
En raison de leur finesse, ces deux anneaux ne sont pas visibles dans les grands télescopes ; ils furent détectés indirectement lorsque Quaoar occulta la lumière d'une étoile. Grâce à cette nouvelle occultation, les chercheurs ont notamment découvert que le second anneau possède un noyau dense qui ne fait que quelques kilomètres de large. Ils prévoient d'étudier ce deuxième anneau lors de futures occultations stellaires. Pour rappel, les astronomes ont découvert des anneaux autour d'autres petits corps comme le TNO Chariklo (2013), l'astéroïde Chiron (2015) et la planète naine Hauméa (2017). Autres TNO et KBO
2012 VP113 Le 5 novembre 2012, les astronomes Chad Trujillo et Scott Sheppard découvrirent grâce aux télescopes Blanco de 4 m du CTIO installé à Cerro Tololo et des deux telescopes Magellan de 6.5 m installés à Las Campanas, un nouveau grand KBO de magnitude 23.4 qui fut dénommé 2012 VP 113 par l'UAI. Après les contrôles d'usage, l'annonce fut publiée en 2014. Sur base de sa magnitude absolue et son albédo, ce KBO mesure entre 350 et 600 km de diamètre et gravite à une distance comprise entre 80 et 446 UA sur une orbite très excentrique (e=0.69) et inclinée de 24° sur le plan de référence. A cette distance, il boucle son année en quelque 4268 ans ! Selon les observations, sa surface pourrait être rose, le résultat de réactions chimiques produites par l'effet du rayonnement solaire sur l'eau glacée, le méthane et le dioxyde de carbone. Cette teinte est compatible avec la formation d'un astre dans la région gazeuse plutôt que dans la Ceinture de Kuiper qui est dominée par des objets rouges foncés. 2012 VP113 se trouvait à 80 UA en 1979 et à 84 UA en 2023. La Ceinture de Kuiper en 2026 Si nous voulons améliorer les modèles du système solaire et notamment préciser l'origine des perturbations orbitales dans la Ceinture de Kuiper, nous devons patienter encore quelques années, le temps que la sonde spatiale New Horizons atteigne la Ceinture de Kuiper en 2026. Cette année là nous pourrons enfin photographier ces KBO en haute résolution, en découvrir certainement de nouveaux et éclaircir les mystères qui entourent ces petits corps glacés perdus aux confins du système solaire. Arrokoth Le premier d'entre eux photographié par New Horizons le 1 janvier 2019 fut 2014 MU69 surnommé "Arrokoth", un KBO d'environ 32x16 km découvert grâce au Télescope Spatial Hubble. Lors du rendez-vous, ce KBO se trouvait à 6.46 milliards de kilomètres du Soleil soit 43.2 UA. A cette distance, le signal mit environ 10 heures pour atteindre la Terre et la lumière du Soleil est 1600 fois plus pâle que sur Terre. Ce petit objet dont la magnitude apparente est de 26.8 tourne légèrement sur lui-même avec une période de ~15 heures. Il évolue sur une orbite faiblement excentrique (e~0.05), similaire à celle de Saturne et boucle sa révolution en ~295 ans. La sonde spatiale s'approcha jusqu'à 6700 km d'Arrokoth dont elle prit 900 images révélant comme on le voit ci-dessous un objet alongé en forme de cacahuète résultant de la collision de deux petits corps. Certains l'ont surnommé le "bonhomme de neige" (snowman). Notez sa couleur brune-orangée déjà observée dans d'autres KBO, le faible nombre de cratères et les différences de réflectivité, en particulier la forte brillance à l'endroit de la jonction des deux corps. Comme on le voit sur la modélisation à droite, c'est exactement le type d'aspect qu'on attendrait de la zone de contact entre deux corps principalement constitués d'eau glacée.
Au cours d'une conférence du JHUAPL qui s'est tenue début 2019, les chercheurs ont confirmé que l'astre ne présente aucun signe de collision violente ayant pu le déformer et comme le montre la carte géologique ci-dessus, la surface des deux parties est très similaire. On en déduit que les deux objets se sont probablement formés séparément puis se sont rapprochés et mirent assez longtemps pour se synchroniser en fonction de leurs dimensions puis se sont très lentement touchés, à une vitesse estimée à ~3 m/s. Toutefois, les images peuvent être trompeuses surtout quand on ne voit pas l'objet sous les angles. Ainsi, l'image couleur présentée ci-dessus à gauche suggère que l'astre est constitué de deux sphères de révolution en contact. Or de nouvelles photos prises par New Horizons ont révélé que les deux parties seraient aplaties, ressemblant plus à deux galettes en contact. Comme le dit le proverbe, il ne faut pas se fier aux apparences. Dernier chapitre Une deuxième Ceinture de Kuiper
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