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Saturne, dieu du temps et père de Jupiter

Le seigneur des anneaux (I)

Saturne est la dernière planète connue de l'Antiquité, reconnue parmi les "étoiles errantes" depuis les temps préhistoriques. C'est en revanche la première planète par la réputation de son anneau qui devient un véritable joyau quand on l'observe dans un télescope, même de petite ouverture (60 mm).

Au XVIIe siècle, Galilée équipé d'une modeste lunette qui grossissait à peine 30 fois et de qualité médiocre, n'était pas parvenu à résoudre son image. Il resta confronté à une planète composée de 3 éléments : un globe et 2 objets latéraux dont le comportement était capricieux, apparaissant et disparaissant au fil des années.

Avant de quitter définitivement le système solaire, la sonde Voyager 1 se retourna une dernière fois vers Saturne le 16 novembre 1980 à 5.3 millions de kilomètres de distance pour nous la présenter sous cet angle inhabituel. Magnifique ! Document NASA/JPL.

Il faudra attendre les observations du Hollandais Christian Huygens en 1656 pour résoudre l'énigme de celle qu'on surnommait "la trijumelle" : ces appendices que l'on prenait pour des anses, des satellites (théorie de Pierre Gassendi, Giovanni Riccioli, Honoré Fabri et Eustachio Divini soutenue jusqu'en 1660 et sur laquelle nous reviendrons à propos du choix d'un télescope) ou des trouées dans un corps elliptique formaient en réalité un anneau autour de la planète.

Notons qu'Huygens observa Saturne avec des lunettes à objectif plan-convexe d'abord de 57 mm de diamètre et de 3.3 m de focale (f/59) et plus tard avec des modèles gigantesques jusqu'à 230 mm de diamètre et 67 m de focale soit f/283 ! C'est également Huygens qui découvrit la première "Luna Saturni" qu'il ne nomme pas et qu'on appellera plus tard Titan. Notons qu'aujourd'hui quelques-unes des lentilles et des instruments utilisés par Huygens sont exposés au Musée de Boerhaave aux Pays-Bas.

Mais comme beaucoup d'astronomes (à part Galilée notamment) s'opposaient à la théorie d'Huygens, pour les départager, en 1660 les astronomes italiens de l'Académie de Cimento confectionnèrent un modèle annelé de Saturne qu'ils placèrent respectivement à 21 et 74 mètres de distance et l'observèrent au moyen de deux lunettes de qualité différente (plus vraisemblablement à travers deux tubes sans lentilles simulant un grossissement de plusieurs dizaines de fois). Pour éviter toute discussion, ils demandèrent également l'opinion d'un public n'ayant jamais observé Saturne. Et de fait ils observèrent un objet constitué de trois sphères... Cette expérience confirma la théorie d'Huygens. Honoré Fabri reconnut son erreur et supporta par la suite la théorie d'Huygens. Plus tard, vers 1675 Jean-Dominique Cassini découvrit que l'anneau n'était pas unique mais était séparé en deux parties par une division sombre, qui portera son nom. Nous y reviendrons.

A lire : La découverte des anneaux de Saturne, par Dominique Caudron

A gauche, le modèle très réaliste de Saturne proposé par Christian Huygens dans son livre "Systema Saturnium" publié en 1659. Au centre, la théorie fantaisiste d'Honoré Fabri proposée en 1660 qui imaginait une planète entourée de 4 satellites, dont deux sombres éclipsant deux brillants mais sans projection sur le globe. A droite, le modèle mis au point par les académiciens de Cimento en 1660 pour trancher la question. Documents LOC et Museo Galileo.

Données physiques

La sixième planète du système solaire gravite autour du Soleil à une distance d'environ 1.5 milliard de kilomètres soit 9.54 UA ce qui représente le double de la distance de Jupiter au Soleil. A la distance de Saturne, le Soleil est presque 10 fois plus petit que sur Terre ( 3.4' contre 32') et est 200 fois plus pâle avec une magnitude de -21.1 contre -26.8 sur Terre.

Par ses dimensions Saturne est la deuxième planète du système solaire après Jupiter, avec lequel elle a de nombreux points communs. Son diamètre équatorial atteint 120536 km (~360000 km en comptant les anneaux) et accuse comme Jupiter mais en plus prononcé, un aplatissement considérable des régions polaires de 9.12% (108728 km) provoqué par sa rotation très rapide et son état fluide. Une autre particularité de Saturne est sa densité moyenne : 0.688, elle flotte sur l'eau ! Son volume représente 764 fois celui de la Terre mais seulement 95 fois sa masse, ce qui explique sa densité plus faible que celle de l'eau.

Si vous l'observez après Jupiter, le globe de Saturne vous paraîtra tout petit. A cette distance il est en effet au moins deux fois plus petit que celui de Jupiter (19.5" contre 46.9" lors des oppositions) mais Saturne est presque aussi large que Jupiter si on tient compte des anneaux (42"). Saturne présente une masse estimée à 5.68x1026 kg, le tiers de celle de Jupiter. Si ce dernier boucle sa révolution autour du Soleil en quelque 12 ans, Saturne accomplit une révolution complète en 29 ans et demi.

Images amateurs

A gauche, un compositage couleur d'environ 1800 images individuelles prises sous chaque filtre R, G et B réalisé par Paul Haese depuis Adelaïde en Australie le 2 juin 2017 avec un télescope Schmidt-Cassegrain Celestron C14 de 356 mm f/11 dont le tube optique était refroidi et équipé d'une caméra CCD ZWO 174MM. La turbulence était particulièrement faible. Au centre, un compositage LRGB sous filtres Trutek (L=rouge) réalisé par David Tyler le 20 décembre 2005 avec un télescope Schmidt-Cassegrain C14 de 356 mm f/40 muni d'une CCD Lumenera 075. L'image est inversée de haut en bas car entre 1997-2009, Saturne nous présentait son pôle Sud (entre mi-2009 et 2024 nous verrons son pôle Nord). A droite, un compositage couleur réalisé par Thierry Legault au foyer d'un télescope Celestron C14 EdgeHD de 355 mm f/11 équipé d'une caméra CCD couleur ZWO ASI662MC. Voir aussi la galerie des chefs-d'oeuvre.

Avec un axe de rotation incliné de 26°44' sur le plan de l'orbite, tous les 15 ans environ Saturne nous présente alternativement son pôle Nord puis son pôle Sud, nous offrant l'opportunité d'observer le spectaculaire phénomène des anneaux ouverts au maximum. En revanche, en 1995 et 2009 et la prochaine fois en 2025, la Terre traversera le plan des anneaux qui seront invisibles pendant 15 jours à un mois selon la puissance des télescopes. On y reviendra

Structure de l'atmosphère

La période de rotation de l'atmosphère de Saturne présence un régime différentiel comme Jupiter, avec une période de 10h14m à l'équateur et de 10h39m aux pôles, entraînant les courants équatoriaux à 1800 km/h !

Dans les grandes lignes l'atmosphère de Saturne est semblable à celle de Jupiter bien que ces composants soient distribués différemment. Elle est constituée de 75% d'hydrogène et de 25% d'hélium (proportion par masse) et présente des traces d'eau, de méthane, d'ammoniac et quelques poussières, à l'image de la composition de la nébuleuse protosolaire qui lui donna naissance.

Grâce aux analyses des mesures relevées par les sondes spatiales Pioneer 11, Voyager 1, Voyager 2 et Cassini, le Dr Hubbard a pu reconstituer un modèle de la planète géante aux anneaux.

Ci-dessus, la structure des ceintures et zones de Saturne ainsi que le profil de son atmosphère supérieure sont similaires à ceux de Jupiter à la différence que dans les couches supérieures de nuages la pression est moins forte sur Saturne mais la force des vents est plus élevée. Ci-dessous, structure et composition intérieures de Saturne comparées à celles de Jupiter. Documents NASA/Prentice Hall et NASA/U.Edimbourg adaptés par l'auteur.

La structure de Saturne se divise en 4 parties : un noyau de roche ou de glace de 15000 km de rayon (il est 2.5 fois plus grand que la Terre !); un noyau externe composé d'hydrogène métallique d'abord solide puis liquide d'un rayon de 20000 km; un manteau liquide composé d'hydrogène moléculaire et d'hélium dans un rapport He/H de 6% qui s'étend sur 25000 km et enfin une zone de transition jusqu'à l'atmosphère nuageuse qui s'étend sur 1300 km d'altitude (contre moins de 30 km sur Terre). Cette couche nuageuse troposphérique est divisée en 3 couches.

L'atmosphère supérieure de Saturne est délimitée à son sommet par la tropopause considérée comme le niveau 0 de référence. Selon les relevés de la sonde Cassini effectués en 2004, comme sur Terre et sur les autres planètes gazeuses mais à une autre échelle, la température au niveau de la tropopause de Saturne est plus froide que celle la stratosphère avec un minimum de -183°C entre l'équateur et 70° de latitude sud. Elle augmente ensuite dans la stratosphère, au-dessus de la couche nuageuse, pour atteindre un maximum de -113°C vers 180 km d'altitude et 75° de latitude sud. Enfin, la température dépasse -20°C vers 250 km d'atitude mais le milieu se raréfie.

Au niveau de la tropopause se trouve une brume photochimique épaisse d'environ 30 à 50 km. Juste en dessous et sur une épaisseur d'environ 100 km mais semée d'éclaircies se trouve la première couche nuageuse principalement constituée de cristaux de méthane et d'ammoniac, auxquels s'ajoutent en plus faibles proportions des éléments organiques tels que l'éthane, l'acétylène ou la phosphine, donnant à Saturne une coloration jaunâtre marquée de zones rouges et brunes. Dans cette première couche nuageuse, la température est d'environ -130°C puis augmente graduellement de même que la pression à mesure qu'on s'enfonce dans l'atmosphère.

La deuxième couche nuageuse commence vers 150-170 km de profondeur et présente une température moyenne de -70°C. Elle se compose priuncipalemet de nuages d'hyposulfite d'ammonium (également appelé thiosulfate d'ammonium, de formule chimique (NH4)2S2O3). Notons que c'est un réducteur et un solvant chimique que les photographes utilisaient jadis comme produit de blanchiment, en particulier comme fixateur rapide car il permet de dissoudre le chlorure d'argent.

Enfin, la troisième couche nuageuse se situe vers 200-220 km de profondeur et se compose principalement de nuages d'eau glacée comme sur Terre et présente une température voisine de 0°C. Juste en dessous commence véritablement l'atmosphère d'hydrogène.

C'est dans les trois couches nuageuses supérieures que se forment les bandes colorées de Saturne. Ses bandes "sombres" sont plus pâles que celles de Jupiter et sont également plus larges au niveau de l'équateur. A l'inverse de Jupiter, aucun sinon très peu de détails atmosphériques apparaissent depuis la Terre. Aussi l'arrivée des sondes Voyager et Cassini près de Saturne fut très appréciée par la communauté scientifique qui put enfin étudier la circulation atmosphérique de Saturne en détails.

A gauche, les structures nuageuses de Saturne photographiées sous une lumière rasante par la sonde spatiale Cassini le 30 octobre 2006. L'image a été traitée par Jason Major. Au centre, deux gros-plans sur l'activité atmosphérique de Saturne. Il s'agit d'images en fausses couleurs traitées par Kevin Gill à partir de photos prises par Cassini dans la raie du méthane (filtre MT2 à 727 nm) et dans la partie rouge du continuum (filtre CB2 à 750 nm, cf. cet article page 446) respectivement le 9 novembre 2007 et le 27 février 2013. Documents NASA/JPL-Caltech/SSI. A droite, illustration de l'atmosphère supérieure de Saturne par Joe Bergeron. S'il y a bien des nuages sur Saturne, leur structure cumiliforme est très peu développée en raison de la vitesse élevée des vents.

Lors de son survol de Saturne, la sonde spatiale Voyager 2 avait relevé une température au sommet de la première couche nuageuse (niveau 100 mb) de -160°C, soit 30° plus chaude que la température d'équilibre à cette distance du Soleil. Cela signifie que Saturne, comme Jupiter, émet 3 fois plus d'énergie qu'elle n'en reçoit du Soleil. Ce phénomène pour le moins inattendu pour une planète s'explique par le mécanisme de Kelvin-Helmholtz et est lié à la libération d'énergie du noyau : en traversant le manteau constitué d'hydrogène moléculaire, l'hélium se transforme en hydrogène métallique, en libérant de la chaleur. Plus bas, toute cette énergie porte le noyau de Saturne à une température de 12-13000°C, légèrement inférieure à celle de Jupiter (20000°C).

Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2019, Luciano Iess de l'Université Sapienza de Rome et ses collègues du JPL ont montré grâce aux données de Cassini que la rotation des couches internes de Saturne ne devient synchrone qu'à partir d'une profondeur d'au moins 9000 km soit 15% du rayon de Saturne. Ces données permettent d'estimer la masse du noyau de Saturne entre 15 et 18 fois celle de la Terre soit 2.8x1019 kg ou 75% de celle de son satellite Mimas. Mais sur base de l'analyse des ondes de densité, il est vraisemblable qu'une quantité substantielle de matière est cachée dans les parties opaques de l'anneau B qui est aussi le plus dense. On y reviendra.

L'énorme pression engendrée par la masse de Saturne compresse gravitationnellement la planète mais ne pourra jamais provoquer une fusion nucléaire car sa masse et sa température sont encore bien trop faibles. Toutefois la compression gravitationnelle du noyau ne peut seule expliquer la luminosité de Saturne. Il est probable que les "pluies" d'hélium en interaction près du noyau jouent ici un rôle important même s'il est secondaire.

Lors du survol de Saturne les sondes spatiales ont détecté des éclairs très puissants dont certains semblaient corrélés avec une grande tempête visible en surface dont la gigantesque perturbation apparue en mars 2011 (voir plus bas) ainsi que des décharges électriques dont l'origine n'a pu être établie, provenant peut-être des anneaux de Saturne. En revanche, aucun éclair n'a été détecté dans l'hémisphère plongée dans la nuit, comme ce fut le cas sur Jupiter.

Des pluies de diamants

Récolte de diamants par des robots dans les abysses de Saturne. Document Michael Carroll (2013) pour "Nature".

Nous savons que les atmosphères planétaires comme exoplanétaires sont parfois surprenantes avec des températures, des pressions et des vents extrêmes ou des compositions extraordinaires dignes du laboratoire d'un chimiste excentrique ou des chaudrons de l'enfer. Si nous avions les moyens techniques de plonger dans les abysses de Saturne sans être écrasés et pyrolisés par les conditions infernales qu'il y règne, on découvrirait qu'à une certaine profondeur équivalente à celle qui règne à 30 km sous Terre ou dans une presse hydraulique servant à fabriquer des diamants (10000-58000 atm et 1400-2000°C), l'atmosphère de Saturne scintille littéralement comme des diamants ! Et la comparaison est justifiée.

Au cours du 45e meeting annuel de l'AAS consacré aux Sciences Planétaires qui s'est tenu en 2013 à Denver, au Colorado, Kevin Baines du JPL, spécialiste scientifique auprès de la mission Cassini et professeur à l'Université du Wisconsin à Madison expliqua que vers 6000 km de profondeur l'atmosphère de Saturne présente une température supérieure à 2000°C et une pression supérieure à 10000 atmosphères. Elle abriterait également une activité orageuse avec des éclairs 1000 fois plus intenses que sur Terre accompagnés de pluies de méthane puis de carbone noir (suie) un peu plus bas. Selon les modèles, grâce à ces éclairs extrêmement intenses associés à une pression titanesque, la suie en suspension se transforme en pluie de diamants dont certains pourraient atteindre un centimètre de diamètre (à peine moins que le plus gros diamant de synthèse de 10.07 carats) ! 

A partir de 30000 km de profondeur, la pression hydrostatique et la température deviennent tellement élevées que même les diamants les plus purs se désagrègent. A partir de là, on ignore qu'elle forme prend le carbone. Selon Baines, il est possible qu'il forme une mer de carbone liquide.

Ceci dit, Saturne n'a pas le monopole des diamants car les mêmes conditions existent sur toutes les planètes géantes gazeuses. En revanche, selon Raymond Jeanloz, coéquipier de Baines qui publia une étude sur le sujet en 1999, ils ont plus de chances de subsister sur Uranus et Neptune car leur noyau est plus froid.

Selon Baines, Saturne pourrait ainsi produire 1000 tonnes de diamants chaque année ! Mais en l'état actuel de nos connaissances il est peu probable qu'on puisse un jour récolter ces diamants car aucun matériau connu ne résisterait à ces pressions. Mais qui sait dans mille ans. A cette époque, nos descendants pourront peut-être également s'approvisionner en hélium-3 sur Saturne pour alimenter des réacteurs propres et ainsi fournir à l'humanité une énergie quasiment illimitée.

Mais comme l'expliqua Maggie McKee dans la revue "Nature" en 2013, plusieurs chercheurs dont le planétologue David Stevenson du Caltech et le physicien Luca Ghiringhelli de l'Institut Freitz Haber de Berlin ne sont pas convaincus que les "mixtures aromatiques thermodynamiques" des planètes gazeuses géantes contiennent suffisamment de méthane pour fabriquer du carbone, encore moins Uranus et Neptune. Selon Ghiringhelli, ce sont des "conclusions très optimistes par rapport au peu de données que nous possédons et fondées sur un modèle qui n'est pas convaincant".

Des tempêtes d'ampleur planétaire

D'apparence très calme, l'atmosphère de Saturne est pourtant plus perturbée que celle de Jupiter. Les vents les plus violents apparaissent non pas à l'intersection des bandes et des zones mais au milieu de celles-ci. Les courants atmosphériques circulent horizontalement dans une direction Est-Ouest et de sens contraire, à une vitesse trois fois plus importante que sur Jupiter (500 m/s soit 1800 km/h contre 150 m/s).

Photos des tempêtes de Saturne. A gauche, de petits cyclones (mais mesurant tout de même plus de 5000 km) photographiés par Voyager 1 le 5 novembre 1980 et restitués en couleurs accentuées. À sa droite, la tempête "du dragon" photographiée par Cassini en septembre 2004. Elle persista pendant plus de six mois. A droite du centre, un cyclone apparut le 1 décembre 1994 photographié en couleurs naturelles. En comptant ses extensions, il mesure 12700 km. A droite, une tempête spectaculaire photographiée par Cassini en mars 2011. Apparue fin 2010, elle devint finalement 500 fois plus grande que les premiers vortex et ne se dissipa que fin 2011 (cf. cette séquence). Documents JPL PhotoJournal, NASA/JPL/SSI, NASA/ESA/STScI/R.Beebe et al. et NASA/JPL/SSI.

Comme on le voit ci-dessus, les photos rapprochées de l'atmosphère de Saturne révèlent une série de petits vortex clairs, de tourbillons et de taches dont la coloration varie selon la profondeur, passant d'une teinte rouge ou blanche en altitude, au brun puis au bleu à mesure que l'on s'enfonce dans les nuages. En moyenne ces cyclones et autres "hurricanes" mesurent entre 5000 et 10000 km de diamètre et sont donc environ 20 fois plus grands que les cyclones de catégorie F5 terrestres avec des effets évidemment démultipliés.

L'une des plus grandes perturbations fut suivie pendant plus d'un an et demi entre fin 2009 et 2011 par la sonde Cassini. Comme on le voit ci-dessous à droite, tout commença par une tache claire apparue fin 2009 rapidement suivie par 4 ou 5 festons dans son sillage en 2010. Au fil des mois, en raison de la grande vitesse des vents, elle finit par se transformer en une perturbation gigantesque de 300000 km de longueur qui encercla toute la planète à l'été 2011 et s'étendit sur 4 milliards de kilomètres carrés. Elle fut 500 fois plus grande que les premiers vortex observés en 2009.

L'hexagone polaire

Citons également la présence d'une immense formation cyclonique en forme d'hexagone autour du pôle Nord de Saturne qui s'étend jusqu'à 78°N. Découverte par les sondes Voyager 1 et 2 en 1980 et 1981, elle fut revisitée par la sonde Cassini-Huygens entre 2006 et 2017 comme on le voit ci-dessous. Cette structure mesure 13800 km de longueur et présente une période de 10h39m24s, identique à celle des émissions radios provenant de l'intérieur de Saturne. Cette structure présente un oeil central 50 fois plus étendu que celui des cyclones terrestres, tellement vaste qu'il contient des dizaines de petits vortex dont certains sont aussi grands que nos cyclones terrestres mais bien plus puissants.

En fonction de l'orientation du pôle Nord de Saturne par rapport au Soleil, l'hexagone devient plus chaud durant l'été saturnien et sa couleur vire au jaune. Sa forme et sa persistance peuvent être simulées en laboratoire et s'expliquent par les mouvements d'un fluide en rotation présentant une circulation régulière dont le coeur est entouré de six zones de résonance dont le nombre dépend des conditions initiales, en particulier du taux de rotation (cf. la section de Poincaré à propos de la théorie du chaos).

A voir : Saturn's Climate - Huge Storms and the Influence of the Rings, S&A

Saturn's hexagon recreated in the laboratory, Planetary Society

L'immense vortex cyclonique permanent situé au pôle Nord de Saturne. En forme d'hexagone, il mesure 13800 km de diamètre. Comme nos cyclones, il présente également une cavité centrale, l'oeil, mais il est 50 fois plus vaste que celui des cyclones terrestres et contient lui-même des vortex. A gauche, une photo prise par Cassini le 27 novembre 2012 à 649000 km de distance à 750 nm et restituée en couleurs naturelles. La résolution est de 35 km/pixel. Au centre, une photo en proche infrarouge prise en 2013 à 419000 km de distance restituée en couleurs accentuées. La résolution est de 22 km/pixel. A droite, simulation du coeur de l'hexagone (voir aussi la vidéo ci-dessus). Avec 13800 km de diamètre, la Terre entière ( 12756 km) tiendrait dans l'hexagone. Documents NASA/JPL, NASA/Ciclops et NASA.

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2019, Ingo P. Waldmann de l'University College de Londres et Caitlin A. Griffith de l'Université d'Arizona ont analysé les données de l'instrument VIMS (Cassini's Visible and Infrared Mapping Spectrometer) concernant un système de tempêtes multiples qui se développa sur Saturne en février 2008 dont voici une photo. Il s'agit d'un système complexe couvrant une surface équivalente à environ 70% de la surface de la Terre.

Grâce au logiciel PlanetNet faisant appel à un algorithme d'apprentissage nommé "deep learning", les planétologues ont pu obtenir de nouvelles informations sur les tempêtes. Les cartes montrent qu'un nuage d'ammoniac en forme de S précédemment observé faisait en réalité partie d'un flux ascendant beaucoup plus vaste qui entourait une tempête sombre. Comme dans les tempêtes subtropicales terrestres, le centre des sous-tempêtes compactes présentait une quantité réduite de nuages.

PlanetNet a détecté une caractéristique similaire autour d'une tempête différente, suggérant que les remontées de glace d'ammoniac sont courantes dans l'atmosphère de Saturne. Selon Griffith, "PlanetNet nous permet d'analyser des volumes de données beaucoup plus importants, ce qui nous permet de mieux comprendre la dynamique à grande échelle de Saturne. Les résultats révèlent des caractéristiques atmosphériques jusque-là non détectées. PlanetNet peut facilement être adapté à d'autres jeux de données et de planètes, ce qui en fait un outil potentiel inestimable pour de nombreuses missions futures."

Structure magnétique

Sans commune mesure avec l'intensité du champ magnétique de Jupiter, celui de Saturne atteint la moitié de celui de la Terre, 0.22 gauss ou 0.82 BE. Il présente une structure bipolaire qui se confond pratiquement avec l'axe de rotation de la planète, accusant un écart de 0.7° et légèrement décalé de 1200 km par rapport au centre géométrique de Saturne. Son dipôle magnétique vaut 4.6x1018 Tm3 ou 600 DE (600x celui de la Terre), ce qui est 33 fois inférieur à celui de Jupiter.

Cartographie de la ceinture de radiation de Saturne. Document E.Woodfield et al. (2018).

La magnétosphère est formée d'une onde de choc à l'endroit où les particules piégées rencontrent la pression du vent solaire, à 1800000 km de Saturne, déformée vers l'avant, tandis qu'elle s'étend pour former une longue queue dans la direction opposée au Soleil. La magnétopause, 3 fois moins étendue que celle de Jupiter, se situe à environ 500000 km du centre de la planète. Selon les relevés effectués par la sonde Cassini en 2004, cette magnétosphère tourne comme la planète, avec une période de 10h45m45s, soit avec la même période que le noyau.

Les anneaux ont surpris les radioastronomes car ils semblent à l'origine de plusieurs émissions radioélectriques détectées par Voyager. Ils émettent un rayonnement de basse fréquence (20 kHz) ainsi que des impulsions périodiques entre 20 et 40 MHz qui perturbent la magnétosphère.

Avant la mission Cassini, les données enregistrées à distance par les sondes Voyager notamment indiquaient que les imposants anneaux de Saturne empêchaient la formation de ceintures de radiations près de la planète. Toutefois, au cours du "Grand Final" de Cassini en 2017 qui s'approcha de Saturne jusqu'à des altitudes comprises entre 2600 et 4000 km des nuages supérieurs (voir page 4), la sonde spatiale révéla l'existence d'une ceinture de radiation composée de protons entre l'atmosphère supérieure et l'anneau interne. On reviendra page suivante sur la nature des anneaux.

On a toujours supposé qu'autour de Saturne, les électrons sont accélérés à des énergies extrêmement élevées par diffusion radiale, un processus par lequel les électrons sont régulièrement poussés vers la planète, augmentant ainsi leur énergie. Mais selon une étude réalisée par Emma Woodfield du British Antarctic Survey et ses collègues publiée dans "Nature Communications" en 2018, une autre façon d'accélérer les électrons est leur interaction avec les ondes de plasma comme c'est le cas autour de la Terre et de Jupiter avec les ondes dite de Chorus (cf. les aurores). Autour de Saturne, les ondes de Chorus semblaient inefficaces. Cependant, dans l'environnement particulier de Saturne, il s'agirait d'une autre forme d'onde de plasma appelée onde en mode Z, c'est-à-dire la branche basse fréquence du mode extraordinaire X (cf. R.F.Benson et al., 2006).

A lire : Saturn’s Van Plasma belt and braces (ondes en mode Z)

Les chercheurs estiment que les conditions magnétiques et plasmatiques sont telles que les ondes en mode Z sont intenses dans un rayon de 4 Rs comme l'avait déjà proposé J. Douglas Menietti et ses collègues en 2015. Les études initiales menées sur la Terre sur les interactions en mode Z avec les électrons (à 5 kHz) montrent qu'elles sont en effet un très bon candidat pour l'accélération des électrons.

L'ionosphère

En avril 2017, la sonde spatiale Cassini suivit une orbite qui la conduisit à travers l'espace étroit situé entre l'anneau le plus intérieur de Saturne, l'anneau D, et la couche nuageuse supérieure. Au cours des mois suivants, Cassini suivit des trajectoires similaires à dix reprises. Au cours de ces 11 orbites, l'instrument RPWS (Radio and Plasma Wave Science) de Cassini enregistra des données sur l'ionosphère.

Schéma du couplage entre l'atmosphère et les anneaux de Saturne. Document D.G.Mitchell et al. (2018).

Dans une étude publiée dans la revue "Science" en 2018 (voir aussi "Expertsvar" en 2017), Jan-Erik Wahlund de l'Institut Suédois de Physique Spatiale (IRF) et du GSFC de la NASA ainsi que ses collègues ont exploité les données du RPWS et découvert que les particules de l'anneau interne de Saturne capturent des charges électriques et se déplacent en spiralant le long des lignes de force du champ magnétique, révélant l'existence d'un système de courant électrique, une véritable ionosphère, connectant Saturne à l'anneau D (cf. D.G. Mitchell et al., 2018).

Les données ont révélé que Saturne possède une ionosphère froide, compacte et dynamique avec une densité pouvant varier d'un facteur 100. L'ionosphère est étonnamment variable et structurée à petite échelle.

Lorsque Cassini passa dans l'ombre des anneaux A et B (les deux grands anneaux extérieurs séparés par la division de Cassini), le RPWS mesura une baisse drastique de la quantité de plasma ionisé. Cela signifie que l'ionosphère est moins dense et moins active lorsqu'elle passe dans l'ombre des anneaux ou de la planète.

Ce phénomène n'est pas tout à fait surprenant. Comme sur Terre, l'ionosphère de Saturne est produite lorsque la lumière ultraviolette du Soleil élimine les ions présents dans la haute atmosphère de la planète. Il est donc logique que l'ionisation dans cette couche atmosphérique soit plus faible lorsque les anneaux bloquent le rayonnement UVE du Soleil.

Cependant, les chercheurs ont découvert que même lorsque les anneaux de la planète portaient une ombre sur l'ionosphère de Saturne, bien que l'ionisation soit plus faible, il y avait encore une activité mesurable dans le plasma. Cela indique que le rayonnement UVE du Soleil n'est pas la seule composante qui influence l'ionosphère de Saturne. De plus, ellle ne peut pas expliquer toute les variations de l'ionosphère.

A voir : Rain & shadows from Saturn’s rings give the planet a funky ionosphere, Science

Bien que les chercheurs ne soient pas certains de la cause du phénomène, ils suggèrent que l'anneau D pourrait générer une "pluie d'anneau" (ring rain) : les particules d'eau ionisées noyées dans l'anneau D migrent vers la planète où elles interagissent avec les électrons libres de l'ionosphère, maintenant le plasma légèrement actif.

Wahlung et ses collègues ont également proposé d'autres mécanismes comme la variation du rayonnement UVE solaire, les fortes variations longitudinales du vent ou les interactions du champ magnétique avec les anneaux pour expliquer cette variabilité ionosphérique.

Ces découvertes étant basées sur la moitié des données collectées par Cassini durant son "Grand Final", il est prudent de dire que les planétologues ont encore beaucoup de choses à découvrir.

Des aurores polaires

À l'inverse de Jupiter, les aurores polaires sont plus intenses sur Saturne. En 1981, Voyager 1 en détecta de façon continue aux alentours de 80° de latitude, sans lien avec l'activité solaire. Des émissions ultraviolettes naissent aussi près du limbe et se propagent vers l'équateur. L'origine de ces phénomènes n'est pas encore établie.

Cette importante activité aurorale pourrait conduire à la formation de molécules hydrocarbonées complexes qui se propageraient ensuite vers l'équateur.

Saturne présente aussi des aurores aux latitudes moyennes qui se manifestent uniquement dans les régions ensoleillées. Leur origine reste un mystère car, comme sur Terre, le bombardement par des électrons et des ions se produit principalement aux latitudes élevées.

Enfin, Voyager 1 détecta autour de Saturne un immense nuage d'hydrogène neutre qui s'étend jusqu'à peu de distance de l'orbite de Titan (800000 km). Il est probablement alimenté par les particules qui se libèrent de la haute atmosphère de la lune (cf. S.Jurac et J.D. Richardson, 2005)..

Prochain chapitre

Le système d'anneaux

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