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Vénus, la déesse de l'Amour

Introduction (I)

La Belle de nuit, Ishtar comme l'appelaient les Babyloniens, fut saluée par son éclat dès l'aube de la civilisation. Vénus est la seule planète qui scintille plus fort que l'étoile Sirius, avec une magnitude visuelle qui oscille entre -3.8 au plus loin de la Terre (conjonction supérieure) à -7.8 lorsqu'elle est au plus près de la Terre (conjonction inférieure).

Vénus n'est jamais très éloignée du Soleil, s'en écartant au maximum de 48° lors des plus longues élongations (le matin du côté est, le soir du côté ouest). Elle devient alors "l'étoile du berger" car c'est la première "étoile" qui apparaît dans les lueurs crépusculaires ou la dernière qui disparaît à l'aube. A cette occasion certains observateurs peu avertis l'ont confondue avec un OVNI !

Vénus photographiée en lumière blanche par la sonde spatiale Mariner 10 de la NASA le 5 février 1974 et colorisée par Mattias Malmer afin de reproduire sa couleur naturelle. Document NASA.

Vénus doit son éclat à sa taille, sa proximité de la Terre et à l'épaisseur de son atmosphère qui réfléchit jusqu'à 69% de la lumière du Soleil. Vénus évolue sur une orbite quasi circulaire à environ 108 millions de kilomètres du Soleil ou 0.7 UA.

A la distance de Vénus, le Soleil est presque un tiers plus grand que sur Terre ( 44.5' contre 32') et est 2.5 fois plus brillant avec une magnitude de -27.8 contre -26.8 sur Terre.

Pourquoi Vénus présente-t-elle des phases ? Vénus est une planète inférieure; elle circule à l'intérieur de l'orbite terrestre. Etant donné que le Soleil se situe au centre du système solaire et que Vénus tourne autour de lui, elle nous présente des phases comme la Lune : un large croissant entre la conjonction et la quadrature, son premier ou dernier quartier au moment des élongations Est ou Ouest, une forme gibbeuse entre la quadrature et la nouvelle Vénus ou enfin son disque totalement illuminé mais tout petit lorsqu'elle est en opposition. C'est aux époques proches de la conjonction inférieure qu'elle brille le plus, sa taille augmentant progressivement d'un facteur 6.

Observée dans une lunette ou un télescope, aux alentours de la conjonction inférieure, son diamètre apparent est supérieur à celui de la Lune vu à l'oeil nu ! Son élongation solaire minimale visible (écart de 0.5 à 2.5° du Soleil) se produit tous les 8 ans (cf. cette photo prise par Thierry Legault le 2 juin 2020) et est un phénomène très difficile à observer et à photographier vu la proximité du Soleil et la chaleur qui se concentre au foyer qu'il faut a tout prix éliminer.

Lorsque Vénus (ou la Lune) se trouve à moins de 10° du Soleil, vous devez protéger le télescope contre la chaleur. En effet en visant Vénus, le faisceau lumineux renvoyé par le miroir primaire placera l'image du Soleil juste à côté du centre optique, ce qui peut brûler tout objet à proximité du miroir secondaire, en particulier sur les télescopes catadioptriques et newtoniens. Sans filtre de réjection ni filtre solaire à l'entrée du télescope, utilisez soit un masque décentré soit idéalement ajoutez un long tube en carton devant l'entrée du télescope pour bloquer la lumière du Soleil et permettra d'observer Vénus sans risquer un accident. Soyez très prudent !

A consulter : Simulation des élongations solaires de Vénus

Simulation des phases de Vénus

Shadow and Substance, Larry Koehn

Simulations des trajectoires des planètes, des phases de Vénus et des éclipses

L'explication schématique des phases de Vénus. En dessous à gauche, reproduction à l'échelle de la variation de la taille apparente de Vénus à mesure qu'elle se rapproche de la Terre (de droite à gauche). A droite, la triple conjonction du 26 mars 2012 entre la Lune, Vénus (au-dessus) et Jupiter (en dessous). Documents T.Lombry.

Lors de sa conjonction inférieure (voir les schémas ci-dessus), sa distance à la Terre se réduit à 41 millions de kilomètres ou 0.27 UA. A cette distance, même une paire de jumelles 7x50 permet de suivre l'évolution de son croissant qui, en l'espace d'un mois, passe progressivement de 40" à 66" de diamètre au moment de la conjonction, soit 1.5 à 2 fois le diamètre apparent de Jupiter (29.8"-50.1").

Il faut toutefois être patient avec Vénus car la même phase ne se produit qu'une fois tous les 584 jours. Mais la récompense est au rendez-vous si le ciel est clair. Vous pouvez en effet suivre l'évolution de son croissant durant près de deux mois entre l'élongation Ouest du soir et la conjonction inférieure et durant deux autres mois entre la conjonction inférieure et l'élongation Est du matin, soit au total durant plus de quatre mois si vous avez la chance de bénéficier des deux horizons dégagés. Après la quadrature matinale, son globe passe sous les 20", il s'arrondit et devient peu intéressant.

Avec un diamètre de 12104 km, Vénus est la soeur jumelle de la Terre. Malheureusement elle cache sa surface sous une épaisse atmosphère ceinturée de bandes sombres que seul peut percer le rayonnement infrarouge. Ce phénomène pudique incita la plupart des auteurs de fiction à divaguer sur d'éventuelles formes de vie. Celles-ci évolueraient dans une épaisse forêt vierge, bordée de marais... Georges Adamski en particulier peuplait Vénus de colonies d'humanoïdes blonds, habillés de blancs. Ils étaient intelligents et paisibles...

A lire : En hommage à Galilée

La découverte des phases de Vénus

Images amateurs

A gauche, un magnifique croissant de Vénus (Æ 58.9" soit 25% plus grand que celui de Jupiter, distance de 0.28 UA, 1.1% illuminé, Mv.-7.8, CM:19°) photographié le 1 avril 2001 par Johannes Schedler avec une lunette apochromatique de 100 mm f/9 ED. Il s'agit de l'empilement de 50 images CCD. Au centre, le quartier de Vénus (Æ 14.7" soit 3.3 fois plus petit que celui de Jupiter, 1.14 UA, 75% illuminé, Mv.-4.8, CM:299.9°) photographié le 10 avril 2015 vers 16h TU par les membres d'Astronominsk avec un télescope Klevstov-Cassegrain de 360 mm f/16 équipé d'une Barlow 1.6-2.4x et caméra CCD ZWO ASI 174MM. Il s'agit d'un empilement RGB IR/UV IR685+IR1000+UV. A droite, photo de Vénus (Æ 15.09" à 1.11 UA, 73% illuminé, Mv.-4.88, CM:289°) prise quatre jours plus tard par Jim Chung le 14 avril 2015 depuis Toronto au moyen d'un dobsonien de 18" ou 457 mm f/20 équipé d'un filtre Baader UV et d'une caméra CCD Point Grey Research (PGR) Grasshopper Express. A comparer avec ce qui se faisait de mieux en 1977 avec un télescope de... 520 mm. Compte tenu des mouvements relatifs de la Terre et de Vénus, les phases de Vénus se reproduisent tous les 584 jours.

Depuis 1956, grâce aux relevés radars de l'US Naval Observatory puis d'Arecibo et grâce aux sondes spatiales russes et américaines qui l'ont exploré à partir de 1961, nos informations se sont précisées et nous devons oublier l'hypothèse des petits hommes verts ou blonds, si jamais elle fut présente dans votre esprit.

Après la Lune, Vénus fut la planète la plus visitée : en comptant les survols rapides, 47 sondes spatiales (voir aussi la liste du NSSDC) ont déjà été lancées vers cette planète (2020) dont 27 sans échec qui révélèrent un monde très inhospitalier[1].

Propriétés physiques

Vénus tourne autour du Soleil en 243 jours, c'est sa période sidérale (cf. J-L.Margot et al., 2021) tandis qu'elle effectue une rotation sur elle-même en 116.75 jours. Ceci provoque un premier paradoxe : sur Vénus un jour dure près de 117 jours terrestres. Son inclinaison orbitale est tout aussi exceptionnelle. L'équateur est incliné de 177°4' sur l'orbite, ce qui signifie que sur Vénus le pôle Sud est au nord ! Le fait d’avoir ainsi la tête à l’envers a pour conséquence que le Soleil se lève... à l'ouest et se couche à l'est ! C’est la seule planète du système solaire à présenter cette inversion qui ne s'explique que par la collision frontale de Vénus avec un gros astéroïde, peut-être aussi gros que la Lune, voici plusieurs milliards d’années.

Les conjonctions entre la Lune et les planètes sont faciles à photographier. A gauche, une conjonction entre la Lune, Vénus (en dessous à droite), Saturne (à gauche de la Lune) et Mars (à gauche de Vénus) photographiée par l'auteur le 23 avril 2004 à 21h TU depuis Luxembourg avec un APN Canon PowerShot S30. Exposition de 15 s à 50 ISO. Au centre, une conjonction entre la Lune, Vénus (en dessous) et Jupiter (au-dessus) photographiée par Lorenzo Lovato le 18 février 1999 avec un objectif de 35 mm f/4. Exposition de 15 s sur film Kodak Gold 200. A droite, le croissant de Vénus face à celui de la Lune. Photographie prise le 21 mai 2004 à 12h55 TU par Ivan Eder au moyen d'une lunette apochromatique TMB 130 f/6 fixée sur une monture Sky-Watcher EQ6 et munie d'un oculaire Vixen LV 30 mm et d'un APN Nikon Coolpix 4300 en mode afocal (l'objectif est inamovible et fixé contre l'oculaire). Exposition de 1/100 de seconde à f/11, 100 ISO.

La densité de Vénus est voisine de celle de la Terre, 5.26 contre 5.52 et l'on soupçonne une structure interne presque analogue. Son écorce est deux fois plus épaisse que celle de la Terre et c'est peut-être la raison pour laquelle il n'existe qu'une seule plaque tectonique basaltique sur Vénus, hérissée de montagnes, de bassins et de failles. La pesanteur vaut 0.91 fois celle qui règne à la surface de la Terre.

Tout cela serait parfait pour nos astronautes si la surface rocheuse de Vénus ne subissait pas une pression de 93 atmosphères qui nivela tous les reliefs. Cette pression diabolique est équivalente à celle qu'on subirait en plongée à une profondeur de 931 mètres ! Il n'est pas question de sortir sans porter un scaphandre rigide... C'est probablement cette pression énorme qui détruisit la sonde russe Venera 3 en 1965 au cours de sa descente vers la surface.

Un anneau co-orbital de poussière

Après l'anneau de poussière découvert sur l'orbite de la Terre en 1994 (cf. Stanley F. Dermott), les scientifiques ont découvert un anneau similaire près de l'orbite de de Vénus grâce aux données archivées des sondes spatiales germano-américaines Helios en 2007, confirmées en 2013 grâce aux données de STEREO. Puis comme évoqué précédemment, on découvrit un anneau similaire sur l'orbite de Mercure.

A voir : Venus Dust Ring, NASA

Illustrations de quelques-uns des anneaux de poussière circumsolaire. Document Pat Hrybyk-Keith/NASA/GSFC.

Lors de sa découverte, il semblait probable que l'anneau de poussière co-orbitant avec Vénus s'était formé comme celui de la Terre, à partir de la poussière produite dans la Ceinture des astéroïdes. Mais lorsque l'astrophysicien Petr Pokorny modélisa la poussière spiralant vers le Soleil depuis cette Ceinture, ses simulations ont produit un anneau qui correspond aux observations de l'anneau terrestre mais pas à celui de Vénus. Dans ce cas, d'où provenait la poussière présente sur l'orbite de Vénus ? Après une série de simulations, Pokorny et son collègue Marc Kuchner ont émis l’hypothèse qu'elle provenait d'un groupe d'astéroïdes jamais détectés gravitant autour du Soleil à hauteur de Vénus. Ils publièrent leurs résultats de leur étude dans "The Astrophysical Journal" en 2019.

Reste à présent à découvrir ces éventuels petits corps à l'origine de cette poussière. Sachant qu'ils n'ont pas été détectés au cours des 25 dernières années malgré tout l'arsenal des instruments existants, ce sera un véritable défi de les débusquer.

Effet de l'atmosphère sur la croûte rocheuse

La température de l'atmosphère peut-elle avoir un effet sur la nature de la croûte d'une planète ? Si on se doute bien qu'une planète en fusion peut empêcher la formation de continents (solides) et est préjudiciable à l'évolution de la vie, jusqu'à présent les scientifiques n'étaient pas certains que Vénus présentait dans le passé un océan de magma car son modèle atmosphérique était imprécis.

La Terre soumise à une insolation augmentée de 10% et implications pour l'intérieur et la surface avec l'ancien modèle, supposant une structure atmosphérique convective et un modèle plus cohérent, incluant le transport de chaleur par rayonnement. Document F.Seslis et al. (2023).

Dans une étude publiée dans la revue "Nature" en 2023, Franck Seslis du Laboratoire d'astrophysique de Bordeaux, CNRS, et ses collègues ont présenté un nouveau modèle permettant de décrire les atmosphères de vapeur de façon plus cohérente.

Comme illustré à droite, ces simulations montrent des propriétés très différentes des précédents modèles qui faisaient l'hypothèse d'une structure convective et négligeaient le transport de chaleur par le rayonnement. Ces atmosphères s'avèrent moins chaudes et ne s'accompagnent pas forcément d'océans magmatiques. Elles sont aussi plus sensibles au type de l'étoile-hôte et au flux géothermique.

L'évolution de Vénus doit donc être revisée. La phase d'océan de magma aurait été 100 fois plus courte que dans le scénario standard, limitant les échanges entre le manteau et l'atmosphère et préservant le réservoir d'eau interne de l'échappement vers l'espace.

En résumé, alors que sur la Terre les océans se sont formés à partir de la condensation de la vapeur présente dans l'atmosphère primitive, sur Vénus, l'insolation plus élevée empêcha la condensation en un océan et l'atmosphère de vapeur s'est épaissie, empêchant la libération de l'excès de chaleur dans l'espace. Cela provoqua une augmentation progressive de la quantité de dioxyde de carbone après sa lente érosion par le rayonnement UV solaire et l'échappement de l'hydrogène dans l'espace.

Par comparaison, selon les simulations de l'équipe de Seslis, si les océans terrestres étaient vaporisés ils formeraient une atmosphère 270 fois plus massive que notre atmosphère actuelle, alors qu'ils ne représentent que 0.02% de la masse de la Terre. On reviendra sur les conséquences dramatiques d'une augmentation de la quantité de vapeur d'eau sur Terre à propos de l'emballement de l'effet de serre.

Il s'avère ainsi que ces atmosphères de vapeur jouent un rôle clé dans l'histoire des planètes telluriques et on estimait jusqu'à présent que leur effet de serre provoquait invariablement la fusion de la croûte rocheuse en un océan de magma. Or ce n'est pas systématiquement le cas.

Les conséquences sont majeures pour les exoplanètes évoluant autour d'étoiles naines rouges, cibles notamment du télescope spatial JWST. Les océans de magma doivent être rares et la relation qui relie rayon, masse et teneur en eau est à réviser, de même que les signatures spectrales de telles atmosphères.

Géologie

Sans disposer d’un niveau marin de référence, arbitrairement les scientifiques ont décrété un niveau moyen, en dessous duquel 16% de la surface de Vénus est située, contre plus de 75% sur la Terre. La profondeur de ces bassins est d'environ 3000 m. Ces analogies avec la Terre font penser que les deux planètes se formèrent de la même façon, exception faite de l’évolution tectonique et climatique. D'autres observations ont corroboré ce fait.

Panorama vénusiens

Ci-dessus, aspect du sol de Vénus dans la région de Phoebe Regio photographié à courte distance par la sonde soviétique Vénéra XIII le 1er mars 1982. A l'avant-plan on reconnaît le chassis de la sonde et le capuchon de l'objectif de la caméra. Noter l'horizon aux extrémités de l'image. Vénéra XIII survécut 2h7m dans la fournaise et la forte pression qui règnent sur Vénus réalisant 14 images panoramiques. Ci-dessous, trois photographies du sol de Phoebe Regio prise le 5 mars 1982 par la sonde Vénéra XIV qui survécut 57 minutes sous une température de 457°C.

Comment évolue la surface de Vénus ? Contrairement à ce qui se passe sur Terre, sans tectonique des plaques, les mouvements convectifs se développant dans le manteau de Vénus ne peuvent évacuer le surplus d’énergie par des mouvements de subduction du plancher océanique.

Sur Vénus, l’énergie engendrée par la convection s’échappe principalement par les points chauds, sous les panaches volcaniques, à l'imagine de ceux que l’on connaît sur Terre (Hawaï, Stromboli, Réunion, etc.). L'activité volcanique de Vénus expliquerait également les nombreuses fractures que l'on y trouve. Les poussées de magma issu des profondeurs bomberaient l’écorce de la planète qui finirait par se briser en provoquant des formations volcaniques très variées et de longues failles.

Ce mécanisme volcanique concentré dans les forces verticales explique l’aspect de certaines régions, dénommées arachnïdes et cononae, dans lesquelles le magma sous-jacent monte jusqu'à la surface. Le refroidissement et le retrait du magma aurait ensuite provoqué l'effondrement de leur partie centrale. Cette activité volvanique importante a formé plus 430 volcans de plus de 20 km de diamètre et des dizaines de milliers d'autres plus petits.

A gauche, comparaison entre la structure interne de Vénus et celle de la Terre. A droite, illustration artistique du passé volcanique de Vénus. Des volcans se sont formés au-dessus des zones de subduction. Au premier plan, la croûte plonge dans la manteau via les tranchées où elle est recyclée. Documents NASA adapté par l'auteur et T.Lombry.

Les scientifiques ont toutefois du mal à comprendre comment les matériaux retournent dans le manteau. Seule explication, les profondes dépressions qui entourent les cononae seraient des sites propices à la subduction. Le magma poussé vers le centre des formations s'écoulerait ensuite radialement avant de replonger vers le centre de Vénus par les profondes tranchées extérieures. Ce processus est similaire à celui qui a formé les îles volcaniques de l'archipel d'Hawaï.

Grâce aux données gravitationnelles, on estime aujourd'hui que l’écorce de Vénus est relativement mince, de l'ordre de 2 à 3 km d'épaisseur.

Le rôle des impacts météoritiques

Comment une planète sans tectonique des plaques comme Vénus peut-elle malgré tout présenter une surface jeune ? C'est pour répondre à cette question que Simone Marchi du SwRI et ses collègues ont modélisé l'histoire des premiers impacts sur Vénus. Les auteurs ont comparé les premiers scénarii de collision sur la Terre et sur Vénus et aboutirent à la conclusion que la soeur de la Terre a probablement subi des impacts à plus grande vitesse et à plus haute énergie que notre planète, créant un noyau surchauffé qui a favorisé (il perdure probablement) un volcanisme prolongé et remodelé sa surface (cf. S.Marchi et al. 2023).

A gauche, cette simulation en haute résolution (1 million de particules) illustre un projectile de 3000 km de diamètre frappant Vénus de front à 30 km/s. Sur le panneau de gauche, les couleurs indiquent différents matériaux : marron pour le noyau de Vénus, blanc pour le noyau du projectile et vert pour le manteau de silicate des deux objets. Les couleurs sur le panneau de droite indiquent la température des matériaux. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 35 MB). A droite, une autre simulation de l'évolution thermique de Vénus à partir d'une collision rasante énergétique. Documents S.Marchi et al. (2023).

Selon Marchi, "L'un des mystères du système solaire interne est que, malgré leur taille et leur densité apparente similaires, la Terre et Vénus fonctionnent de manière étonnamment distincte, affectant en particulier les processus qui déplacent les matériaux à travers une planète." Selon Jun Korenaga de l'Université de Yale et coauteur de cet article, "Nos derniers modèles montrent que le volcanisme à longue durée de vie entraîné par des collisions énergétiques précoces sur Vénus offre une explication convaincante de son jeune âge de surface. Cette activité volcanique massive est alimentée par un noyau surchauffé, entraînant une fusion interne vigoureuse."

Projection de Mollweide de la température post-impact de Vénus. Document S.Marci et al. (2023).

La Terre et Vénus se sont formées dans le même voisinage du système solaire à partir de la collision de matériaux solides qui se sont progressivement accrétés pour former les deux planètes rocheuses. Les légères différences de distances des planètes au Soleil ont modifié leur prime jeunesse, en particulier le nombre et l'effet des impacts météoritiques. Ces différences se sont produites parce que Vénus est plus proche du Soleil et se déplace plus rapidement sur son orbite, ce qui dynamise les conditions d'impact. De plus, la fin de la période de croissance par collision est généralement dominée par des impacteurs provenant d'au-delà de l'orbite terrestre qui nécessitent des excentricités orbitales plus élevées pour entrer en collision avec Vénus plutôt qu'avec la Terre, ce qui entraîne des impacts plus puissants.

Selon Jun Korenaga de l'Université de Yale et coauteur de cet article, "Nos derniers modèles montrent que le volcanisme à longue durée de vie maintenu par des collisions énergétiques précoces sur Vénus offre une explication convaincante de son jeune âge de surface. Cette activité volcanique massive est alimentée par un noyau surchauffé, entraînant une fusion interne vigoureuse."

Selon la postdoctorante Raluca Rufu du SwRI et coautrice de cet article, les simulations montrent que "des vitesses d'impact plus élevées font fondre jusqu'à 82% du manteau de silicate de Vénus. Cela produit un manteau mixte de matériaux fondus redistribués globalement et un noyau surchauffé."

Si les impacts sur Vénus avaient une vitesse significativement plus élevée que sur Terre, quelques impacts importants auraient pu avoir des résultats radicalement différents, avec des implications importantes pour l'évolution géophysique ultérieure. Cette question fut également analysée par les auteurs.

Les chercheurs ont combiné leur expertise dans la modélisation des collisions à grande échelle et des processus géodynamiques pour évaluer les conséquences de ces collisions sur l'évolution à long terme de Vénus.

Selon Korenaga, "Les conditions internes de Vénus ne sont pas bien connues, et avant de considérer le rôle des impacts énergétiques, les modèles géodynamiques nécessitaient des conditions spéciales pour atteindre le niveau de volcanisme massif que nous voyons sur Vénus. Une fois que vous avez entré des scénarii d'impact énergétique dans le modèle, il propose facilement un volcanisme étendu sans vraiment modifier les paramètres."

Cette découverte tombe à point nommé car la NASA et l'ESA prévoient de nouvelles missions vers Vénus. On y reviendra.

Selon Marchi, "L'intérêt pour Vénus est élevé en ce moment. Ces résultats auront une synergie avec les missions à venir, et les données de la mission pourraient aider à confirmer les résultats."

Des volcans récemment actifs

Si Vénus ne présente pas de plaques tectoniques qui auraient pu expliquer sa morphologie, elle présente les preuves d'une activité volcanique et météoritique. Plus de 80000 volcans - 60 fois plus que la Terre - ont joué un rôle majeur dans le renouvellement de la surface de Vénus par leurs épanchements de lave et pourraient encore se poursuivre de nos jours. Mais les anciennes simulations avaient du mal à créer des scénarii pour expliquer ce niveau de volcanisme. Le rôle des météorites décrit plus haut est l'une des explications. Mais ce n'est pas la seule.

Comme ce fut déjà le cas en 2008 et 2009, en 2015 les astronomes ont découvert des points chauds (527° et 826°C) sur les images en infrarouge proche prises par la sonde européenne Venus Express à 1 micron de longueur d'onde (1000 nm). Trois régions sont particulièrement actives : Imdr, Themis et Dione. Le point chaud d'Imdr Regio fut découvert à l'emplacement du volcan Udunn Mons (46°S, 214.5°E) qui mesure environ 200 km de diamètre et culmine à 2500 m au-dessus de la plaine.

Cette activité volcanique se manifeste également dans la région équatoriale de Ganis Chasma, une zone de failles dans laquelle se situe le volcan Maat Mons (1°N, 195°E) de 395 km de diamètre et culminant à plus de 8000 m d'altitude par rapport au niveau moyen de référence (1700 m au-dessus des reliefs avoisinants).

A gauche, une image tridimensionnelle basée sur les mesures télémétriques et radar nous montre les nombreux volcans et les coulées de lave qui recouvrent Vénus. A droite, le point chaud découvert sur le volcan Udunn Mons d'Imdr Regio. Documents NASA/Magellan et ESA.

Dans une étude publiée dans la revue "Nature Geoscience" en 2020, Anna J.P. Gülcher de l'ETH Zurich et ses collègues ont développé des modèles infomatiques 3D en haute résolution pour étudier l'activité thermomécanique interne de Vénus et notamment la formation des coronae. Grâce à ces simulations, ils ont découvert que Vénus est toujours active.

Selon le géologue Laurent Montési de l'Université du Maryland et coauteur de cet article, "L'amélioration du degré de réalisme de ces modèles par rapport aux études précédentes permet d'identifier plusieurs étapes dans l'évolution d'une corona et de définir les caractéristiques géologiques spécifiques aux coronae actuellement actives. Nous pouvons dire qu'au moins 37 coronae ont été très récemment actives", dont celle nommée Artemis. C'est la première fois qu'on a formellement identifié des volcans actifs ou dormants sur Vénus.

Ces résultats ont révélé que les différentes formes de coronae représentent différents stades de développement géologique. L'étude fournit la preuve que les coronae sont toujours en évolution. Selon Montési, "Cette étude change considérablement la vision de Vénus d'une planète essentiellement inactive à une planète dont l'intérieur est toujours en train de bouillonner et peut alimenter de nombreux volcans actifs".

Les coronae actives sont regroupées dans une poignée d'endroits, suggérant qu'il s'agit de zones où la planète est la plus active, fournissant des indices sur le fonctionnement interne de Vénus. Ces résultats peuvent aider à identifier les zones cibles où les instruments géologiques devraient être placés lors de futures missions vers Vénus.

Illustrations artistiques de la surface de Vénus. En dessous à droite, une vue aérienne des highlands avec leurs massifs montagneux. Documents T.Lombry.

Ceci dit, géologiquement parlant, il est difficile de dire si Vénus est en train de mourir, est dans une phase de sommeil ou reprend une activité volcanique.

Topographie

La surface de Vénus présente également de nombreuses cicatrices d’impacts mais elle fut criblée différemment de la Lune, Mercure ou Mars. L'âge moyen des surfaces est remarquablement jeune : environ 500 millions d’années, époque vers laquelle la principale activité volcanique s'est assoupie, alors que la Lune ou Mercure arbore des terres âgées de plus de 4 milliards d’années.

La morphologie des terres vénusiennes se divise en trois catégories :

- les lowlands, résidant en dessous du niveau zéro de référence

- les mesolands, d'une altitude comprise entre 0 et 2 km

- les highlands, qui dépassent 2 km d'altitude.

La répartition des quelque mille cratères existants est tout à fait aléatoire. Leur dimension moyenne est de l'ordre de 1.5 km de diamètre. Certains cratères sont relativement vastes (400 à 600 km de diamètre) mais ils sont très peu profonds (moins de 700 m).

A gauche, une carte topographique de Vénus en fausses couleurs. La résolution atteint 3 km. Les lowlands sont représentés en mauve, les mesolands en vert et les highlands en rouge. A droite, la localisation des structures volcaniques actives et inactives. Cliquez ici pour lancer l'animation (GIF de 14 MB). Documents NASA/Magellan, NASA/Magellan/SOS/NOAA et A.J.P. Gülcher et al. (2020)

Un quart de la surface est couverte de highlands, tel le massif d'Aphrodite Terra, aussi vaste que l'Afrique, au bord duquel deux pics culminent respectivement à 9000 et 4300 m d'altitude. Une vallée large de 280 km parcourt cette chaîne de montagnes sur 2250 km. La sonde Magellan a également découvert sur Vénus le plus long fleuve de lave (solidifiée) du système solaire : il s'étend sur 6800 km et présente une largeur constante de 2 km ! C'est aussi dans le massif d'Aphrodite Terra que se trouve le canyon le plus profond. Il plonge à 2900 m sous le niveau moyen et ses parois culminent à 6000 m.

A gauche, le cratère Mona Lisa mesure 86 km de diamètre et est tout à fait original. Non seulement il se trouve dans une zone très fracturée mais il présente des fractures multiples en son centre, des anneaux concentriques et une zone d'ejecta étendue. A droite, le volcan éteint Sapas Mons dans la région d'Alta. Il s'élève à 1500 m d'altitude. Documents NASA/Magellan.

C'est dans le second massif montagneux, nommé Ishtar Terra, situé au-delà de 60°N que l'on découvrit le plus haut sommet de Vénus, le mont Maxwell : il culmine à 11800 m. Cette zone de montagne témoigne du phénomène géologique inverse : la compression de l'écorce. Les montagnes sont situées dans une zone complexe, déformée, appelée tessera. Culminant au-dessus des plaines, ces régions sont fortement plissées et entourées de fractures et de failles géologiques.

Certaines régions plus tendres s'effritent sous l'action du vent et créent de vastes sillons parallèles appelés yardang hérissés de crêtes. Les dépressions sont remplies de sable tandis que les reliefs sont mis à nu sous l’effet du vent dominant. Des formations identiques existent sur Terre, dans le désert du Tibesti.

Deux formations géologiques typiques de Vénus : des canaux de laves de largeur constante et extrêmement étendus et des dômes en forme de crêpe ou pancake. Ces images ont été prises par le radar à synthèse d'ouverture de la sonde spatiale Magellan. Documents NASA/Magellan.

Ajoutons à cette nomenclature des centaines de dômes volcaniques d'environ 20 km de diamètre dont le sommet a été nivelé par la pression et l'état des laves. Dénommés crêpes (pancakes), ils ne dépassent pas 750 m d’altitude. Des formations similaires existent sur Terre, en Californie et en Islande où ces reliefs furent formés par de la lave riche en silice (épaisse et peu fluide).

Les campi

Grâce aux données de la sonde spatiale Magellan de la NASA qui orbita autour de Vénus entre 1990 et 1994, le planétologue Paul K. Byrne de l'Université d'État de Caroline du Nord à Raleigh, et ses collègues ont cartographié des structures qu'ils ont nommées "campi" (champs en latin). Les résultats de leur étude furent publiés dans les "PNAS" en 2021.

Image en fausses couleurs de Lavinia Planitia sur Vénus où les campi, des morceaux de croûte fragmentée (en mangenta) sont séparés par des ceintures de structures tectoniques (en jaune). Document NASA/JPL/NC State U.

Byrne et ses collègues ont répertorié 58 campi mais il y en a probablement plus mais ils sont plus difficiles à distinguer.

Comme le montre la photo présentée à droite, les campi sont d'immenses blocs de croûte mesurant entre 100 km et plus de 1000 km de diamètre, chacun étant délimité par des ceintures de crêtes et de failles.

A l'aide de modèles informatiques, les chercheurs ont simulé l'activité interne de Vénus pour comprendre comment ces campi se sont formés. Ils ont découvert qu'ils seraient le résultat des effets du mélange de la roche en fusion sous la surface de la planète, générant des tensions et des fissures dans la croûte. A l'image de la banquise terrestre qui dérive et se déforme selon les courants marins, les campi se sont déplacés sous l'effet des courants se développant dans le manteau de Vénus.

Selon Byrne, "Ce sont des choses qui bougent à la surface à cause de choses qui bougent à l'intérieur, et nous ne voyons cela à peu près nulle part ailleurs dans le système solaire, à l'exception de la Terre. Ajoutez cela à la pile de raisons circonstancielles pour lesquelles nous pensons que Vénus est actuellement géologiquement active."

La façon dont ces blocs semblent s'être déplacés depuis leur formation est similaire à la façon dont des morceaux de la croûte continentale s'entrechoquent et se brisent sur Terre. Certains d'entre eux sont peut-être encore en mouvement et pourraient nous aider à comprendre l'évolution géologique de la Terre à l'époque archéenne (4-2.5 Ga). Selon Byrne, "Si vous pouvez comprendre à quoi ressemble Vénus maintenant, cela pourrait nous donner un aperçu de ce à quoi ressemblait la Terre".

La lave qui forma ces campi est datée entre 750 et 150 millions d'années. A l'échelle géologique, ce sont donc des structures très jeunes, ce qui signifie qu'une forme de tectonique en deux phases s'est produite assez récemment dans l'histoire de Vénus.

Deux des trois prochaines missions qui doivent visiter Vénus au cours des prochaines décennies - Veritas de la NASA et EnVision de l'ESA - seront équipées d'instruments radar à haute résolution qui permettront d'établir des cartes détaillées de la surface. Les planétologues espèrent que ces données révolutionneront notre compréhension de Vénus et de sa géologie, y compris des campi.

La comparaison de ces futures nouvelles cartes avec celles de Magellan pourrait également révéler si les campi sont figés depuis longtemps ou s'ils sont toujours en mouvement et en évolution.

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[1] Le National Geographic a consacré plusieurs numéros aux missions spatiales. Lire aussi Fredric W. Taylor, "The Scientific Exploration of Venus", Cambridge University Press, 2014.


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