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Jupiter, le Maître des dieux

Introduction (I)

Passé l'orbite de Mars et la Ceinture des astéroïdes, nous arrivons dans une région où nos références avec les planètes telluriques s'estompent. Plaçons à part Pluton qui fut probablement un ancien satellite de Neptune voire un astéroïde éjecté de son orbite, de même que Sedna qui est vraisemblablement originaire du Nuage de Oort.

Les planètes dites joviennes que nous allons rencontrer, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune contiennent plus de 99.5% de toute la matière rassemblée dans les planètes. Les dimensions de ces quatre planètes géantes gazeuses sont beaucoup plus importantes que celles de la Terre et toutes sont composées d'hydrogène et de gaz organiques (méthane, etc.). Leur densité moyenne est égale à celle de l'eau; elle sont donc en moyenne 5 fois plus légères que la Terre, à volume constant. Ces planètes n'ont pas de surface solide. Autour d'elles gravitent de nombreux petits satellites et toutes présentent la particularité d'avoir un anneau autour de l'équateur.

Jupiter et la lune glacée Europe photographiées par le Télescope Spatial Hubble le 24 août 2020. C'est la photo la plus détaillée et la plus colorée enregistrée à ce jour par le HST. La Grande Tache Rouge a rarement été aussi colorée. Document NASA/ESA/M.H.Wong/Opal team.

Galilée et la théorie héliocentrique

Quatrième objet le plus brillant du ciel derrière le Soleil, la Lune et Vénus, Jupiter vole parfois le rôle d'étoile du berger à Vénus à l'aube ou au crépuscule.

Jupiter est observé avec des instruments optique depuis 1610, époque à laquelle le célèbre Galilée tourna son "tube optique" vers le ciel et découvrit quantité d'objets nouveaux.

Le diamètre apparent de Jupiter est très variable selon l'époque, c'est-à-dire sa position par rapport à la Terre. Il varie théoriquement entre 29.8" et 50.1" avec une moyenne de 46.9" lors des oppositions où sa magnitude apparente oscille entre -2.5 et -2.9. Mais la plupart du temps Jupiter présente un diamètre apparent inférieur à 44" et ne dépasse pas la magnitude -2.5. Il est donc préférable de l'observer et de le photographier durant les oppositions mais elles ne produisent qu'une fois par an.

C'est en observant l'évolution de ses principaux satellites que Galilée découvrit un autre "système planétaire" qui n'était pas centré sur la Terre. A cette époque en effet, le système géocentrique prédominait et la Terre était située au centre de l'Univers... Puisque des objets semblaient tourner autour de Jupiter comme la Lune et soi-disant le Soleil tournaient autour de la Terre, Galilée y vit un indice supplémentaire - après celui des phases de Vénus - en faveur du système héliocentrique de Copernic : le Soleil était au centre des orbes des astres, la Terre et les autres planètes tournant autour de lui. Mais les savants et principalement le clergé de l'époque ne pouvaient supporter cette réalité qui ne concordait pas avec les Saintes Ecritures et l'enseignement d'Aristote. Malgré ces faits probants, Galilée sera poursuivit par l'Inquisition et dut abjurer ses découvertes qui ne concordaient pas avec l'air de son temps.

A gauche, Jupiter et ses 4 satellites galiléens tel qu'on peut les observer dans un télescope d'amateur. Les satellites brillent comme des étoiles entre les magnitudes 4.6 et 5.6. Europe en transit sur le disque, Ganymède à gauche, Io et Callisto à droite photographiés le 17 février 2002 par Jacques-André Regnier avec un télescope catadioptrique Celestron Nexstar 5 (127 mm f/10) muni d'une Barlow Ultima 2x et d'une caméra Vesta Pro. Il s'agit du compositage de 10 images traitées sous Iris. Voici une simulation du même champ réalisée avec Starry Night. A droite, la conjonction entre Jupiter et Saturne photographiée par Damian Peach le 21 décembre 2020 à 00h18m TU au moyen du Chilescope Ritchey-Chrétien de 1 m f/6.8 piloté à distance. Les deux planètes sont séparées de 6' 07.88" soit 1/5e du diamètre apparent de la Lune. Il s'agit d'un compositage car la luminance ou brillance de Jupiter est 22 fois plus grande que celle de Saturne (Mv -1.97 pour Jupiter contre +1.41 pour Saturne), l'équivalent de 2.5 stops, et l'aurait sous-exposée (cf. cette photo). Le compositage a permis d'équilibrer la balance de l'image finale.

Aujourd'hui nous pouvons refaire l'expérience de Galilée sans risquer les foudres du clergé et observer Jupiter avec une modeste lunette de 60 mm d'ouverture par exemple grossissant 50x, légèrement plus puissante que celle qu'il utilisa. Malgré le faible diamètre de cette optique, Jupiter apparaît d'emblée comme un ballon clair suspendu dans le ciel, légèrement aplati et strié de bandes sombres, escorté de quatre satellites qui se déplacent lentement au fil des heures. Le spectacle est impressionnant et je vous convie à vivre cette expérience en visitant un club d'astronomie ou un observatoire proche de chez vous.

Paramètres physiques

Jupiter est la plus grosse planète du système solaire. Il est 11 fois plus volumineux que la Terre avec un diamètre équatorial de 142984 km soit un périmètre équatorial de 449197 km (contre 40075 km pour la Terre). S'il était creux il pourrait contenir un bon millier de Terres ! Il est aussi deux fois plus massif que toutes les autres planètes réunies et 318 fois plus lourd que la Terre avec une masse de 1.9x1027 kg. Elle ne représente toutefois qu'à peine 1/1000e de la masse du Soleil ou 0.0009546 M. La masse de Jupiter (Mj) sert souvent de référence pour estimer la masse des grandes exoplanètes (généralement gazeuses).

Jupiter décrit une orbite quasi circulaire à 778.3 millions de kilomètres du Soleil ou 5.20 UA, inclinée de 1°18' sur l'écliptique à une vitesse de 13.07 km/s. L'année jovienne dure ici 11 ans 10 mois. Son axe de rotation est faiblement incliné de 3°07' sur le plan orbital dont l'excentricité est de 0.0483. Il tourne sur lui-même en 9h55m30s, ce que nous détaillerons plus loin. Cette rotation très rapide entraîne un aplatissement des régions polaires de 6.487% par rapport à l'équateur que l'on distingue parfaitement dans un petit instrument d'astronomie (60 mm), effet qui est souligné par la structure horizontale des bandes nuageuses, portant son diamètre polaire à 133728 km.

A la distance de Jupiter, le Soleil est 5 fois plus petit que sur Terre ( 6.2' contre 32') et est 60 fois plus pâle avec une magnitude de -22.4 contre -26.8 sur Terre.

A lire : Jupiter n'a plus de Ceinture Equatoriale Sud (sur le blog, 2010)

Images amateurs

A gauche, une photographie de Jupiter extraite d'une séquence prise par Damian Peach le 19-20 avril 2006 avec un Celestron C11. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 2.5 MB). Par comparaison, voici une animation des images prises par la sonde spatiale Voyage 1 en 1979. A droite, une photographie prise en 2010 par les membres d'Astronominsk avec un télescope Cassegrain de 360 mm f/36 équipé d'une caméra CCD ZWO. Notez l'absence de la ceinture SEB à la latitude de la Grande Tache Rouge. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 12 MB).

Malgré ses proportions gigantesques, Jupiter voit sa période de rotation augmenter suite à un effet de marée gravitationnelle engendrée par les 4 satellites galiléens qui le ralentissent. A l'image des forces qui s'exercent sur le système Terre-Lune, ces forces de marée "galiléennes" modifient les orbites des satellites de Jupiter qui progressivement s'éloignent de la planète.

Constitué de gaz légers, Jupiter présente une densité de 1.33. La pesanteur agit à hauteur des nuages avec une force 2.54 fois plus importante que sur la Terre.

Structure de l'atmosphère

Depuis 1973, les survols successifs de Jupiter effectués par les sondes spatiales Pioneer 10, Pioneer 11, Voyager 1, Voyager 2, Ulysse, Galileo, Cassini, New Horizons et Juno, nous ont permis de découvrir un monde tourmenté chatoyant de couleurs et de répondre à de nombreuses questions.

Les bandes alternativement claires et sombres que l'on observe dans son atmosphère sont en fait des couches nuageuses relativement fluides et permanentes situées à des altitudes différentes. Les bandes claires sont appelés zones, les bandes sombres les ceintures. C'est leur composition chimique et leur température légèrement différentes qui leur donnent cet aspect coloré. Leurs couleurs chatoyantes sont probablement le résultat de réactions chimiques subtiles entre des éléments moins abondants de son atmosphère, impliquant peut-être le soufre dont les réactions produisent une grande variété de couleurs mais dont les détails demeurent inconnus.

Les couleurs vives des nuages sont corrélées avec leur altitude : les nuages rouges ou sombres sont les plus élevés. Leur couleur est la conséquence d'une irradiation par les UV ayant provoqué pour ainsi dire la cuisson des molécules organiques qu'ils contiennent (cf. des nitriles sur Jupiter). Ces nuages sombres situés en altitude sont suivis par les nuages bruns et blancs tandis que les nuages bleus sont les plus profonds. Parfois une éclaircie temporaire dans la couche nuageuse supérieure laisse entrevoir les couches les plus profondes.

A voir : Rotation de Jupiter en 4K Ultra HD

La rotation de Jupiter depuis le Pic-du-Midi (sur APOD)

A gauche, jupiter photographiée par le Télescope Spatial Hubble le 21 avril 2014. La Grande Tache Rouge présentait une longueur minimale de 16496 km. A comparer avec la photo prise en 2017. Document NASA/ESA/A.Simon. Au centre, distribution des ceintures et des zones autour de Jupiter. Ce schéma est utilisé pour déterminer les positions et l'évolution des structures qui apparaissent dans l'atmosphère jovienne. Les flèches indiquent le sens de la circulation atmosphérique (qui n'empêche pas dans certains régions de transition que de fines ceintures ou zones évoluent en sens contraire). La Grande Tache Rouge (GRS)  se situe entre la Ceinture Equatoriale Sud (SEB, en foncé) et la Zone Tropicale Sud (StrZ, en clair). A droite, la rotation de Jupiter basée sur les photographies prises par le Télescope Spatial Hubble en 2015. Cliquez sur l'image pour lancer l'animation (GIF de 1.5 MB dont la version HD 4K est présentée sur YouTube). Ci-dessous, le planisphère de Jupiter établi à partir des photos prises par le Télescope Spatial Hubble le 19 janvier 2015 entre 2h TU et 12h30 TU. Notez sous la Grande Tache Rouge l'ovale BA dont Christopher Go découvrit le changement de couleur (de blanc à orange-rouge) en 2006. Cliquer ici pour lancer l'animation (7.5 MB) d'un planishère réalisé à partir des images prises par la sonde Cassini entre le 31 octobre et le 9 novembre 2000. Documents T.Lombry, NASA/JPL/STScI, NASA/ESA/STScI et NASA/JPL/CICLOPS.

Ces ceintures et ces zones témoignent d'une rotation différentielle entre les régions équatoriales et les régions polaires. Cette rotation étant très rapide, les vents le sont également. Ainsi, dans la zone équatoriale (< 30° de latitude) les vents soufflent en moyenne à 150 m/s soit 540 km/h et on peut parler de courants jet. Au-dessus de 30° de latitude, les vents soufflent jusqu'à 40 m/s soit 144 km/h.

Les zones équatoriales qui s'étendent sur 10° de part et d'autre de l'équateur forment le Système I et présente une période de rotation de 9h50m30s. Le reste de la planète forme le Système II et tourne en 9h55m30s. Un Système III a été mis en évidence, correspondant à la période de rotation du noyau et du champ magnétique dont la période est également de 9h55m30s.

Les modèles peu profond et profond (shallow and deep models)

Pendant des décennies les planétologues se sont demandés jusqu'à quelle profondeur les courants jets s'enfonçaient dans l'atmosphère de Jupiter. Certains dont S. Sukoriansky et ses collègues (2002) suspectaient qu'ils étaient confinés dans une fine couche; ce sont les partisans du  "shallow model" ou modèle peu profond. A l'opposé, l'astrophysicien F.H. Busse proposa dès 1976 dans la revue "Icarus " un "modèle simple de convection dans l'atmosphère jovienne". Selon cette théorie appelée le "deep model" ou modèle profond, la convection, c'est-à-dire l'ensemble des mouvements internes (verticaux et horizontaux) entraîne la formation d' une série de cylindres en rotation rapide parallèles à l'axe de rotation de Jupiter qui se manifestent extérieurement sous l'aspect de bandes.

Si le "deep model" original expliquait le grand courant jet équatorial, il créait peu de grandes courants jets similaires aux zones et aux ceintures, ce qui  montre les limites d'une trop grande simplication des modèles, même dans sa version 3D proposée en 2008. En revanche, un "deep model" modifié par Moritz Heimpel et ses collègues tenant compte d'une couche plus fine d'hydrogène moléculaire permit de simuler les ceintures joviennes. Les résultats furent publiés dans la revue "Nature" en 2004.

A gauche, un gros-plan d'une région de transition entre une zone (claire) et une ceinture (sombre) jovienne photographiée par Galileo en proche IR et UV le 5 novembre 1996 à 1.2 millions de kilomètres de distance. On distingue différentes formations nuageuses, les unes vaporeuses et laminaires, les autres plus instables et convectives. A droite, deux extraits d'une simulation des différentes couches atmosphériques basée sur les données télémétriques et de spectrométrie de masse retransmises par la sonde Galileo lorsque qu'elle plongea dans l'atmosphère de Jupiter le 7 décembre 1995. L'image couvre une zone de 34000x11000 km. Les hauteurs ont été exagérées. La couche supérieure est formée d'une brume de quelques kilomètres d'épaisseur. La hauteur des couches inférieures ont été codées en couleurs : les nuages peu épais et d'altitude sont en bleu ciel, les nuages bas sont en rouge et les nuages blancs sont en altitude et épais. La zone en bleu foncé est une région relativement claire et sèche. Documents Galileo/NASA/JPL.

Entre-temps, les données des sondes Voyager 1 et 2 et Galileo (1996) n'ont pas apporté d'indices probants. En revanche, grâce à la sonde Juno les chercheurs de la NASA ont pu obtenir des mesures gravimétriques des courants zonaux jusqu'à des profondeurs de plusieurs milliers de kilomètres qui viennent renforcer la théorie de Busse. En effet, à partir de l'analyse de la magnitude des harmoniques des courants atmosphériques (accélération gravitationnelle et gradient des vents), plusieurs équipes de chercheurs[1] ont montré que les courant zonaux doivent trouver leur origine vers 3000 km de profondeur, une distance équivalente à environ 4% du rayon moyen de Jupiter.

Les chercheurs ont découvert que lorsque la température et la pression augmentent dans les profondeurs de Jupiter, la conductivité électrique de l'hydrogène augmente également. Le puissant champ magnétique de Jupiter élimine la structure en bande et force l'intérieur à tourner uniformément.

Notons que l'analyse des données gravimétriques et magnétiques pourrait également mettre en évidence la densité et la structure de l'intérieur de Jupiter et donner une indication de la proportion d'éléments lourds. Les chercheurs peuvent également appliquer le "deep model" à toutes les planètes géantes gazeuses et aux naines brunes (Saturne par exemple perd probablement sa structure en bande vers 9000 km sous la couche nuageuse dorée).

A voir : Juno Spacecraft Reveals the Depth of Jupiter's Colored Bands, NASA

La ceinture STeB (haut) et la zone (STrZ) de l'hémisphère sud de Jupiter photographiées par la Junocam de la sonde spatiale Juno lors de son 10e périjove le 16 décembre 2017 à 13604 km de distance. Documents NASA/JPL traités par Kevin M. Gill.

Selon le planétologue Bradford A. Smith aujourd'hui membre de l'UAI, depuis les missions de Voyager toutes les théories concernant l'atmosphère de Jupiter ont dû être révisées. Les observations de la sonde spatiale Pioneer 10 renforcèrent l'idée classique d'une atmosphère bien ordonnée, avec des zones nuageuses calmes encerclant la planète, telle qu'on les observait depuis la Terre. Mais les vues rapprochées prises par les sondes Voyager, Ulysses, Galileo et Juno contredirent ces observations en découvrant une atmosphère tumultueuse, dans laquelle évoluent de gigantesques tourbillons de tempêtes et de sévères courants jets.

Prochain chapitre

Composition de l'atmosphère

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[1] Lire la revue "Nature", 555, 8 March 2018 dont L.Iess et al., "Measurement of Jupiter’s asymmetric gravity field", pp.220-222; Y.Kaspi et al., "Jupiter’s atmospheric jet streams extend thousands of kilometres deep", pp.223-226 et T.Guillot et al., "A suppression of differential rotation in Jupiter’s deep interior", pp.227-230.


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