|
La Voie Lactée
Structure spiralée (II) Comment peut-on connaître la forme de la Voie Lactée puisque nous sommes plongés à l'intérieur un peu comme un habitant de Flatland explorant un monde à trois dimensions ? Effectivement, cela reste une difficulté qui ne sera pas résolue avant longtemps. En attendant de disposer de vaisseaux spatiaux relativistes pour prendre de la hauteur ou pour survoler la Voie Lactée, il existe deux méthodes d'analyse, l'une déterminant la courbe de rotation des régions HI (leur vitesse radiale) et celle déterminant les champs de vitesses des régions HI (les isovitesses)[5]. On peut aussi utiliser des traceurs du HI comme le CO ou d'autres éléments chimiques tels que le C+, N+, etc. Comme nous l'avons expliqué à propos du milieu interstellaire, faute d'outils adaptés, il fallut des décennies pour que les astronomes parviennent à dresser la carte complète de la Voie Lactée car il fallut attendre de disposer de télescopes spatiaux pour dresser sa carte à partir des émissions de la poussière dans l'infrarouge lointain (IRAS, ISO, COBE, WISE, Herschel, Spitzer et le JWST). Comme on le voit ci-dessous, grâce à la radioastronomie à 21 cm et infrarouge millimétrique (par ex. à 2.9 mm pour le CO et 158 microns pour le C+), aujourd'hui nous disposons d'une représentation assez fidèle de la forme complète de la Voie Lactée. Toutefois, le secteur situé derrière le bulbe central, entre les longitudes galactiques 340° et 20°, reste caché à nos regards en raison de l'absorption par la poussière tout le long de la ligne de visée. La cartographie de ce secteur ne sera jamais claire tant que nous ne pouvons pas nous éloigner verticalement du plan galactique. Nous savons que les composantes de la Voie Lactée sont alignées selon une spirale logarithmique à 4 bras serrés autour du noyau que le Sky Catalogue 2000.0 classa encore parmi les galaxies spirales Sb. Mais en 1964 déjà, l'astronome Gérard de Vaucouleurs[6] de l'Université du Texas avait émis l'hypothèse que la Voie Lactée était une galaxie spirale barrée, cherchant à expliquer le mouvement non-circulaire du gaz atomique qui entourait le noyau. Toutefois, dans les années 1970 de Vaucouleurs classa la Voie Lactée SAB(rs)bc II, c'est-à-dire presque au centre du modèle qu'il proposa en 1959 : une spirale non barrée avec un anneau interne (r), les bras spiralés partant directement du noyau (s). Depuis 1991, grâce aux travaux de Blitz, Spergel, Matsumoto et consorts sur lesquels nous reviendrons, plusieurs indices (photométriques, IR, matière sombre) montrent que la Voie Lactée est bel et bien une galaxie spirale barrée de type SBcm dont l'aspect serait similaire à la belle galaxie NGC 1232 de type SAB(rs)c ou mieux encore à NGC 6744 de type SAB(r)bc présentée ci-dessous située à 30 millions d'années-lumière dans la constellation du Paon (Pavo).
Ainsi que nous le verrons, cette configuration n'est pas exceptionnelle et près de la moitié des disques galactiques des 77% de spirales que contient l'Univers présente une barre qui traverse le noyau. On suppose que cette barre est à l'origine des ondes de densité (voir plus bas) formant les deux bras symétriques. Les bras de la Voie Lactée Quelle est la forme de la Voie Lactée ? Etant plongé dans le disque galactique, il nous est difficile d'estimer sa forme. Seul le recensement du gaz interstellaire par le biais de la radioastronomie nous a permis d'évaluer sa morphologie, bien que le secteur compris entre 340° et 20° de longitude galactique soit caché par le bulbe central (représenté par le secteur sombre sur le dessin ci-dessous à gauche) et ne soit que partiellement accessible en infrarouge lointain. Sur base des résultats du sondage du bulbe central effectué par le télescope VISTA en 2013 et du sondage BeSSeL (Bar and Spiral Structure Legacy) publié en 2020, comme on le voit ci-dessous, la Voie Lactée ressemble à une galaxie spirale barrée entourée d'au moins 4 bras serrés autour du noyau.
Comme la plupart des galaxies spirales, la Voie Lactée affiche des bras qui s'enroulent dans le sens contraire dit "traînant" à celui de la rotation; vue du Pôle Nord Galactique, la Voie Lactée tourne dans le sens des aiguilles d'une montre (le sens horloger ou horaire ou encore rétrograde). C'est un effet induit par la loi du "moindre effort" ou plutôt de la minimisation de l'énergie qui permet à la matière de s'enrouler et d'être transférée le plus facilement vers le champ de potentiel minimum situé au centre de la Galaxie. Comme on le voit sur l'illustration présentée ci-dessus à gauche, à partir de 3 kpc soit 10000 années-lumière du noyau et à distantes croissantes se trouvent le bras de la Règle (Norma), le bras principal de l'Ecu-Centaure (Croix-Ecu-Centaure), le bras extérieur de l'Ecu-Centaure (Outer Scutum-Centaurus ou OSC) qui se prolonge vers le bras secondaire harmonique du Carène-Sagittaire, l'Eperon d'Orion (bras d'Orion) et le bras principal de Persée. Plus loin encore, à 6 kpc soit 20000 années-lumière derrière le bras de Persée se trouve trois bras extérieurs. Ces noms font référence aux constellations qu'ils abritent par projection.
Structure spiralée stellaire Pratiquement jusqu'à la fin du XXe siècle, nous ne connaissions pas la structure spirale de la composante stellaire du disque galactique. Les astronomes soupçonnaient qu'elle subissait les effets des ondes de densité (voir page suivante) et gravitationnelles mais aucune structure n'apparaissait clairement en lumière blanche. Sachant que le disque stellaire est dominé par les étoiles, seul le rayonnement infrarouge permet de l'étudier du fait qu'il est moins perturbé par les jeunes étoiles et les nébuleuses et très peu sensible à l'extinction interstellaire. Alors que la Voie Lactée présente au moins quatre bras en lumière blanche, le bras du Carène-Sagittaire disparaît en infrarouge, ne laissant apparaître que deux immenses bras constitués d'étoiles de tout âge (à l'exception des plus jeunes) connectés aux extrémités de la barre nucléaire : le bras de la Croix-Ecu-Centaure et le bras de Persée. Les autres bras dits secondaires sont beaucoup plus diffus en infrarouge du fait qu'ils contiennent surtout du gaz et de jeunes étoiles de Population I. Comme on le voit ci-dessous, on peut comparer cette structure à celle de la galaxie M83 qui est également une spirale barrée (SAB) de même nature mais la Voie Lactée est classée SBcm.
Nous verrons plus loin que la structure spiralée de la Voie Lactée est en fait plus complexe. Ainsi, par des effets de résonances, les bras peuvent se découpler de la barre principale et la barre peut même temporairement (à l'échelle cosmique) disparaître ou former une barre secondaire inscrite dans la première. La distance au centre de la Galaxie Dans un article publié dans les "PASJ" en 2023, les astronomes de la collaboration VERA de l'Observatoire Astronomique National du Japon (NAOJ) ont présenté le premier catalogue d'astrométrie du projet japonais VERA (VLBI Exploration of Radio Astrometry). Démarré en 2000, VERA utilise un réseau interférométrique de radiotélescopes répartis à travers le Japon grâce auquel il atteint une résolution de 0.01" ou 10 mas, équivalente à celle d'un télescope de 2300 km de diamètre. Cette résolution permet en théorie de résoudre une pièce de 2 euros placée sur la Lune. Ces données comprennent des mesures précises de parallaxe trigonométrique annuelle et de mouvement propre de 99 sources maser (micro-ondes). Parmi elles, il y a 21 nouvelles sources. Grâce à ce sondage, les astronomes ont pu calculer plus précisément la distance du Soleil au centre de la Voie Lactée. Pour rappel, grâce à des mesures de la parallaxe géométrique obtenues par interférométrie VLBI sur des étoiles massives et des sources masers (nébuleuses) se déplaçant par rapport au référentiel de quasars lointains, en 2011 l'Union Astronomique Internationale (UAI) valida la distance du Soleil à 8.3 ±0.23 kpc soit ~27058 années-lumière du centre Galactique[7]. De nouvelles mesures obtenues en proche infrarouge grâce au VLTI placent le trou noir supermassif Sgr A* situé au centre géométrique de la Voie Lactée à 8277 ±9 pc soit ~26983 années-lumière du Soleil (cf. Collaboration GRAVITY et al., 2021; en PDF). Les résultats de la collaboration VERA confirment cette distance. Ces valeurs signifient aussi qu'en une décennie les distances qui étaient encore surestimées de 2.7% en raison de l'absorption de la lumière par la poussière interstellaire (mais on vient d'une incertitude de 25% à la fin du XXe siècle) ont été recalculées avec une précision qui atteint aujourd'hui ±0.1%, ce qui représente une incertitude linéaire à la distance du centre galactique d'à peine 30 années-lumière.
Puis, dans le cadre du projet VERA, les mesures de distance se sont encore affinées. Selon les astronomes de la NAOJ, en 2023 les paramètres galactiques fondamentaux sont une distance du Soleil au centre de la Galaxie, Ro = 7.92 ±0.16 stat. ±0.3sys. kpc soit environ 25819 années-lumière. C'est inférieur de 4.6% à la valeur officielle de ~8.5 kpc ou ~27058 années-lumière adoptée par l'UAI en 2011 (et de 27700 a.l. en 1985). La collaboration VERA poursuit ses travaux en mesurant davantage d'objets, en particulier ceux proches du trou noir supermassif Sgr A* afin de mieux caractériser la structure et le mouvement de la Galaxie. Dans le cadre de ces efforts, VERA participe à l'EAVN (East Asian VLBI Network), un VLBI composé de radiotélescopes installés au Japon, en Corée du Sud et en Chine. En augmentant le nombre de télescopes et la séparation maximale entre les télescopes, l’EAVN peut atteindre une résolution et une précision encore plus élevées. A quelle vitesse se déplace le Soleil ? La réponse dépend du référentiel : par rapport à la Voie Lactée, au Groupe Local, au Superamas Local (Virgo) ou au fond cosmologique à 2.7 K ? La réponse devient rapidement plus difficile. Pour accomplir une révolution autour de la Galaxie, le Soleil met environ 250 millions d'années, tournant dans le sens horloger quand on observe la Galaxie depuis le pôle nord galactique (vers la gauche sur le dessin ci-dessous). Selon les résultats du projet VERA précité, les astronomes de la NOAJ ont calculé que le Soleil se déplace autour du centre galactique à une vitesse angulaire Ωo = 227 km/s (contre 220 km/s en 1986), un résultat 3% plus élevé que celui validé par l'UAI en 1986. Durant les prochains millénaires nous savons qe le Soleil se dirigera vers une zone dénommée l'Apex située entre le Sagittaire et le Capricorne[8] à la vitesse propre d'environ 627 km/s.
Dans le référentiel des bras spiralés, le Soleil tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et s'éloigne du bras de Persée pour prochainement rencontrer le côté convexe du bras du Carène-Sagittaire puis le bras de la Croix-Ecu-Centaure (cf. le schéma ci-dessous à droite). Comme on le voit ci-dessous, appeler notre structure galactique l'Eperon d'Orion (Orion Spur) plutôt que le bras d'Orion est tout à fait justifié. En effet, à y regarder de près, cette structure n'a pas la forme d'un bras classique mais celle d'une discontinuité dans l'onde spirale formant un éperon (en forme de < ) dont le sommet est relié à une branche née de la bifurcation du bras du Sagittaire à hauteur de la radiosource W51 située à 7 kpc du Soleil (22800 a.l.). Le Soleil se situe presque au sommet de l'Eperon d'Orion et sur la partie intérieure de l'Eperon qui est fortement décentré par rapport au centre de la Galaxie. Passons en revue les différents objets de cet Eperon d'Orion en commençant par les plus éloignés.
Loin devant le Soleil, en direction de la constellation de l'Aigle à 5.41 kpc (~17600 a.l.), à hauteur du bras du Sagittaire se trouve W51, un complexe moléculaire géant qui couvre 1° dans le ciel, très brillant, comprenant tout à la fois des nuages denses et froids, des régions HII de formations stellaires, des amas d'étoiles et des rémanents de supernovae (SNR) et autres restes. Certains astronomes ont suggéré que le Soleil était né dans ce complexe W51 (par ex. V.S.Avedisova, 1985; M.Sato et al., 2010) mais l'idée ne fait pas l'unanimité. Comme l'a décrit l'équipe de Jialei Rong de l'Université du Yunnan en 2015, parmi les 84 molécules découvertes dans W51, outre les composés CHON habituels, il y a des nuages acides d'alcool et notamment composés d'acétone (CH3COCH3), de méthanoate ou formiate de méthyle (CH3OCHO) et d'éthanol (CH3CH2OH). Notons qu'on retrouve les mêmes molécules organiques dans le disque circumstellaire entourant l'étoile V883 Orionis. A
mi-chemin entre W51 et le Soleil se trouve le complexe Cygnus X
également appelé le "Cocon du Cygne", une région très riche située
à 1.4 kpc (~4500 a.l.) qui s'étend sur environ 200 pc (650 a.l.). Elle comprend
quelque 800 régions HII, des nuages moléculaires géants (3 millions M Le Soleil évolue à travers ces nuages de gaz et de poussière en suivant une trajectoire hélicoïdale (cf. cette vidéo sur YouTube) en réponse aux perturbations gravitationnelles. Il transverse actuellement ce qu'on appelle le Nuage Local, une région dense d'environ 40 années-lumière de diamètre sur laquelle nous reviendrons (cf. page 4). A
voir : 360° View of the Milky
Way,
NASA/JPL Sondage GLIMPSE360 réalisé grâce au télescope Spitzer
À environ 250 pc soit 800 années-lumière se trouve la nébuleuse Gum, un gigantesque complexe représentant les rémanents de la supernova des Voiles (Vela) qui est également l'objet dominant de l'Eperon d'Orion. L'ensemble des nébulosités s'étend sur plus de 20°. Juste derrière la nébuleuse Gum, l'Eperon se divise en une branche extérieure qui est aujourd'hui en interaction avec un segment du bras principal de Persée qui se projète dans la constellation du Grand Chien et qui se termine à hauteur du Bras extérieur. La branche intérieure et inférieure de l'Eperon se confond avec les rémanents de supernovae et les nuages moléculaires géants dont les régions de formations stellaires de la Crête Moléculaire des Voiles. On reviendra sur la cartographie de ces nébuleuses ainsi que sur les SNR. La Voie Lactée contient une importante masse de gaz constituant le milieu interstellaire. Ce milieu est composé d'atomes et de molécules dans un état neutre ou partiellement voire totalement ionisé par le rayonnement UV ainsi que d'électrons libres. Les nuages moléculaires sont également partiellement ionisés par les rayons cosmiques. Autrement dit, la majorité de la matière interstellaire est électriquement chargée. Malgré les apparences, comme pratiquement rien n'est au repos dans l'Univers, ces charges se déplacent, le milieu est donc conducteur de l'électricité et peut générer un champ magnétique. Son intensité est de l'ordre de 3 mG (3 x 10-10 T) dans le milieu interstellaire diffus, ce qui est 100000 fois plus faible que le champ géomagnétique aux pôles (5.6x10-5 T). Ce champ magnétique peut être observé par l'effet Faraday qui se traduit par une polarisation de la lumière, des ondes radios ou du rayonnement synchrotron galactique. Ainsi, dans une nébuleuse constituée de nuages moléculaires, les grains de poussière sont orientés par le champ magnétique, provoquant une polarisation de la lumière proportionnellement à la composante du champ magnétique dans la direction de visée (cf. R.Wielebinski, 2012 et M.Vidal et al., 2014). De même, dans les SNR et quelques nébuleuses planétaires, l'interaction entre les électrons cosmiques relativistes (d'une énergie supérieure à 1 MeV) et le champ magnétique galactique produit différents types d'émissions : une émission de mésons qui se désintègrent notamment en photons gamma, une émission radio synchrotron (rayonnement de freinage ou Bremsstrahlung magnétique) ou un effet Compton inverse (diffusion des électrons de haute énergie sur les photons de basse énergie, en particulier sur le rayonnement cosmologique).
Le champ magnétique se manifeste également par l'effet Zeeman sur les raies spectrales qui fut découvert par George E. Hale en 1908 en étudiant les taches solaires. La polarisation apparaît sous la forme d'une division des raies, phénomène détectable à travers tout le spectre, de la lumière blanche (par spectroscopie) aux ondes radioélectriques (raies HI à 21 cm, OH, CH, etc). L'étude de ces différents phénomènes permet d'évaluer la distribution et la masse du milieu interstellaire. On reviendra sur le champ magnétique lorsque nous décrirons le centre de la Voie Lactée (cf. page 5). Pendant des décennies, les astronomes ont pensé que c'était cette composante magnétique qui donnait sa structure à la Voie Lactée en rigidifiant ses composantes. Faute d'instruments suffisamment sensibles, cette théorie connut son heure de gloire jusqu'au début des années 1960 où les astronomes découvrirent que l'intensité des champs magnétiques était bien trop faible pour expliquer la structure spiralée de la Galaxie et encore moins sa persistence. Prochain chapitre La rotation différentielle de la Voie Lactée
|