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Nos outils pour sonder l'univers La monture équatoriale (III) Il suffit d'avoir passé quelques secondes à l'oculaire d'un instrument astronomique dit azimutal, monté sur un trépied, pour se rendre compte du mouvement sidéral qui entraîne toute la voûte céleste dans le sens opposé à la rotation de la Terre, entraînant tous les astres de l'est vers l'ouest. Avec un rattrapage manuel du filé dans les deux directions, il parut tout à fait évident qu'une poursuite stellaire dans ces conditions serait précaire et fastidieuse. Les astronomes ont alors imaginé un système ingénieux pour neutraliser cet effet de filé : la monture équatoriale. Au cours de la nuit, en l'espace d'une demi-heure chacun a dû remarquer que tout le ciel semble tourner autour de l'étoile Polaire, ou plus précisément de nos jours à 45' d'arc de sa position (cf. cette photo). Oui, apparemment “les étoiles bougent !”...[6] Avec un peu d'attention on découvre que toute la voûte céleste semble tourner autour d'un axe qui est dans le prolongement de l'axe de rotation de la Terre. En fonction de la latitude, cet axe sera plus ou plus incliné et même horizontal à l'équateur, où les étoiles s'élèvent perpendiculairement au-dessus de l’horizon est et où le dernier croissant de Lune prend la forme d'une barque. A voir : Images de la rotation de la voûte céleste (APOD)
L'idée ingénieuse découverte au XIXe siècle consista à incliner l'axe d'élévation de la monture du télescope jusqu'à la latitude du lieu et dans la direction précise du pôle céleste situé dans l'hémisphère nord tout près de l'étoile polaire; c'est ce qu'on appelle la mise en station (voir la vidéo plus bas). Dans cette position, l'instrument est orienté parallèlement à l'axe de rotation de la Terre, autour duquel semble tourner tout le ciel. On dit qu'il est "monté en équatorial" ou fixé sur une monture équatoriale. Ainsi incliné, l'axe d'élévation devient l'axe d'ascension droite ou axe horaire et est divisé en 24 heures (graduées de 0 à 23) vers l'est. L'axe d'azimut, perpendiculaire à celui d'ascension droite, assure le pointage dans l'autre direction. Il porte le nom d'axe de déclinaison et est gradué de 0 à ±90° selon l'hémisphère (positif vers le nord). Bien sûr ces deux axes sont mobiles, rendant accessible tout point du ciel visible au-dessus de l'horizon. La déclinaison de l'astre - sa hauteur par rapport à l'équateur céleste - restant fixe, il suffira de faire tourner lentement le télescope autour de l'axe d'ascension droite pour suivre l'astre au cours de la nuit. Si l’instrument est parfaitement orienté vers le pôle céleste, la poursuite d’une étoile se fera sans aucun rattrapage en déclinaison. Notons que dans les avis d'alerte émis par les observatoires professionnels, parfois l'ascension droite est exprimée en degrés (cf. l'avis GCN 21916 émis en 2017 concernant l'émission neutrino du blazar TXS 0506+056). Il ne s'agit pas d'une longitude galactique (b) mais bien d'une coordonnée équatoriale d'ascension droite (α ou A.D.) mais qu'il faut convertir en unités horaires sachant que la sphère céleste tourne en apparence de 15°02'28" par heure (par ex. une ascension droite A.D. = 77.43° correspond à 5h 9m 43.2s). Par rotation lente, effectuant un tour en 24 heures, la monture équatoriale peut ainsi compenser la rotation de la Terre et maintenir l'objet céleste dans l'oculaire ou sur le détecteur (CCD, antenne-source, etc). A consulter : Convertisseur d'ascension droite Il existe plusieurs variantes de cette ingénieuse invention dont la monture à berceau, la fourche et le plan équatorial. Ce système est souvent automatisé au moyen de petits moteurs à pas démultipliés fixés sur les roues dentées des axes. La précision du suivi dépend de la qualité de l'entraînement, en particulier des roues dentées dans le cas des montures traditionnelles et de la précision de la mise en station. La première monture équatoriale fut mise au point par John von Fraunhofer en 1827 (le même qui découvrit le spectre d'absorption) qui fabriqua à cette occasion une lunette aplanétique de 244 mm de diamètre et de 4.3 m de focale (f/17.6) destinée à l'Observatoire de Dorpa en Russie (aujourd'hui l'Observatoire de Tartu d'Estonie). L'axe horaire du système équatorial était entraîné par un mécanisme d'horlogerie à poids. Cet instrument permit notamment à Wilhelm Struve d'étudier les étoiles doubles. "L'équatorial de Dorpa" comme il sera nommé servit de référence pendant de nombreuses années aux plus grands instruments du monde. En 1839, le Tsar Nicholas 1er commanda un nouvel "équatorial" de 38 cm de diamètre pour l'Observatoire de Poulkovo. A cette occasion, c'est la maison "Merz et Malher" en Allemagne, la dernière entreprise de Fraunhofer qui réalisa l'instrument. Précisons que c'est grâce à une réplique de la lunette de Merz et Malher de 24 cm que Johann Galle découvrit Neptune en 1846 sur base des calculs de Le Verrier. A voir : Monture équatoriale (mise en station) A lire : Les mini-équatoriaux (star tracker)
Progrès oblige, depuis les années 1990 il existe également des montures équatoriales sans engrenages équipées de moteurs couples constitués d'un stator et d'un rotor et pilotées par des encodeurs absolus de haute précision; il s'agit des montures Direct Drive. Ce système d'entraînement est plus onéreux qu'une monture traditionnelle mais il est beaucoup plus performant et doté de plus de fonctionnalités étant donné que tout est piloté électroniquement. Paradoxe des progrès technologiques, aujourd'hui les plus grands télescopes du monde ne sont plus "montés en équatoriaux", le système d'axes perpendiculaires étant trop contraignant et le télescope bien souvent en porte-à-faux. La plupart des grands instruments de dernière génération sont azimutaux, la rotation du plan restant symétrique au cours du temps, supprimant le porte-à-faux. L'entraînement asservi électroniquement est réglé par ordinateur. Quant à la résolution, limitée par le diamètre du collecteur, suite au travaux de l'américain Michelson sur les interféromètres, Labeyrie est parvenu en 1976 à réaliser des interféromètres optiques dont le spectre théorique peut s'étendre de l'ultraviolet à l'infrarouge. La résolution de ces instruments est comparable à celle des radiotélescopes interférométriques intercontinentaux. Dans l'avenir, ces instruments seront placés sur orbite et ne connaîtront plus de limite, ni spectrale, ni en dimensions. On y reviendra A voir : Big Dipper Clock - Rotating Sky Explorer Celestial-Equatorial Demonstrator, UNL Applets d'astronomie, Université de Nebraska-Lincoln La photographie et ses limites Alors que l'oeil n'est sensible qu'à la lumière perçue instantanément[7], le support argentique (plaque photo et films) qu'on utilisait encore jusqu'aux années 1980 peut enregistrer la lumière reçue pendant une longue exposition. Un appareil photographique muni d'une émulsion ordinaire peut détecter des objets très faibles que l'oeil aussi exercé soit-il ne verra jamais, même au moyen d'un télescope et offrira des renseignements inestimables. Mais cette époque durant laquelle on développa l'hypersensibilisation des films et autres "cold camera" est révolue avec la révolution des capteurs numériques. Grâce aux progrès réalisés en électronique, à la fin des années 1980 les premières caméras CCD puis les APN dans les années 1990 furent proposés au grand public, révolutionnant notamment l'astrophotographie. Ces appareils ne cessent de gagner de nouveaux adeptes, complétés par des webcams HD aux performances étonnantes.
L'utilisation combinée du télescope et d'un capteur numérique permet d'utiliser ce système optique tel un téléobjectif classique mais avec un pouvoir de résolution et une sensibilité sans comparaison. En effet, un capteur numérique est au moins 20000 fois plus sensible qu'un film argentique et il est possible par empilement d'images d'augmenter le rapport signal/bruit. Cette combinaison optique peut-être relativement sophistiquée et à l'heure d'Internet certains n'hésitent pas à robotiser leur installation et la commander à distance pour analyser l'éclat des étoiles et des galaxies depuis le confort de leur bureau. La résolution est finalement définie par la surface collectrice et la longueur d'onde des récepteurs photosensibles. Mais l'observation en lumière blanche à ses limites. Nous savons que l'atmosphère diffuse la chaleur, créant l'inévitable turbulence atmosphérique qui dégrade les images. Nous avons vu que cette turbulence peut être gommée en utilisant une optique adaptative qui annule la turbulence atmosphérique en créant une étoile artificielle dont l'éclat sera soustrait de celui de l'objet visé. Cette technique de pointe utilise un faisceau laser et n'est utilisable que dans une atmosphère ionisable. Il va de soi que tous les hauts lieux de l'astronomie d'Hawaï, du Chili ou du Pic-du-Midi utilisent cette technique. La turbulence crée aussi un écran lumineux appelé la clarté du fond du ciel, dont la magnitude oscille entre +23 et +18 dans un spectre compris entre 300 et 900 nm. S'ajoute la clarté des lueurs nocturnes et parfois les aurores quand ce n'est pas la brume ou les nuages. Ces phénomènes voilent le ciel et limitent la capacité des instruments d'optique. On peut juste réduire ou retarder l'effet de la turbulence en réalisant de multiples expositions courtes ou en augmentant la sensibilité et la résolution des récepteurs, mais on ne peut l'éliminer. Même placé en orbite, un télescope sera gêné par la poussière interplanétaire (zodiacale) qui diffuse la lumière solaire. Dans le même spectre, la magnitude limite est d'environ +24. En dehors de ces contraintes, grâce aux techniques informatiques d'empilement, de compositages et de traitement d'images, le Télescope Spatial Hubble nous a permis de découvrir des galaxies de 30e magnitude, situées à plus de 13 milliards d’années-lumière. On y reviendra dans l'article consacré aux galaxies les plus lointaines. Prochain chapitre
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