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La Bible face à la critique historique

L'éruption du Kadovar en Papouasie le 8 janvier 2018. Durant cette phase initiale, l'éruption du Théra devait être similaire jusqu'à ce qu'il explose en VEI 6 libérant des milliards de tonnes de cendres et engendrant un mégatsunami. Document Brandon Buser.

Les Dix plaies d'Égypte (II)

La théorie de l'éruption du Théra

Jusqu'à présent, les spécialistes ont toujours supposé que le récit des Dix plaies d'Égypte était a priori tellement fantastique qu'il devait s'agir d'un récit métaphorique. Si quelques faits comme la couleur sang du Nil, l'apparition des grenouilles, des mouches, des sauterelles et la grêle pouvaient se référer à des phénomènes naturels, d'autres semblaient trop extraordinaires pour être vrais. Mais de nouvelles données ont récemment remis ce postulat en question.

Selon une théorie proposée par le biologiste Siro Trevisanato et les archéologues Nadine Moeller et Robert Ritner, les Dix plaies d'Égypte feraient allusions aux conséquences de l'éruption du volcan de Théra sur l'île de Santorin vers 1610 avant notre ère. Voyons de quelle manière les chercheurs sont parvenus à cette conclusion et ce qu'il faut en penser.

L'histoire de cette théorie trouve son origine en Égypte. Entre 1947 et 1951, des archéologues français ont découvert dans le troisième pylône du temple de Karnak à Thèbes une stèle en calcaire mesurant 1.80 m appelée la Stèle de la Tempête datant du règne d'Ahmosis Ier, pharaon de la XVIIe dynastie qui régna entre 1550 et 1524 avant notre ère. Selon l'égyptologue belge Claude Vandersleyen, professeur émérite de l'Université Catholique de Louvain, cette stèle aurait été gravée avant la 22e année du règne d'Amosis, soit entre 1550 et 1528 avant notre ère soit entre 1539 et 1517 avant notre ère.

En 2014, les archéologues Nadine Moeller et Robert Ritner de l'Université de Chicago ont retraduit le texte de cette stèle et publié les résultats de leur étude dans le journal "JSTOR" sous le titre "The Ahmose ‘Tempest Stela’, Thera and Comparative Chronology". Les chercheurs ont établi un lien entre le récit mentionné sur cette stèle, le récit biblique et l'éruption du volcan de Théra de Santorin à l'époque minoenne.

Le tableau suivant reprend les données que nous possédons, d'une part le texte biblique de l'Exode (Ex 7:14-12:36) dont ont retrouve des extraits dans les Psaumes (Psaumes 78:44-51 et 105:26-36) et d'autre part la Stèle de la Tempête de Karnac qui comprend 40 lignes dont voici un extrait :

L'Ancien Testament (Exode)

1ere plaie : les eaux du Nil changées en sang : "... le Nil fut nauséabond, et les Égyptiens ne purent boire des eaux depuis le fleuve ..." - Exode 7:14-25

2e plaie : les grenouilles : "... les grenouilles tombèrent et recouvrirent l’Égypte  - Exode 8:1-25

3e : les moustiques (ou les poux) : "... toute la poussière du sol se changea en moustiques ..." - Exode 8:16-19

4e plaie : les mouches (ou les taons ou les bêtes sauvages) : "... des taons/ bêtes sauvages en grand nombre entrèrent [...] dans tout le pays d’Égypte ..." - Exode 8:20-32

5e plaie : La mort des troupeaux : "... tous les troupeaux des Égyptiens moururent ..." - Exode 9:1-7

6e plaie : les furoncles : "... gens et bêtes furent couverts de furoncles bourgeonnant en pustules..." - Exode 9:8-12

7e plaie : la grêle : "... L'Eternel fit tomber la grêle qui se transforma en feu sur le pays d’Égypte ..." - Exode 9:13-35

8e plaie : les sauterelles : "... Elles recouvrirent la surface de toute la terre et la terre fut dans l'obscurité ; elles dévorèrent toutes les plantes de la terre et tous les fruits des arbres, tout ce que la grêle avait laissé et il ne resta aucune verdure aux arbres ni aux plantes des champs dans tout le pays d'Égypte ..." - Exode 10:13-14 et19

9e plaie : les ténèbres : "... il y eut d’épaisses ténèbres ..." - Exode 10:21-29

10e plaie : la mort des premiers-nés : "... tous les premiers-nés moururent dans le pays d’Égypte ..." - Exode 12:29-36.

Stèle de la Tempête (Karnac)

ligne 7 : [...] les dieux ont exprimé

ligne 8 : leur mécontentement [...] les dieux (?), le ciel viennent avec de la tempête (pluie ?), elle a causé l'obscurité dans la région de l'Ouest, le ciel était

ligne9 : déchaîné, sans [...] plus que le grondement de la foule [...] était puissant [...] sur les montagnes plus que la turbulence de

ligne 10 : la cataracte à Éléphantine. Chaque maison, [...] chaque logement (ou chaque endroit couvert) que celle-ci parvienne [...]

ligne 11 : [...] flottent dans l'eau comme les barques de papyrus [à l'extérieur ?]) de la résidence royale pour [...] jour (s),

ligne 12 : sans aucune lumière de flambeau. Ensuite, Sa Majesté a dit : « Comment ces [évènements] peuvent surpasser la puissance du grand dieu et les volontés des divinités ! » Et Sa Majesté est descendue

ligne 13 : dans son bateau, sa cour à sa suite. Les [gens étaient ?] à l'est et à l'ouest, en silence, car ils n'avaient plus de vêtements [?] sur eux

ligne 14 : après que la puissance du dieu s'est manifestée. Ensuite, Sa Majesté est arrivée à Thèbes [...] cette statue, elle a reçu ce qu'elle avait souhaité.

ligne 15 : Sa Majesté, a décidé à renforcer les deux terres, à cause de l'eau à évacuer sans (l'aide de) ses (hommes ?), de leur donner l'argent,

ligne 16 : avec de l'or, du cuivre, de l'huile, de l'habillement, avec tous les produits qu'ils souhaitent ; ensuite Sa Majesté est rentrée dans le palais - vie, force, santé.

ligne 17 : C'est alors que Sa Majesté a été informée que les tombes funéraires ont été envahies [par l'eau[, que les chambres funéraires avaient été endommagées, que les structures des murs ont été compromises, que les pyramides se sont effondrées ?

ligne 18 : tout ce qui existe a été annihilé. Sa Majesté a ensuite ordonné la réparation des chapelles, qui étaient tombées en ruines dans tous les pays, la restauration des

ligne 19 : monuments des dieux, la reconstruction de leurs enceintes, le remplacement des objets sacrés dans la chambre des apparitions, la nouvelle fermeture de l'endroit secret, la réintroduction

ligne 20 : dans leurs naoi des statues qui étaient couchées sur le sol, la reconstruction des autels détruits par l'incendie, le rétablissement des tables d'offrandes sur leurs pieds, à leur assurer la fourniture d'offrandes,

ligne 21 : l'augmentation des revenus de leur personnel, de la restauration du pays à son état antérieur. Ils ont tout fait, comme le roi l'avait ordonné.

Le texte égyptien évoque la fureur des dieux qui aurait été à l'origine de la destruction des bâtiments y compris des pyramides et des inondations en Haute et Basse Égypte et la reconstruction qui s'en suivit. Le texte mentionne le bruit, les ténèbres, un vent et une pluie si violentes qu'on ne pouvait plus allumer un flambeau. La tempête balaya les temples, sema la destruction et fit de nombreuses victimes. Bref, la tempête s'abattit sur tout le pays.

Le fait qu'une tempête soit mentionnée dans les annales atteste de son caractère inhabituel voire extraordinaire. Si ce récit relate un phénomène naturel, quel en fut la cause ? Et qu'en est-il des autres plaies évoquées dans la Bible ?

Au début du XVIe siècle avant notre ère, un changement climatique soudain toucha de la même manière l'Europe et la Californie. Cet évènement est en corrélation avec l'éruption du Théra à Santorin. Document T.Lombry/Google Earth.

Pour tenter de prouver que les "Dix plaies d'Égypte" relatent des évènements réels, il faut trouver des preuves et identifier une catastrophe naturelle majeure survenue à l'époque biblique pouvant provoquer des effets similaires.

Très peu de phénomènes peuvent provoquer des effets météorologiques ou climatiques de l'ampleur des "Dix plaies d'Égypte"; iI y a l'impact d'une grande météorite et une éruption volcanique majeure.

Sans impact météoritique connu datant de cette époque (il y a bien le cratère de Henbury en Australie mais il remonte à environ 4100 ans et n'eut qu'un impact local), cela nous conduit sur la piste d'un volcan. Le seul volcan proche de l'Égypte est le Théra de Santorin qui explosa vers 1650 ou 1610 avant notre ère.

Citons également l'éruption du Vésuve en Italie vers 1660 ±43 ans avant notre ère (VEI 6) et l'activité de l'Etna en Sicile il y a plus de 4000 ans dont la caldeira s'effondra probablement vers 1500 avant notre ère.

Il faut donc trouver des indices géologiques, biologiques ou océanographiques datant de l'époque minoenne et tenter de les mettre en corrélation avec l'éruption du Théra.

Un indice fut découvert aux antipodes de l'Égypte, en Californie, dans les Montagnes Blanches situées à 3000 m altitude (le pic White Moutain culmine à 4344 m) où l'on trouve des pins de Bristlecone (Pinus longaeva) dont la datation au carbone-14 indiquent que certains sont âgés de 5062 ans. L'étude de leurs cernes très bien conservés a montré qu'au début du XVIe siècle avant notre ère, les cernes se sont resserrés pendant quelques années. Cette anomalie de croissance correspond à l'époque de la XVe dynastie d'Égypte dirigée par les Hyksos (environ 1663 à 1524 avant notre ère). En Irlande, on a également découvert un chêne de près 4000 ans dont les cernes présentent une anomalie de croissance similaire à la même époque.

On en déduit que vers le début du XVIe siècle avant notre ère, il y eut un bouleversement climatique majeur qui dura plusieurs années. La température moyenne globale chuta de plusieurs degrés et les précipitations augmentèrent.

Ce pin de Bristlecone situé dans les "White Mountains" à l'est de Bishop, en Californie, avait plus de 3200 ans quand il est mort vers 1676. Il est donc né vers 1524 avant notre ère. Documents T.Lombry/Google Earth et Cathy & Doug/Virtually Nomadic.

Mais pour valider l'hypothèse de l'éruption du Théra, nous devons expliquer les autres plaies d'Égypte comme étant les conséquences de cette éventuelle éruption volcanique.

Pour un météorologiste, le nuage de cendres et de poussière éjecté lors d'une éruption volcanique majeure peut parfaitement assombrir l'atmosphère et provoquer un refroidissement temporaire du climat à l'échelle mondiale.

Santorin se situe à environ 800 km à vol d'oiseau au nord-ouest de l'Égypte, l'Etna est à 1700 km à vol d'oiseau et le Vésuve à 2000 km à vol d'oiseau. Seul le Santorin semble correspondre à notre hypothèse.

Comme nous l'avons expliqué, vers 1650-1610 avant notre ère, l'éruption colossale du Théra (VEI 6 soit 600 MT de TNT) dévasta l'île et la population périt dans la catastrophe, mettant fin à la civilisation minoenne. Tout le bassin méditerranéen fut frappé par diverses catastrophes et même l'Europe septentrionale aurait subit des effets climatiques. Mais peut-on affirmer que cette éruption volcanique fut à l'origine des Dix plaies d'Égypte ?

Sur le plan météo, nous devons d'abord identifier les vents dominants du bassin oriental de la Méditerranée dont ceux de la mer Égée où se trouve Santorin pour affirmer qu'un nuage de cendres et des aérosols auraient pu atteindre l'Égypte. Bonne nouvelle, plusieurs courants aériens et phénomènes météorologiques existent dans cette région et ont pu transporter ces matériaux.

Le principal vent est l'Étésien ou Meltémi. C'est un vent froid qui se manifeste lorsqu'un anticyclone se forme sur la Grèce (et une dépression sur la Turquie). En été, entre la fin du mois de juillet et fin août, il peut souffler assez fort (au moins 40 km/h soit 6 Beaufort, ce qu'on appelle un "vent frais" dans l'échelle de Beaufort) du nord ou nord-ouest vers la mer Égée. Cela peut durer quarante jours. Ce vent est déjà cité par Théophraste dans son ouvrage "Des Vents" (~300 avant notre ère). A l'inverse, en mars-avril les vents soufflent du sud-est, mais sur la mer Noire elle-même les vents soufflent du nord.

En revanche, en Égypte, selon les saisons et les régimes, les vents soufflent soit du nord s'ils viennent de Méditerranée soit du sud quand il s'agit du Khamsin soufflant du désert vers Israël et le Liban. Sa vitesse peut atteindre 150 km/h et est accompagné de vents de sable brûlants et abrasifs. Il souffle généralement par intervalle pendant cinquante jours vers l'équinoxe de printemps (entre Pâques et la Pentecôte).

Ci-dessus à gauche, distribution des retombées du Théra vers 1610 avant notre ère. A droite, les vents soufflant sur la mer Égée et sur l'Égypte le 11 juin 2017 à 14 h. En dessous, le 16 mai 2019 (gauche) et le 20 mai 2019 (centre), on pouvait observer un petit anticyclone centré sur la Crète (ou une dépression sur la Turquie) déviant les vents de la mer Égée vers l'Égypte. A droite, les vents dominants soufflant sur l'Europe, le Moyen-Orient et le nord de l'Afrique en janvier (blanc) et juillet (jaune). Notons qu'une combinaison de vents locaux peut assurer le transport des aérosols de la mer Égée ou de la Turquie vers l'Égypte. Documents W.Friedrich et al., WeatherOnline, Meteox, Windfinder et Pilots Atlas (voir aussi le site EarthWindMap).

On en déduit qu'en général, en été les vents soufflent en mer Égée et près de l'Égypte du nord-ouest à vitesse modérée. Ce fait supporte l'idée que le nuage émis par l'éruption du Théra à Santorin a pu sans difficulté atteindre l'Égypte en 3 jours (sans même tenir compte de l'intensité de l'éruption). En revanche, en hiver les vents dominants soufflent du nord-est voire de l'est. Voyons quel régime des vents serait compatible avec le récit biblique.

La théorie de Walter L. Friedrich

L'archéologue Walter L. Friedrich de l'Université Aarhus au Danemark et son équipe ont cartographié la distribution des différents éléments du fallout qui suivit l'éruption du Théra et publièrent les résultats de leur étude en 2013. Comme on le voit ci-dessus à gauche, les aérosols qui furent transportés jusqu'en haute altitude sont principalement retombés sur le nord de la mer Égée, le nord de la Grèce et le nord-ouest de la Turquie. En revanche, entraînés par les masses d'air des basses couches, les aérosols les plus lourds (au moins 200 microns) comme les cendres et les pierres ponces sont retombées vers le sud jusqu'à plus de 1000 km de distance, en Crète et en Afrique du Nord jusqu'au Liban tandis que les poussières les plus légères et les plus fines (100 microns) furent emportées vers la mer Noire, retombant en Turquie avant d'être emportées par les vents locaux soufflant du nord puis d'est vers le Moyen-Orient et l'Égypte.

Le médicane Zorbas de catégorie F2 photographié par le satellite Terra dans le bassin Ionien le 29 septembre 2018. Document EOSDIS/WorldView

Puisque nous abordons la question des masses d'air, est-il possible qu'un cyclone se forme en Méditerranée ? Oui, et il porte même un nom : "médicane" ou cyclone méditerranéen (mediterranean hurricane).

Les médicanes sont des dépressions subtropicales qui se développement entre les îles Baléares et la Grèce à la fin de l'été, lorsque la Méditerranée est la plus chaude et en présence d'air froid en altitude qui déstabilise la masse d'air.

On observe en moyenne 1.4 médicane par an (une centaine entre 1948 et 2015, cf. P.T. Nastos et al., 2015) et leur fréquence augmente en raison du réchauffement climatique.

Les médicanes font généralement peu de dégâts. Mais lorsque la masse d'air est très instable, les vents peuvent atteindre 120 km/h (médicane Lanos) avec des rafales jusque 155 km/h (médicane Qendresa) accompagnés de très fortes averses. La pression minimale peut descendre jusque 978 hPa (médicane Qendresa). Il s'agit généralement d'un cyclone de catégorie F0 mais il est arrivé d'observer un cyclone de catégorie F2 dans le cas du médicane Zorbas en 2018.

En 2014, on observa une tornade F4 en Égypte qui dura 7 minutes.

Bref, à ce jour, aucun cyclone n'a affecté l'Égypte mais bien entendu le régime climatique était différent et plus humide il y a 3500 ans.

Mais la théorie de Friedrich présente plusieurs défauts. Comme pratiquement tout le monde, l'auteur n'accorde aucune valeur à l'éruption volcanique majeure qui précéda de plusieurs mois celle qui toucha l'Égypte. En effet, les cendres et les poussières les plus fines furent emportées vers la mer Noire, alors que les plus lourdes tombèrent dans la Méditerranée. Friedrich ne peut pas non plus suivre l'ordre des plaies bibliques car si l'obscurité est tombée suite à une éruption, dans ce cas il ne peut pas expliquer les huit plaies précédentes.

En conclusion, sa théorie est caduque voire peu plausible. Il faut donc trouver un autre scénario d'origine volcanique, solution que nous propose Siro Trevisanato.

La théorie de Siro Trevisanato

Selon le biologiste moléculaire Siro Trevisanato, ancien chercheur à l'Université de Toronto, auteur d'un livre intitulé "The Plague of Egypt" (2005), c'est l'éruption du Théra qui aurait provoqué la succession des catastrophes survenues en Égypte et à l'origine du récit des Dix plaies d'Égypte. Sa théorie est séduisante d'autant plus que les catastrophes s'enchaînent et que des recherches pluridisciplinaires (archéologie, géologie, zoologie, épidémiologie, médecine légale, dendrologie, météorologie, etc.) appuyent certains faits, rendant sa théorie très plausible. Voici les détails de sa théorie dont un résumé fut publié dans le "Time" à l'occasion de la fête de Pâques en 2019, ainsi que les théories alternatives (algues rouges, changement climatique, épidémie, etc) d'autres chercheurs qui ont tenté d'expliquer certains épisodes des Dix plaies d'Égypte.

Origine des Dix plaies d'Égypte

Selon Trevisanato, le nuage toxique émis au cours de l'éruption colossale du Théra pourrait expliquer les six premières plaies d'Égypte. Les quatre autres n'en seraient que les conséquences. Voyons ceci en détails.

La 1ere plaie : les eaux rouges et nauséabondes

 Le dioxyde de soufre émis par le volcan s'est mélangé à la vapeur d'eau contenu dans l'atmosphère et forma des gouttelettes d'acide sulfurique (vitriol) qui furent entraînées dans la circulation générale. Les cendres et les nuages d'acide sulfurique seraient retombés sur le Nil et l'aurait empoisonné. L'eau devint acide, tua les poisssons, rendant toute vie impossible dans le fleuve, les marais et les lacs. Sous l'effet de la chaleur, ces cadavres en train de pourrir ont dégagé des odeurs nauséabondes.

Les émissions volcaniques rejetées dans l'atmosphère conduisent indirectement au refroidissement de la surface de la Terre et aux retombées acide. Document NASA/Earth Observatory adapté par l'auteur.

Comme nous l'avons expliqué, selon Friedrich les aérosols de dioxyde de soufre ou d'acide sulfurique se sont dirigés vers le nord et non vers le sud. Mais à sa décharge, en fonction de l'époque de l'année, en été il existe un autre courant aérien passant notamment par la mer Noire et qui souffle du nord-ouest. Au Moyen-Orient, en janvier le vent souffle d'est. Même si les émissions toxiques du Théra furent emportées par un vent modéré plutôt que fort soufflant à 30 km/h, elles ont atteint l'Égypte situé à 900 km en 30 heures et ont pu dévaster le pays comme l'évoque la Bible. En fait, ce délai a même pu être plus court si on tient compte de la rotation de la Terre vers l'est et de la force de Coriolis combinée au gradient de pression qui entraînent les masses d'air vers l'est dans l'hémisphère Nord.

Un médicane dévastateur (F4 ou F5) pourrait également être associé à des vents violents et des pluies acides capables de détruire des récoltes mais à une échelle très locale (cf. le cyclone Luis en 1995 qui toucha les Caraïbes). L'Égypte du temps de l'Exode fut-elle dévastée par un médicane qui se serait développé dans le bassin Levantin ? Il faudrait des conditions bien plus humides qu'aujourd'hui. C'est une hypothèse qu'on ne peut pas écarter mais qu'il sera difficile de prouver.

En conclusion, le téphra, c'est-à-dire les éjecta de cendres et de poussière volcaniques de la première éruption du Théra ont pu retomber sur l'Égypte un à deux jours seulement après l'éruption et contaminer les eaux et les sols. Nous verrons qu'il y eu probablement une deuxième éruption quelques mois voire un an plus tard qui expliquerait l'obscurité mentionnée dans la Bible. En fonction de la direction des vents et de l'époque de l'année, des nuées toxiques et des pluies acides ont donc pu toucher l'Égypte et ses habitants.

Concernant la couleur rouge du Nil, les chercheurs ont proposé plusieurs explications. La première et la plus commune fut notamment proposée par l'épidémiologiste John S. Marr, spécialiste des maladies tropicales, qui propose que des cyanobactéries (appelées erronément "algues rouges") du genre Planktothrix rubescens auraient proliférées suite à une augmentation de la température de l'eau.

Nous savons que ces bactéries existaient il y a plus de 3000 ans et aujourd'hui encore, elles provoquent des effets similaires[9]. Cette cyanobactérie se multiplie très rapidement dans les eaux chaudes stagnantes. Présente en grande quantité, une colonie de cyanobactéries peut consommer tout l'oxygène du Nil, asphyxiant les poissons. Lorsqu'elle meurt, elle colore l'eau en rouge. Cette cyanobactérie est toxique et fut peut être à l'origine des trois plaies suivantes (les grenouilles, les moustiques et les mouches). On y reviendra.

Complémentaire de la théorie des algues rouges, suite à une étude publiée en 2010 sur des stalagmites découverts dans des grottes en Égypte, des chercheurs on constaté que pour que les cyanobactéries se développent, il faut d'abord qu'il y ait des eaux calmes, boueuses et chaudes. Selon le paléoclimatologue Augusto Mangini, il dut y avoir une période de sécheresse vers la fin du règne du pharaon Ramsès II (XIXe dynastie, 1279 à 1213 avant notre ère). Ce changement de climat aurait asséché le Nil et sensiblement ralenti la force du courant. Selon le biologiste Stephan Pflugmacher, ces conditions ont favorisé le développement de la bactérie Oscillatoria rubescens, communément appelée "l'algue sanguine". Ceci dit, cette période de sécheresse survint près de quatre siècles après l'explosion du Théra et ne peut donc pas être liée à cet évènement, mais elle prouve que l'Égypte connut ce type d'évènement.

Comme nous l'avons expliqué, une autre théorie évoque une crue du Nil qui charia de grandes quantités de limon de couleur rouge provenant des hauts-plateaux éthiopiens. La contamination des eaux par l'acide sulfurique auraient également pu oxyder les argiles et les roches ferreuses du lit du Nil, favorisant le lessivage et augmentant la quantité de fer dans les eaux du fleuve.

A gauche, le bassin Méditerranéen oriental et le Nil photographiés le 3 mars 2016 par le radiomètre SLSTR du satellite européen océanographique Sentinel-3A. Ce satellite mesure la température et le rayonnement au-dessus des océans et du sol dans dix bandes spectrales dont le visible et l'infrarouge. Le rayonnement de la végétation en particulier le long du Nil et des côtes est traduit en fausses couleurs par le rouge qui n'est pas sans rappeler la première des Dix plaies d'Égypte relatée dans la Bible mais dont la nature est toute différente. Notons que les scientifiques utilisent ces données pour étudier l'état de la végétation. Document ESA. A droite, les eaux de Puget Sound situé près de Edmonds et Seattle dans l'État de Washington, aux Etats-Unis, colorées en orange le 16 mai 2013 suite à la prolifération de l'algue Noctiluca scintillans, un dinoflagellé qui ne libère pas de toxine. La nuit, il est également biolumineux. Des phénomènes similaires se produisent dans de nombreux lacs à travers le monde mais plus rarement dans les fleuves ou en mer où le phytoplancton est rapidement dispersé.

Enfin, Trevisanato suggère que le nuage de cendres volcaniques aurait contenu du cinabre (HgS), un sulfure naturel de mercure de couleur rouge brique qui aurait coloré le fleuve. L'auteur cite ce pigment car des textes (dont on ne peut citer la source pour des raisons d'embargo scientifique) font état de cinabre à Santorin. De plus, il existe des gisements de cinabre en Grèce (et de mercure, de fer, de cuivre, de cobalt, etc). Enfin, au large de l'île de Milos en mer Égée, des sources hydrothermales produisent du cinabre (cf. M.Kati et al., 2017). Ce n'est donc pas une matière "exotique" ni rare.

Le cinabre (cinnabar en anglais) est un pigment minéral utilisé depuis l'époque Néolithique (~8500 avant notre ère). Contenant jusqu'à 86% de mercure en masse, c'est un produit toxique. On l'utilisa en Égypte sous la dynastie Ptolémaïque (IVe-1er siècles avant notre ère) lors de la crémation des défunts. Notons que Pline l'Ancien (23-79) appelle ce pigment rouge le minium (cf. "Histoire Naturelle", XXXIII.XLI) mais il s'agit en fait de tétroxyde de plomb (Pb3O4), le même qu'on utilise encore aujourd'hui comme protection anti-rouille.

Aspect natif d'une veine de cinabre découverte dans la mine de New Almaden en Californie, une région qui contient également des gisements de soufre. Document John Betts/Fine Minerals.

Le cinabre se forme dans des roches ignées, suite au refroidissement des laves et la cristallisation des granités et autres pegmatites. La littérature scientifique ne mentionne pas de "pluie" ou de dépôts de cinabre autour des volcans, juste la formation de veines parmi les roches proches des volcans.

Pour être complet, les seules références à des "pluies de sang" sont notamment mentionnées au cours de la bataille de Cannes (les Romains contre Hannibal en 216 avant notre ère) où un tourbillon de vent aurait fait retomber des gouttelettes de sang et dans l'"Histoire romaine" de Tite-Live (cf. Livre XXIV [24,10], 7).

Reste à savoir quelle quantité de cinabre faut-il pour colorer un fleuve ? En théorie, on n'a pas besoin de beaucoup de cinabre. En effet, ce sont les eaux peu profondes dans lesquelles tombèrent les cendres volcaniques et principalement le long des berges - les eaux que les villageois peuvent apercevoir du rivage - qui devinrent rouge.

Sachant que le débit du Nil varie entre 829 m3/s en mai (calculés sur base des relevés de 1912-1984 à la station de Dongala au Soudan) et près de 7900 m3/s en septembre, il fallut que cette coloration apparaisse lorsque les eaux étaient les plus calmes au risque de se diluer dans la masse, c'est-à-dire entre mars et juin où le débit ne dépasse pas 1000 m3/s. Si on replace chaque plaie chronologiquement, si l'éruption du Théra eut lieu en juillet, il est donc possible que le fleuve se soit coloré en rouge à la même époque, mais peut-être pas en raison des retombées de cinabre mais plutôt de la présence de cyanobactéries.

Apparemment, l'arrivée des premières cendres donnant des eaux rouges est mentionnée dans plusieurs textes égyptiens. Cette couleur rouge serait apparue dans toute la zone touchée par la première nuée volcanique : Léto qui perd le "sang", Uranus châtré (cf. la castration de El en Syrie et d'Anou en Anatolie), Marsyas écorché vif colorant le fleuve avec son sang, Adonis tué par un sanglier changeant la couleur du fleuve local, Hyacinthe tué par une pierre jetée par le vent et dont le sang donne naissance à une fleur, etc.

Le mythe de Léto, la déesse de la maternité (qui est aussi l'une des maîtresses de Zeus qui donna naissance à Artémis et Apollon), est particulièrement intéressant car Léto se déplace au-dessus des eaux et des terres (comme une plume volcanique), elle colore les eaux en rouge, fait sortir les grenouilles des étangs, détruit les champs et arrive en Égypte. On trouve au moins trois textes égyptiens évoquant ces eaux rouges : "Le Livre de la Vache Céleste" (cf. aussi cette version en anglais), un récit mythologique sacré découvert parmi les inscriptions de plusieurs tombes pharaoniques (Toutânkhamon,, Séthi Ier, Ramsès II et ses héritiers) dans lequel on peut lire que la déesse se baigne dans le sang en Syrie suite à quoi il y a des anomalies météo, le papyrus des "Lamentations d'Ipou-Our" (ou d'Ipouer) rédigé entre 1850 et 1600 avant notre ère qui évoque "un fleuve de sang" et le "Papyrus Medical de Londres" sur lequel on reviendra à propos de la 6e plaie.

A gauche, "Le Livre de la Vache Céleste" (réf. KV17) gravé dans la tombe de Séthi Ier. A droite, extrait du "Papyrus Rhind". Documents anonyme et British Museum.

Dans le "Papyrus Rhind", un journal reprenant 84 problèmes résolus de "mathématiques" (arithmétique, géométrie, algèbre, etc) rédigés durant la 33e année du règne du pharaon hyksôs Apophis Ier, soit vers 1548 avant notre ère, on évoque durant "l'année 11" un bruit de tonnerre étrange (la "voix de Seth") et une étrange pluie le jour suivant. Selon Trevisanato, ces deux phénomènes feraient référence à la différence entre la vitesse du son et celle du vent amenant les cendres. Deux textes égyptiens (et deux grecs) spécifient que l'évènement se produisit "autour du 20 juillet", ce qui est compatible avec les retombées de cendres impliquant des vents soufflant entre la mi-mai et la mi-septembre. C'est cette matière volcanique pulvérisée qui colora l'eau en rouge et l'acidifia suite au fallout de l'explosion du Théra.

Mais si "l'année 11" se réfère à la 11e année du règne d'Apophis, le bruit serait survenu vers 1570 avant notre ère, donc 40 ans après l'éruption du Théra. Selon d'autres sources (cf. Journal of Juristic Papyrology, 23, 1993 et G.Gertoux), "l'année 11" correspondrait à l'an 1533 avant notre ère et évoquerait donc un évènement survenu ~77 ans après l'éruption du Théra. Conclusion, le "Papyrus Rhind" ne constitue pas une source fiable ni un témoignage direct permettant d'établir un lien entre ces manifestations et l'éruption du Théra.

La 2e plaie : les grenouilles

Concernant la prolifération des grenouilles, la zoologie nous apprend que le développement des tétards jusqu'à l'âge adulte est gouverné par des hormones qui peuvent ralentir ou accélérer leur développement pendant les périodes de stress. Du fait de l'acidification des eaux et/ou de la présence des cyanobactéries toxiques, les grenouilles furent contraintes de quitter l'eau du Nil et les étangs où elles vivaient et la plupart moururent sous l'ardeur des rayons du Soleil. Toutes les étendues d'eau étant polluées et contenant des animaux morts par asphyxie ou infectés, leur décomposition favorisa le développement du bacille du charbon (Bacillus anthracis) qui infecta et tua les batraciens.

A gauche, l'une des espèces de grenouille d'Égypte (Bufo viridis) également appelée le crapaud vert qu'on trouve un peu partout dans le monde et notamment en Europe, de la Roumanie aux Baléares. A droite, le moustique égyptien (Aedes aegypti) est originaire d'Afrique centrale mais de nos jours il est présent dans les pays subtropicaux et tempérés. Il est porteur de virus transmettant diverses fièvres comme la dengue, la fièvre Zika, la fièvre jaune, etc.

Les 3e et 4e plaies : les moustiques, les mouches et les taons

Les rivages du Nil étant couverts d'animaux morts et les grenouilles prédactrices d'insectes ayant disparu, ce fut une aubaine pour les moustiques, les taons, les mouches et les animaux charognards qui ont proliféré.

La 5e plaie : la mort des troupeaux

Les cendres et la poussière de ponce transportées par les vents formaient un nuage épais dont on a retrouvé des traces en excavant les ruines de monuments égyptiens. Les animaux ont pu inhaler ces poussières irritantes et toxiques qui ont endommagé leurs poumons. Les animaux sont morts asphyxiés ou noyés dans leur sang.

Selon une autre théorie proposée par le biologiste marin Werner Kloas de l'Institut d'Ecologie Marine de Leibniz (IGB), sachant que les insectes sont souvent porteurs de maladies comme le paludisme (malaria), dans une réaction en chaîne ils déclenchèrent des épidémies chez les animaux et notamment dans les troupeaux et par voie de conséquence dans la population égyptienne (notons que 60 à 75% des infections humaines sont transmises par les animaux).

La 6e plaie : les furoncles

Les furoncles et des pustules sont des lésions inflammatoires provoquées par des bactéries. Cela correspondrait probablement à des ulcères, c'est-à-dire des plaies entretenues par une inflammation de l'épithélium. Cette infection ou cette maladie est plus difficile à expliquer.

Il est fort possible que les insectes aient infecté la population. Ils représentent le vecteur le plus commun et le plus simple pour expliquer la 6e plaie.

Mais il existe une autre explication appuyée par une preuve indirecte, le "Papyrus Medical de Londres", un ensemble de 61 recettes dont 25 remèdes égyptiens datés de 1629-1628 avant notre ère. Le 55e remède décrit notamment une lésion blanche (en fait une vraie brûlure) apparue au contact d'une eau rouge et l'apparition - au cas de non traitement - de larves. Si la plaie n'est pas soignée, ces larves apparaissent au bout de 2 à 3 semaines.

Selon Trevisanato, on peut rapprocher cette description de la 1ere plaie d'Égypte tandis que les lésions correspondraient aux ulcères dont parle la Bible. Pour soigner ces ulcères, les Égyptiens appliquaient un onguent (pommade) sur la peau composé d'un mélange de soude, d'ocre et de graisse animale, c'est-à-dire un produit alcalin. Si le remède est alcalin alors l'agent actif est acide (sinon traiter la peau avec une base l'abîmerait davantage). Le seul acide présent en abondance dans l'eau à l'époque et pouvant occasionner des taches blanches de cette nature était l'acide sulfurique (plutôt qu'azoté ou chloré) produit par le volcan de Théra dont les aérosols seraient retombés jusqu'en Égypte. Ceci confirme l'origine volcanique des eaux rouges.

Mais nous avons expliqué que la théorie des aérosols est contredite par Friedrich. Il est toutefois difficile de trouver une source acide en Égypte et qui plus est, capable d'infecter la population. De plus, le limon du Nil comme l'argile ont une acidité moyenne qui ne présente aucun risque sanitaire en soi. La source acide semble donc provenir de l'extérieur du pays mais il est difficile voire impossible de le confirmer. Aussi, le volcan de Théra semble être le seul candidat plausible.

Extrait du "Paryrus Médical de Londres" rédigé vers 1629-1628 avant notre ère traitant notamment d'un remède contre les brûlures par de l'acide. Document BM EA 10059-2.

Comment expliquer les quatre dernières plaies : la grêle, les sauterelles, les ténèbres et la mort des premiers-nés ? Si nous ne possédons pas de témoignages directs de l'éruption du Théra, nous pouvons la comparer aux éruptions majeures actuelles. Ainsi, le 15 juin 1991 nous avons assisté à l'éruption explosive du Pinatubo dont les coulées pyroclastiques, les cendres et les lahars recouvrirent dans toute la région et dont le panache de fumée atteignit 40 km d'altitude. En 2010, le volcan islandais Eyjafjallajoekull projeta des cendres à plus de 1000 km de distance clouant les avions au sol au départ ou à destination de l'Europe pendant 5 jours. Enfin, l'éruption du Laki de 1783 eut des conséquences tragiques jusqu'en France et aux Etats-Unis. On peut donc supposer que les cendres du Théra ont facilement atteint le delta du Nil et même l'intérieur des terres. Pendant ce temps les aérosols restés en suspension dans l'air ont modifié temporairement les conditions météos.

L'acide sulfurique (H2SO4) qui s'est formé dans l'atmosphère après l'éruption du Théra à partir de la vapeur d'eau (H2O) combinée au dioxyde de soufre (SO2) forma des gouttelettes d'un micron, 100 fois plus petites qu'un cheveu, qui restèrent en suspension dans l'air et qui furent entraînées dans la circulation générale. Comme les gouttes d'eau formant les nuages, ces gouttelettes ont pu fusionner par coalescence et atteindre environ 80 microns. Les simulations montrent que ces particules peuvent survivre plusieurs mois et parcourir des milliers de kilomètres. Aussi dense qu'un nuage, elles ont réfléchi une partie de la lumière et absorbé l'autre partie. L'atmosphère s'est réchauffée tandis que le sol s'est refroidi. Ce phénomène à grande échelle a modifié le comportement des masses d'air, provoquant un changement climatique. En effet, l'éruption du Théra fut plus violente que celle du Pinatubo en 1991. On peut sans doute la comparer à l'éruption du Tambora (VEI 7 mégacolossale) en Indonésie en 1815 qui fit plus de 92000 morts. L'année suivante il neiga en été et presque toutes les semaines dans les Alpes tandis que les récoltes furent mauvaises et le temps fut froid et humide. On estime que l'hémisphère Nord subit un refroidisement de 0.5 à plus de 1°C en 1816. C'est à cette occasion que le peintre William Turner peignit ses magnifiques couchers de Soleil. En théorie, l'éruption du Théra a pu provoquer un changement climatique global qui s'est ressenti jusqu'en Égypte.

Version numérique la première version en italien de l'Histoire Naturelle de Pline l'Ancien, un incunable imprimé en 1476 sur parchemin. Document U.Oxford.

La 7e plaie : la grêle et le feu

Le refroidissement climatique lié aux importantes émissions de dioxyde de soufre déclencha de violents orages accompagnés de grêle. Le récit de l'Exode et plus tard les Psaumes précisent que la pluie tua des animaux. On remarquera que tous les animaux mentionnés sur la liste sont des herbivores (chevaux, ânes, chameaux, boeufs et brebis, cf. Exode 9:2). Dieu envoya également de la grêle et de la foudre dans le pays qui frappa les vignes, les figuiers et les arbres (Ps 105:32).

Cet épisode d'orages violents eut aussi des répercussions sanitaires car les hommes comme les animaux présentèrent peu après des marques sur la peau, des ampoules pour lesquelles les Égyptiens connaissaient un remède (cf. notamment le Papyrus Medical de Londres, 16e remède, à ne pas confondre avec d'autres remèdes alcalins car celui-ci n'évoque pas l'eau rouge mais traite des ampoules dues à l'exposition à de l'acide; l'individu fut donc exposé à des gouttelettes).

Si on se réfère à l'épisode de la grêle biblique, en fonction des récoltes mentionnées (lin et orge), cela se serait produit entre janvier-février et, à en croire Pline l'Ancien, dans un endroit célèbre pour son lin (cf. Pline l'Ancien, Histoire Naturelle, Livre XIX).

Reste la question du feu accompagnant la grêle qui n'a pas trouvé d'explication, bien que la foudre ait pu y contribuer. Disons qu'il est vain de vouloir expliquer tous les détails de tous les évènements, certains ayant probablement été inventés de toute pièce pour enjoliver le caractère surnaturel de la scène.

La 8e plaie : les sauterelles

Ensuite, en raison des perturbations météorologiques, les arbres et les champs furent dévastés, les pluies furent abondantes et le taux d'humidité très élevé en permanence (on peut facilement le constater dans un pays chaud juste après le passage de la mousson), ce qui favorisa la prolifération des sauterelles, les fameux criquets pèlerins parfois appelés "locustes" par référence au terme anglais (mais en français le terme englobe plusieurs taxons). Ce petit insecte orthoptère appartient à la famille des acridiens.

Comme le confirment les études de la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture), dans le cas du delta du Nil, de nos jours en raison de l'augmentation de l'humidité, les invertébrés prolifèrent dans le sud de l'Égypte.

L'invasion des criquets pèlerins, un fléau depuis la nuit des temps. Photomontage de T.Lombry.

Selon la FAO, les essaims de criquets pèlerins peuvent couvrir plusieurs centaines de kilomètres carrés et chaque mille carré (1.6 km2) peut contenir entre 40 et 80 millions de criquets adultes ! Selon Keith Cressman, spécialiste des prévisions des "locustes" à la FAO, "un locuste adulte peut consommer son propre poids (~2 g) en nourriture chaque jour. La difficulté supplémentaire est qu'ils vivent normalement dans le désert et mangent donc la végétation qui s'y trouve. Une fois qu'ils arrivent dans des cultures en bordure du désert, cultivées par des agriculteurs pauvres, ils mangent tout leur gagne-pain puis s'installent dans le pays et affectent les approvisionnements alimentaires nationaux. Par conséquent, un essaim d'environ 40 millions de criquets pèlerins consomme en un jour la même quantité de nourriture qu'environ 35000 personnes." Selon la FAO, un essaim de 100 km2, la taille de Paris, consommerait en 24 heures la même quantité de nourriture que la moitié de la population française.

De nos jours, un essaim de criquets pèlerins peut provoquer selon les pays entre plusieurs centaines de millions et plusieurs milliards d'euros de dégâts et entraîner des famines partout où il sévit. Pour les victimes, on comprendra aisément que ce fléau est plus redoutable que la gelée et la grêle réunies.

Comme le relatèrent les webzines "The Jerusalem Post" et "Asharq Al-Awsat" (signifiant Moyen-Orient), à l'image du fléau biblique, en février-mars 2019 une invasion de "locustes" s'abattit sur le Soudan et l'Érythrée et se propagea rapidement le long des deux rives de la mer Rouge vers l'Égypte et l'Arabie Saoudite. Coïncidence ou pas, la période (mars) d'invasion de ces criquets pèlerins correspond à celle calculée pour la 8e plaie biblique (voir ci-dessous).

La 9e plaie : les ténèbres

L'éruption se poursuivant, le nuage volcanique plongea l'Égypte dans les ténèbres pendant 3 jours. S'ajoute à ce phénomène la tempête violente qui détruisit les bâtiments comme relaté sur la Stèle de la Tempête.

On remarquera que cette fois la nuée volcanique est proche du sol et frappa directement la population. Pour expliquer l'obscurité, Trevisanato évoque une nouvelle éruption survenue 2 à 12 mois plus tard dont le nuage de cendres et de poussière toucha l'Égypte. Comment ce délai fut-il calculé ?

La fenêtre de 2 à 12 mois est une estimation scientifique entre le début et la fin de l'éruption. La chronologie des plaies bibliques s'échelonne sur 8 mois : 1ère et 2e plaies en juillet, 3e et 4e plaies en août, 5e et 6e plaies entre août et octobre, 7e et 8e plaies plaie en janvier-février, 9e plaie en mars et 10e plaie en mars-avril, ce qui s'inscrit dans le cadre de l'estimation scientifique.

Toutefois le trajet suivi par cette nouvelle nuée fut de loin le plus long. S'il y a ~700 km de Santorin au delta du Nil à vol d'oiseau, cette fois le trajet fut trois fois plus long car les vents ont dévié la nuée de Santorin vers la mer Noire où des vents locaux la redirigèrent vers le delta du Nil. La nuée avait donc déjà déversé une grande partie de ses cendres avant d'arriver en Égypte.

Le texte biblique exige que l'évènement se produise vers le mois de mars (2 semaines avant la dixième plaie apparue en mars-avril). Or en cette période, les vents dominants au-dessus de Santorin soufflent justement du sud-ouest vers la mer Noire et les vents locaux de la mer Noire se dirigent bien vers le sud. Les nuées ont donc pu atteindre l'Égypte quelques semaines ou mois plus tard.

La poussière acide tomba sur la population qui fut incapable d'y échapper, affectant les yeux, la bouche et les poumons comme le démontrent les remèdes prescrits dans les manuels médicaux (cf. le "Papyrus Ebers" rédigé par des Égyptiens vers le XVIe siècle avant notre ère). Le "Papyrus Edwin Smith" qui est un papyrus médical rédigé vers 1500 avant notre ère ainsi que "Le Livre de la Vache Céleste" et le Psaume 78 précités affirment qu'on avait en cette occasion lâché les émissaires de la fin du monde ou quelque chose d'équivalent.

On retrouve l'obscurité de la 9e plaie d'Égypte dans d'autres textes égyptiens comme les "Lamentations d'Ipou-Our" précitées et sur la Stèle d'Ismailia ou "Naos d'el Arish", un sanctuaire destiné au Saint des Saints d'un temple, aujourd'hui exposé au Musée d'Ismailia qui évoque également la mort d'un Pharaon à l'époque de l'Exode.

Deux papyrus médicaux égyptiens. A gauche, extraits du "Papyrus Ebers" (pages XXIII:79, 78 et 77) rédigés vers le XVIe siècle avant notre ère. Il est exposé à l'Hanf Museum (Musée du chanvre) de Berlin. A droite, extraits du "Papyrus Edwin Smith" rédigé vers 1500 avant notre ère qui traite principalement de chirurgie de guerre. Il est conservé à la bibliothèque de l'Académie de médecine de New York (NYAM).

Notons que ce type de récit n'est pas propre à la Bible ni au peuple juif. En Papouasie-Nouvelle Guinée par exemple, les Papous ont gardé la mémoire de légendes transmises oralement depuis des centaines d'années évoquant des éruptions volcaniques qui plongèrent le pays dans les ténèbres.

Mais John S. Marr précité suggère plutôt que l'obscurité fut provoquée par une tempête de sable. L'obscurité aurait empêché la germination ou le développement des cultures qui auraiernt été abandonnées et auraient moisi sur pied. Cette moisissure aurait libéré des toxines dans l'air qui pourraient expliquer la forte mortalité parmi les jeunes enfants, ce qui nous conduit à la dixième plaie.

La 10e plaie : la mort des premiers-nés

Selon la Bible, les premiers-nés furent tués en une seule nuit et sans distinction d'âge, même les premiers-nés des animaux (Exode 12:29-30) tandis que les Hébreux qui avaient badigeonné l'encadrement de leur porte d'entrée avec le sang d'un agneau furent épargnés (Exode 12:23). Si la rapidité de cet évènement est frappante, il est encore plus étonnant que la mort fut sélective et n'ait frappé qu'une partie précise de la population. Comment expliquer ce fait ?

Sur le plan archéologique, le site d'Amarna en Égypte était la capitale de l'Empire sous le règne du pharaon Akhenaton (Amenhotep IV ou Aménophis) et de son épouse Nerfertiti. Les archéologues ont mis à jour plusieurs milliers de squelettes. Cette population vécut trois siècles après l'éruption du Théra soit vers 1360 avant notre ère. Ce site qui à la taille d'une ville révèle combien la vie était fragile à cette époque. En effet, chaque tombe était occupée par deux ou trois personnes et leur datation indique qu'elles sont pratiquement toutes mortes en même temps. L'anthropologie médico-légale a montré que beaucoup d'individus présentaient des lésions osseuses typiques du paludisme.

Quelques ruines excavées et restaurées de l'immense complexe du Tel el-Amarna en Égypte. La ville fut abandonnée peu après la mort du pharaon Akhenaton (Aménophis), vers 1332 avant notre ère. Document One World Tours.

À 1 km à l'est du centre de la ville, à proximité de la nécropole Sud se trouve le "village des artisans" où habitaient environ 310 personnes affectées à la construction des tombeaux de la vallée des Rois et de la vallée des Reines. Il s'agissait d'artisans qualifiés comprenant des architectes, des dessinateurs, des carriers, des sculpteurs, des menuisiers, des peintres, etc., tous des hommes libres au service du roi vivant sur place avec leur famille (notons que c'est la même communauté qui vivait précédemment dans le villages de Deir el-Médineh et qui y retourna sous le règne d'Horemheb vers 1325 avant notre ère). Ici également, les artisans sont morts rapidement d'une infection. Quelle maladie peut ainsi fondroyer des centaines de personnes en bonne santé ?

Comme c'est encore le cas aujourd'hui, les puces sont vectrices de maladies ainsi que les rats et dans le cas présent les rats du Nil. On estime que ces personnes sont mortes de peste bubonique, une maladie infectieuse et commune transmise par la piqûre d'une puce infectée par un rat ou un rongeur (c'est la même "peste noire" qui décima près de la moitié de la population d'Europe au XIVe siècle). Sans traitement par antibiotique, le bacille de la peste provoque une scepticémie (infection généralisée) qui entraîne la mort du patient en trente-six heures.

Si une épidémie peut décimer toute une population, elle affecte aussi indifféremment toutes les tranches d'âge. Or le récit biblique précise que seuls les premiers-nés sont morts, autrement dit les aînés des frateries. Pour résoudre ce problème, les chercheurs ont proposé une hypothèse.

La base du régime égyptien est basé sur les céréales. Si on considère de nouveau le nuage volcanique qui s'abattit sur l'Égypte, suite aux retombées d'acide sulfurique ou des poussières toxiques les récoltes furent perdues et la population dut se nourrir de céréales avariées. Les céréales représentent un substrat idéal pour la colonisation des champignons car grâce à l'amidon, ils y trouvent tout le sucre nécessaire à leur développement (cf. les céréales servant de substrat de fruitaison au mycélium). Selon Sara Gurr de l'Université d'Exeter (GB) et spécialiste de la sécurité alimentaire, des champignons ou moisissures toxiques libérant des mycotoxines peuvent se développer dans les céréales pour peu qu'elles soient humides. Ces moisissures résistent à la cuisson et se retrouvent dans la farine. Ils ont donc pu contaminer le pain des Égyptiens. Leur consommation produit de très nombreux effets parmi lesquels des vomissements, des diarrhées, la formation de caillots de sang, la gangrène, etc. Si généralement on n'en meurt pas, dans une population déjà affaiblie un seul symptôme pouvait être fatal.

Dans une fratrie, l'aîné a toujours la priorité, une pratique qu'on rencontre encore parfois aujourd'hui. En Égypte, le premier-né était donc le premier servi. S'il n'y avait pas assez de nourriture, les parents se sacrifiaient et l'enfant aîné était le seul à manger. Cette tradition expliquerait pourquoi seuls les premiers-nés sont morts en grand nombre. En désirant protéger les aînés, les parents ont scellé leur mort. 

Néanmoins, Trevisanato propose une autre explication. On peut interpréter cette 10e plaie comme un effet psychologique sur la population. En désespoir de cause, elle sacrifia les héritiers, les aînés, ce qu'elle avait de plus cher pour satisfaire les dieux. Plusieurs textes égyptiens font état d'enfants tués (cf. les "Lamentations d'Ipou-Our"), voire sacrifiés (cf. les "Fragments" de Porphyre rédigés au IIe siècle), dont on retrouve des traces dans les couches géologiques d'Avaris à l'époque de l'éruption de Santorin.

Mais aucune théorie n'explique pourquoi les premiers-nés des animaux furent également tués, comme l'écrit la Bible. En imaginant que les premiers-nés des animaux étaient peu nombreux dans chaque famille, il est possible que le temps q'ils soient sevrés certains très jeunes animaux domestiques et de basse-cour vivaient avec leur mère dans les mêmes habitations que leur propriétaire. Mais cela exige que tous les Égyptiens et tous les Hébreux ayant quelques animaux avaient à leur disposition une ferme relativement spatieuse pour y loger leur famille et y placer plusieurs animaux ou qu'ils possédaient une étable. C'est loin d'être établi. On peut contourner le problème en imaginant qu'il s'agit d'une figure de style pour dire que tous les premiers-nés des animaux au sens large succombèrent, sauf ceux du Peuple élu. Ceci dit, cela reste un détail de l'histoire puisque notre sujet concerne les relations des Hébreux avec leurs contemporains et non ceux des animaux.

En résumé, on en déduit que l'Égypte aurait souffert de l'éruption du Théra. Si c'est le cas, les Dix plaies d'Égypte feraient donc référence à des évènement réels qui se seraient déroulés entre 1626 et 1610 avant notre ère; dix "plaies" se seraient enchaînées à partir d'une seule cause. La légende biblique deviendrait alors un fait réel, historique, faisant le compte-rendu allégorique des conséquences vécues en Égypte de l'éruption du Théra. Au fil du temps, le récit transmis oralement fut altéré et les évènements furent amplifiés. Cette altération des faits a permis de donner un sens et de trouver de l'ordre dans cette série d'évènements inhabituels qui suscitaient la peur et l'incompréhension. Comme ce fut encore le cas au Moyen-Âge et même au siècle dernier, face à des évènements inexplicables et inspirant la crainte, la population s'est tournée vers les prêtres. Ceux-ci ont imaginé qu'il s'agissait de l'intervention de Dieu, seule explication rendant le récit plus logique et facile à comprendre. Nous verrons plus loin qu'au VIe siècle avant notre ère, l'histoire fut figée dans sa forme finale, devenant le premier épisode de l'Exode.

Nous verrons également à propos de Jésus et de l'épisode de la Cène que l'origine de la célébration de la Pâque juive remonte à cette 10e plaie d'Egypte où le peuple juif fut épargné et après que Moïse ait reçu les Dix Commandements au mont Sinaï et ordonna à son peuple de toujours se souvenir qu'ils sont sortis de la "maison de servitude" comme le précise l'Exode.

En résumé

D'un point de vue scientifique, cet épisode biblique serait légendaire mais basé sur des évènements naturels. Est-ce certain ? On ne pourra jamais le certifier car ces évènements n'ont pas laissé de traces, mais la science semble expliquer cet épisode catastrophique avec suffisamment d'indices convergents pour y croire sans qu'il faille évoquer des phénomènes surnaturels.

Malgré tout, certains enseignants ou chercheurs juifs spécialistes de la Torah ou chrétiens spécialistes de l'Ancien Testament n'acceptent pas l'idée que toutes les "plaies" aient une origine naturelle. Et d'ailleurs, à l'occasion de la célébration de Pâque(s), aucun d'entre eux ne fait allusion à l'interprétation scientifique de cette fête ! Comme c'est souvent le cas à propos de la Torah ou de la Bible, en tant que croyants ils estiment que les scientifiques sont passés à côté de l'essentiel, l'intervention divine... Mais comme on dit dans ces cas là, qu'ils le prouvent. Bref, il n'a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Ensuite, selon la Bible, après avoir délivré les Hébreux de l'esclavage, Moïse conduisit son peuple vers le pays de Canaan. Nous verrons dans le prochain article les péripéties de cette aventure et quelles difficultés ils rencontrèrent aux abords de la mer Rouge et pendant leur traversée du désert du Sinaï jusqu'au mont Nébo au pays de Moab.

A lire : Moïse, de la sortie d'Égypte au mont Nébo

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[9] La coloration des eaux en rouge est un phénomène qui n'est pas limité au Nil et tout à fait naturel. L'article consacré à la faculté d'adaptation décrit ce phénomène qu'on peut observer dans différents lacs à travers le monde. Le plus souvent la couleur rouge est liée à la présence de bactéries halophiles, de cyanobactéries (les algues "rouges") ou d'artémies (crevettes de saumure).


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