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La Bible face à la critique historique

Émergence de la foi en la résurrection de Jésus

Comment la foi en la résurrection de Jésus est-elle née et s'est développée ? Selon la tradition, les disciples de Jésus ont déclaré que le tombeau était vide et ont proclamé que Jésus n'était pas vivant (l'immortalité de l'âme est un fait établi dans le judaïsme) mais qu'il était ressuscité d'entre les morts, un concept très étonnant tant dans la culture juive que protochrétienne. Pour comprendre le sens de cet évènement, nous devons expliquer pourquoi la famille de Jésus et les disciples sont arrivés à cette conclusion, que d'autres considèrent comme un mensonge (en fait la dépouille de Jésus arait été dérobée) et comment justifier qu'un tel secret ait été conservé dans l'une des sociétés les plus disertes du monde antique.

S'il est apparemment logique de lire le Nouveau Testament chronologiquement, en commençant d'abord par les Évangiles puis les Actes et ensuite les Épîtres pour finir avec l'Apocalypse, ce n'est pas l'avis des historiens. Pour comprendre le sens de ces textes, l'objectif des auteurs et leurs implications de leurs idées, nous devons lire le Nouveau Testament à l'envers. En effet, depuis la XIXe siècle, les historiens ont fait une découverte importante : si on lit le Nouveau Testament chronologiquement, selon les dates auxquelles les différents livres ont été écrits, émerge une image totalement différente avec des implications radicales concernant le sens même des paroles et des actes de Jésus. 

Pour comprendre quelle est la réalité cachée sous le texte du Nouveau Testament, il faut d'abord répondre à des questions précises parmi lesquelles : chez quel auteur trouvons-nous les sources documentaires les plus anciennes et les plus authentiques ? Quand et comment ces textes furent-ils transmis, édités et modifiés ? Qui fut impliqué dans ce processus et quelles étaient les motivations théologiques des auteurs et des rédacteurs ?

Ceci dit, il n'y a aucune garantie absolue qu'en lisant le Nouveau Testament dans un sens plutôt que dans l'autre on obtienne une description et des explications plus précises, mais à moins de démonter tout le texte et d'établir des comparaisons, nous n'avons aucun autre moyen de répondre à nos questions. C'est donc en démontant et en mettant à plat tout ce "montage" théologique que les chercheurs ont fait les étonnantes découvertes que nous allons décrire.

Reprenons donc le Nouveau Testament, mais lisons-le cette fois à l'envers, en commençant par les Épîtres de Paul dont les premiers textes (l'Épître aux Galates) furent écrits aux alentours de l'an 46 ou 48 selon Daniel Wallace.

Une tombe vide et des apparitions de Jésus

Que s'est-il passé après la mort de Jésus ? Chronologiquement, si Paul ne fut pas témoin oculaire, il fut le premier auteur à comprendre (a priori) ce qui s'était réellement passé quand il affirme avoir vu Jésus ressuscité (1 Corinthiens 15:3-8). Vrai ou faux, c'est son interprétation que la Grande Église a suivi (cf. la querelle paulienne).

Fresque de la Résurrection du Christ peinte vers 1440 par le dominicain Guido di Pietro dit Fra Angelico. Il s’agit ici de l’une des nombreuses scènes qui ornent le mur du fond de chacune des cellules du couvent dominicain de San Marco à Florence aujourd'hui transformé en Musée.

A la question de savoir pourquoi le tombeau de Jésus était vide, les érudits chrétiens, protestants et catholiques, répondent que Dieu a ressuscité Jésus d'entre les morts et qu'il est sorti de la tombe miraculeusement rétabli et en pleine santé. La preuve, Jésus a pu s'adresser aux femmes, il a marché auprès des disciples d'Emmaüs et a même mangé avec les apôtres. Les chrétiens soutiennent qu'il n'y a pas d'autre explication logique et que la résurrection de Jésus est au fondement de la foi chrétienne[1].

Pour arriver à cette conclusion, les chrétiens prétendent se fonder uniquement sur les témoignages des apôtres. Selon cette idée, après la mort de Jésus, les disciples étaient dans un grand désarroi, ayant perdu tout espoir que Jésus puisse être le Messie. Il était mort de la manière la plus abjecte et n'avait pas les attributs du Messie annoncé par les prophètes. Aucun fidèle ne s'attendait à ce que Jésus meure, encore moins qu'il ressuscite des morts. Alors comment sont-ils soudainement passés du désespoir à la foi ?

Plutôt que de disparaître, le mouvement de Jésus commença à prendre de l'ampleur tandis que les apôtres proclamaient partout dans Jérusalem qu'ils avaient vu Jésus vivant, il était ressuscité, et que sa tombe était vide. Dans leur esprit, comment sinon expliquer ce qui s'est produit seulement trois jours après la mort de Jésus ? Mais comme nous l'avons expliqué à propos de la résurrection de Jésus, en faisant une telle déclaration, les apôtres et la famille de Jésus ont choqué les Juifs comme les Romains. Et malgré cela, ils étaient prêts à faire face aux railleries et à l'hostilité de leurs semblables et pire, à subir des persécutions et même être condamnés à mort en répandant un tel blasphème et en croyant en une religion interdite dans l'Empire. Peut-on penser un instant qu'ils aient propagé une histoire aussi invraisembable s'ils savaient qu'elle était fausse ? A moins qu'ils soient tous des fanatiques et des martyrs en puissance, ce qu'en théorie on ne peut pas exclure mais reste peu réaliste, c'est difficilement imaginable.

Rationnellement parlant, il n'y a pas trente-six manières d'expliquer ce qui aurait pu se passer. L'explication la plus ancienne qu'on retrouve chez Matthieu fut de dire qu'on a volé le corps de Jésus pour promouvoir délibérément l'idée qu'il était ressuscité, une rumeur qui se serait répandue dans la population juive (Matthieu 28:13-15).

Selon une deuxième explication, une personne inconnue et sans lien avec les disciples, généralement considérée comme un jardinier, aurait enlevé la dépouille de Jésus. Cette rumeur apparaît également dans certains textes juifs antichrétiens ultérieurs. La première source est citée par l'auteur latin chrétien Tertullien (160-220) à la fin du IIIe siècle. Dans "De Spectaculis" (Les Spectacles), il écrit que certains juifs prétendaient qu'un jardinier, contrarié que les foules visitant la tombe de Jésus piétinaient ses laitues, aurait réenterré le corps de Jésus ailleurs et n'aurait jamais révélé son emplacement ("De Spectaculis", 30, p276 ou XXX)[2]

Plus récemment, la "théorie de Swoon" popularisée par Hugh J. Schonfield dans son livre "The Passover Plot" (1965/2017) a proposé que Jésus n'était pas vraiment mort mais inconscient, soit drogué soit traumatisé par la crucifixion et qu'il est "ressuscité" dans la tombe. C'est une thèse ad hoc et peu crédible sachant que les Évangélistes ont bien précisé que les soldats romains ont constaté que Jésus était mort sur la croix.[3]

Selon certains biblistes dont John Crossan auteur du livre "The Historical Jesus" (1993, p354-394), Marc, notre premier Évangéliste, a inventé toute l'histoire de l'ensevelissement et de la tombe vide pour renforcer la foi en la résurrection de Jésus. Cet épisode n'aurait donc aucun fondement historique. Si on ne peut pas nier cette explication dans laquelle se reconnaîtront sans doute les agnostiques, pour d'autres cette thèse reste objectivement difficile à admettre. En effet, comment peut-on imaginer que les premiers disciples de Jésus aient raconté qu'il était mort sur la croix mais n'aient rien dit ensuite de ce qui est advenu de son corps ? Il n'est pas logique qu'un auteur rédige une histoire sans fin. La thèse de Crossan est donc peu réaliste.

Mais le point peut-être le plus important est que Paul, notre première source historique, connaissait la tradition relatant l'ensevelissement de Jésus dans une tombe. Marc y ajouta sa propre interprétation mais il confirme également l'ensevelissement de la dépouille de Jésus et même que les disciples ont trouvé son tombeau  vide le dimanche matin. En résumé, il s'agirait de faits attestés par deux auteurs a priori crédibles confirmant ce qui s'est réellement passé après la mort de Jésus. Quant au phénomène de la résurrection en soi, c'est une toute autre question.

Selon l'historien juif Geza Vermes (1924-2013), auteur du livre "The Resurrection. History and Myth" (2008, p141-148), aucune de ces diverses explications ne "résiste à un examen rigoureux" malgré notre besoin d'explications rationnelles et scientifiques. Comme beaucoup d'auteurs non dogmatiques, face à un manque criant de preuves, il conclut que la recherche historique a atteint une impasse étant donné la nature contradictoire et mythologique de la preuve, à savoir les textes du Nouveau Testament. Mais y a-t-il un moyen de surmonter cette impasse ?

Des Évangiles pseudépigraphiques

Pour étudier la question de l'authenticité de la réssurection, il faut se plonger dans les premiers textes chrétiens dont les sept Épîtres attestées de Paul (1 Thessaloniciens, Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, Philippiens et Philémon) rédigées au début des années 50 soit deux décennies après la mort de Jésus. Il est logique de leur donner la priorité, en particulier pour tenter de résoudre le mystère de ce qui s'est passé après la mort de Jésus. Non seulement ces lettres sont les preuves les plus anciennes connues à ce jour, mais elles nous apportent des témoignages directs d'un auteur qui écrit à la première personne et qui était en relations étroites avec Pierre, Jacques le Juste et les autres apôtres qui ont vécu avec Jésus. Certes, cela ne veut pas dire que ses lettres racontent la vérité mais au moins qu'elles sont authentiques. Quant à leur contenu, on peut recouper certains détails avec d'autres sources évoquant les mêmes personnages, les mêmes lieux ou les mêmes actes, ce qui rend finalement les propos de Paul très crédibles sur le plan factuel. Quant à sa doctrine, on le suit ou on ne le suit pas, c'est avant tout une question de convictions.

La résurrection du Christ peinte par Pierre Paul Rubens vers 1616. L'oeuvre de 183x155 cm est exposée au Palais Pitti de Florence.

Etant donné que les Évangiles ont été écrits au moins une génération plus tard que les Épîtres, à une époque ou Paul, Pierre et Jacques le Juste étaient déjà morts, et sachant que les Romains ont détruit l'église de Jérusalem après la destruction de la ville en l'an 70 (cf. la destruction du second Temple), ces auteurs devraient être considérés comme des sources ou des preuves secondaires. Or ils n'ont jamais eu ce statut et au contraire, la Grande Église a fondé son dogme sur les écrits de ces auteurs. Si la plupart des gens connaissent les noms de Matthieu, Marc, Luc et Jean, ils sont surpris d'apprendre que les quatre Évangiles furent rédigés par des auteurs anonymes, souvent écrits par la deuxième génération de chrétiens qui ne fut pas témoin oculaire et dont les récits sont basés sur un mélange complexe de traditions orales, de sources authentiques et d'avis personnels à vocation théologique (cf. la constitution du canon).

Les biblistes sont unanimes pour dire que les Évangiles sont des livres pseudépigraphiques quoiqu'en dise l'Église. En d'autres termes, le nom d'auteur assigné à chaque Évangile est sans rapport avec les oeuvres elles-mêmes. Comme nous l'avons expliqué, chaque Évangéliste avait ses propres raisons de raconter l'histoire de Jésus d'une manière particulière qui dépendait de ses convictions personnelles et de sa propre interprétation des faits. Bien que décrivant tous les quatre le ministère et la doctrine de Jésus, les quatre Évangiles présentent des différences, qui examinées en détail sont significatives, révélant un processus de "fabrication d'un mythe" qui s'est poursuivi non seulement pendant des décennies après la mort de Jésus mais durant plusieurs siècles puisque des théologiens chrétiens zélés y ont également apporté leur touche personnelle.

Nous avons expliqué à propos de la constitution du canon, que la finale longue de Marc est un ajout tardif. Cela signifie que pendant plusieurs décennies, alors qu'il n'y avait pas d'autres Évangiles en circulation que celui selon Marc, les premiers chrétiens racontaient l'histoire de Jésus sans les deux éléments qui plus tard s'avéreront fondamentaux pour la foi chrétienne, à savoir la naissance virginale de Jésus et son apparition à Marie-Madeleine le dimanche après Pâque.

L'Évangile selon Matthieu rédigé vers 70-80 représente un moment décisif dans l'histoire chrétienne. Matthieu rédige le premier récit de la naissance miraculeuse de Jésus (Matthieu 1:18-25) et imagine également une mise en scène spectaculaire de sa résurrection : "Et voici, il y eut un grand tremblement de terre; car un ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la pierre, et s'assit dessus. Son aspect était comme l'éclair, et son vêtement blanc comme la neige. Les gardes tremblèrent de peur, et devinrent comme morts" (Matthieu 28: 2-4).

Mais Marc dont l'Évangile est antérieur d'une vingtaine d'années (vers fin des années 60) n'a rien dit de tout cela. Dans son récit, il n'y a pas d'ange mais un jeune homme assis à l'intérieur de la tombe de Jésus et il n'y a pas d'intervention miraculeuse du ciel. Matthieu termine son histoire par une scène marquante où Jésus ressuscité rencontre les apôtres sur une montagne leur ordonnant de partir en mission pour prêcher la Bonne Nouvelle à toutes les nations et de les baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (Matthieu 28:18-20). Luc qui a écrit encore plus tard que Matthieu (probablement vers 70-85 pour l'Évangile et 85-90 pour les Actes) est l'auteur qui développa et enjoliva le plus l'histoire originale de Marc. Luc ajoute de multiples apparitions de Jésus à divers individus ainsi qu'à tous les apôtres et, comme Matthieu, il propose aussi sa propre interprétation de la naissance de Jésus.

Bien que leur récit soit assez différent du fait de ces embellissements, Matthieu et Luc nous offrent néanmoins une surprise inattendue, découverte par les exégètes il y a plus de 150 ans. En plus de Marc, les deux auteurs avaient à leur disposition une autre source documentaire que les chercheurs appellent la source "Q". Bien que nous n'en ayons aucune trace, c'était apparemment une première collection des paroles de Jésus (Logia), probablement rassemblées vers l'an 50 et dont Marc n'eut pas connaissance. Les seules traces que nous possédons de la source "Q" ont été reconstruites à partir de la "double tradition" commune à Matthieu et Luc.

Nous en reparlons ici car une des caractéristiques les plus importantes des Évangiles est que Jésus ne parle jamais de sa résurrection d'entre les morts, alors que dans le récit de Marc, qui est postérieur à la source "Q" Jésus dit plusieurs fois qu'il sera "ressuscité le troisième jour". Cela permet de placer nos sources dans l'ordre chronologique approprié et de reconstruire la manière dont la foi dans la résurrection de Jésus s'est développée dans les premières décennies du mouvement chrétien.

La plupart des chercheurs biblistes placent l'Évangile selon Jean en dernier lieu et c'est certainement aussi le plus théologiquement enjolivé, bien que l'auteur (ou plutôt la communauté johannique) semble parfois s'appuyer sur des sources antérieures aujourd'hui perdues. En ce qui concerne la tombe vide et la résurrection de Jésus, Jean ne semble pas se référer à d'autres sources antérieures et comme Luc, il décrit de multiples apparitions de Jésus à ses disciples à Jérusalem et en Galilée, contrastant fortement avec Marc, notre premier Évangile et a priori le moins altéré.

Réponses aux questions ouvertes

Tout ce démontage, ce tri et ce reclassement des livres du Nouveau Testament réalisé par les biblistes et les historiens peut sembler abitraire et soutenir une théorie préconçue, mais il y a certainement logique dans cette méthode apparemment un peu folle. Les historiens ont un défi a relevé qui est celui d'évaluation de la fiabilité des sources. Nous avons expliqué qu'il est plus facile de décrire des lieux ou des objets que des individus car il faut prouver que ces derniers ont existé, et dans le cas du Nouveau Testament il faut pouvoir identifier les différentes influences ainsi que les textes authentiques des faux.

Pour y parvenir, le chercheur doit utiliser des méthodes d'analyses objectives et standardisés et avancer prudemment ses arguments concernant tel ou tel élément de preuve. Dans le cas de la résurrection de Jésus, la meilleure méthode que nous aillons pour valider nos preuves consiste à confronter les indices essentiels de Paul, notre première source, à l'examen d'une série de questions connexes : Que savons-nous à propos de l'ensevelissement précipité de la dépouille de Jésus ?, Pourquoi la tombe de Jésus fut-elle été trouvée vide malgré les gardes ?, Qu'est-il arrivé au corps de Jésus ?, Comment les premiers disciples ont-ils interprété l'absence de son corps ? Comment ont-ils interprété la résurrection ?

Déroulement de l'inhumation du corps de Jésus

Jésus est mort en l'an 33 (ou en 30 selon la tradition), quelques heures avant la Pâque juive qui devait commencer le soir. Comme nous l'avons expliqué à propos du Golgotha, il était impératif que le corps de Jésus soit enseveli avant la nuit car la Loi juive et la coutume interdisaient de laisser les cadavres des criminels exécutés sans sépulture après le coucher du Soleil, et encore moins durant les fêtes religieuses (Deutéronome 21:22-23). L'auteur juif romanisé Flavius Josèphe mentionne explicitement cette pratique, affirmant "que les juifs s'acquittent de ce de voir avec un tel soin qu'ils enlèvent avant le coucher du soleil et ensevelissent même les corps des suppliciés, attachés au gibet" ("Guerre des Juifs", Livre IV, 317). La Mishna Sanhédrin évoque également cette tradition (6.4.).

La Descente de Croix peinte par Jean Jouvenet en 1697. Huile sur toile de 424x312 cm exposée au Musée du Louvre.

Cette inhumation ou enterrement précipité quelques heures avant la nuit nous fournit un premier indice sur la raison pour laquelle le tombeau de Jésus a été trouvé vide. En effet, Marc nous dit que Joseph d'Arimathie obtint de Ponce Pilate la permission de retirer le corps de Jésus de la croix et de prendre en charge son inhumation (Marc 15:42-46). Compte tenu de la Pâque imminente qui commença au coucher du Soleil, il n'y avait pas assez de temps pour pratiquer tous les rites juifs lié à l'enterrement qui impliquaient le lavement du corps et de l'oindre d'huile et d'épices. Les femmes de la famille de Jésus qui avaient prévu de réaliser ces taches ont dû les reporter après la Pâque et le deuxième sabbat (Marc 16:1). Il n'est pas mentionné que les femmes étaient en communication avec Joseph d'Arimathie pendant la fête de Pâque ou au moment où il plaça le corps de Jésus dans le tombeau provisoire. Quant aux disciples de Jésus, la plupart avaient fui par peur de subir le même sort que Jésus et se cachaient (Jean 20:19). A priori seules les femmes ont un peu suivi les évènements de loin afin de savoir où le corps de Jésus avait été déposé (Marc 15:47 et Luc 23:55). L'inhumation fut donc réalisée exclusivement par Joseph d'Arimathie tout en sachant, comme la coutume juive le prescrit, que les femmes devaient encore accomplir les rites traditionnels liés aux funérailles.

Marc raconte que Joseph d'Arimathie enveloppa Jésus dans un linceul de lin et le déposa dans une tombe taillée dans le roc, bloquant l'entrée avec une pierre ronde pour empêcher les animaux d'y pénétrer. Il y a des centaines de ces tombes creusées dans la région de Jérusalem y compris sur le mont des Oliviers, dont certaines ont été fouillées, ce que Marc nous décrit. Ils ont généralement une petite entrée carrée qui peut être bloqué avec une pierre taillée à sa mesure. Ces tombes sont de différentes tailles mais toutes sont destinées à des enterrements familiaux. Marc ne dit rien de l'endroit où cette tombe se trouvait ni comment ou pourquoi elle fut choisie. C'est l'Évangile selon Jean qui nous fournit un détail manquant essentiel : "Or, il y avait un jardin dans le lieu où Jésus avait été crucifié, et dans le jardin un sépulcre neuf, où personne encore n'avait été mis. Ce fut là qu'ils déposèrent Jésus, à cause de la Préparation des juifs, parce que le sépulcre était proche" (Jean 19:41-42).

On pense généralement que le tombeau dans lequel Joseph d'Arimathie plaça la dépouille de Jésus lui appartenait mais dans ce passage nous voyons que tel n'était pas le cas. Seul Matthieu dit que le tombeau appartenait à Joseph (Matthieu 27:60). Son commentaire est visiblement un ajout à l'histoire car comme nous l'avons expliqué, il est peu réaliste que Joseph ait acheté une tombe familiale à côté de l'endroit où on pratiquait les crucifixions. En ajoutant ce détail, Matthieu qui est juif veut surtout insister sur le fait que Jésus a accompli les prophéties dont celle d'Isaïe qui prédit que la figure messianique serait enterrée "avec le riche" (Isaïe 53:9).

Le cadavre de Jésus ayant probablement été gravement mutilé pendant la flagellation, le préparer pour une bonne inhumation allait nécessiter beaucoup de temps et d'efforts. En attendant la fin des sabbats, Joseph prit donc des mesures d'urgence temporaires.

Le corps de Jésus fut donc déposé dans ce tombeau, le temps que les sabbats soient passés. Il ne s'agissait pas de sa tombe définitive puisque l'inhumation complète et selon la tradition exigeait que la famille pratique les rites de préparation et de deuil pendant une période de sept jours (Marc 16: 1 et Jean 12:10). C'est pourquoi les femmes se sont présentées tôt le dimanche matin au tombeau, s'attendant à réaliser les rites convenus avec la coopération de Joseph, du moins on le suppose.

Faisons une hypothèse. Quand le premier ou le deuxième sabbat fut terminé, le vendredi soir ou le samedi soir, Joseph profita ou aurait pu profiter de l'occasion pour inhumer correctement le corps de Jésus. Joseph serait retourné à la tombe temporaire pour enlever le corps et l'inhumer dans le tombeau familial de la famille de Jésus. Ensuite, le lendemain ou le surlendemain matin selon le cas, les témoins ont découvert le tombeau vide. Examinons cette hypothèse.

Bien que les textes n'en disent rien, Joseph d'Arimathie étant un membre du Sanhédrin, riche, résidant à proximité du Temple. Les archéologues s'attendaient à découvrir quelque part dans la région de Jérusalem un tombeau familial, distinct de celui de Joseph d'Arimathie, dans lequel Jésus aurait été inhumé ainsi que ses parents, ses frères et ses soeurs. Il aurait même pu être vénéré. James Tabor et son équipe ont effectivement découvert la tombe de Talpiot qui rassemble plusieurs éléments significatifs, mais le doute subsiste quant à sa relation avec la famille de Jésus. On y reviendra.

A gauche et au centre, vues extérieure et intérieure d'une tombe juive taillée dans la roche découverte sur le mont des Oliviers à Bethphagé, aujourd'hui dans l'enceinte de Jérusalem. Non loin de là, l'église de Bethphagé fut érigée par les franciscaines à l'endroit où selon la tradition (Marc 11:1) Jésus demanda à deux disciples de lui trouver un ânon pour monter à Jérusalem. Documents Sonia Halliday. A droite, un autre exemple de tombe juive.

A l'époque où Marc rédige son texte, il sait que c'est très tôt le dimanche matin, au moment où le Soleil se levait, que Marie-Madeleine, Marie, mère de Jésus, et Salomé, probablement la soeur de Jésus, vinrent au tombeau avec l'intention de pratiquer les rites funéraires. Quand ils arrivèrent devant la tombe, la grande pierre fermant l'ouverture avait été enlevée et la tombe était vide, le corps avait disparu.

Si Joseph d'Arimathie a bien fait son travail, c'était précisément ce à quoi on pouvait s'attendre compte tenu des circonstances. Or ce fut une surprise totale pour les femmes. Pourtant, elles sont justement arrivées très tôt pour ne pas manquer Joseph. Mais il était absent ainsi que la dépouille de Jésus. Apparemment les femmes sont arrivées douze heures trop tard ! A moins que Joseph n'ait même pas attendu jusqu'au samedi soir, mais soit retourné à la tombe juste après la Pâque, au coucher du Soleil, lorsque le premier sabbat fut terminé. Ce scénario explique rationnellement tout l'épisode du tombeau vide sans faire intervenir aucun évènement surnatuel.

Seule inconnue mais qui bénéfice à notre hypothèse, aucun des Évangéliste ne précise l'emploi du temps de Joseph d'Arimathie dans les jours qui suivirent la mise au tombeau du corps de Jésus ni son éventuel compte-rendu à Marie ou aux apôtres après qu'il ait effectué son travail puisqi'il a bien fallut qu'il les prévienne. Ce fait est particulièrement étrange et significatif en soi sachant le rôle essentiel qu'il joua dans la mise au tombeau. Comme nous l'avons dit, sans autre trace de Joseph, on peut se poser la question de son existence réelle et considérer sérieusement qu'il serait un personnage fictif inventé par la Grande Église pour valider l'épisode du Golgotha.

Le récit de la résurrection selon Marc

Marc nous dit que lorsque les femmes ont regardé dans la tombe vide, elles ont vu un jeune homme assis à l'intérieur, qui leur dit : "Ne vous épouvantez pas; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié; il est ressuscité, il n'est point ici; voici le lieu où on l'avait mis. Mais allez dire à ses disciples et à Pierre qu'il vous précède en Galilée : c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit" (Marc 16:6-7).

Ce passage marque clairement la séparation entre l'histoire et la théologie. Que le tombeau soit vide correspond effectivement à ce que nous savons des circonstances de l'inhumation temporaire de Jésus par Joseph d'Arimathie. Mais le fait qu'il soit dit aux femmes que Jésus rencontrerait ses disciples en Galilée est clairement un théologoumène, une légende à vocation théologique. C'est une tentative de Marc pour relier le tombeau vide avec les apparitions ultérieures de Jésus. Mais c'est une connection assez précaire dans la mesure où Marc ne connaît pas les détails des apparitions de Jésus puisqu'il ne les décrit pas comme s'il les ignorait ou n'avaient jamais existé.

La résurrection Christ peinte par Giovanni Bellini. L'oeuvre réalisée entre 1475-1479 mesure 148x128 cm et est exposée à la Gemäldegalerie du Musée de Berlin.

Tout laisse croire que Marc nous dit la vérité ou en tout cas tout ce qu'il sait des évènements qui suivirent la mort de Jésus. Mais ce qu'il sait, il l'a obtenu... de Paul ! En effet, c'est Paul qui rapporte le premier que Jésus est ressuscité et apparut à Pierre et aux disciples. Comme par hasard, dans le récit de Marc, le jeune homme assis dans la tombe s'appelle également Pierre (1 Corinthiens 15:5).

Marc rapporte ensuite que les femmes ont fui le tombeau apeurées et qu'elles n'ont rien dit à personne (Marc 16:8). Les plus anciens manuscrits et les plus authentiques de Marc se terminent brutalement à cet épisode, au verset 8. La finale longue qu'on trouve aujourd'hui dans la plupart des traductions de la Bible furent ajoutées aux copies ultérieures de Marc par des théologiens de la Grande Église qui ne pouvaient pas imaginer une fin d'Évangile sans apparition du Christ.

A son tour, Marc inclut aussi une vieille tradition, non mentionnée spécifiquement par Paul, lorque pour la première fois Pierre et les disciples ont vu Jésus ressuscité en Galilée (et non pas à Jérusalem) la semaine suivant Pâque. Ce n'est pas un "détail" par rapport à Luc et Jean mais comme nous le verrons, c'est une contradiction flagrante avec leur récit.

Ceci dit, on peut à juste titre se demander pourquoi Marc décrit l'épisode de la tombe vide et du corps manquant de Jésus s'il acceptait l'explication de Paul à propos de la résurrection de Jésus selon laquelle il devint un être "spirituel" laissant derrière lui son corps charnel. Rappelons que Marc écrit son livre des décennies après la mort de Jésus, vers la fin des années 60 (probablement avant la mort de Néron en 68 et avant la destruction de Jérusalem en 70 car il ne fait pas allusion à ceux deux évènements). Il est le premier à présenter l'idée de la tombe vide.

Le récit de Marc est très spécifique dans le sens où il n'a pratiquement pas subit d'influences (même si certains peuvent y voir les traces d'un Proto-Marc mais clea reste une hypothèse). Marc centre son récit sur la Galilée, pas sur Jérusalem. Il n'a de toute évidence pas d'informations sur les apparitions de Jésus, l'incrédulité de Thomas, il ne sait pas que Jésus est resté dans son corps physique, marchant et mangent aux côtés des disciples de manière intermittente pendant 40 jours. Marc dit simplement que Jésus sera "vu" en Galilée mais il ne raconte pas l'évènement. On peut en déduire que Marc envisageait le retour de Jésus sur terre en tant que Messie dans les nuées venues du ciel pour reprendre l'expression biblique consacrée. En effet, si on se base sur le texte de Matthieu qui évoque l'apparition de Jésus en Galilée, les témoins l'ont vu comme une sorte d'apparition brumeuse sur la montagne mais dont "certains" disciples doutaient. On retrouve cette représentation dans les récits grecs de l'époque, notamment lorsqu'un "homme divin" disparaît de la terre et devient inconsistant lorsqu'il s'élève vers le ciel.

Si nous combinons les récits de Marc et de Paul, nous obtenons la tradition la plus ancienne et la plus fiable de la foi dans la résurrection de Jésus. Elle émergea en Galilée avec Pierre et les apôtres qui furent les premiers à affirmer avoir vu Jésus ressuscité.

Chronologiquement, Matthieu et Luc suivant Marc, ils suivent de près son récit évoquant les femmes qui trouvent la tombe de Jésus vide, bien que Matthieu ajoute des détails surnaturels comme expliqué précédemment. Matthieu et Luc contredisent catégoriquement la déclaration de Marc selon laquelle les femmes n'ont rien dit à personne, insistant au contraire sur le fait qu'elles coururent dire aux disciples ce qu'elles avaient vu et entendu (Matthieu 28:8 et Luc 24:9). Les trois Évangélistes semblent cependant d'accord pour dire que la découverte du tombeau vide par les femmes le dimanche matin ne les a pas inspiré à croire que Jésus était ressuscité d'entre les morts. Tous pensaient que quelqu'un avait enlevé le corps de Jésus. Il s'avère que cette hypothèse était finalement probablement correcte. Quant à savoir si le corps de Jésus fut déplacé, dissimulé ou volé, personne n'en sait rien car les textes éludent le sujet au profit de la résurrection.

Deuxième partie

Le récit de la résurrection selon Jean

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[1] Lire Craig A. Evans et N.T.Wright, "Jesus the Final Days. What Really Happened", Westminster/John Knox Press, 2009, dans lequel les auteurs tentent d'argumenter à défaut de démontrer sur des bases historiques que la conclusion selon laquelle Jésus est sorti vivant du tombeau est la seule explication rationnelle possible. Mais avouons qu'il est possible d'apporter des arguments tout aussi convaincant du contraire selon lesquels Jésus est bien mort et n'est pas ressuscité.

[2] L'évangile de Jean mentionne que la tombe de Jésus était dans un jardin et mentionne un jardinier anonyme (Jean 19:41 et 20:15), personnage qui serait à l'origine de ce récit apocryphe. Dans un autre texte pseudépigraphique de l'apôtre Barthélémy datant du VIIe siècle, le nom du jardinier est Philogènes. Lire s/dir J.K Elliott, "The Apocryphal New Testament", Oxford University Press, 1993, pp.669-670. Le texte juif médiéval du "Sefer Toledot Yeshu" (version en hébreu-latin) résolument antichrétien décrit également ce récit avec plus de détails. Lire aussi à ce sujet, "Jésus raconté par les Juifs", Collectif, Berg International éditeurs, 2004.

[3] Plus récemment Michael Baigent a publié une nouvelle version de la théorie de Swoon dans son livre "The Jesus Papers", Harper Element, 2006.


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