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L'univers de Stephen Hawking

Faut-il croire les spéculations de Hawking ? (VI)

L'oeuvre scientifique de Stephen Hawking est-elle synonyme de théories spéculatives ou est-elle accompagnée de prédictions et d'expériences visant à prouver la validité de ce qu'il avance ?

Dans son livre "La nature de l'espace et du temps" (1996, vf 1997) écrit avec Roger Penrose, Hawking dit clairement ce qu'il entend par théorie et prédiction : "J'adopte le point de vue positiviste selon lequel une théorie physique n'est qu'un modèle mathématique dont il est vain de se demander s'il correspond à la réalité. Tout ce qu'on peut exiger d'une théorie c'est que ses prédictions soient en accord avec l'observation. [...] La relativité générale est une théorie splendide, en accord avec toutes les observations réalisées à présent. Il se peut qu'elle doive être modifiée à l'échelle de Planck. Il se peut qu'elle ne soit qu'une approximation à basse énergie d'une théorie plus fondamentale, la théorie des cordes par exemple."

Comme nous l'avons expliqué, si on ne prend que sa dernière théorie sur les univers multiples publiée en 2018, le physicien Frank Wilczek du MIT, prix Nobel 2004, a bien résumé la situation : dans cette étude Hawking et Hertog "tentent d'isoler les différents types d'univers prédits par la théorie de "l'univers sans bord" pour expliquer le Big Bang. Cependant, Hawking s'appuie sur plusieurs théories spéculatives qu'il dérive de manière audacieuse pour tirer des conclusions vagues". Ceci dit, Hawking publia 295 articles dans des revues scientifiques et comme le font tous les chercheurs théoriciens, certains sont plus spéculatifs que d'autres.

De l'avis général, les scientifiques acceptent les théories parfois extravangantes de Stephen Hawking, même si certains nuances leurs propos du fait qu'il travaille beaucoup intuitivement et qu'il a, comme tout chercheur, fait certaines erreurs, qu'il est souvent parvenu à corriger soit dit en passant.

Ce qui est sûr, c'est que pendant plus de 50 ans l'auteur fut déterminé à démontrer la réalité de ses idées découvertes par le calcul. Et comme chacun le sait, "les équations savent beaucoup de choses sur le monde que nous" comme le fit remarquer Dirac à un étudiant qui lui demandait pourquoi il regardait ainsi une formule inscrite sur le tableau noir.

Cet état de fait touche tous les domaines des mathématiques. Deux lignes parallèles ou la célèbre suite de Fibonaci par exemple, {1, 2, 3, 5, 8, …}, sont des constructions de l'esprit qui disposent de leurs propres lois internes et de leurs propres régularités. L'homme ne les a pas inventées, nous les avons seulement découvertes en étudiant leurs propriétés géométriques.

En 1964, Paul Langevin tenait le même discours à propos de la relativité : "Le calcul tensoriel sait mieux la physique que le physicien lui-même". C'est assez surprenant et même perturbant quand on s'interroge sur le sens de la réalité. Mais il est également encourageant qu'il existe une réalité objective.

C'est à ce point vrai qu'en relativité, Einstein a posé certaines équations, mais personne n'a pu les résoudre ou les appliquer durant des décennies fautes de comprendre leur signification ! Et il existe des centaines d'exemples similaires. Les physiciens relativistes par exemple ont plus facile de considérer l'espace comme isotrope et homogène, appliquant la métrique FRW pour comprendre son évolution générale. Idem dans les théories de supercordes qui évoluent dans pas moins de 10 ou 11 dimensions.

Mais combien de théories n'ont pas été inventées et considérées longtemps comme de simples "curiosités" mathématiques : les trous noirs de Laplace, la géométrie de Riemann, les groupes de Lie, la galerie des monstres de Lorenz (les fractals), les trous de vers d'Einstein-Rosen, les supercordes, etc.

Si nous remontons l'Histoire des Sciences, on découvre que personne n'entrevoyait d'application à ces concepts purement mathématiques, jusqu'au jour ou quelqu'un eut le génie de leur trouver une correspondance dans le monde réel.

A gauche, Hawking avant la conférence sur "L'Avenir de la Physique Théorique et la Cosmologie" qui s'est tenue du 7 au 10 octobre 2002. Au centre, Hawking durant la 17e conférence sur la "Relativité Générale et la Gravitation" qui s'est tenue à Dublin en 2004 : "Seul un trou noir semble se former mais par la suite il s'ouvre et libère des informations sur ce qu'il a attiré. Nous pouvons donc être certain du passé et prévoir l'avenir". A droite, Hawking au cours de sa conférence sur "Les Origines de l'Univers" présentée à Berlin en 2005. Documents CERN Courier et Johannes Eisele/Agence France-Presse

C'est en ce sens que les mathématiques sont magiques, parfois simples, souvent complexes, car elles cachent quelquefois un sens profond en relation avec un phénomène naturel que seul un génie peut mettre en évidence. Depuis plus de 2500 ans, elles représentent certains signes de dame Nature que nous apprenons lentement à interpréter. Mais n'oublions jamais comme Platon l'a sous-entendu dans Timée, que nos théories sont des modèles, des hypothèses raisonnables, et en tout cas des a priori qu'il ne faut pas dogmatiser.Autrement dit, une théorie peut résister 30 ans voire des siècles, puis s'avérer incomplète dans certaines situations ou pire, inexacte. Et cela a déjà été le cas de certaines conjectures ou théories de Stephen Hawking, y compris tout récemment. En effet, le 15 juillet 2004, le physicien Curt Cutler de l'Institut Albert Einstein de Golm en Allemagne et responsable scientifique du comité organisateur de la 17e Conférence sur la Relativité Générale et la Gravitation qui allait se tenir à Dublin, reçoit une note signée Hawking disant : "J'ai résolu le problème du paradoxe de l'information des trous noirs et je voudrais en parler". Cette simple remarque suffit pour l'inscrire au programme en dernière minute."Je n'ai pas lu le preprint du document, avoua Cutler. Pour être honnête, je me suis basé sur la réputation d'Hawking".

Le 21 juillet 2004, Hawking annonça qu'il venait de perdre le pari qu'il avait fait avec Kip Thorne contre John Preskill, qui tenait depuis 30 ans et présenté ci-dessous. Arguments à l'appui, il expliqua qu'il s'était trompé, et qu'en fin de compte les trous noirs libéreraient une partie de l'information qu'ils avaient retenue au terme d'une période incommensurablement longue. Son passé comme son avenir étaient donc totalement prédictibles.

Comme le dira Preskill, "étant donné que Stephen a changé son point de vue et croit à présent que les trous noirs ne détruisent pas l'information, je m'attends à ce qu'ils exécutent leur pari". Le duo devait en effet offrir à Preskill l'encyclopédie de son choix "dans laquelle l'information pourrait être extraite à volonté" fit remarquer son collègue Gary Gibbons, un expert de la physique des trous noirs.

Comme quoi Hawking aussi peut avoir des "fatal flaw" (défaut fatals) dans ses théories comme il le dit parfois à propos des théories soi-disant insensées de ses concurrents ! Tout est relatif...

Voici la transcription de la conférence de presse de Hawking, ainsi que les réactions des lecteurs américains sur le forum sci.physics.research.

Finalement, en 2015 au cours d'un séminaire sur la radiation Hawking qui s'est tenu à l'Institut Royal de Technologie de Stockholm (KTH) Hawking décrivit la manière dont un trou noir stocke son information (sur l'horizon des évènements) mais ne publia rien de formel, annonçant seulement qu'un article était en préparation.

Cet article coécrit avec ses collègues J.Perry et A.Strominger fut publié sur le serveur ArXiv en juin 2016 avant même d'être arbitré par ses pairs (les referees) ce que le monde scientifique lui a une nouvelle fois reproché. Dans cet article intitulé "Soft Hair on Black Holes" les auteurs appliquent le concept de supertranslation (une symétrie conservant la quantité de mouvement) à la géométrie de l'horizon des trous noirs. Pour ne pas surcharger cet article nous expliquerons en détail l'idée proposée par Hawking dans l'article sur le trou noir et le principe holographique.

A voir : Hawking Radiation conference, KTH, 15 août 2015

Conférence de Stephen Hawking au KTH le 25 août 2015.

Ceci dit, malgré ses publications et ses thèses, Hawking est l'un des rares physiciens devenu célèbre qui n'a pas gagné sa réputation suite au prix Nobel. Comme nous le savons, l'Académie Royale des Sciences suédoise exige qu'une découverte soit soutenue par une expérience ou une observation vérifiable pour discerner éventuellement le prix Nobel à son auteur.

D'où le bémol que certains chercheurs ajoutent à la réponse précédente. Car malheureusement pour lui, l'oeuvre de Hawking est, jusqu'à aujourd'hui, hautement spéculative et n'a toujours pas été vérifiée in situ. Hawking prétend que sa dernière théorie sur l'information est vérifiable. Mais les astrophysiciens commencent à peine à discerner les traces d'existence des trous noirs à travers leurs effets indirects (anneau d'accrétion, jets relativistes, rayonnement X, perturbations stellaires,...), laissant de côté les théories les plus radicales pour l'instant (ondes gravitationnelles, cordes, mini-trou noir, radiation Hawking, etc). Les futurs télescopes et radiotélescopes spatiaux interférométriques devraient nous permettrent d'y voir plus clair. A défaut de confirmation, un jour ou l'autre il faudra bien que l'on se décide à prendre au sérieux ou à abandonner ses théories. Seul l'avenir sera juge.

Cela dit, Hawking est l'un des rares théoriciens à s'être attaqué à des questions aussi difficiles que celle du Big Bang ou des singlarités. Sa manière d'imaginer de telles évènements est purement extraordinaire et nous devons reconnaître la fécondité de ses idées.

Critiqué plutôt que d'être criticable, dans le doute, il serait illogique, inopportun et immoral de boycotter un excellent chercheur comme la communauté scientifique l'a déjà fait par le passé avec des scientifiques dont les idées leurs paraissaient trop... originales (Halton Arp, Thomas Van Flandern, etc).

A lire : Les prédictions de Stephen Hawking, Pour la Science, 2012

Même s'il s'avère que certaines conjectures d'Hawking sont erronées, ses recherches et ses théories surprenantes auront profondément marqué la pensée scientifique durant des décennies; les théories avant-gardistes de Hawking ont influencé la cosmologie et il n'existe actuellement aucun autre chercheur de son talent capable de visualiser l'univers d'une manière aussi aisée. Pour certains de ses détracteurs cela en devient agaçant...

Mais qu'ils se rassurent, Hawking est encore un homme et l'erreur est humaine, il nous l'a démontré à plusieurs reprises malgré tout, ce qui n'enlève rien à son mérite, que du contraire. Car il ne cherche pas à "protéger" ses théories comme beaucoup de chercheurs, bien que quelquefois il appuye les siennes au détriment des théories de ses collègues. Mais c'est une saine émulation comme il y en a dans tous les groupes de recherches en concurrence.

Les théories cosmologiques alternatives sont légions mais supportées par une minorité de chercheurs (ce qui ne prouve pas leur inexactitudes pour autant) et aucune n'explique aussi simplement l'Univers que la théorie du Big Bang associée à la théorie inflationnaire et la toute jeune gravité quantique pour les premiers instants de son évolution.

COSMOS : l'outil informatique

Comment Hawking travaillait-il ? On a tendance à sous-estimer les moyens mis à disposition des cosmologistes et de la plupart des chercheurs concernés par le sujet pour explorer l'Univers sur un plan théorique. Naïvement on pense que Hawking travaillait sur un tableau noir, quoiqu'il le faisait occasionnellement comme en témoigne l'image présentée ci-dessous à droite, et faisait de temps en temps un pari quand il était presque sûr de gagner. C'est assez loin de la réalité de notre 3e millénaire.

Depuis qu'il est entré au DAMTP en 1973, et déjà antérieurement à l'Institut d'Astronomie, Hawking a principalement travaillé sur ordinateur, d'abord sur des terminaux reliés à des mainframes puis des micro-ordinateurs beaucoup plus versatiles et intelligents. En effet, l'image du savant en cape et chapeau pointu observant le ciel à la lunette est révolu depuis quelques siècles déjà, et comme nous l'avons dit ailleurs à propos de nos outils pour sonder l'univers, la plupart des astronomes observent le ciel par ordinateur interposé, interrogeant des bases de données, manipulant des enregistrements (images ou sons) digitaux et effectuant des simulations des processus thermodynamiques.

A l'ère de l'informatique et des superordinateurs vectoriels, le département DAMTP abrite depuis 1997 le superordinateur national de cosmologie COSMOS présenté ci-dessous. Il s'agit d'un superordinateur Silicon Graphics qui fut upgradé à plusieurs reprises.

Depuis 2005, COSMOS dispose de moyens graphiques OpenGL 3D (COSMOSGRID) afin de simuler certains ensembles de données (galaxies, phénomènes quantiques, etc).

En 2012, le COSMOS Mark IX atteingnit une vitesse de calcul de 38.6 teraFLOPS, soit 50 fois plus rapide qu'en 2004. Bien que rapide en soi, ce système ne compte plus parmi les 500 superordinateurs les plus rapides du monde. A titre de comparaison, le superordinateur Curie du CEA ouvert aux chercheurs européens depuis 2012 atteint 2 petaFLOPS (cf. le TOP500).

A gauche, Hawking en compagnie des responsables gérant le superordinateur COSMOS Mark VI du DAMTP qui présentait en 2004 une vitesse de calcul de 790 GFLOPS, aujourd'hui largement dépassée. A droite, Hawking échangeant des idées avec un étudiant. A l'ère de l'informatique le tableau noir a encore de l'utilité.

Réservé aux institutions anglaises membres du Consortium de Cosmologie Informatisé (Computational Cosmology Consortium ou UK-CCC), COSMOS doit permettre aux théoriciens de modéliser l'histoire de l'univers depuis les premières fractions de secondes après le Big Bang jusqu'à aujourd'hui.

Selon Hawking qui fut responsable de l'UK-CCC, "L'ordinateur COSMOS [permet] de calculer ce que nos théories sur l'univers primordial prédisent et de les tester par rapport aux nouveaux résultats observationnels qui sont à présent encodés".

La Faculté de Mathématiques de l'Université de Cambridge, maintient également un groupe de recherche spécialisé dans la relativité générale et la gravitation (GRG) où Hawking pouvait réfléchir sur les conséquences de la théorie de la relativité, sur la gravité quantique, les trous noirs et autres entités "occultes". Aujourd'hui les chercheurs du GRG s'intéressent de près à la supergravité, aux défauts topologiques ainsi qu'aux autres théories cosmologiques exotiques qui pourraient éventuellement déboucher vers une théorie unifiée.

En parallèle, n'oublions pas que les physiciens du monde entier ont accès aux accélérateurs de particules du CERN et du Fermilab pour étudier les propriétés de l'atome et des conditions d'énergie qui régnaient peu de temps après le Big Bang, quelques instants après les GUT.

Il faut également y ajouter les observatoires astronomiques, tant optiques (VLT, Keck, Subaru, etc), radioastronomiques (ALMA, Mullard Obs., Karl Jansky, etc) que spatiaux (HST, Chandra, Spitzer, etc) qui nous permettent d'étudier concrètement les objets de l'univers dans différents rayonnements afin d'avoir une vision complète de leur activité.

Avec tous ces moyens hautement sophistiqués à sa disposition, tant pratiques que théoriques, il ne fait aucun doute que Hawking disposait d'un éventail de résultats couvrant l'essentiel des recherches en ce domaine. En compilant ces différentes sources d'informations et en essayant d'en retirer la substance commune, il a pu s'interroger sur l'Univers et l'explorer jusque dans ses derniers retranchements, une fraction de seconde après le Big Bang (10-43 s), à un bit près de la Création.

Plus tôt, l'Univers demeure encore inaccessible car l'essentiel du problème réside aujourd'hui en deçà de l'échelle de Planck, en deçà de 10-43 s et 10-33 cm, à des niveaux d'énergie supérieurs à 1019 GeV où l'on pense que les quatre interactions fondamentales sont unifiées dans la théorie de Tout. Ce niveau d'énergie est trop élevé pour nos modestes installations et nous est actuellement inaccessible. Hawking espérait avoir un jour le mot de la fin ou plutôt du début de l'univers en la matière. Malheureusement, il ne connaîtra pas la réponse et probablement personne avant quelques générations voire quelques siècles sinon davantage. La réponse existe certainement, le Tout est d'unifier les mots (bytes) éparpillés dans l'Univers pour écrire cette équation du monde tant attendue, un voeu bien pieux.

Prochain chapitre

L'oeuvre littéraire de Stephen Hawking

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