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Jupiter, le Maître des dieux

Europe : lisse et glacée (V)

Situé à une distance de 670900 km de Jupiter, la taille d'Europe est approximativement égale à celle de la Lune, avec un diamètre de 3138 km, soit le quart de celui de la Terre. Sa température avoisine -145°C et est trop froide en surface pour abriter une forme de vie.

D'une densité moyenne de 3.0, Europe est constituée de glace d'eau et de matière plus dense. Son noyau serait composé de fer et de nickel, entouré d'un manteau rocheux de silicate. Cette couche de roche serait recouverte d'une couche d'eau sous forme glacée ou liquide de 50 à 100 km d'épaisseur que recouvre une écorce lisse et glacée épaisse de 5 à 10 km. Par endroit, la surface glacée aurait 45 km d'épaisseur.

La surface d'Europe est la plus curieuse des satellites de Jupiter. Différente de celle de Callisto, Ganymède et Io, elle est non seulement totalement glacée mais elle est striée de fines fractures qui s'étendent sur plusieurs centaines de kilomètres, d’une largeur comprise entre 15 et 40 km mais dont la profondeur n'excède pas 100 mètres.

A gauche et au centre, Europe en couleurs naturelles. L'image du centre est une mosaïque réalisée en 1996 au cours de l'orbite G1 (celui survolant Ganymède). Les couleurs proviennent d'autres données. Cette lune atypique se caractérise par une couche de glace parcourue de longues fractures et de crêtes enchevêtrées. A droite, une image composite en couleurs accentuées prise par la sonde Galileo en 1996/1997. Elle couvre une région de 250x200 km avec une résolution de 180m/pixel. On distingue des dômes, des crêtes, quelques cratelets de 500 m de diamètre ainsi que trois types de terrains : des éjecta clairs issus du cratère Pwyll situé plus au sud, des zones rouges qui ne sont pas constituées de glace et des zones vertes de vieille glace. Ces détails morphologiques rappellent les zones de failles dans les bassins océaniques terrestres et un processus cryovolcanique ou en relation avec des éruptions de glace et de gaz. Documents NASA/JPL et NASA/Photojournal.

Europe ne présente pratiquement pas de cratères d'impacts ni aucune formation verticale, mis à part 3 cirques d'environ 20 km de diamètre. Si cela est surprenant, l'explication se trouve dans les effets liés aux marées gravitationnelles. En effet, Europe gravite sur orbite elliptique autour de Jupiter qu'elle boucle en 3 jours et subit non seulement l'influence inégale de Jupiter mais également celle des satellites proches (Ganymède et Io notamment) entraînant un réchauffement mécanique de la glace comme une balle souple s'échauffe quand on la malaxe. Cet effet provoque la fusion régulière de la glace, noyant et nivelant tous les accidents présents à sa surface.

Plus étonnant, l'analyse de la surface d'Europe et sa comparaison avec la banquise terrestre (zone de mer gelée sur 1 à 2 m d'épaisseur) et les régions polaires suggèrent que sous sa croûte glacée il pourrait exister un océan.

La surface glacée d'Europe est vraiment très originale et mystérieuse. A gauche, on distingue des cuvettes sombres (lenticulae) d'environ 10 km de longueur et des pics isolés. Leurs formes et leurs dispositions suggèrent une activité cryovolcanique. Au centre, la région de Conamara (9°N 274°O) située à 1000 km au nord du cratère Pwyll. On distinge des dépôts colorés bruns et des éjecta plus clairs. L'agrandissement couvre une surface de 70x30 km avec une résolution de 54 m/pixel. L'aspect de cette surface fait penser au morcellement de plaques glacées reposant sur une surface liquide ou visqueuse. Il s'agit d'images composites en couleurs accentuées réalisées à partir de photographies en basse et haute résolutions prises par la sonde Galileo en 1996 et 1998. A droite, une image en très haute résolution (9 m/pixel) des falaises de Conamara (culminant à env.100 m d'altitude). Ces falaises ont les mêmes dimensions que le célèbre Mont Rushmore aux Etats-Unis. L'image couvre 1.5x4 km et a été prise le 16 décembre 1997 à 900 km d'alitude par la sonde Galileo. D'autres images très détaillées de la surface chaotique d'Europe sont disponibles sur le site de la NASA/Photojournal.

Des geysers de vapeur d'eau et peut-être un océan

En 2012, une équipe de chercheurs dirigée par Lorenz Roth du SwRI a détecté sur les images prises par le Télescope Spatial Hubble des détails suspects montrant que la région du pôle Sud d'Europe semblait éjecter des plumes de vapeur d'eau à -40°C jusqu'à 160 km dans l'espace qui retombaient ensuite sur la surface (contrairement aux geysers d'Encélade qui s'évadent dans l'espace).

Cette annonce fut renforcée en septembre 2016 lorsque la NASA annonça que le Télescope Spatial Hubble avait vraisemblablement photographié des plumes d'eau similaires sur le limbe sud d'Europe, appuyant l'idée que cette lune glacée produit des geysers. Si elle est confirmée, cette découverte indiquerait qu'il existe soit une étendue liquide sous la surface soit une activité cryovolcanique sur ce satellite bien singulier.

Mais comment de l'eau peut-elle restée liquide par -40°C ? On pense que les frictions provoquées par les effets des marées empêchent l'eau de se solidifier. On estime ce volume d'eau équivalent à deux fois celui des océans terrestres.

Dans plusieurs milliards d'années, on pense que le Soleil devenu une géante rouge serait en mesure de réchauffer les planètes géantes et leurs satellites, provoquant la fonte de l'eau glacée actuellement prisonnière du froid d'Europe en donnant naissance à un véritable monde océanique sur ce lointain satellite.

Selon une étude publiée dans les "Geophysical Research Letters" en 2020, sur base des données enregistrées par la sonde spatiale Galileo, des chercheurs de la NASA ont développé un modèle pour expliquer comment la combinaison du gel et de la pressurisation pourrait conduire à une éruption cryovolcanique ou à une explosion d'eau glaciale. Selon les chercheurs, l'eau observée dans les plumes de vapeur ne proviendrait pas des profondeurs océaniques d'Europe mais de poches de saumure situées à faible profondeur dans la croûte glacée. La seule analyse des jets ne permettrait donc pas de les détecter.

Selon les analyses des mesures spectrométriques réalisées dans le proche infrarouge (NIMS) par la sonde Galileo en 1998, les zones et les lignes de fractures sombres sont constituées de glace et "de quelque chose d'autre" comme le dit le planétologue Thomas McCord de l'Institut d'Hawaï.

A gauche, les plumes de vapeur d'eau s'élevant à 160 km au-dessus de la région polaire sud d'Europe photographiées en 2016 par la Télescope Spatial Hubble. Au centre, Europe cache peut-être sous sa croûte épaisse de 5 à 10 km un océan d'eau glacée profond d'au moins 50 km. L'aspect de sa surface résulte peut-être d'une expansion globale de la croûte qui permet à l'eau de remplir les crevasses avant de se figer. A droite, cette image prise par Galileo montre au centre un cratère de 29 km de diamètre rempli d'eau glacée. Documents NASA/ESA/STScI/SwRI, NASA/Calvin J.Hamilton et NASA/JPL.

Le but des futures recherches consiste justement à savoir quelle est la composition de cette autre substance. Dès 1998, dans la revue "Science" (vol.280, p1242-1245), McCord et son équipe ont suggéré que les taches sombres sombres étaient probablement constituées de dépôts de matière minérale salée telles que des sulfates et des carbonates. Ils pensent que ces minéraux se sont formés à une époque où l'eau de l'océan d'Europe produisait des éruptions en surface, l'eau s'évaporant ensuite, laissant derrière elle des dépôts de sels.

Europe ne manque pas de sel

En avril 2013, en utilisant le télescope Keck II, Mike Brown et P.Hand de Caltech ont montré que des sels remontaient à la surface d'Europe probablement à travers des fractures, peut-être les mêmes que celles qui produisent les geysers. Mais à l'époque, les spectres pris en infrarouge ne correspondaient pas à la signature du chlorure du sodium (NaCl) mais plutôt à celle du sulfate de magnésium, MgSO4, le fameux sel d'Epsom.

Puis en 2015, des chercheurs de la NASA ont soumis en laboratoire du chlorure de sodium aux conditions d'irradiation semblables à celles d'Europe. Ils ont découvert que des électrons piégés dans les cristaux de sel ont modifié leur couleur, les faisant passer d'une teinte blanche à une teinte jaune ressemblant fortement à celle que l'on observe sur la surface d'Europe comme on le voit sur les photos présentées ci-dessous à gauche.

Pour confirmer la nature de ces dépôts, les chercheurs ont cette fois analysé les images prises en optique par le Télescope Spatial Hubble et ont pu identifier une absorption à 450 nm correspondant à celle du chlorure de sodium. Selon Samantha Trumbo du Caltech : "le fond océanique d’Europe pourrait être actif sur le plan hydrothermal. Ce chlorure de sodium pourrait aussi bien provenir d'une stratification de la couche de glace que de l'océan sous-marin d'Europe. Si ce sel provient bien de l'océan d'Europe, ce dernier pourrait être plus semblable à celui que nous trouvons sur Terre que nous ne le pensions. La présence de chlorure de sodium pourrait aussi indiquer que le fond océanique d'Europe est actif sur le plan hydrothermal. Dans ce cas, Europe deviendrait plus intéressant sur le plan géologique qu'on ne le pensait auparavant."

A gauche, Europe en couleurs naturelles (gauche, canaux violet, rouge et IR) et en couleurs accentuées (droite) pour faire ressortir les subtiles différences de couleur de la surface. La partie blanche et bleuâtre est composée principalement de glace d’eau, avec très peu d'autres matériaux. En revanche, les régions marbrées brunâtres du côté droit de l'image semblent recouvertes de sels hydratés et d'une composante rouge inconnue. Le terrain marbré jaunâtre sur le côté gauche de l'image contient un autre composant inconnu qui pourrait être du chlorure de sodium, le sel de table. Le Nord est en haut de l'image et la résolution est de 25 km/pixel. Les photos furent prises en juin 1997 par l'imageur SSI (Solid State Imaging) de la sonde spatiale Galileo de la NASA au cours de la neuvième orbite autour de Jupiter. A droite, illustration de l'océan qui semble exister sous la surface glacée d'Europe. Documents HubbleSite et NASA/JPL/Ted Stryk.

Une chose est donc désormais acquise, la surface glacée d'Europe n'est pas impénétrable et laisser filtrer une certaine activité intérieure.

Avec autant d'éléments probants, les chercheurs espèrent beaucoup d'une nouvelle mission d'exploration d'Europe. Tous les exobiologistes aimeraient déterminer la composition chimique des traces sombres, prouver l'existence de l'éventuel océan caché sous sa surface et évaluer la probabilité que la vie ait pu s'y développer.

Des traces d'oxygène

Europe est la seule lune du système solaire disposant d'une atmosphère extrêmement tenue d’oxygène moléculaire[3], celle de Ganymède n'étant pas confirmée. Seules Mars et Vénus sont les deux autres planètes en dehors de la Terre où nous avons trouvé des traces de molécules d'oxygène dans l’atmosphère.

Découverte en 1995 grâce au Télescope Spatial Hubble, l’atmosphère d’oxygène d'Europe est si ténue que sa pression n'atteint que le cent milliardième de celle de la Terre. Selon Doyle Hall de l’Institut Johns Hopkins, si tout l'oxygène présent sur Europe était comprimé jusqu’à la pression d’un bar (pression terrestre au niveau de la mer), il n'occuperait qu’une douzaine de stades de football.

La découverte fut confirmé en 1997 par la sonde Galileo à la faveur de plusieurs occulations de la sonde spatiale par Europe. Les signaux radios reçus par le réseau du DSN ont en effet été réfractés par une couche de particules chargées, ce qui permettait d'inférer la présence d'une ionosphère. Sa densité représente moins de 10000 électrons/cm3, beaucoup plus faible que celle de Jupiter (20000-250000 électrons/cm3). Cette ionosphère suggéra fortement l'existence d'une atmosphère, confirmant ainsi les observations faites avec le Télescope Spatial Hubble.

Cet oxygène est produit par une activité non biologique. La surface glacée d’Europe est exposée à la lumière du Soleil et est percutée en permanence par de la poussière et des particules chargées piégées par l'intense champ magnétique de Jupiter. C’est la combinaison de ces différents effets qui force l’eau glacée de la surface à produire de la vapeur d’eau en même temps que des molécules d’eau volatiles. Lorsque le dégazage se produit, il déclenche une série de réactions chimiques qui finissent par dissocier l'eau en hydrogène et oxygène moléculaire. Vu son faible poids atomique et la faible gravité à la surface d'Europe (0.135 g), l’hydrogène s’évade dans l’espace mais l’oxygène, seize fois plus lourd, s'accumule dans l’atmosphère et pourrait même s’étendre jusqu’à 200 km au-dessus de la surface. Ce gaz se dissipe graduellement dans l'espace et doit être continuellement remplacé.

Enfin, Europe présente une activité magnétique, présentant un potentiel de 500000 volts plus élevé que le milieu environnant. Mais plus préjudiciable pour les éventuelles molécules prébiotiques, la surface d'Europe est périodiquement exposée au flux d'électrons émanant des ceintures de radiations entourant Jupiter qui les détruisent. On y revienda dans l'article "Vivre dans la glace".

Les missions Europa Clipper et autre Icepick

Sur base des connaissances que nous ont apportées les sondes spatiales Voyager 1, 2 et Galileo, en 2003 l'Académie Nationale des Sciences américaine proposa de lancer une nouvelle mission spatiale vers Europe. Les responsables du projet "Decadal Survey" du National Research Council jugent le projet de la plus haute priorité scientifique.

A gauche, deux modèles de la constitution interne d'Europe : océan liquide ou glace, seule une mission in situ pourra le déterminer. Au centre, la sonde Hydrobot-Cryobot (projet Icepick) est prévue pour percer la croûte de glace d'Europe et envoyer un signal radio si elle détecte de l'eau. A droite, le concept Europa Clipper, plus modeste mais qui pourrait voir le jour vers 2025. En orbite autour de Jupiter, la sonde survolerait Europe à une distance variant entre 2700 km et 25 km. Documents NASA/JPL/Photojournal adaptés par l'auteur et JPL.

Mais à l'heure actuelle aucune mission n'est encore planifiée car leur prix est exorbitant. En 2002, la Planetary Society avait contacté les membres du Congrès américain afin qu'ils supportent une mission vers Europe et Pluton. A l'époque, seule la mission vers Pluton fut retenue.

En 2005, la Planetary Sociery lança une compagne internationale baptisée "Explore Europa", espérant convaincre toutes les agences spatiales de s'unir dans un effort commun pour envoyer une sonde spatiale explorer ce monde très mystérieux. En vain ou presque car cela s'est limité à une expédition vers les sources d'eau souffrée de l'île Ellesmere en Arctique.

Mais l'idée de la Planetary Society n'est pas restée sans suite. Vers 2010, plusieurs projets furent proposés par le JPL : une mission orbitale (Orbiter), une mission d'analyse océanique (Ocean Explorer), un atterrissage (Lander), une mission de plongée sous-marine (Icepick) et une mission "explosive" (Ice Clipper). Mais tous ces projets très ambitieux exigent un budget tout aussi conséquent estimé à 4.7 milliards de dollars, soit 10 fois le budget d'une mission vers Mars.

En 2011, le National Research Council, un institut privé d'expertise scientifique, avait estimé que ce budget était trop élevé. L'équipe de chercheurs dirigée par Robert Pappalardo de la Space Division du JPL imagina donc une nouvelle mission plus économique, Europa Clipper, qui fut retenue.

La NASA enverrait une sonde orbitale vers Jupiter et non pas vers Europe mais dont le plan de vol comprendrait 45 survols d'Europe afin d'étudier sa surface, trouver un éventuel futur site d'atterrissage, étudier la chimie de son atmosphère et indirectement la chimie de l'océan sous-glacière. Selon son orbite, la sonde survolerait Europe à une distance comprise entre 2700 km et 25 km. Une telle mission reviendrait à moins de 2 milliards de dollars tout compris (durant toute la durée de vie de la sonde).

Selon Pappalardo, une telle mission pourrait être lancée au milieu des années 2020. Si on utilise une fusée de classe Atlas V, le voyage durerait 6 ans. Mais si on utilise le nouveau lanceur SLS de la NASA, on pourrait parcourir la même distance en 2.7 ans.

L'avenir reste passionnant. Rendez-vous bientôt au JPL !

Ganymède : un visage aux multiples facettes

C'est le plus volumineux des satellites du système solaire, avec un diamètre de 5262 km. Il brille à la magnitude 4.6 bien qu'il ne réfléchisse que 42% de la lumière solaire. Ganymède gravite à une distance moyenne de 1070000 km de Jupiter. Sa température superficielle est de -200°C. Avec une densité moyenne égale à 1.94 on peut déjà prédire que son noyau occupe près de la moitié de son diamètre. Il est principalement constitué d'une croûte glacée de 100 km d’épaisseur, en-dessous de laquelle se trouve un manteau de glace accusant des mouvements convectifs qui entoure un noyau de silicate.

Ganymède est couvert de plaines et de cratères traversés de sillons. La grande zone sombre à gauche est Galileo Regio et mesure environ 3200 km de diamètre. Les petits points brillants sont des cratères d'impacts relativement récents. A droite un agrandissement de la région de Galileo dans laquelle on distingue des cratères d'impacts à différents degrés de dégradation. Sur l'agrandissement (cliquer sur les images) on constate que les plus grands cratères sont presque enfouis dans la croûte glacée. Documents NASA/JPL.

Ganymède n'a pas vraiment d'atmosphère mais le Télescope Spatial Hubble a découvert de l'ozone à sa surface et des observations récentes faites depuis la Terre ont détecté de l'oxygène dans son atmosphère (cf. J.Saur et al., 2015 et K. de Kleer er al., 2023) à l'origine d'aurores. L'oxyègne est présente en quantité très faible. Elle est produite par des particules chargées piégées dans le champ magnétique de Jupiter et qui tombent telle une pluie sur la surface de Ganymède. En pénétrant dans la surface glacée elles se dissocient pour produire de l'ozone. Ce phénomène chimique fait penser en corollaire que Ganymède dispose d'une fine atmosphère d'oxygène à l'image de celle détectée sur Europe.

Structure interne hypothétique de Ganymède. Doc NASA/ESA/A.Feild (STScI) adapté par l'auteur.

Ganymède présente également un champ magnétique propre. Cela signifie qu'en vertu des apparences, ce satellite n'est pas complétement mort ni gelé et dispose encore d'un noyau liquide.

La surface de Ganymède présente des aspects contrastés. Elle est recouverte de vieux bassins d'impacts très sombres, partiellement ensevelis par des dépôts récents et criblées de petits cratères d'impacts. Les cratères de moins de 100 km de diamètre sont nombreux et souvent auréolés de traînées plus claires. En alternance avec les plaines sombres, on trouve des zones claires peu bombardées, visiblement plus jeunes et recouvertes de glace. Elles sont traversées par des réseaux de sillons parallèles sur des centaines de kilomètres. L'un d'eux, appelé Uruk Sulcus divise la plaine sombre de Galileo Regio sur plus de 1500 km, témoignant d'une activité tectonique relativement récente. L'existence des sillons peut s'expliquer par les différences de densité de la croûte de glace. Sous le bombardement des météorites ou par la pression interne, la croûte se serait morcelée, entraînant une sorte de dérive des plaques tectoniques. La glace remonterait en surface par les fractures et s'étendrait dans les espaces ouverts, formant les étendues claires et les sillons qui les traversent.

Nettement moins accidenté que les autres satellites, Ganymède révèle aussi une chaleur intérieure plus élevée. Couplé à un phénomène de marées gravitationnelles liée à sa proximité de Jupiter, le rayonnement radioactif du noyau libéré sous forme de chaleur a probablement favorisé la disparition des reliefs.

Comme Europe et sans doute Callisto, Ganymède possède probablement un océan sous sa surface. En effet, suite à la détection d'aurores sur cette lune (cf. J.Saur et al., 2015 et K. de Kleer er al., 2023), les modèles prédisent que la conductivité électrique de son océan ferait osciller les aurores de seulement 2° en latitude, tandis que sans océan elles oscilleraient de 6°. Les mesures de Galileo (1995 et 2003) et du HST (2010-2011) indiquent une oscillation de 2° donc en faveur de l'existence d'un océan souterrain. Il se situerait à moins de 330 km de profondeur. Comme illustré ci-dessus à gauche, il est probablement pris en sandwich entre deux couches de glace, ce qui limite la quantité de nutriments chimiques qu'il pourrait héberger.

Selon le géologue Robert Pappalardo du JPL, "Parmi les endroits où nous nous attendrions à ce que la vie existe ou l'endroit où nous pourrions la rechercher, la probabilité est faible dans l'océan de Ganymède. Néanmoins, comprendre Ganymède est très important pour comprendre la gamme des environnements océaniques possibles sur les satellites glacés et pour notre compréhension de la façon dont les satellites glacés et leurs océans se forment et évoluent."

Callisto : mort gelé, criblé d'impacts

Situé à 1880000 km de Jupiter, juste derrière la principale ceinture de radiation, Callisto est la seconde Lune de Jupiter par la taille avec un diamètre de 4850 km. Il présente une densité de 1.86, la plus faible des satellites galiléens, suggérant l'existence d'une grande proportion d'eau. Il est vraisemblablement constitué d'une écorce de glace mélangée à des silicates d'environ 200 km d'épaisseur. Sous celle-ci certains indices font penser qu'il cacherait comme Europe un océan salé de plus de 10 km d'épaisseur.

Avant la mission Galileo on pensait que son intérieur était non différencié mais les nouvelles mesures de Galileo suggèrent qu'il est composé de roches compressées et de glace avec un pourcentage de roche qui augmente avec la profondeur.

A gauche, loin d'être un gros cailloux glacé, les nouvelles mesures de Galileo indiquent que Callisto cache sous son écorce un océan salé et un intérieur différencié. Au centre, la surface glacée de Callisto criblée d'impacts. A droite, un agrandissement du bassin d'impact de Valhalla qui s'étend sur 600 km. Image enregistrée le 6 mars 1979 par Voyager 1. Documents NASA/Calvin J.Hamilton et NASA/JPL.

Sa surface est la plus accidentée de tous les satellites du système solaire. Très sombre, elle est probablement constituée de poussière et de météorites qui se sont incrustés dans la glace omniprésente. Localement, on trouve des fractures constituées d'une chaîne d'impacts (Gipul Carena), des cratères à rayons et de petits cratères auréolés, tels les coups que l'on porte dans une glace transparente. Sa surface ne présente aucun grand cirque de plus de 150 km de diamètre, ni aucune chaîne de montagnes mais uniquement des reliefs formés par les remparts d'anciens cratères. La surface est criblée uniformément de petits cratères d'impacts, ayant eux-mêmes bombardés des formations très anciennes et très vastes. Parmi celles-ci Valhalla atteint 600 km de diamètre et présente des remparts concentriques qui s'étendent sur un rayon de 1400 km. Le second bassin d'impact est Asgard (30°S, 142°O). Il se caractérise par une région centrale très brillante entourée d'arcs concentriques discontinus qui s'étendent sur un rayon de 850 km. Ses anneaux présentent une structure tectonique avec des escarpements près de la zone centrale et des dépressions sur le pourtour. Etant donné que le bombardement météoritique a cessé depuis 3 ou 4 milliards d'années, ces gigantesques cicatrices sont probablement survenues à cette époque reculée et sont restées inchangées depuis, emprisonnées dans la glace.

A voir : Moons size comparison, MetaBallStudios

La mission Galileo

Le 12 juillet 1995, après un voyage de six ans et un détour par Vénus (1990), Gaspra (1991), Ida (1993), réalisé un "reportage photo" de l'impact de la comète SL-9 avec Jupiter (1994) et survolé deux fois la Terre (1990, 1992), la sonde spatiale Galileo atteignit finalement son objectif et largua son module de descente qui plongea dans l’atmosphère de Jupiter en 2003.

Pour la première fois une sonde spatiale mesura in situ la température de la planète géante, sa composition et sa pression atmosphérique puis envoya ses données à l’Orbiter qui les transmit à la Terre durant une heure à raison de 3.5 Mbits/s.

Galileo plongea dans l’atmosphère jovienne à 47 km/s (170000 km/h), endurant une décélération estimée à 215 g ! Les émissions s’interrompirent 57 minutes plus tard lorsque la résistance du vaisseau fut vaincue par la pression ambiante et la turbulence du milieu. Galileo se trouvait quelque 146 km en-dessous de la couverture supérieure de nuages, dans une région où régnait une température de 153°C et une pression 22 fois supérieure à celle que nous subissons sur la Terre en bordure de mer.

De gauche à droite, la séparation du module de descente de l'Orbiter Galileo; la descente atmosphérique du module et la désintégration de Galileo du côté obscur de l'atmosphère de Jupiter le 21 septembre 2003. Galileo parcourut plus de 4.6 milliards de km, reçut plus de 4 heures de doses de radiations qui seraient mortelles pour un homme et vit sur Jupiter des éclairs plus de 1000 fois plus intenses que sur Terre. Documents ESA/Boris Rabin et JPL.

D’ores et déjà cette mission est considérée comme la plus importante d’entre toutes tant les découvertes furent exceptionnelles. Ainsi que nous l'avons expliqué, elles remettent en question la théorie d’accrétion qui se déroula dans la nébuleuse protosolaire car plusieurs théories n’ont pas été vérifiées in situ.

Ainsi l’abondance présumée de l’eau dans l’atmosphère jovienne se retrouve à l’état de trace et le rapport He/H n’est pas conforme à l’idée qu’on se faisait de son évolution dans l’atmosphère de Jupiter. Pour tenter d’expliquer ces anomalies, certains planétologues considèrent que ces substances ont migré vers le noyau, d’autres préfèrent reconsidérer la théorie de la formation du système solaire...

On a également découvert sur Jupiter des éclairs d'une énergie 1000 fois plus intenses que sur Terre. Quant à Io, ses volcans sont 100 fois plus actifs que les volcans terrestres.

Devant toutes ces découvertes et dans la marge du budget disponible, la NASA décida de prolonger la mission de Galileo durant 2 ans. La sonde se désintégra finalement dans l'atmosphère dense de Jupiter le 21 septembre 2003 non sans avoir transmis de magnifiques images de Jupiter et des satellites.

La mission Juno

La dernière mission vers Jupiter est celle de la sonde spatiale Juno construite par la NASA en collaboration avec l'Italie et qui fut lancée en 2011. Elle réussit son insertion en orbite polaire autour de Jupiter le 4 juillet 2016. Sa mission fut prolongée et au lieu de s'abîmer dans l'atmosphère de Jupiter début 2018, bien qu'elle effectua seulement 12 orbites au lieu de la trentaine programmée, Juno orbita à l'écart des zones de radiations ce qui lui permit de rester opérationnelle jusqu'en juillet 2021.

A voir : Galerie d'images de la mission Juno, NASA

Ecoutez Juno traversant l'arc de choc (24/6) et pénétrant dans la magnétosphère (25/6)

A gauche, décollage de la fusée United Launch Alliance Atlas V-551 le 5 août 2011 de Cap Canaveral emportant la sonde spatiale Juno en route vers Jupiter distant de 1.8 milliard de km. Au centre et à droite, illustrations de la mission Juno (2016-2021). Documents NASA, T.Lombry et Adolf Schaller.

Après les Pioneer 10 et 11, Voyager 1 et 2, Ulysses, Galileo et les survols par les sondes Cassini et New Horizons, c'est la 9e sonde spatiale qui explora l'environnement de Jupiter. Au périastre, Juno survole Jupiter à seulement 5000 km au-dessus du sommet des nuages tout en évitant de naviguer dans les ceintures de radiations au risque d'être pertubée voire détruite par l'intense rayonnement corpusculaire composé de particules relativistes de haute énergie. En effet, comme sur Terre, les niveaux de radiation et d'énergie dans les ceintures de rayonnement de Jupiter sont suffisamment élevés pour accentuer l'effet de freinage et interrompre les communications ou les signaux de navigation ou pire de détruire l'électronique de la sonde spatiale soit par impact direct soit par effet électromagnétique.

Pour éviter ou tout le moins réduire ces risques, les composants vitaux de la sonde furent protégés par une feuille de titane de 12 mm d'épaisseur et par mesure de sécurité les ingénieurs du JPL ont reprogrammé ses orbites autour de la planète géante de manière à ce que les trajectoires passent par les régions polaires pour éviter les ceintures de radiations qui s'étendent dans le plan équatorial de Jupiter.

Les images transmises par Juno révèlent une atmosphère tumultueuse et très complexe, contenant notamment de très nombreux vortex dans les régions polaires. Juno a également permis d'étudier la face de Jupiter plongée dans l'obscurité (dont l'activité des éclairs et des aurores), de cartographier les régions polaires, le champ magnétique, d'analyser les aurores qui ont la particularité d'être 100 fois plus étendues et 100 fois plus intenses que sur Terre et bien sûr de mesurer les abondances en molécules carbonées, azotées et en eau parmi d'autres éléments présents dans la Grande Tache Rouge et les profondeurs de son atmosphère.

Au bout de cinq ans de loyaux services soit en juillet 2021, la sonde spatiale fut désorbitée et plongea dans l'atmosphère dense comme un météore où elle se consuma un peu à la manière dont la sonde Cassini se consuma en pénétrant dans l'atmosphère de Saturne tout en continuant quelques temps à nous transmettre de précieuses mesures physiques et chimiques sur les différentes couches atmosphériques. Juno fondit totalement au-delà de 1000 km de profondeur où la température dépasse 2000°C.

Souvenirs de Jupiter. Documents T.Lombry.

La mission Juice

Comme évoqué précédemment, le 14 avril 2023, l'ESA lança la sonde spatiale Juice (JUpiter ICy moons Explorer) vers Jupiter et ses lunes glacées qu'elle atteindra après 8 ans de voyage, en 2031. C'est une mission d'envergure sur laquelle les scientifiques comptent beaucoup. Mais avant d'arriver près de Jupiter, Juice profitera de l'effet de fronde gravitationnelle pour accélérer en survolant la Lune (août 2024) puis Vénus (août 2025) et deux fois la Terre (septembre 2026 et janvier 2029). Ensuite, entre juillet 2031 et novembre 2034, Juice survola 35 lunes glacées de Jupiter avant de se placer en orbite autour de Ganymède entre décembre 1934 et septembre 2035. Juice est équipée d'une série d'instruments de télédétection, géophysiques et in situ qui devraient permettre aux astrobiologistes d'en savoir plus sur les possibilités de vie sous la croûte glacée de ces lunes.

Pour plus d'informations

L'anomalie de survol (sur ce site)

Flash on Jupiter (vidéo d'un impact sur Jupiter), APOD, 2021, YouTube

The Giant Planet Jupiter, John H. Rogers, Cambridge University Press, 2009

Mission to Jupiter. A History of the Galileo Project (PDF), Michael Meltzer, NASA SP-2007-4231, 2007

Jet Propulsion Laboratory

Europa Clipper, JPL

Galerie d'images d'Io, JPL PhotoJournal

JPL PhotoJournal

CICLOPS: Cassini Imaging

Juno, NASA

Galileo, JPL

Galileo - Journey to Jupiter, JPL

Explore Europa Campaign, The Planetary Society

Jupiter 2.0, logiciel de S.Rondi

Map-A-Planet (satellites de Jupiter), USGS

La collision Shoemaker-Levy 9 avec Jupiter

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[3] D.Hunten, Nature, 373, 1995, p654 - D.Hall et al., Nature, 373, 1995, p677.


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