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Saturne, dieu du temps et père de Jupiter

Saturne photographiée par le Télescope Spatial Hubble (caméra WFC 3) le 30 juin 2019 lorsque la planète était au plus près de la Terre - en opposition - à environ 845 millions de kilomètres (contre ~1.3 milliard de km le plus souvent). Document NASA/ESA/OPAL team.

Le système d'anneaux (II)

Si nous devions citer parmi tous les phénomènes célestes l'un des plus merveilleux et facilement accessible, les anneaux de Saturne seraient sans conteste retenus. Structure unique dans le système solaire et majestueux par leurs dimensions, les anneaux ont révélé une structure beaucoup plus complexe que celle qu'on imaginait.

Pour évaluer la nature des anneaux et la taille de ses constituants, les planétologues ont utilisé diverses techniques en commençant par l'analyse spectrale de la lumière réfléchie par les anneaux puis ils ont effectué des mesures radars. Ensuite, ils ont réalisé des relevés radioélectriques à différentes fréquences grâce au système RPWS (Radio and Plasma Wave Science) embarqué par les différentes sondes spatiales et enfin ils ont analysé les déformations des signaux radios transmis par les sondes spatiales à travers les anneaux en direction de la Terre. Ces données ont révélé que les anneaux de Saturne sont constitués d'une myriade de rochers glacés indépendants de toute dimension. La plupart ont la taille de cristaux plus petits que des grains de poussière. Beaucoup grandissent par accrétion jusqu'à la taille de cailloux. Quelques-uns sont aussi grands que des maisons et certains ont même la taille d'une montagne.

Selon les planétologues, les anneaux sont composés de poussière et de rochers enrobés d'eau glacée qui représente 99% de leur masse. Ils sont disposés en fonction de leur masse sur des orbites individuelles et sont tellement denses par unité de surface qu'à bonne distance les anneaux donnent l'illusion d'une surface pleine. A l'inverse des anneaux qui cerclent les autres planètes, ceux de Saturne sont très brillants et réfléchissent entre 20 et 60% de la lumière.

Grâce à la sonde spatiale Cassini qui traversa le plan des anneaux et plongea dans le "trou" situé entre l'anneau D interne et le sommet de l'atmosphère à 21 reprises en 2017 (cf. ces vidéos du JPL), on a découvert que cette région comprend des microparticules d'une taille équivalente aux particules fines de fumée soit entre 0.1 et 1 micron (pour la taille de la poussière de fumée lire cet article).

En résumé, les anneaux sa Saturne sont constitués de glace d'eau mélangée à un peu de poussière et de roche dont la taille varie entre le nanomètre et quelques kilomètres de longueur.

Malgré les apparences, en vertu des lois de la mécanique céleste (cf. les lois de Kepler), sachant que les anneaux de Saturne évoluent entre 6630 et 120700 km du sommet des nuages de la planète, les particules composants l'anneau interne se déplacent à ~75 km/s (270000 km/h) tandis qu'à leur limite extérieure leur vitesse est de 17 km/s (61200 km/h). On pourrait en déduire que si un vaisseau spatial s'arrêtait au-dessus des anneaux afin qu'un astronaute les explore et en ramène quelques morceaux, il serait instantanément percuté par des micrométéorites ou des blocs plus gros qu'une maison. En réalité, comme lors d'un rendez-vous entre un vaisseau spatial et une station orbitale, le vaisseau spatial approcherait les anneaux à une vitesse relative pratiquement nulle et l'astronaute pourrait pratiquement se poser sur un rocher en ayant l'impression qu'il est immobile. Mais étant indépendant des autres, il se comporterait comme un glaçon suspendu à un fil et aurait tendance à reculer si on applique une force sur lui. S'y poser ne serait donc pas facile. Quant au risque de collision, il serait réduit mais certainement pas négligeable compte tenu de la densité des anneaux. C'est en tout cas un risque qu'un astronaute ne pourrait pas prendre et qu'on pourrait juste tolérer d'un robot téléguidé.

Saturne photographiée par la sonde spatiale Cassini. Ci-dessus à gauche, compositage par Gordan Ugarkovic de 36 images prises le 10 octobre 2013 montrant le pôle Nord de Saturne. A droite, traitement et compositage par Ian Regan de 21 images prises le 28 octobre 2016. A comparer avec l'image reconstruite par la NASA (PIA21345). Ci-dessous à gauche, une photographie prise le 6 octobre 2004 à environ 6.3 millions de kilomètres de distance. Il s'agit du compositage de 123 images réalisé par le JPL. A droite, un photomontage de 42 images couleurs (RGB) prises en l'espace de 2 heures à 1.1 million de kilomètres de distance de Saturne lors de la dernière orbite avant la plongée finale le 16 septembre 2017. Six satellites sont visibles sur l'agrandissement. Documents NASA/ESA/STScI et NASA/JPL-Caltech/SSI.

La masse globale des anneaux, déterminée par défaut par l'absence de perturbations sur la trajectoire des sondes spatiales est évaluée à un dix millionième de celle de la planète, soit environ 2x1019 kg, le poids du satellite Mimas. Cette valeur renforce l'idée que les anneaux se sont formés suite à l'éclatement d'un satellite qui se serait trouvé sous la limite de Roche pour une raison qui reste à expliquer. Toutefois la persistance (relative) des anneaux au fil des éons demeure un mystère. On y reviendra.

Nature de la glace des anneaux

Nous avons vu dans le dossier consacré à l'eau qu'elle existe sous deux formes chimiques, H2O (ou eau légère) et HDO (eau lourde dont les atomes d'hydrogène sont constitués de deutérium ou 2H2). La masse de la molécule HDO est environ 5% supérieure à celle de l'eau ordinaire. Ce petit changement entraine des différences isotopiques dans la vitesse d'évaporation de l'eau comme dans la formation d'une planète, d'une lune ou d'une comète.

Illustrations artistiques des anneaux de Saturne. A gauche, par l'auteur. Au centre, par Ron Miller en 2003. A droite, une vue générale par 15°N imaginée par Chesley Bonestell dans les années 1960. Notez l'aspect laiteux et fragmentaire de l'anneau D intérieur formant une sorte de brume ou de halo de très fine poussière au-dessus des nuages supérieurs.

Le rapport D/H est une empreinte chimique qui permet de déterminer les conditions originelles de sa formation qui dépendent de la température et de l'évolution temporelle du système. En 2018, Roger N. Clark du Planetary Science Institute et ses collègues ont publié dans la revue "Icarus" les résultats d'une analyse de la glace d'eau enrobant les grains de poussière des anneaux de Saturne et celle recouvrant ses lunes. Les chercheurs ont découvert que dans les anneaux de Saturne le rapport D/H est similaire à celui de la Terre. Or selon les modèles de formation du système solaire, le rapport D/H devrait être beaucoup plus élevé dans le système solaire externe du fait que le milieu est plus froid que le système solaire interne (par exemple où la Terre s'est formée). Le deutérium est par exemple plus abondant dans les nuages ​​moléculaires froids. Certains modèles prédisent que le rapport D/H devrait être 10 fois plus élevé sur Saturne que sur Terre. Mais les nouvelles mesures montrent que ce n'est pas le cas pour les anneaux et les satellites de Saturne, à l'exception de la lune Phoebe.

Étant donné que les rapports D/H du système saturnien sont proches des valeurs relevées sur Terre, on en déduit que la source d'eau fut similaire pour le système solaire interne et externe. Par conséquent de nouveaux modèles doivent être développés, dans lesquels les variations du rapport D/H entre le système solaire interne à externe sont moins importantes.

A voir : Animations des anneaux de Saturne - vidéo 1 et vidéo 2, Mark Garlick

Illustrations artistiques de la structure des anneaux de Saturne. Ci-dessus, les anneaux imaginés par T.Lombry (gauche) et par Stefan P. Winc (droite). Ci-dessous, un dessin réalisé par Judy Schmidt pour la Planetary Society (gauche) et par William K. Hartmann dans les années 1970 (droite).

Âge des anneaux

Quel est l'âge des anneaux ? Grâce aux données accumulées pendant 13 ans par la sonde Cassini, les astronomes ont pu répondre à quantité de questions dont celle de savoir à quelle époque les anneaux se sont formés. Les premières données enregistrées par les sondes spatiales Voyager 1 et 2 en 1980 et 1981 suggéraient que les anneaux s'étaient formés il y a seulement 100 millions d'années suite à la collision entre une grande comète et une lune glacée. Mais les observations de la sonde spatiale Cassini ont montré que les anneaux ne sont pas le résultat d'un seul évènement cosmique.

Si les anneaux étaient très anciens comment pourraient-ils rester brillants à force d'être érodés par les rayons cosmiques et recouverts de poussière ?

Grâce à la sonde spatiale Cassini, les astronomes ont découvert que le mécanisme s'apparente à un "nettoyage" intense lié aux interactions entres les particules constitutives des anneaux. En effet, les lunes ayant été formées au sein des anneaux et ensuite séparées par les collisions et les forces de marée, chaque interaction a renouvellé la surface de chaque grains de glace. De petites quantités de composés organiques ont ensuite teinté et terni la glace brillante lui donnant sa couleur actuelle brun-pâle crème. L'astronome Carl Sagan avait appelé cette matière colorée des "tholines" qui signifie "boueux" en grec, matière qu'on retrouve sur Titan. Ces molécules peuvent provenir des lunes de Saturne en particulier de Phoebé située non loin des anneaux et qui présente de nombreuses taches sombres et a même généré son propre anneau diffus et rougeâtre.

Formation des anneaux

Dans les années 1980, grâce aux missions Voyager les astronomes découvrirent que la masse des anneaux était assez faible et qu'ils devaient être relativement jeunes sans pouvoir le démontrer. Cette idée& reçut un appui théorique en 2012 grâce à une étude des résonances des satellites intérieures publiée par Valérie Lainey de l'Observatoire de Paris et ses collègues. Sachant que les forces de marée engendrées par la masse de Saturne repousse rapidement les lunes intérieures, le système ne pourrait pas rester aussi compact depuis la formation du système solaire, il y a 4.6 milliards d'années. Les anneaux se sont donc pas formés en même temps que Saturne mais récemment en terme astronomique.

Deux étonnantes photos des anneaux de Saturne. A gauche, le limbe de Saturne se profilant à travers les anneaux qui paraissent translucides à courte distance. Il s'agit d'un compositage d'images prises en lumière blanche et à contre-jour par la sonde spatiale Cassini le 4 novembre 2006 et traitées par Jason Major. A droite, l'ombre des anneaux se projetant sur l'hémisphère sud de Saturne. Photographie prise par la sonde Cassini peu avant la fin de sa mission en 2017 et traitée par Ian Regan.

Selon Lainey, il est vraisemblable que Saturne disposait auparavant d'une lune supplémentaire mais elle fut détruite par des collisions et les effets des marées gravitationnelles car les anneaux se trouvent en partie sous la limite de Roche (voir page suivante) où aucun corps ne peut longtemps se maintenir sans se disloquer.

Des simulations publiées dans "The Astrophysical Journal" en 2016 par Matija Cuk et ses collègues suggèrent que les anneaux se seraient formés il y a quelque 100 millions d'années, à la même époque que les lunes glacées intérieures, confirmant les données des sondes Voyager.

L'année suivante, Larry Esposito de l'Université du Colorado qui a longtemps cru comme la plupart des astrophysiciens que les anneaux étaient très âgés, montra grâce à l'analyse de 12 années de données enregistrées par la sonde spatiale Cassini que les anneaux étaient jeunes "probablement âgés de moins de 200 millions d'années", un ordre de grandeur proche des résultats des simulations, ce qui démontre la précision des modèles actuels (cf. L.Esposito, 2017).

Les anneaux de Saturne en cours d'accrétion il y a environ 100 millions d'années à partir des hypothétiques débris de la lune Chrysalis. Document T.Lombry.

D'autres équipes se sont également penchées sur l'origine des anneaux et ont apporté de nouvelles informations.

Luis Teodoro de l'Ecole de Physique et d'Astronomie de l'Université de Glasgow et ses collègues ont réalisé de nouvelles simulations dont ils ont présenté les résultats dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023.

Selon les auteurs, les anneaux de Saturne pourraient avoir évolué à partir des débris de deux lunes glacées entrées en collision et brisées il y a quelques centaines de millions d'années. Les débris qui ne se sont pas retrouvés dans les anneaux pourraient également avoir contribué à la formation de certaines des lunes actuelles de Saturne.

Selon  Jacob Kegerreis, chercheur au centre Ames de la NASA et coauteur de cet article, "Il y a tellement de choses que nous ignorons encore sur le système de Saturne, y compris sur ses lunes qui hébergent des environnements susceptibles de convenir à la vie. C'est donc passionnant d'utiliser de grandes simulations comme celles-ci pour explorer en détail comment elles pourraient évoluer."

Pour en savoir plus, les auteurs ont exploité le superordinateur DiRAC (Distributed Research using Advanced Computing) de l'Université de Durham. Ils ont modélisé différentes collisions entre des lunes précurseurs. Ces simulations furent réalisées à une résolution plus de 100 fois supérieure à celle des études précédentes, en utilisant le logiciel de simulation open source SWIFT, et en tenant compte des plus récentes données sur l'histoire du système de Saturne, notamment celles provenant de la mission Cassini.

En simulant près de 200 versions différentes de l'impact entre deux lunes, les auteurs ont découvert qu'un grand nombre de collisions différentes pouvait disperser la bonne quantité de glace dans la limite de Roche de Saturne, où elle pourrait se disposer en anneaux.

Même si Teodoro et ses collègues ne sont pas parvenus à démontrer pourquoi il n'y aurait presque pas de roche dans les anneaux de Saturne – ils sont presque entièrement constitués de morceaux de glace – selon les auteurs, ce type de collision pourrait l'expliquer. Selon Vincent Eke, professeur agrégé au Département de physique à l'Institut de cosmologie computationnelle de l'Université de Durham et co-auteur de cet article, "Ce scénario conduit naturellement à des anneaux riches en glace. Lorsque les lunes progénitrices glacées s'entrechoquent, la roche située au cœur des corps en collision est moins dispersée que la glace sus-jacente."

De la glace et des débris rocheux pourraient également heurter d'autres lunes du système, provoquant une cascade de collisions. Un tel effet multiplicateur aurait pu perturber n'importe quelle autre lune en dehors des anneaux, à partir de laquelle les lunes actuelles auraient pu se former.

A voir : Exploring the Origins of Saturn's Rings and Moons, NASA/ARC, 2023

Deux images extraites d'une simulation de l'impact entre deux lunes glacées en orbite autour de Saturne. La collision éjecte des débris qui pourraient évoluer vers les anneaux emblématiques et remarquablement jeunes de la planète. La simulation comprend plus de 30 millions de particules, colorées en fopnction de leuir nature (glace ou roche), exécutées à l'aide du logiciel de simulation open source SWIFT. Document NASA/U.Durham/U.Glasgow/J.Kegerreis/L.Teodoro.

Mais qu'est-ce qui a pu déclencher cette cascade d'évènements ? Deux des anciennes lunes de Saturne sont peut-être entrées en collision suite aux effets, bien que faibles, de la gravité du Soleil qui se sont additionnés pour finir par déstabiliser leurs orbites autour de la planète. Dans la bonne configuration des orbites, l'attraction supplémentaire du Soleil peut avoir un effet boule de neige, créant une résonance qui allonge et incline les orbites généralement circulaires et plates des lunes jusqu'à ce que leurs trajectoires se croisent, entraînant un impact à grande vitesse.

La lune Rhéa de Saturne par exemple orbite aujourd'hui juste au-delà de l'endroit où une lune rencontrait cette résonance. Comme la Lune vis-à-vis de la Terre, les satellites de Saturne migrent vers l'extérieur de la planète au fil du temps. Donc, si Rhéa était ancienne, elle aurait traversé la résonance dans un passé récent. Cependant, l'orbite de Rhéa est quasiment circulaire et plate. Cela suggère qu'elle n'a pas subi les effets déstabilisateurs de la résonance et qu'elle s'est donc formée plus récemment.

Les conclusions de cette étude concordent avec les preuves selon lesquelles les anneaux de Saturne sont relativement jeunes (cf. S.Kempf et al., 2023, P.Estrada et R.Durisen, 2023 et les articles précités de 2017 et 2016) mais de grandes questions restent ouvertes. Si certaines des lunes glacées de Saturne sont également jeunes, quelle serait l'incidence sur les possibilités de vie dans les océans présents sous la surface de lunes glacées comme Encélade ? Pouvons-nous tracer toute l'histoire de Saturne depuis l'époque pré-impact jusqu'à nos jours ? Les futures études basées sur ces travaux aideront les planétologues à en apprendre davantage sur cette planète fascinante et les mondes glacés qui gravitent autour d'elle.

Origine de l'inclinaison de Saturne

Pourquoi l'axe de rotation de Saturne est incliné de 26.7° par rapport à la verticale ?, ce qu'on appelle l'obliquité. En effet, on s'attendrait à ce qu'au cours de l'accrétion de gaz, l'axe de rotation de Saturne soit resté perpendiculaire au plan de son orbite. Par chance, cette forte obliquité nous permet d'observer périodiquement les anneaux de Saturne grands ouverts mais aussi leur disparition apparente (voir fin de page).

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2022, le planétologue Jack Wisdom du MIT et ses collègues ont réalisé des simulations pour mieux comprendre ce phénomène. Les chercheurs ont mis en évidente l'influence du moment d'inertie de Saturne dans son interaction avec Neptune. Pour rappel, le moment d'inertie dépend de la répartition de la masse à l'intérieur d'une planète. En se basant sur les données de la sonde spatiale Cassini, les chercheurs ont découvert que si le mouvement de Saturne avait peut-être été synchronisé avec celui de Neptune par résonance gravitationnelle, ce n'était plus tout à fait le cas. Les chercheurs ont donc voulu savoir comment Saturne avait échappé à cet effet de résonance avec Neptune.

Influence de Titan, de l'hypothétique lune Chrysalis (et de Neptune) sur l'axe d'inclinaison de Saturne et formation des anneaux suite à la destruction de Chrysalis. Voir le texte pour les explications. Documents Science/J.Wisdom et al. (2022) adaptés par l'auteur.

Grâce à des simulations, les chercheurs sont arrivés à la conclusion qu'un ancien satellite maintenait Saturne sous l'influence de Neptune, mais suite à un comportement chaotique, il échappa à l'attraction de Saturne. Ce satellite que les chercheurs ont appelé Chrysalis (Chrysalide en français) avait probablement une taille proche de celle de Japet, la troisième plus grande lune de Saturne qui mesure 1469 km de diamètre (contre 3475 km pour notre Lune). Or Japet est une petite lune presque entièrement constituée d'eau glacée. Selon Wisdom, "Il est donc possible que Chrysalis était également composée d'eau glacée, et c'est ce dont on a besoin pour créer les anneaux" qui sont constitués à 99% de glace.

Selon Wisdom et ses collègues, lorsque Chrysalis orbitait autour de Saturne, l'obliquité de cette dernière ne dépassait pas 5°. A mesure que Titan migra vers l'extérieur du système, l'effet de résonance entre Saturne et Neptune augmenta progressivement son axe d'inclinaison comme illustré ci-dessus. A un moment donné il y a environ 160 millions d'années, l'obliquité de Saturne atteignit 36°. L'hypothétique lune Chrysalis se déstabilisa et tomba dans une orbite chaotique qui la rapprocha dangereusement de la limite de Roche où elle fut détruite par les forces antagonistes. La soudaine destruction de Chrysalis (et le groupement des débris sous forme d'anneaux) et avec elle la disparition de son influence gravitationnelle aurait libéré Saturne de sa résonance avec Neptune. Ensuite, l'influence de Titan qui continua à migrer vers l'extérieur et son effet sur la résonance entre Saturne et Neptune réduisit l'inclinaison de Saturne jusqu'à celle observée de nos jours.

Ce serait donc la destruction violente de Chrysalis qui forma les anneaux de Saturne et explique également pourquoi Saturne n'est plus tout à fait en résonance avec Neptune. Comme le dit Wisdom en plaisantant, "cette chysalide attendait d'avoir son instabilité."

Épaisseur des anneaux

Quelle est l'épaisseur des anneaux ? Avant les missions Voyager, on supposait que les anneaux avaient une épaisseur réduite à quelques kilomètres. Suite à l'occultation de l'étoile ß Scorpio par les anneaux, les spectrophotomètres de Voyager 2 permirent de scruter la structure des anneaux avec une résolution de 100 mètres. On découvrit que son épaisseur minimale oscillait entre 100 et 150 m seulement. Si on tient compte des petites particules d'une taille inférieure à 1 cm qui gravitent autour des anneaux, leur épaisseur moyenne est voisine de 1500 m.

A gauche, le satellite Dione devant les anneaux vus de profil projetant leurs ombres sur Saturne. Photographie prise en infrarouge à 39000 km de distance du satellite le 11 octobre 2005 par la sonde Cassini. Au centre, Titan et Saturne photographiés par la sonde Cassini à 700000 km de distance le 6 mai 2012. A droite, la petite lune Encélade (505 km de diamètre) se profilant devant Saturne. Photographie prise par la sonde Cassini le 16 mars 2006 à environ 2.1 millions de km de distance. Documents NASA/JPL, NASA/JPL/SSI/ESA/Jason Major et NASA/JPL/SSI.

Selon la NASA, l'anneau A mesure 10 à 30 m d'épaisseur, l'anneau B entre 5 et 10 m et l'anneau C mesure seulement 5 m d'épaisseur. Ils se composent de 7 strates de matériaux pris en sandwich par une légère couverture d'hydrogène. Ils sont principalement constitués d'eau glacée mélangée à des cailloux proches de la constitution des astéroïdes composés d'oxyde de fer.

Les anneaux de Saturne disparaitront dans ~100 millions d'années

Selon une étude publiée par James O'Donoghue du centre Goddard de la NASA (GSFC) et ses collègues dans la revue "Icarus" en 2018, Saturne est en train de perdre ses anneaux emblématiques au taux maximum estimé d'après les observations enregistrées par les sondes spatiales Voyager 1 et 2 il y a plusieurs décennies. En effet, les poussières constituant les anneaux sont attirées vers Saturne par gravité. Ces particules glacées capturent des charges électriques et spiralent le long des lignes du champ magnétique de Saturne, formant une pluie de poussière. Selon O'Donoghue, cette "pluie circulaire" draine entre 432 et 2870 kg/s, ce qui représente en une demi-heure une quantité d'eau tombant des anneaux équivalente à celle d'une piscine olympique soit ~3000 m3 (cf. les estimations de O'Donoghue et al., 2015). A ce taux, tout le système d'anneaux aura disparu dans 292 millions d'années, mais il faut ajouter à ce volume la matière des anneaux tombant à l'équateur de Saturne à raison de 10 tonnes/s soit ~18000 m3 par heure détectée par la sonde Cassini. Dans ces conditions, les anneaux survivront à peine 100 millions d'années. C'est relativement court comparé à l'âge de Saturne qui est de plus de 4 milliards d'années.

Les scientifiques se sont longtemps demandés si Saturne s'était formée avec ses anneaux ou si la planète les avait acquis plus tard dans son évolution. Cette étude privilégie ce dernier scénario, indiquant qu'il est peu probable qu'ils soient âgés de plus de 100 millions d'années. Autrement dit, pendant plus de 4 milliards d'années Saturne n'avait pas d'anneaux ! Selon O'Donoghue, "si les anneaux sont temporaires, nous avons peut-être manqué de voir les systèmes d'anneaux géants de Jupiter, Uranus et Neptune, qui ne sont aujourd'hui que de minces boucles."

Les premières indications de l'existence de cette "pluie" de poussière glacée fut apportée par les observations de Voyager qui enregistra des phénomènes apparemment sans rapport avec ces aérosols : des variations particulières dans l'ionosphère de Saturne, des variations de densité dans les anneaux et un trio d'étroites bandes sombres encerclant la planète aux latitudes nord septentrionales. Ces bandes sombres sont apparues dans les images de la stratosphère brumeuse de Saturne prises par Voyager 2 en 1981.

En 1986, Jack Connerney du GSFC publia un article dans les "Geophysical Research Letters" qui reliait ces étroites bandes sombres à la forme de l'énorme champ magnétique de Saturne. Il affirmait que des particules de glace chargées électriquement provenant des anneaux tombaient le long des lignes du champ magnétique, déversant de l'eau glacée dans la haute atmosphère de Saturne. L'afflux d'eau des anneaux apparaissant à des latitudes spécifiques (~23-49° S et ~32-54° N) balaye le brouillard stratosphérique, le rendant sombre par réflexion de la lumière, produisant les bandes noires étroites que photographia Voyager 2.

Les particules formant le système d'anneaux sont maintenues en équilibre grâce à deux forces antagonistes, l'une qui les attirent par gravité vers Saturne, l'autre qui tente à les propulser vers l'extérieur en raison de leur vitesse orbitale. Les plus petites particules peuvent être chargées électriquement par la lumière ultraviolette du Soleil ou par des nuages de plasma émanant du bombardement des anneaux par des micrométéoroïdes. Lorsque cela se produit, les particules deviennent sensibles à l'attraction du champ magnétique de Saturne et tombent le long d'une trajectoire courbe vers la planète au niveau des anneaux. Dans certaines parties des anneaux, une fois chargés les particules sont en équilibre et restent en suspension autour de Saturne.

A voir : Saturn's Rings Are Disappearing, NASA

A gauche, illustration de la pluie de poussière glacée et ionisée tombant des anneaux de Saturne dans la haute atmosphère de la planète le long des lignes du champ magnétique (voir aussi la vidéo ci-dessus). A droite, l'aspect qu'auront les anneaux de Saturne dans une centaine de millions d'années. Documents NASA/GSFC/Cassini/J.O'Donoghue.

Lorsque les particules glacées tombent sur Saturne, elle se vaporisent et l'eau peut alors réagir chimiquement avec l'ionosphère de Saturne. Un des résultats de ces réactions est une augmentation de la durée de vie des ions H3+ composés de trois protons et de deux électrons. Lorsqu'ils sont exposés à la lumière du Soleil, ces ions brillent en infrarouge, ce qui permis à l'équipe de O'Donoghue de les détecter grâce à des instruments spéciaux fixés sur le télescope Keck. Leurs observations ont révélé des bandes rougeoyantes dans les hémisphères nord et sud de Saturne, dans les régions où les lignes du champ magnétique coupent le plan des anneaux et pénètrent dans la planète.

L'équipe a également découvert une bande rougeoyante à une latitude supérieure dans l'hémisphère Sud, à l'endroit où le champ magnétique de Saturne croise l'orbite d'Encelade, une lune géologiquement active qui projette des geysers de glace d'eau dans l'espace (voir page 4), indiquant que certaines de ces particules pleuvent littéralement sur Saturne. Selon Connerney, "ce n'était pas une surprise totale. Nous avons également identifié Encélade et l'anneau électronique comme une abondante source d'eau sur la base d'une autre bande sombre étroite observée dans les anciennes images prises par Voyager."

Notons que les planétologues pensaient que les geysers observés pour la première fois par Cassini en 2005 provenaient d'un océan d'eau liquide situé sous la surface gelée d'Encélade. On sait à présent qu'une partie de ces aérosols proviennent des anneaux.

A l'avenir les chercheurs vont tenter de savoir si la pluie tombant des anneaux de Saturne suit ou non un cycle saisonnier. Étant donné que la planète boucle son orbite en 29.4 annnées terrestres, les anneaux sont exposés au Soleil sous différentes inclinaisons. Comme la lumière ultraviolette du Soleil charge les grains de glace et les fait réagir avec le champ magnétique de Saturne, on suppose qu'une exposition variable à la lumière du Soleil devrait modifier la quantité de pluie circulaire. Affaire à suivre.

A écouter sur le blog : La musique de Saturne

Passage à travers les anneaux de Saturne

Enregistrements audios du passage de la sonde Cassini à travers les anneaux de Saturne (entrant à gauche, sortant à droite entre les anneaux A et F) du côté éclairé par le Soleil. Ce qu'on entend correspond aux impacts de petites poussières sur la sonde spatiale. Ces impacts se produisent à grande vitesse et libèrent de petits nuages de plasma que l'antenne électrique RPWS a enregistré. Plus de détails en anglais sur cette page. Fichiers de 542 et 572 KB. Documents U.Iowa/RPWS Group.

Structure des anneaux et nomenclature

Concernant leur aspect et leur structure, c'est peu de temps après l'invention de la lunette astronomique qu'en 1664 les astronomes découvrirent une différence d'éclat dans la surface des anneaux mais ce n'est qu'au XIXe siècle qu'ils furent baptisés anneaux A, B et C par Wilhelm Struve et Johann Encke.

En 1895, grâce aux analyses spectroscopiques, James Keeler et William Campbell découvrirent que les anneaux de Saturne ne tournaient pas tous à la même vitesse. Une fois encore les lois de Kepler sont vérifiées : l'anneau extérieur (dénommé anneau A), le plus distant, tourne autour de Saturne en un peu moins de 15 heures, tandis que la partie intérieure des anneaux, celle qui touche pratiquement le sommet des nuages (l'anneau D) accomplit une révolution en moins de 5 heures, effectuant 3 tours complets quand l'anneau extérieur n'en fait qu'un. Ils obéissent en outre à des fractions entières de la période orbitale des satellites les plus proches de Saturne pour des raisons de résonances liées à la stabilité gravitationnelle de leurs orbites respectives[1].

Observés au télescope, les anneaux se divisent en trois parties principales, se situant entre 14000 et 77000 km de la couche supérieure nuageuse de Saturne :

- l'anneau C dit de Crêpe (de 142000 à 31700 km) souvent sous-exposé sur les photographies en raison de sa faible luminosité

- l'anneau B dit intérieur (de 31700 à 57300 km) qui s'arrête à la division de Cassini

- l'anneau A dit extérieur (de 62000 à 77000 km).

Les anneaux B et A représentent les parties les plus brillantes des anneaux. L'anneau B est le plus dense avec une masse volumique de surface de ~600 kg/m2 soit une densité de 0.6, voisine de la densité moyenne de Saturne.

Ci-dessus, le 15 septembre 2006, la sonde Cassini photographia Saturne à contre-jour. Il s'agit d'une image composite en couleurs accentuées résultant du compositage de 165 images UV, IR et en lumière blanche. En plus de l'anneau E extérieur bien visible sur cette image surexposée, de la Terre qui est visible à gauche, à l'intérieur du fin anneau F et au-dessus de l'anneau A brillant, deux nouveaux anneaux pâles ont été détectés : l'un coïncide avec l'orbite partagé des lunes Janus et Epiméthée, l'autre coïncide avec l'orbite de Pallène. Voyez cette image pour les légendes. Ci-dessous emplacement des principaux systèmes d'anneaux et des satellites de Saturne. Documents Photojournal/JPL et David Seal/Caltech pour la NASA/JPL adaptés par l'auteur.

Une étude consacrée au réchauffement et au refroidissement des anneaux de Saturne au fil des saisons publiée en juin 2015 dans la revue "Icarus" par l'équipe de Cassini dirigée par Ryuji Morishima suggère l'existence dans l'anneau A de gros blocs de glace d'environ 1 mètre recouverts d'une fine couche de régolite (poussière). Cette accumulation de gros débris étonne car les particules des anneaux se redistribuent rapidement. Les planétologues pensent qu'il pourrait s'agir des débris d'une lune qui se serait brisée récemment.

L'anneau A est séparé de l'anneau B par un système d'anneaux sombres, la division de Cassini. Cette division aurait été découverte par Jean-Dominique Cassini vers 1684 (et non pas en 1676 comme beaucoup le disent sur base de sources incertaines). La division de Cassini se maintiendrait en raison d'une résonance gravitationnelle 2:1 avec le satellite Mimas. On reviendra sur la division de Cassini et sur Mimas.

L'anneau D situé sous l'anneau C est le plus proche de la planète au point qu'il touche pratiquement les nuages. Au cours du "Grand Final" de Cassini en 2017, grâce à l'instrument INMS (Ion Neutral Mass Spectrometer), les astronomes ont pu mesurer pour la première fois le flux tombant des anneaux ainsi que la composition de l'anneau D in situ à partir du relevé des particules tombant sur Saturne.

Dans l'encart supérieur figurent les valeurs spectrométriques exprimées en unités de masse par charge (u) mesurées à hauteur de l'anneau D par Cassini lors de sa 290e révolution. A gauche, la composition des anneaux exprimée en pourcentages de masse mesurée par Cassini au cours des révolutions 290, 291 et 292. Document Hsiang-Wen Hsu et al. (2018) adapté par l'auteur.

Selon deux études publiées dans la revue "Science" en 2018, l'une par l'équipe de J. Hunter Waite du SwRI, l'autre par l'équipe de Hsiang-Wen Hsu de l'Université du Colorado, des composés organiques complexes enrobés dans des nanograins d'eau pleuvent des anneaux de Saturne dans la haute atmosphère. Le flux d'aérosols fut estimé entre 4.8 et 45 tonnes/s tombant dans une bande de latitude large de 8° autour de l'équateur. Lorsque le Soleil les frappe, ces particules forment une sorte de neige en suspension au-dessus des nuages.

Comme on le voit dans le diagramme présenté ci-dessus, en masse l'anneau D contient 37% de molécules organiques contre seulement 24% d'eau, le monoxyde de carbone (CO) et l'azote (N2) étant représentés à raison de 20%. L'instrument INMS a également détecté des silicates, du méthane, de l'ammoniac et du dioxyde de carbone. De plus, les composés organiques détectés dans l'anneau D sont différents de ceux détectés sur Encélade et sur Titan, ce qui signifie qu'il existe au moins trois réservoirs distincts de molécules organiques dans le système de Saturne.

Les sondes spatiales ont révélé l'existence d'un anneau E, très pâle et diffus, deux fois plus éloigné de Saturne que l'anneau A (de 140000 à 160000 km) ainsi que deux anneaux pâles coincidant respectivement avec les orbites des lunes Janus/Epiméthée (entre les anneaux F et G) et avec l'orbite de Pallène (entre les anneaux G et E).

Les anneaux de Saturne photographiés par la sonde spatiale Cassini. Ci-dessus à gauche, l'anneau B en couleurs naturelles avec la division de Cassini (la bande sombre) sur la droite et une partie de l'anneau A à l'extrême droite. A droite, les anneaux extérieurs (au-delà de la division de Cassini) A et F en fausses couleurs révélant la distribution des particules en fonction de leur masse. Le rose et le rouge représentent de grandes particules tandis que le cyan et le bleu représentent de plus petites particules. Ci-dessous à gauche, une partie de la région centrale de l'anneau B en couleurs naturelles (composite RGB) large de 6900 km située entre 38332 et 45232 km du sommet des nuages (soit entre 98600 et 105500 km du centre de Saturne). La photo fut prise le 16 juillet 2017 à 76000 km de distance. La résolution est d'environ 3 km/pixel. C'est l'image couleur la plus détaillée des anneaux. Les roches composant les anneaux sont principalement constitués d'eau glacée et leur couleur serait blanche mais est encore débattue entre scientifiques. Les fins annelets situés au centre de l'image mesurent 40 km de large tandis que les anneaux clairs à droite mesurent entre 300 et 500 km de large. A droite, la plus haute résolution jamais atteinte sur l'anneau de Saturne avec un gros-plan sur l'anneau B. Les points et traits blancs sont les traces laissées par les rayons cosmiques qui n'ont pas été retirées de l'image. Dans la partie gauche, on observe un grand nombre de traits blancs épais, des sortes d'agglomérats rocheux que les scientifiques appellent des "pailles" (straws). Sur la partie droite plus sombre on observe des traits fins alongés présentant un point brillant en leur centre que les scientifiques ont appelé des "propulseurs" (propellers) en raison de leur forme. La résolution est de 360 m/pixel. La photo fut prise le 18 décembre 2016 à 51000 km de distance. Voir également cette vidéo sur YouTube. Documents NASA/JPL-Caltech/SSI, NASA/JPL et NASA/JPL-Caltech/SSI.

Une découverte majeure concerne la fameuse division de Cassini, un espace sombre de près de 4000 km de large. En préparant les expéditions Pioneer et Voyager, les ingénieurs de la NASA souhaitaient faire passer les sondes dans cet espace pour éviter de faire un détour en passant autour des anneaux.

La trajectoire fut modifiée par la suite, si bien que les sondes ne traversèrent pas les anneaux, mais circulèrent plus haut en latitude, se rapprochant jusqu'à 101000 km de Saturne. Cette intuition fut de bon aloi car Voyager 2 découvrit que la division de Cassini, que l'on croyait dépourvue de matériaux, renfermait en fait des blocs de 8 m de diamètre alignés côte-à-côte, formant 5 annelets concentriques que le faible pouvoir réfléchissant rendait invisible depuis la Terre ! En revanche, la NASA n'a pas hésité à faire passer la sonde Cassini à travers les anneaux en juillet 2004 mais à hauteur de l'anneau D qui est très peu dense dans sa partie interne, la plus proche de Saturne, de même qu'à plusieurs reprises en 2017 avant son Grand Final sur lequel nous reviendrons.

Notons que la division de Cassini est un sujet prisé des astronomes amateurs pour tester la résolution des petites lunettes et télescopes de 80 à 110 mm d'ouverture. En théorie, la largeur angulaire de la division de Cassini est d'environ 0.40" vue de la Terre. Mais si on compte les annelets sombres qui l'entourent, cette division mesure plus de 1". Dans de bonnes conditions d'observation (c'est-à-dire à la fois météos et instrumentales), en utilisant un oculaire de moyenne à forte puissance (~1.5 à 2x le diamètre de l'objectif exprimé en millimètres), on la distingue à la limite de la perception dans une petite lunette de 80 mm (type ED80) et est normalement visible dans une bonne lunette ou un télescope d'au moins 100 mm d'ouverture. En revanche, photographier la division de Cassini est déjà plus délicat car il faut absolument combiner plusieurs images prétraitées pour réduire le bruit électronique et accentuer le signal (cf. cet article sur le traitement d'image). Avis aux amateurs.

A gauche, une très belle image composite des anneaux prise par la sonde Cassini en juillet 2004. Au centre et à droite, gros-plans sur la division de Cassini photographiée par la sonde Voyager 2. Documents NASA/JPL/SSI et NASA-ARC/JPL.

A gauche, gros-plan sur la division de Cassini (au centre de l'image) et sur la division de Encke (en périphérie de l'anneau). Photographie réalisée le 11 février 2005 par la sonde Cassini. A droite, zoom sur la division de Encke photographiée le 29 octobre 2004 à 807000 km de distance par la sonde Cassini. La résolution est de 4.5 km/pixel. Documents NASA/JPL/ESA/ISA.

La seconde division importante des anneaux est la division de Encke qui se situe en bordure de l'anneau A extérieur (et dont le nom est trompeur car Johann Encke n'a probablement pas pu l'observer avec sa lunette de 240 mm d'ouverture). Beaucoup plus étroite et plus pâle que la division de Cassini, son existence sera confirmée dans les anses par William Lassel et William Dawes en 1850.

A l'image de la division de Cassini, la division de Encke se compose de rochers épars et renferme deux annelets torsadés. Mais comparée à la division de Cassini, la division de Encke est pratiquement évidée suite aux passages répétés du petit satellite Pan sur lequel nous reviendrons.

Dans quel instrument peut-on voir la division de Encke ?

La largeur de la division de Encke située près du bord extérieur des anneaux ne dépasse pas 325 km soit moins de 0.1". Elle est donc 13 fois plus mince que la division de Cassini. Pour l'observer, il faut d'abord d'excellentes conditions météos (très peu de turbulence) puis utiliser un télescope de 280 à 300 mm d'ouverture minimum et un grossissement d'au moins 250x voire idéalement plus de 500x pour la distinguer à l'oculaire. Il est donc impossible de l'observer dans un plus petit instrument (une optique de 130 mm de diamètre offre un pouvoir séparateur de 1" et un 200 mm de 0.7").

Saturne photographiée le 6 juin 2018 par le Télescope Spatial Hubble. A cette date, la planète se situait à ~1.4 milliard de km de la Terre et un mois avant l'opposition. Cette photo résulte d'un empilement RGB (R=O I+S III à 631 nm, G=O III à 502 nm et B=Ca II à 395 nm).

En photographie, en empilant plusieurs centaines d'images, certains amateurs l'auraient photographiée en utilisant des télescopes de 240 mm d'ouverture (PS = 0.6") voire plus petits mais cela est optiquement peu probable. En général, dans les télescopes de moins de 279 mm ou 11" de diamètre, ce que beaucoup d'amateurs pensent être la division de Encke est en fait un jeu d'ombre et de lumière sur l'anneau A connu sous le nom de "minimum de Encke". Mais le plus souvent, c'est le traitement d'image poussé trop loin qui crée des artefacts en forme d'arcs sombres dans l'anneau A comme dans l'anneau B (cf. cette photo prise au NexStar 5 de 127 mm de diamètre et ces photos et commentaires d'Oliver Pettenpaul ainsi que l'article sur le forum de Cloudy Nights).

En fait, le premier amateur qui parvint à photographier la division de Encke est Thierry Legault au moyen d'un télescope Schmidt-Cassegrain Meade LX200 de 305 mm de diamètre équipé d'une caméra CCD Hi-Sis 22. Auparavant, les seules images existantes furent prises avec le télescope de 1 m du Pic-du-Midi et de 1.25 m de Catalina en Arizona. Plus récemment, l'amateur Damian Peach l'a photographia également lors de l'opposition en janvier 2005. Mais la performance ne fut possible qu'en empilant quelque 9500 images prises au foyer d'un télescope Celestron C11 de 279 mm de diamètre (PS = 0.55"). C'est en effet la seule technique qui permet d'augmenter le rapport signal/bruit.

Plus loin, au-delà de l'Anneau A, Voyager a découvert 3 groupes d'annelets irréguliers, baptisés F, G et E, à mesure qu'on s'éloigne de Saturne. Ils se situent parmi les orbites des 5 satellites les plus proches.

L'étrange Anneau E

Grâce à la sonde Cassini qui survola notamment les satellites de Saturne, les planétologues ont compris pour quelles raisons l'anneau E s'est maintenu au cours du temps.

Compositage de deux images prises par la sonde Cassini en 2010 montrant la lune Encélade juste au milieu de l'image alimentant l'anneau E de Saturne en cristaux de glace et en poussières grâce à ses jets de vapeur qui se cristallisent au contact du vide. Document NASA/CICLOPS.

Situé au-delà de la division de Encke, cet anneau est invisible dans un télescope. Seul le Télescope Spatial Hubble et la sonde Cassini ont pu le photographier sous la forme d'une fine bande diffuse au-delà de l'anneau G et de l'anneau Pallène.

L'anneau E se situe entre 211000 et 213500 km du centre de Saturne mais en pratique il s'étend au moins dix fois plus loin vers l'extérieur comme on le voit à gauche. Avec environ 2500 km de largeur, c'est l'anneau de Saturne le plus étroit si on exclut les divisions sombres de Cassini et de Encke.

L'anneau E est le plus étrange des anneaux de Saturne car il gravite dans une zone instable où ses éléments devraient se disperser au fil du temps. Or, les images prises par le Télescope Spatial Hubble et la sonde Cassini montrent une masse plutôt bien organisée bien que localement sous l'effet de turbulence qui se maintient dans le plan de Saturne mais visiblement très différente des trois anneaux principaux et très diffuse.

En fait, l'anneau E se situe à la même distance qu'Encélade (~235000 km), ce qui explique son existence. En effet, nous verrons un peu plus loin qu'en 2005, grâce à la sonde Cassini, les astronomes découvrirent les "fontaines d'Encélade". La surface de cette lune est en activité et sous l'effet de la chaleur, des cryovolcans et des failles éjectent des panaches de vapeur et de poussière jusqu'à plus de 500 km d'altitude. L'eau gèle instantanément, formant de minuscules cristaux qui finissent par former un anneau autour de Saturne.

C'est ainsi que les panaches des geysers ou des cryovolcans d'Encélade alimentent l'anneau E, un processus qui durera aussi longtemps que la surface gelée d'Encélade émettra des jets de vapeur sous l'effet combiné de la pression de marée interne et de la chaleur du Soleil qui perce sa surface et fait fondre la glace. On y reviendra.

Un nouvel anneau géant

Grâce à la vision infrarouge du télescope spatial Spitzer de la NASA, Anne Verdiscer et Michael Skrustkie de l'Université de Virginie, ainsi que Douglas Hamilton de l'Université du Maryland annoncèrent la découverte d'un nouvel anneau autour de Saturne dans la revue "Nature" le 22 octobre 2009.

Assez différent des trois anneaux classiques, il se trouve à 12.4 millions de kilomètres du centre de Saturne (entre 128 et 207 Rs, dont Rs=60330 km), ce qui correspond à un diamètre d'environ 100 fois celui de Saturne !

Les résultats d'une nouvelle étude publiée dans la revue "Nature" en 2015 par l'équipe d'Hamilton basée sur l'imagerie infrarouge indiquent que la totalité de l'anneau s'étend jusqu'à 270 Rs soit 16.3 millions de kilomètres !

Selon le modèle utilisé, les particules dont il est composé et mesurant plus de 10 cm de rayon n'auraient pas subi de dérive orbitale vers l'intérieur du système de Saturne depuis 4.5 milliards d'années et contribueraient tout au plus à 10% des poussières composant l'anneau.

Constitué de fines particules de glace et de poussière, cet anneau immense est incliné de 27° par rapport au plan des autres anneaux et s'inscrit dans l'orbite de Phoebé, l'une des lunes de Saturne.

Epais d'environ 2.4 millions de kilomètres (40 Rs), cet anneau est très diffus; il ne contiendrait que 20 grains de matière par km3, ce qui signifie que si on se trouvait à l'intérieur, on ne le distinguerait même pas ! Sa faible densité explique qu'il soit passé inaperçu si longtemps.

Illustration de l'anneau de 25 millions de km de diamètre découvert autour de Saturne en 2009 et sa relation avec les satellites Phoebé et Japet. Documents NASA/JPL et JPL/Spitzer adapté par l'auteur.

Sa profondeur optique est d'environ 2x10-8, comparable à celle de l'anneau Gossamer de Jupiter. Ses matériaux sont donc aussi noirs que de la suie.

Cet anneau est incliné dans la même direction que le satellite Phoebé et dans la direction opposée à celle de Japet.

Selon les scientifiques, certains matériaux glacés et sombres de cet anneau se déplaceraient de la partie extérieure vers la partie intérieure, en direction de Japet situé à moins de 6 millions de kilomètres de distance (1.7 million de kilomètres du centre de Saturne), où la glace tomberait à sa surface "comme des insectes sur un pare-brise", selon les termes de la NASA.

Ce processus expliquerait les grandes taches sombres qu'on observe sur Japet et qui recouvrent pratiquement toute une hémisphère, en particulier la zone sombre baptisée "Callisto Regio" dont les photographies en gros-plans indiquent qu'il s'agit de dépôts de matière noire et dont certains détails changent au cours du temps.

Selon Hamilton, "les astronomes soupçonnaient depuis longtemps qu'il existait un lien entre la lune extérieure Phoebé et la matière sombre de Japet. Cet anneau apporte une preuve convaincante de cette relation."

La disparition des anneaux durant les équinoxes de Saturne

Depuis 2017, époque à laquelle les anneaux étaient grand ouverts et la planète nous montrait son pôle Nord et était même en opposition avec la Terre en juin 2018, les anneaux se referment lentement. Lorsque la Terre traverse le plan équatorial de Saturne, les anneaux disparaissent totalement à notre vue et il faut user de techniques infrarouges (sensibles à la chaleur des poussières) pour les détecter. Ce phénomène étonnant se produit tous les 15 ans, durant les équinoxes de Saturne. Ce phénomène s'est présenté le 10 août 1995 et le 4 septembre 2009. La prochaine disparition des anneaux aura lieu le 23 mars 2025 comme on le voit ci-dessous.

A voir : Saturne entre 2016 et 2045, par Larry Koehn

A gauche, ouverture progressive des anneaux de Saturne entre 1996 et 2000 photographiée par le HST. Au centre, fermeture progressive des anneaux de Saturne entre 2004 et 2009 photographiée par Alan Friedman avec un télescope Maksutov-Cassegrain Astro-Physics de 250 mm f/14.6. A droite, le 4 septembre 2009 Saturne n'avait plus d'anneaux ou si peu... déroutant ! Document Alan Friedman. Ci-dessous à gauche, Saturne photographiée par la sonde Cassini le 12 août 2009, le jour de l'équinoxe, à 870000 km de distance. Notez que les anneaux ne sont pratiquement plus éclairés par le Soleil et ne projettent qu'une fine ligne d'ombre à hauteur de l'équateur. Au centre, l'aspect simulé de Saturne le même jour vue depuis la Terre. A droite, simulation de la disparition des anneaux de Saturne le 23 mars 2025. Documents NASA/ESA/STScI, JPL/Cassini et T.Lombry.

Selon le diamètre et donc la puissance lumineuse des télescopes amateurs, cette phase dure entre 15 jours et un mois après laquelle on recommence à discerner les anneaux. En fait, les anneaux ne disparaissent pas complètement. Seules les régions les plus épaisses et les plus denses de l'anneau (~1500 m d'épaisseur), diffusant la lumière du Soleil, restent visibles par photographie dans des télescopes d'au moins 250 mm d'ouverture.

Prochain chapitre

Les anomalies dans les anneaux

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[1] Certains n'y voient là qu'un hasard, mais le phénomène de résonance gravitationnelle peut expliquer la structure des anneaux.


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