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Astrophysique et Cosmologie

L'amas de galaxies SDSS J1531+3414 sous l'effet d'une lentille gravitationnelle photographié en lumière RGB et IR par le HST en 2013.

Les découvertes récentes (I)

Avec l'avènement des télescopes spatiaux, des réseaux radiointerférométriques à très large base et la construction de grands télescopes de plus de 8 mètres d'ouverture équipés d'instruments toujours plus sophistiqués (CCD de gigapixels, optique adaptative, spectrographe à champ intégral, etc), les astrophysiciens ont eu l'opportunité d'étudier l'univers à travers tout le spectre des rayonnements, des ondes radio aux rayons X et gamma en passant par les bandes UV, visible et l'infrarouge notamment.

Si certaines observations ont renforcé les théories, d'autres ont forcé les astronomes à revoir leurs hypothèses et parfois les modèles existants.

Devant l'accumulation des découvertes parfois en désaccord avec les hypothèses de travail ou contredisant d'autres théories, les astrophysiciens ont bien dû constater que l'univers était loin d'être le lieu sombre et figé pour l'éternité qu'on imaginait encore au milieu du XXe siècle.

Les astrophysiciens ont découvert que non seulement l'univers est peuplé d'une grande variété d'astres plus ou moins calmes ou turbulents dont on commence seulement à comprendre l'évolution mais également de substances a priori inconnues comme la matière et l'énergie sombres.

Ce sont quelques-unes de ces découvertes récentes faites en astrophysique mais dont certaines ont des implications en cosmologie, que nous allons décrire. Certaines d'entre elles feront probablement l'objet de nouveaux articles dès que le sujet se sera étoffé, d'autres ayant déjà été incorporées dans différents articles. En complément, un article a été consacré aux découvertes de Gaia concernant la Voie Lactée et à la découverte des galaxies les plus lointaines.

Précisons que toutes les distances mentionnées dans cet article déduites des redshifts ou décalages Doppler (z) correspondent à la distance propre ou temps de regard, il ne s'agit donc pas des distances réelles dites comobiles radiales de ces galaxies aujourd'hui.

Des amas stellaires dans la galaxie Firefly Sparkle à z ~ 8.3

Grâce à l'observatoire orbital à rayons X Chandra, vers 2005 des astronomes ont étudié le halo de matière sombre de 34 amas de galaxies relaxés (cf. la définition d'un amas relaxé et non relaxé) dont MACS J1423.8+2404 (MACS J1423 en abégé) situé dans la constellation du Bouvier. Au centre de cet amas massif brille une galaxie elliptique supergéante (type cD) située à z = 0.545 soit 5.4 milliards d'années-lumière. Cet amas contient des milliers de galaxies et présente un diamètre apparent d'environ 2.5'.

Cet amas de galaxies compte parmi les plus massifs et les plus lumineux en rayons X avec une masse virielle d'environ 4.3 à 4.52 x 1014 M dans un rayon < 65" ou 415 kpc (cf. R.W. Schmidt et al., 2007; M.Limousin et al., 2010) et une luminosité en rayons X de 3.7 x 1045 erg/s (cf. H.Ebeling et al., 2007), soit équivalente à celle d'un AGN comme 3C 273 (cf. H.Friedman et al., 1967).

L'étude de sa morphologie Sunyaev–Zel'dovich (SZ) qui repose sur l'observation des distorsions que l'amas induit dans le fond diffus cosmologique (CMB) via l'effet Sunyaev-Zel'dovich (les effets thermique et cinétique sur les photons du CMB analysés à l'aide de radiotélescopes opérant dans les longueurs d'ondes millimétriques et submillimétriques où l'effet SZ est le plus apparent) et la distribution des galaxies ont révélé qu'il s'agit d'un amas relaxé à noyau froid (cf. R.Adam et al., 2016 et la notion d'amas à noyau chaud ou froid).

Du fait de sa masse, MACS J1423 engendre un puissant effet gravitationnel et génère de nombreuses lentilles gravitationnelles. La première analyse des lentilles gravitationnelles de MACS J1423 fut publiée en 2010 (cf. M.Limousin et al., 2010), suivie par beaucoup d'autres. L'une des lentilles gravitationnelles est située en bas à droite de l'image prise par le JWST présentée ci-dessous, où on observe un arc lumineux et perlé qui reproduit l'image déformée d'une galaxie lointaine située à z = 8.296 ±0.001 dont la lumière est amplifié environ 24 fois; elle évolue dans un Univers âgé d'environ 600 millions d'années. Cette galaxie surnommée "Firefly Sparkle" (le scintillement de luciole) doit son surnom au fait qu'elle scintille d'amas d'étoiles; les chercheurs en ont identifié 10 au total qu'ils ont examinés en détail (cf. L.Mowla et al., 2024).

À gauche, une photo prise par la caméra NIRCam du JWST des milliers de galaxies distribuées dans l'amas MACS J1423.8+2404 (MACS J1423 en abégé) situé dans la constellation du Bouvier. Voici l'image sans annotations. Au centre de l'image, la galaxie elliptique supergéante lumineuse (cD) est située z = 0.545 soit 5.4 milliards d'années-lumière. A droite, en bordure de cet amas, l'effet d'une lentille gravitationnelle a déformé sous forme d'un arc et amplifié ~24 fois la lumière d'une galaxie lointaine surnommée "Firefly Sparkle" (le scintillement de luciole) située à z = 8.296 ±0.001; elle évolue dans un Univers âgé de seulement 600 millions d'années. Grâce au JWST, les chercheurs ont pu estimer sa masse et identifier 10 amas stellaires qu'ils ont étudiés individuellement. L'image a) indique trois objets d'intérêt, "Firefly Sparkle" au centre, FF-BF en bas à gauche et FF-NBF en bas à droite, représentés dans des cadres et des cercles, qui sont probablement deux galaxies satellites de "Firefly Sparkle". Les contours montrent les lignes de grossissements (μ = 15, 20, 30 et 40) par les lentilles gravitationnelles. En b), les image RGB (F444W, F277W et F115W) de "Firefly Sparkle" montrant les différentes couleurs des amas d'étoiles. En c), l'image combinée à courte longueur d'onde (F115W + F150W + F200W) de "Firefly Sparkle", dans laquelle on distingue les différents amas stellaires. Les barres d'échelle représentent 1" ou 6.4 kpc soit ~20900 années-lumière. Documents NASA/ESA/CSA/STSci et al. (2024) et L.Mowla et al., (2024).

Étant donné que l'image de la galaxie est déformée en un long arc, les chercheurs ont facilement identifié 10 amas d'étoiles distincts qui émettent la majeure partie de la lumière de la galaxie. Il y a deux amas au-dessus et huit amas en dessous de la galaxie. ils sont nommés de FF-1 à FF-10.

Sur les photos prises par le JWST (ci-dessus à droite), ces amas sont représentés dans les tons rose, violet et bleu. Ces couleurs et les spectres qui les soutiennent ont confirmé que la formation d'étoiles ne s'est pas produite en une seule fois dans cette galaxie, mais qu'elle s'est écoulée dans la temps. Chaque fois qu'une galaxie en croise une autre, le gaz se condense et se refroidit, ce qui permet de former de nouvelles étoiles qui se rassemblent en amas.

Selon l'équipe de Mowla, ces dix amas d'étoiles représentent entre 49 et 57% de la masse totale de la galaxie et présentent chacun une masse comprise entre 105 M et 106 M pour une densité de surface variant entre 103 et 104 M/pc2, des valeurs similaires à celles des amas globulaires de la Voie Lactée. Leur taux de formation d'étoiles spécifique sSFR (ou SFR/M, c'est-à-dire le SFR par rapport à la taille ou la masse actuelle de la galaxie) est d'environ 10-7 par an. On en déduit que le taux de formation stellaire de la galaxie en termes absolus (c'est-à-dire combien d'étoiles sont formées dans la galaxie) ou SFR = 0.1 à 1 M par an.

L'équipe d'Elka Rusta de l'Université de Florence utilisa les mesures du JWST, le facteur de grossissement gravitationnel (μ ~ 24.4) obtenu par l'équipe de Mowla et le modèle de formation de la Voie Lactée NEFERTITI (cf. I. Koutsouridou et al., 2023; L.Oldham, 2024) pour vérifier si la galaxie "Firefly Sparkle" est compatible avec un analogue de type Voie Lactée à z ~ 8. Et dans ce cas, quelles sont les propriétés observées des progéniteurs de la Voie Lactée. Sur base de ces résultats, ils ont déduit les propriétés de la galaxie "Firefly Sparkle".

Pour le système des dix amas stellaires, les chercheurs obtiennent une masse stellaire globale de 106.2-7.5 M, un halo de matière sombre de 108.1-9.0 M, un SFR = 0.04 à 0.20 M par an et une métallicité du gaz Zgaz = 0.04-0.24 Z. Le temps nécessaire pour former la moitié de la masse stellaire totale est de l'ordre de 150 à 300 millions d'années. Selon les chercheurs, ces amas ont des populations stellaires anciennes qui se sont formées plus de 100 millions d'années avant l'observation (cf. E.Rusta et al., 2024).

Etant donné qu'on ignore l'histoire de la formation de ces amas d'étoiles, on ne peut pas affirmer qu'il s'agit d'amas d'étoiles nucléaires (des amas denses situés au centre de la galaxie) ou de vestiges de galaxies naines qui ont précédemment fusionné avec le système. En revanche, leurs âges sont cohérents avec le fait qu'ils ont survécu à plusieurs rencontres et ils sont susceptibles de rester liés jusqu'à leur éjection du système ou leur intégration dans le noyau.

La reconstruction montre que ces amas formant activement des étoiles sont entourés de lumière diffuse provenant d'autres étoiles non résolues. Cela signifie que cette galaxie est littéralement en train de s'assembler.

Selon Chris Willott du Conseil National de Recherches du Canada, chercheur principal du programme d'observation et co-auteur de cette étude, "Cette galaxie possède une collection diversifiée d'amas d'étoiles, et il est remarquable que nous puissions les voir séparément à un âge aussi précoce de l'Univers. Chaque amas d'étoiles est à un stade différent de formation ou d'évolution."

Les propriétés physiques de la galaxie "Firefly Sparkle" mesurées à partir des spectres des instruments NIRSpec et Prism du JWST. A gauche, les positions des fentes du spectrographe sur l'arc. A droite, le spectre NIRSpec pour la fente 1 (ligne du milieu, contenant la lumière des sources FF-6, FF-5 et de l'arc diffus), celui de la fente 2 (ligne du haut, contenant la lumière de la source FF-4 avec des contributions mineures de FF-3 et celui de l'arc diffus) et le spectre 1D de la fente 1. Documents L.Mowla et al., (2024).

La forme projetée de la galaxie "Firefly Sparkle" (sa forme apparente en arc) montre que ses étoiles ne se sont pas installées dans un bulbe central ni dans un disque fin et aplati, une preuve supplémentaire que cette galaxie est toujours en formation.

Les chercheurs ont calculé que sa masse stellaire (M) vaut log(M/M) ~ 7.0 soit 10 millions de masses solaires. Par comparaison, à z = 8.3, la masse stellaire médiane des progéniteurs de la Voie Lactée vaut log(M/M) ~ 6.04 et pour les progéniteurs de la galaxie d'Andromède M31, log(M/M) ~ 6.9 (cf. M.Tang et al., 2023). La masse de "Firefly Sparkle" est donc similaire à celle des progéniteurs de la Voie Lactée ou de M31 au même stade d'évolution, ce que l'équipe de Rusta précitée confirme également (cf. E.Rusta et al., 2024). "Firefly Sparkle" est donc une galaxie peu massive car d'autres galaxies évoluant à cette période de l'histoire de l’Univers sont nettement plus massives (M/M entre 7.7 er 9.0).

Les chercheurs ont également modélisé la galaxie "Firefly Sparkle" sans l'effet de la lentille gravitationnelle et ont découvert qu'elle ressemblait à une goutte de pluie allongée.

L'agrandissement des photos prises par le JWST montre également que la galaxie "Firefly Sparkle" est escortée par deux galaxies compagnes, l'une située à 6500 années-lumière de "Firefly Sparkle", la seconde à 42000 années-lumière. Non seulement les deux compagnes sont très proches de "Firefly Sparkle", mais les chercheurs soupçonnent également qu'elles sont en orbite l'une autour de l'autre. Par effet gravitationnel, ces deux compagnes pourraient à terme affecter la façon dont "Firefly Sparkle" évoluera et constituera sa masse sur des milliards d'années.

Selon Lamiya Mowla de l'Observatoire Whitin du Wellesley College du Massachusetts et autrice principale de cette étude, "Je ne pensais pas qu’il serait possible de décomposer une galaxie qui existait si tôt dans l’Univers en autant de composants distincts, et encore moins de constater que sa masse est similaire à celle de notre propre Galaxie lorsqu'elle était en train de se former. Il se passe tellement de choses à l'intérieur de cette minuscule galaxie, notamment de nombreuses phases différentes de formation d’étoiles."

Selon Lamiya, "La plupart des autres galaxies que le JWST nous a montrées ne sont pas agrandies ou étirées, et nous ne sommes pas en mesure de voir leurs "blocs de construction" séparément. Avec "Firefly Sparkle", nous assistons à l'assemblage d'une galaxie brique par brique."

La galaxie "Firefly Sparkle" est encore petite et tombe dans la catégorie des galaxies de faible masse. Il faudra des milliards d'années avant qu'elle atteigne sa maturité, devienne plus massive et prenne une forme distincte.

Tension entre les données du JWST et les modèles de réionisation

La réionisation est une période critique de l'Univers primitif au cours de laquelle les premières étoiles et galaxies ont modifié la structure physique de leur environnement, puis de l'univers tout entier. La théorie actuelle du Big Bang affirme, preuve à l'appui, que l'ère de la réionisation s'est terminée environ 1.1 milliard d'années après le Big Bang (cf. S.Bosman et al., 2022). Cependant, si on calcule la fin de cette période à partir des données enregistrées par le télescope spatial James Webb (JWST), une équipe d'astronomes dirigée par Julian B. Muñoz de l'Université du Texas constata que la réionisation aurait pris fin au moins 500 millions d'années plus tôt que prévu. Leur découverte fit l'objet d'un article publié dans les "MNRAS Letters" en 2024.

Pour rappel, l'Univers a subi plusieurs changements majeurs. Pendant les premières 380000 années qui suivirent le Big Bang, il baignait dans un plasma chaud et dense composé de protons et d'électrons notamment. A mesure que l'Univers s'est étendu et devint plus froid, ces protons et électrons se combinèrent pour former des atomes d'hydrogène neutre (HI). Puis, environ 100 millions d'années après le Big Bang voire un peu plus tard, les premières étoiles et galaxies ont commencé à se former, inaugurant l'époque de la réionisation. Ces premières étoiles dites de Population III étaient des géantes très chaudes et très massives qui émettaient beaucoup d'énergie sous forme de rayonnement UV extrême. Cette énergie était si intense que lorsqu'elle frappait les atomes d'hydrogène proches, ceux-ci s'ionisaient et se séparaient en protons et en électrons. Après plusieurs centaines de millions d'années, lorsque presque tout l'hydrogène de l'Univers fut ionisé, l'époque de la réionisation prit fin.

A gauche, simulation de galaxies ionisant l'hydrogène (zones brillantes) à l'époque de la réionisation de l'Univers moins d'un milliard d'années après le Big Bang. A droite, les nouvelles données à faible redshift (low-z) du JWST impliquent une réionisation antérieure, en tension avec les données du fond diffus cosmologique (CMB) obtenues par la mission Planck. En bas : Évolution de la fraction neutre (xHI) en fonction du décalage vers le rouge z pour un modèle pré-JWST (lignes pleines noires, avec une coupure à Muv = -13 et ƒesc = 0.2 avec ƒesc les photos qui s'échappent vers le milieu intergalactique et peuvent ioniser l'hydrogène neutre), pour le même modèle mais avec un modèle JWST calibré (lignes pointillées violettes), et un modèle où en plus ƒesc est déterminé à partir d'analogues à faible redshift (lignes pointillées bleues). Les points verts montrent un ensemble de contraintes observationnelles documentés. En haut : profondeur optique τCMB (l'opacité de l'univers pour les photons du CMB, en fonction de la quantité de matière qui les a dispersés ou absorbés) où la bande rouge est la mesure de la mission Planck (cf. N.Aghanim et al., 2020). Les nouvelles observations de galaxies par le JWST donnent lieu à beaucoup plus de photons ionisants (UV) et, à première vue, sont en forte contradiction avec les données du CMB. Documents ESO et J.B. Muñoz et al. (2024).

Sachant qu'environ 75% de toute la matière est constituée d'hydrogène, cela représente une immense transformation. Selon Julian Muñoz, professeur adjoint d'astronomie à l'Université du Texas et auteur principal de cet article, "C'est le dernier changement majeur à se produire. Vous êtes passés d'un état neutre, froid et ennuyeux à un état ionisé et chaud. Et ce n'est pas quelque chose qui s'est produit seulement dans une ou deux galaxies. C'est arrivé à l'Univers tout entier."

Ce processus chauffa et ionisa le gaz contenu dans tout l'Univers, ce qui régula la vitesse de croissance et d'évolution des galaxies. Ces premières étoiles ont établi la structure globale des galaxies.

Les astronomes ne pouvant pas observer directement le processus de réionisation, ils doivent utiliser des modèles pour prédire quand il se termina. Ces modèles sont basés sur les lois de la physique actuelle et sur des preuves indirectes, notamment des mesures de la quantité de lumière provenant du fond diffus cosmologique à 2.7 K (CMB). Une autre preuve est l'abondance précoce de l'hydrogène liée à ces changements d'énergie, appelée la "forêt Lyman-alpha". Ces deux éléments aident les astronomes à calculer la quantité d'hydrogène transformée pendant la réionisation, et par extension la quantité d'énergie nécessaire pour y parvenir.

Selon Muñoz, "C'est un jeu de comptabilité. Nous savons que tout l'hydrogène était neutre avant la réionisation. À partir de là, il faut suffisamment d'ultraviolets extrêmes pour diviser chaque atome. Ainsi, en fin de compte, vous pouvez faire le calcul pour déterminer quand la réionisation prit fin."

Tension dans les modèles de réionisation, exprimée par la coupure effective Muv-io.cutoff sur la fonction de luminosité UV (UVLF), c'est-à-dire la fonction à laquelle les galaxies cessent d'émettre des photons ionisants, et la fraction d'échappement moyenne (ƒesc)ion. au-dessus de cette coupure. Les trois contours colorés correspondent aux régions autorisées par la profondeur optique τCMB du CMB (rouge), les études à faible z ƒesc (bleu) et les observations directes HST + JWST sans coupure jusqu'à Muv ~ -15 (vert). Le panneau de gauche suppose une valeur pré-JWST tenant compte d'études antérieures, où les trois régions colorées se chevauchent bien pour les coupures faibles et ƒesc ~ 0.2. Le panneau de droite prend à la place le nouvel étalonnage du JWST, auquel cas les trois régions ne se chevauchent pas, montrant une tension dans la réionisation. En détails, la région bleue suit les résultats du sondage LzLCS sur les analogues de l'ère de la réionisation (cf. J.Chisholm et al. 2022), évalués à z = 7, avec des lignes pleines correspondant à l'observation directe et des lignes pointillées à l'extrapolation, dans tous les cas où les pentes UV plafonnent à ßuv = -2.7. Trois modèles pré-JWST populaires sont présentés sous forme d'étoiles colorées, R15, F19 et M22 (le dernier suppose une valeur plus grande et plus proche de la nouvelle valeur du JWST). Le losange rouge et le cercle noir sur le panneau de droite correspondent à des solutions possibles à la tension. Documents ESO et J.B. Muñoz et al. (2024).

Aujourd'hui, le JWST remet en question les modèles établis. Grâce à lui, les astronomes peuvent scruter le cosmos plus loin que jamais auparavant, en profondeur dans cette époque critique. Cela conduit à de nombreuses observations inattendues dans l'Univers primitif, dont une plus grande abondance que prévu de galaxies émettant des ultraviolets extrêmes.

Selon John Chisholm, professeur adjoint d'astronomie à l'Université du Texas et coauteur de cet article, "Le JWST a révélé que les galaxies brillantes sont suffisantes pour ioniser l’Univers à elles seules. C’est contraire à ce que beaucoup de personnes avaient anticipé."

Avec ces nouvelles observations, la comptabilité est désormais erronée. Selon Muñoz, "Si vous deviez faire aveuglément confiance au James Webb, il vous dirait que la réionisation prit fin 550 à 650 millions d'années après le Big Bang, au lieu des estimations actuelles d'un milliard d'années. Si cela était vrai, le fond diffus cosmologique serait différent, et la forêt Lyman-alpha serait différente. Il y a donc une tension.", un problème dont il faut à présent comprendre l'origine et surtout résoudre.

En d'autres termes, il est peu probable que la réionisation se soit produite des centaines de millions d’années plus tôt que prévu. Alors, pourquoi cette tension ? Une explication possible est que les modèles actuels sont incomplets et manquent d’informations clés. Par exemple, les protons et les électrons ionisés se réunissent parfois pour reformer des atomes d'hydrogène neutres, c'est la recombinaison. Si cela se produisait plus souvent que ne ce que prédisent les modèles actuels, cela pourrait augmenter la quantité de lumière ultraviolette extrême nécessaire pour ioniser tout l'univers.

Seloon Muñoz, "Nous avons besoin d"observations plus détaillées et plus approfondies des galaxies, et d'une meilleure compréhension du processus de recombinaison. Résoudre cette tension sur la réionisation est une étape clé pour enfin comprendre cette période charnière. J'ai hâte de voir ce que les années à venir nous réservent."

B2 0402+379, la paire de trous noirs supermassifs la plus rapprochée

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2024, Tirth Surti, doctorant en physique à l'Université de Stanford et ses collègues ont annoncé la découverte d'un trou noir supermassif binaire pesant l'équivalent de 28 milliards de masses solaires. La masse combinée des deux trous noirs est si élevée qu'elle empêche les deux astres d'entrer en collision et de fusionner (merger).

Ce trou noir supermassif binaire est situé au coeur de la radiogalaxie géante B2 0402+379 alias 4C +37.11, une galaxie elliptique "fossile" située dans la constellation de Persée à 750 millions d'années-lumière qui fut observée pour la première fois en 2003 et 2005 grâce au VLBA. Cette galaxie se forma lorsqu'un amas de galaxies entier fusionna en une galaxie géante.

Illustration d'un trou noir supermassif binaire. Document LIGO/Caltech/MIT.

Les deux trous noirs orbitent l'un autour de l'autre à seulement 24 années-lumière de distance, ce qui en fait la paire de trous noirs supermassifs la plus rapprochée observée à ce jour. Leur période orbitale est de 30000 ans. On reviendra sur les trous noirs supermassifs binaires.

Comment une galaxie peut-elle posséder deux trous noirs supermassifs ? L'existence simultanée de deux trous noirs supermassifs indique que la galaxie a déjà subi une fusion dans un passé relativement récent. En effet, lorsque deux galaxies fusionnent, chacune contenant un trou noir supermassif, avec le temps, ces deux trous noirs finissent par fusionner en un seul objet. Dans le cas de B2 0402+379, s'il y a fusion, elle ne se produira probablement pas avant plusieurs millions d'années. C'est le temps qu'il faut aux orbites des deux trous noirs supermassifs pour se reserrer en perdant de l'énergie par rayonnement gravitationnel (sous forme d'ondes gravitationnelles).

Sachant que les fusions de galaxies sont courantes, de telles paires de trous noirs supermassifs devraient également être assez courantes, bien que les astronomes n'en ont pas découvert beaucoup. Mais le fait d'avoir pu mesurer le mouvement orbital de l'une de ces paires, encourage les astronomes à rechercher d'autres paires similaires.

Selon Roger Romani, professeur de physique à l'Université de Stanford et coauteur de cet article, "Normalement, il semble que les galaxies abritant des paires de trous noirs plus légères ont suffisamment d'étoiles et de masse pour rapprocher rapidement les deux. Comme cette paire est très massive, elle a nécessité beaucoup d'étoiles et de gaz pour se former. Le système binaire a survécu au centre de cette galaxie de cette matière, la laissant au point mort."

Pour trouver cette paire de trous noirs supermassifs, les auteurs ont consulté les données d'archives collectées par le télescope Gemini North à Hawaï et ont utilisé le spectrographe GMOS du télescope pour cartographier les vitesses des étoiles et trouver des traces d'accélération près du centre de la galaxie qui seraient la signature de la présence de trous noirs.

A ce jour, les astronomes n'ont jamais observé la fusion de deux trous noirs, et la fusion des trous noirs de B2 0402+379 est obstinément bloquée depuis 3 milliards d'années. Les astronomes ne savent toujours pas si la valse des deux trous noirs se poursuivra ou si elle se terminera par une fusion spectaculaire (ce qui de toute manière arrivera).

Selon Surti, "Nous attendons avec impatience les investigations de suivi sur le noyau de B2 0402+379, où nous examinerons la quantité de gaz présente. Cela devrait nous permettre de mieux comprendre si les trous noirs supermassifs peuvent éventuellement fusionner ou s'ils resteront bloqués sous forme binaire."

L'univers primitif des Âges Sombres ionisé par des galaxies naines

Grâce au télescope JWST, une équipe internationale d'astronomes a réalisé les premières observations spectroscopiques des galaxies les plus faibles évoluant au cours du premier milliard d'années de l'Univers et obtenu des indices essentiels pour résoudre le mystère couvrant la période dite des "Âges Sombres" (entre ~300000 ans et ~1 milliard d'années après le Big Bang).

Derrière l'amas de Pandore, Abell 2744, photographié ici par le JWST, les chercheurs ont étudié huit galaxies naines d'arrière-plan évoluant dans l'Univers primitif. Document NASA/ESA/CSA.

Pour rappel, pendant les premières centaines de millions d'années qui suivirent le Big Bang, l'Univers baignait dans un épais "brouillard" d'hydrogène sans étoiles pour l'éclairer. Les spécialistes pensent que ce brouillard s'est finalement dissipé au cours de la réionisation de l'Univers (vers 700000 ans après le Big Bang soit jusque vers z ~ 20), lorsque le rayonnement a finalement pu traverser les nuages d'hydrogène neutre. Mais restait à savoir si ce rayonnement de réionisation provenait uniquement des premières étoiles ou si la matière tombant sur les trous noirs supermassifs notamment jouait également un rôle important.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024, une équipe d'astronomes dirigée par Hakim Atek de l'Institut d'Astrophysique de Paris a étudié huit galaxies naines primitives parmi les plus lointaines situées derrière l'amas de Pandore, Abell 2744, et évoluant dans un Univers âgé de seulement 600 à 800 millions d'années. Les auteurs ont pris à la fois des images CCD et des spectres grâce à l'instrument NIRSpec du JWST.

Le résultat le plus marquant est que ces galaxies naines ont produit quatre fois plus de rayonnement ultraviolet que ce que les astronomes avaient déduit des scénarii précédents.

Selon Atek, "Malgré leur petite taille, ces galaxies de faible masse sont de prolifiques productrices de rayonnement énergétique, et leur abondance pendant cette période est si importante que leur influence collective peut transformer l'état entier de l'Univers." Sa collègue Iryna Chemerynska précise : "Ils produisent des photons ionisants qui transforment l'hydrogène neutre en plasma ionisé lors de la réionisation cosmique."

Les astronomes soupçonnent depuis longtemps que de telles galaxies ont contribué à éclairer l'Univers primitif, mais c'est devenu plus discutable depuis que le JWST a découvert plus d'AGN que prévu. Désormais, les nouvelles données du JWST sur ces minuscules galaxies les remettent au devant de la scène. Si on supposait que ces petites galaxies jouèrent un rôle important, les voir directement grâce au JWST et encore plus satisfaisant.

Le prochain objectif des auteurs est d'exploiter le programme d'observation GLIMPSE du JWST. Les astronomes cibleront un autre amas de galaxies massif, Abell S1063, afin d'étudier des galaxies encore plus faibles situées derrière lui, dans l'Univers primitif. Cela leur permettra de vérifier si les galaxies naines de l'étude actuelle sont typiques de la distribution à grande échelle des galaxies.

Enfin, grâce à la future installation radioastronomie du SKA (Square Kilometer Array) qui devrait être opérationnelle vers 2030, les astronomes seront en mesure de déterminer exactement à quelle époque l'Univers n'était pas encore réionisé. Si les conclusions de l'équipe d'Atek sont exactes, nous ne devrions trouver que de l'hydrogène neutre (tracé par la raie à 21 cm) loin des galaxies naines. Autrement dit, on ne devrait pas détecter de signal radio près de ces galaxies naines.

Gz9p3, une galaxie mergeur massive 510 millions d'années après le Big Bang

Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Kristan Boyett de l'Ecole de Physique de l'Université de Melbourne, en Australie, a réalisé des observations détaillées sans précédent de l'une des premières galaxies connues, cataloguée Gz9p3, dont les résultats furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2024 (en PDF sur arXiv).

Gz9p3 tire son nom de la collaboration GLASS (le nom de cette équipe de 29 chercheurs) et du fait que cette galaxie se situe à un redshift de z = 9.3127 ±0.0002 soit une distance propre de 13.19 milliards d'années-lumière. Son redshift fut estimé à partir des raies d'émission [O II] et de l'hydrogène détectées par l'instrument NIRSpec du JWST. C'est l'une des 12 galaxies les plus lointaines identifiées à ce jour (2024) et la deuxième plus lointaine (avec GHZ2/GLASS-z12) identifiée grâce aux raies de l'oxygène en plus des raies Lyman α.

Gz9p3 est une galaxie "mergeur", c'est-à-dire en interaction, en train de fusionner avec une autre galaxie. Elle fut identifiée pour la première fois comme un petit point à peine plus grand qu'un pixel en 2022 dans les images du Télescope Spatial Hubble. Mais il fallut l'oeil perçant du JWST pour découvrir la structure de cette galaxie et déterminer qu'elle évoluait dans l'Univers primitif, environ 526 millions d'années après le Big Bang, lorsque l'Univers avait moins de 5% de son âge actuel.

Selon les auteurs, Gz9p3 est bien plus massive et mature que prévu pour un Univers aussi jeune, contenant déjà plusieurs milliards d'étoiles. Elle contient l'équivalent de ~1.6 x 109 M et forme des étoiles au taux SFR ~ 19 M par an (l'incertitude atteint 32%), avec une métallicité d'environ 10% de celle du Soleil.

C'est de loin l'objet le plus massif confirmé à cette époque avec une masse 10 fois plus élevée que toute autre galaxie détectée à ce jour au même redshift. Ces résultats suggèrent que pour que la galaxie atteigne cette taille, les étoiles doivent s'être développées beaucoup plus rapidement et efficacement qu'on ne le pensait jusqu'à présent.

Images de la galaxie Gz9p3 en cours de fusion située à z = 9.3 photographiée sous filtres sélectifs par la NIRCam du JWST. C'est la plus brillante connue évoluant 510 millions d'années après le Big Bang. A gauche, une image composite en couleurs représentatives sous filtres F444W, F277W et F150W. Au centre, une image montrant un double noyau nucléaire dans la région centrale. La résolution est de 20 mas/pixel. A droite, les isophotes révèlent une structure grumeleuse allongée produite par la fusion de galaxies. Documents K.Boyett et al. (2024).

Non seulement Gz9p3 est une galaxie massive, mais sa forme complexe l'identifie immédiatement comme l'une des premières fusions de galaxies jamais observées. Comme le montre la carte des contours lumineux (isophotes) présentée ci-dessus à droite, la galaxie montre une morphologie qu'on associe généralement à deux galaxies en interaction.

Grâce à la spectroscopie, les auteurs ont pu analyser la composition de cette galaxie et découvert deux populations distinctes. Selon les auteurs, la fusion n'est pas terminée car on voit encore plusieurs composantes, dont un amas principal à deux noyaux, composé de très jeunes étoiles âgées de moins de 10 millions d'années entouré d'une population stellaire étendue âgée de 120 ±20 millions d'années (identifiée à partir de la modélisation du Modèle LATEX) et une extension qui ressemble à une queue de marée grumeleuse.

Comme nous l'avons expliqué à propos des fusions de galaxies, lorsque deux galaxies se rapprochent ainsi, par effet gravitationnel elles projètent effectivement une partie de leur matière dans l'espace. L'image prise par le JWST suggère que nous observons l'une des fusions les plus lointaines jamais vues.

Une population aussi mature et aussi âgée à cette époque précoce n'est pas prévue par les modèles actuels. De plus, des éléments chimiques spécifiques détectés dans leur spectre (notamment le silicium, le carbone et le fer) révèlent que cette population stellaire plus âgée a enrichi la galaxie en divers métaux.

De façon générale, quand on étudie les galaxies évoluant dans l'Univers primitif, à l'image de Gz9p3, ce n'est pas seulement la taille de ces galaxies qui est surprenante, mais aussi la vitesse à laquelle elles ont atteint un tel état chimiquement mature.

Pour rappel, les galaxies de champ ou isolées construisent leur population d'étoiles in situ à partir de leurs réservoirs de gaz et constituent un moyen lent pour assurer leur croissance. Mais la quantité de gaz étant limitée, ce processus finit par anémier la galaxie et réduire son taux de formation stellaire à moins d'une étoile par an voire plus aucune. Les interactions entre galaxies peuvent attirer de nouveaux flux de gaz légers, fournissant le carburant nécessaire à la formation rapide d'étoiles, tandis que les fusions fournissent un canal encore plus accéléré pour accumuler du gaz et accroître la masse de la galaxie. Evoluant dans un univers dynamique, les plus grandes galaxies visibles dans l'univers proche montrent toute une historique de fusions successives, y compris M31 et la Voie Lactée. On y reviendra.

Les observations de Gz9p3 montrent que les galaxies évoluant dans l'Univers primitif ont pu accumuler rapidement de la masse grâce à des fusions, avec des efficacités de formation d'étoiles supérieures à celles attendues. Ces observations fournissent la preuve d'une accumulation rapide et efficace d'étoiles et de métaux liée aux fusions de galaxies très peu de temps après le Big Bang, démontrant que des galaxies massives comptant plusieurs milliards d'étoiles ont existé plus tôt que prévu.

Ces découvertes et d'autres faites grâce au JWST contredisant les théories actuelles, elles vont conduire les astrophysiciens à ajuster leur modélisation des débuts de l'Univers et contribuer à réécrire notre compréhension de la formation et de l'évolution des galaxies. Cela ne signifie pas que les modèles cosmologiques sont faux, mais notre compréhension de la rapidité avec laquelle les galaxies se sont formées l'est probablement.

À mesure que le nombre de galaxies lointaines observées augmentera, les astronomes qui étudient l'Univers primitif disposeront d'échantillons de plus en plus grands pour finalement être suffisamment représentatifs pour commencer à construire et à affiner de nouveaux modèles. Toute nouvelle découverte en ce domaine est donc une bonne nouvelle car elle améliore nos connaissances.

Vers une révision de la formation des galaxies

Notre compréhension de la formation des galaxies et de la nature de la matière sombre pourrait être complètement bouleversée après de nouvelles observations d'une galaxie plus massive que la Voie Lactée située à plus de 11 milliards d'années et... qui ne devrait pas exister selon le modèle cosmologique Standard !

Cette photo de la galaxie ZF-UDS-7329 prise par la caméra NIRCam du JWST montre une galaxie rouge compacte à disque mais sans détails. Mais le spectre obtenu par le JWST a révélé une caractéristiquee inattendue et même anormale : elle s’est formée il y a environ 13 milliards d’années et contient environ 4 fois plus de masse stellaire que la Voie Lactée aujourd’hui. Document JWST.

Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2024 (en PDF sur arXiv), Karl Glazebrook du Centre for Astrophysics and Supercomputing de l'Université de Technologie de Swinburne en Australie détaille les résultats d'une étude de la galaxie massive ZF-UDS-7329 située à z = 3.2, c'est-à-dire qu'on la voit telle qu'elle était environ 2 milliards d'années après le Big Bang. C'est une galaxie dite quiescente, c'est-à-dire qu'elle ne forme plus d'étoiles.

Les observations montrent qu'elle possède une importante population d'étoiles dont la masse stellaire totale est 4 fois plus importante que celle de la Voie Lactée de nos jours et extrêmement ancienne, formée à z ~11 soit 1.5 milliard d'années plus tôt. Ces résultats bouleversent les modèles actuels qui considèrent qu'à cette époque il n'y avait pas assez de matière sombre dans les concentrations de gaz pour amorcer la formation de ce type de galaxie.

Glazebrook et ses collègues suivent cette galaxie et d'autres du même type depuis 2017 et ont passé des heures à l'observer avec les plus grands télescopes (Keck et VLT) pour déterminer son âge. Mais étant trop rouge et trop faible, ils ne sont pas parvenus à enregistrer son spectre jusqu'à ce que le JWST soit opérationnel.

La formation des galaxies est un paradigme fondamental qui sous-tend l'astrophysique moderne et prédit un fort déclin du nombre de galaxies massives au début des temps cosmiques. Or des galaxies quiescentes extrêmement massives ont été observées un à deux milliards d'années après le Big Bang, ce qui est tout à fait inexplicable selon les modèles actuels.

La question clé est maintenant de savoir comment de telles galaxies se sont formées si rapidement très tôt dans l'univers, et quels mécanismes mystérieux les empêche de former brusquement des centaines d'étoiles chaque année comme le font les autres galaxies.

Selon Claudia Lagos de l'ICRAR (International Centre for Radio Astronomy Research) qui participa à la modélisation théorique de l'évolution des concentrations de matière sombre pour cette étude, "La formation des galaxies est en grande partie dictée par la manière dont la matière sombre se concentre. La présence de ces galaxies extrêmement massives si tôt dans l'univers pose des défis importants à notre modèle cosmologique Standard. En effet, nous ne pensons pas que les structures de matière sombre aussi massives qu'elles hébergent aient eu le temps de se former. En fait des données supplémentaires sont nécessaires pour comprendre à quel point ces galaxies peuvent être communes et nous aider à comprendre à quel point ces galaxies sont réellement massives."

Glazebrook espère que cette découverte ouvrira une nouvelle voie pour mieux comprendre la physique de la matière sombre, déclarant : "Le JWST a découvert de plus en plus de preuves de la formation précoce de galaxies massives. Ce résultat établit un nouveau record pour ce phénomène. Bien qu'il soit très frappant, ce n'est qu'un seul objet. Mais nous espérons en trouver davantage, et si nous y arrivons, cela bouleversera vraiment nos idées sur la formation des galaxies."

Découverte d'un proto-amas massif de galaxies

Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal Letters"en 2024, l'équipe de Feige Wang de l'Observatoire Steward de Tucson, en Arizona, annonça la découverte d'un proto-amas massif de galaxies. La nouvelle structure fut découverte autour d'un quasar lumineux appelé J0910-0414 dont une cartographie est présentée ci-dessous.

Cartographie des surdensités à grande échelle des émetteurs Lyman-alpha (LAE) autour du quasar J0910-0414. Document F.Wang et al. (2024).

Les astronomes s'intéressent particulièrement à l'étude des proto-amas de galaxies car ce sont les ancêtres des amas de galaxies. De telles structures, évoluant à des redshifts élevés (z > 2.0), pourraient fournir des informations essentielles sur les premières phases de l'Univers.

Le quasar J0910-0414 est situé à z = 6.63. On le voit tel qu'il était environ 830 millions d'années après le Big Bang. Avec un tel recul temporel, les chercheurs estiment que c'est un bon endroit pour rechercher des surdensités de galaxies et donc de nouveaux amas de galaxies y compris les premiers proto-amas.

Ce quasar abrite également l'un des trous noirs les plus massifs avec une masse d'environ 3.6 milliards de masses solaires.

Pour étudier ce quasar, les chercheurs ont utilisé l'Hyper Suprime-Cam (HSC) de 870 mégapixels montée sur le télescope Subaru de 8.20 m de la NAOJ installé au sommet du Mauna Kea à Hawaï. Cette caméra hors norme dispose d'un champ de 1.77° soit sept fois la surface apparente de la pleine Lune. Elle mesure 3 m de longueur, la première lentille mesure 82 cm de diamètre pour un poids total d'environ 3 tonnes ! L'installation radiointerférométrique ALMA et d'autres observatoires au sol furent également mis à profit.

Le proto-amas de galaxies est proche de J0910-0414. Au moins trois raies du carbone [C II] et 12 émetteurs Lyman-alpha (LAE) sont associés au redshift du quasar. Les images montrent également un LAE à double pic à proximité du quasar.

Selon les chercheurs, ce proto-amas de galaxies est l'une des structures les plus denses connues dans l'Univers primitif. La masse de cette structure est estimée à environ 6.9 quadrillions de masses solaires soit trois fois supérieure à celle de l'amas de Coma (~1015 M) visuellement voisin mais beaucoup plus proche. Cela signifie que ce proto-amas est le plus massif découvert à ce jour à z > 6.0.

Résumant les résultats, l'équipe de Wang souligna qu'il est plus efficace d'identifier les surdensités des galaxies en ciblant les champs de quasars dans les données d'ALMA et à bande étroite, pour découvrir de telles entités.

A l'avenir les chercheurs utiliseront le système Mosaic d'ALMA, l'imagerie à grand champ et à bande étroite ainsi que le télescope JWST pour rechercher des quasars évoluant à l'époque de la réonisation. Selon les auteurs, cela devrait leur "permettre non seulement d'identifier les surdensités des galaxies à l'époque de la réonisation, mais également d'étudier la dépendance environnementale de l'évolution des galaxies."

Les fusions de galaxies dans l'Univers primitif expliquent l'émission Lyman α

La résolution et la sensibilité inégalées du télescope spatial Jame Webb (JWST) ont révélé, pour la première fois, ce qui se trouve dans l'environnement local des galaxies évoluant dans l'Univers primitif.

Parmi les questions non résolues de l'astronomie, en analysant le spectre des galaxies, les astronomes se sont demandés pourquoi pouvaient-ils observer la lumière des atomes d'hydrogène alors qu'elle aurait dû être entièrement bloquée par le gaz présent dans l'Univers primitif ?

Grâce au JWST, Callum Witten de l'Institut d'Astronomie de l'Université de Cambridge et ses collègues ont découvert la présence de petites galaxies pâles autour des galaxies qui expliquent cette émission d'hydrogène "inexplicable" jusqu'à présent. En comparant leurs données avec des simulations de galaxies évoluant dans les conditions de l'Univers primitif, les résultats montrent que la fusion ou merge de ces galaxies voisines est à l'origine de cette émission d'hydrogène. La vidéo présentée ci-dessous illustre le système de merge étudié et l'extraction du gaz neutre de ces objets. Cette découverte fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2024 (en PDF sur arXiv).

A voir : Simulation - merging galaxies and hydrogen emission, HubbleWebbESA, 2024

Lyman alpha, UCL, 2015

A gauche, le champ général et un zoom sur la galaxie EGSY8p7, une galaxie brillante située à z = 8.68. Elle évolue dans un Univers âgé d'à peine 580 millions d'années où l'émission de lumière provient d'atomes d'hydrogène excités appelée l'émission Lyman α. Elle se manifeste par une augmentation du flux avec d'importantes raies d'absorptions dans leur spectre appelées la "forêt Lyman α". Les images furent prises par le JWST dans le cadre du sondage CEERS. Au centre, un gros-plan sur la galaxie EGSY8p7 et ses deux compagnes dont le noyau plus brillant est bien visible. A droite, l'image plus floue de EGSY8p7 enregistrée en 2015 par les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer. Documents ESAWebb et NASA/ESA/UCL.

Pour rappel, les toutes premières galaxies étaient des sites de formation d'étoiles massives et très actives et, en tant que telles, étaient de riches sources d'un type particulier de lumière émise par des atomes d'hydrogène appelée l'émission Lyman α. Cependant, à l'époque de la réionisation, qui eut lieu entre environ 700 millions d'années et 1.1 milliard d'années après le Big Bang, une immense quantité d'hydrogène neutre (HI) entourait ces zones stellaires qu'on appelle également des "pépinières d'étoiles".

A cette époque, l'espace entre les galaxies était rempli de beaucoup plus de ce gaz neutre qu'aujourd'hui. Le gaz neutre pouvant absorber et disperser très efficacement cette émission d'hydrogène, les astronomes ont prédit depuis longtemps que l'abondante émission Lyman α libérée au tout début de l'Univers ne devrait plus être observable aujourd'hui. Or, on observe tout l'inverse : dans les spectres de nombreuses galaxies lointaines, les astronomes observent des raies de l'hydrogène Lyman α (pour les galaxies lointaines la raie qui se situe au repos en UV à 121.56 nm est décalée soit vers 451 nm pour z = 2.4 voire à plus de 1100 nm pour z ~ 8, dans la partie proche infrarouge de son spectre, d'où l'utilisation du JWST pour observer les galaxies dans cette partie du spectre). Se pose alors une question : comment se fait-il que cette émission de lumière provenant des atomes d'hydrogène présent dans l'Univers primitif - qui aurait dû être absorbée ou dispersée depuis longtemps, et certainement bloquée par le gaz neutre - soit observée ?

Grâce à la caméra NIRCam du JWST, Witten et ses collègues ont réussi à percer ce mystère. Là où le Télescope Spatial Hubble ne voyait qu'une "grande" galaxie floue comme illustré ci-dessus à droite, le JWST distingue un amas de galaxies plus petites en interaction. Grâce à son excellente résolution, le JWST a permis de résoudre les petites galaxies pâles qui entourent les galaxies brillantes dans lesquelles l'émission d'hydrogène "inexplicable" - Lyman α - avait été détectée.

Concrètement, l'environnement de ces galaxies semble être un endroit beaucoup plus fréquenté que les astronomes le pensaient, rempli de petites galaxies pâles. Avec le temps, ces petites galaxies souvent de taille naine, interagirent et fusionnèrent les unes avec les autres. Grâce à l'oeil perçant du JWST, Witten et ses collègues ont montré que les fusions de galaxies peuvent expliquer cette émission mystérieuse des galaxies lointaines.

Les auteurs ont ensuite utilisé des simulations informatiques pour explorer les processus physiques susceptibles d'expliquer leurs résultats. Ils ont découvert que l'augmentation rapide de la masse stellaire due aux fusions de galaxies entraînait à la fois une forte émission d'hydrogène et facilitait la fuite de ce rayonnement via des canaux débarrassés de l'abondant gaz neutre. Ainsi, le taux de fusion élevé de galaxies plus petites, jusqu'alors inobservées résout l'énigme de longue date de l'émission précoce "inexplicable" d'hydrogène.

Selon Sergio Martin-Alvarez, de l'Université de Stanford et coauteur de cet article, "cette révélation eut un impact énorme sur notre compréhension de l'émission inattendue d'hydrogène de certaines des premières galaxies."

Le prochain objectif des auteurs est de réaliser des observations de suivi avec des galaxies à différents stades de fusion, afin d'améliorer leur compréhension de la manière dont l'hydrogène est éjecté de ces systèmes en évolution. A terme, cela leur permettra d'améliorer notre compréhension de l'évolution des galaxies.

Observation de la galaxie DOG AzTECC71 par le JWST

Dans le cadre de la collaboration COSMOS-Web qui travaille avec le télescope spatial James Webb (JWST), Caitlin Casey, professeure agrégée à l'Université du Texas à Austin et ses collègues se sont donnés pour objectif de cartographier jusqu'à 1 million de galaxies dans une région du ciel d'à peine deux degrés carrés (de la taille de trois pleines Lunes). L'objectif est notamment d'étudier les premières structures de l'Univers, en particulier les galaxies primitives. L'équipe de plus de 50 chercheurs bénéficia de 250 heures de temps d'observation au cours de la première année d'opération du JWST et travailla 2 ans - entre 2022 et 2024 - pour analyser toutes les données.

Composite pseudo-RGB de la galaxie AzTECC71 photographiée par la caméra NIRCam du JWST. Le champ couvre 3.6" x 3.6". Document J.McKinney et al. (2023).

Parmi les premières galaxies étudiées, dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2023, Casey et ses collègues se sont intéressés à la galaxie AzTECC71 située à z = 5.7; on la voit telle qu'elle était 1 milliard d'années après le Big Bang. C'est une galaxie primitive obscurcie par la poussière et Starburst ou DOG (Dust-Obscured star-forming Galaxy) enveloppée d'un voile de poussière difficile à pénétrer. Elle forme de nouvelles étoiles à un taux très élevé qu'on ne rencontre plus dans les galaxies plus proches car elles ont épuisé une grande partie du gaz qui leur sert de combustible pour former de nouvelles étoiles.

Selon le postdoctorant Jed McKinney de l'Université du Texas à Austin et auteur principal de cet article, "Cette chose est un véritable monstre. Même si cela ressemble à une petite goutte, elle forme en réalité des centaines de nouvelles étoiles chaque année."

Une galaxie obscurcie par la poussière est difficile à voir en optique car une grande partie de la lumière des étoiles est absorbée par la poussière puis réémise à des longueurs d'ondes infrarouges. Avant le JWST, les astronomes les appelaient parfois les "galaxies sombres de Hubble", par référence au télescope spatial Hubble dont la vision en infrarouge est limitée à 1.7 micron ou 1700 nm. La galaxie AzTECC71 qui paraît rouge en partie en raison de son important décalage Doppler, est totalement invisible sous 2.5 microns ou 2500 nm comme le montre cette séquence du JWST prise sous différents filtres et n'apparait qu'en infrarouge moyen à 4.44 microns ou 4400 nm.

Le fait que la plupart des galaxies DOG sont invisibles par le HST suggérait aux astronomes que ces galaxies étaient extrêmement rares dans l'univers primitif. Selon McKinney, "Jusqu'à présent, la seule façon dont nous avons pu voir les galaxies de l'Univers primitif était d'un point de vue optique avec Hubble. Cela signifie que notre compréhension de l'histoire de l'évolution des galaxies est biaisée parce que nous ne voyons que les galaxies non obscurcies et moins poussiéreuses. Avec le JWST, nous pouvons étudier pour la première fois les propriétés optiques et infrarouges de cette population de galaxies et percer les voiles poussiéreux les plus épais."

Cette découverte, ainsi que plus d'une douzaine de candidates supplémentaires isolées dans la première moitié des données de COSMOS-Web suggèrent que les galaxies DOG primitives pourraient être jusqu'à dix fois plus nombreuses que prévu. Si cette conclusion est confirmée, cela suggère que déjà 900 millions d'années après le Big Bang le jeune Univers était beaucoup plus poussiéreux qu'on ne le pensait auparavant.

Mais pour en être certain, il faudra encore patienter jusqu'à ce que les différentes équipes de chercheurs aient analysé un grand nombre de galaxies DOG et Starbursts et obtenu une vue générale et plus précise de leurs propriétés et de leur évolution. Le cas échéant, ils pourront ensuite affiner le modèle cosmologique de l'évolution des galaxies.

Deuxième partie

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