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La matière et l'énergie sombres dans l'Univers

Quel que soit l'endroit du ciel où porte le regard des télescopes, ici en direction de la constellation du Fourneau jusqu'à plus de 13 milliards d'années-lumière, l'Univers est peuplé de galaxies. Mais il y a surtout 68% d'énergie sombre ! Doc NASA/ESA/STScI.

Analyse du bilan énergétique de l'Univers (I)

Pour la toute première fois dans l'histoire de la cosmologie, en 1998 l'astrophysicien Michael S. Turner[1] réussit à dresser le bilan de la quantité totale de matière sombre (ou noire) et d'énergie sombre contenues dans l'Univers. Certains astrophysiciens considèrent qu'il s'agit là d'une découverte scientifique tout aussi importante que la découverte du rayonnement cosmologique en 1965.

Ce bilan fut affiné en 2015 après analyse des résultats de la mission Planck (cf. ESA) puis en 2020 grâce à l'analyse des données des amas de galaxies (cf. M.H. Abdullah et al., ApJ, 2020). Que nous dit ce bilan ?

Définition

D'abord définissons les sujets de notre étude pour éviter toute confusion. S'il est simple de définir la matière sombre comme de la matière non baryonique (autre que les protons, neutrons et hypérons) qui, comme nous l'expliquerons, représente ~27% de l'Univers visible, la définition de l'énergie sombre est déjà plus subtile, raison pour laquelle nous nous reporterons à la définition du CERN : "L'énergie sombre constitue environ 68% de l'Univers et semble être associée au vide de l'espace. Elle est distribuée uniformément dans l'Univers, non seulement dans l'espace mais aussi dans le temps. En d'autres termes, son effet n'est pas dilué à mesure que l'Univers se dilate. La distribution uniforme signifie que l’énergie sombre n’a pas d’effet gravitationnel local mais plutôt un effet global sur l'Univers dans son ensemble. Cela conduit à une force de répulsion qui tend à accélérer l'expansion de l'Univers. Le taux d'expansion et son accélération peuvent être mesurés par des observations basées sur la loi de Hubble. Ces mesures, ainsi que d'autres données scientifiques ont confirmé l'existence de l'énergie sombre et fourni une estimation de la quantité de cette substance mystérieuse."

Le bilan énergétique de l'Univers

Ce bilan est tout d'abord un bilan cosmique dans toutes les acceptations du terme. En effet, il s'agit d'un bilan "consolidé" de plusieurs dizaines de bilans individuels relatifs à l'influence gravitationnelle de toutes ses composantes et des processus physico-chimiques bien définis qui affectent l'évolution générale de l'Univers.

Citons pêle-mêle la mesure des abondances des premiers éléments chimiques formés durant la nucléosynthèse du Big Bang, les analyses des fluctuations de la température du rayonnement fossile à 2.7 K, de la distribution des étoiles dans les galaxies, de la structure à grande échelle de l'Univers, de la mesure du gaz chaud intra-amas, de l'analyse spectrale des quasars et des supernovae, de l'analyse des phénomènes de lensing et microlensing ainsi que des contraintes sur la masse des neutrinos. Excusez du peu !

A partir de ces estimations, les astrophysiciens sont parvenus à préciser les contributions respectives des différentes composantes de la matière et de l'énergie constituant l'univers visible.

Exprimé en fraction de la densité critique de l'univers, densité qui assure un juste équilibre entre son effondrement et son expansion infinie, ils sont arrivés aux résultats suivants (affinés en 2015 par Planck mais similaires) :

- Etoiles : 0.5%

- Baryons (total des protons, neutrons et hypérons) : 4.9 ±0.6%

- Matière (total) : 27 ±4%

- Neutrinos : 0.5%

- Energie sombre : 67 ±4%.

Les nouveaux résultats obtenus en 2020 par l'équipe de Mohamed H. Abdullah de l'Université de Californie à Riverside précitée sur base de l'analyse de plus de 1800 amas de galaxies dont 756 amas présentant un redshift moyen z = 0.085 soit supérieur à 1 milliard d'années-lumière et des masses virielles d'au moins 1014 M indiquent que la matière représente 31.5 ±1.3% de la quantité totale de matière et d'énergie de l'univers (contre 32.4 ±4% auparavant). Les deux valeurs se recroisent donc bien.

L'astrophysicien Michael S. Turner de l'Université de Chicago (~1998).

En clair, il manque les 2/3 de l'Univers ! Parmi ces mesures il faut relever que 75% de cette énergie sombre est de nature et de composition inconnues. Nous savons que cette énergie invisible se manifeste par son attraction gravitationnelle et participe à l'accélération "récente" de l’expansion de l'Univers (à l'échelle des temps cosmiques). En revanche, elle ne s’y dilue pas.

La matière sombre exotique représentant environ 23% de l'ensemble se dilue en revanche avec l’expansion de l'Univers. Les baryons sont en grande partie sombres et ne brillent pas, sauf dans les amas de galaxies où tous sont visibles. Les étoiles et le gaz interstellaire ou intergalactique sont visibles par leurs rayonnements ou par des phénomènes d'absorption de la lumière mais il est des bandes de longueurs d’onde encore mal explorées où peuvent se cacher de grandes quantités de baryons. Enfin, les éléments chimiques lourds représenteraient 0.03% de la densité critique de l'univers. Voyons à présent tout cela en détails.

Même si toute la matière baryonique que nous sommes capables de détecter en tirant profit des ondes visibles, infrarouges, radios, X ou γ n’atteint pas toujours la valeur de 4% attendue dans les galaxies ou le gaz intergalactique, l’avancée des observations laisse penser qu’on devrait rapidement voir cette matière et compléter le bilan des baryons comme cela a été fait dans les amas de galaxies.

Cela dit, les galaxies ne "tournent pas comme il faut" (la seule matière visible ne peut pas assurer leur cohésion et leur persistence) et les grandes structures cosmiques commes les superamas de galaxies ne peuvent pas former les structures que nous observons à grande échelle du seul fait de la matière visible.

Bref, 27% de l'Univers se présente sous forme de matière pesante qui impose son attraction gravitationnelle mais qui n’est pas constitué de matière ordinaire (baryons). Près de 70% de l’Univers est constitué d’énergie sombre, invisible et indiscernable dans les autres rayonnements.

Si cela paraît sans importance au yeux du public, pour un astrophysicien cette masse "manquante" fausse les mesures de vitesse, les estimations des effets gravitationnels ou magnétiques concernant les corps célestes. Mais au-delà de ces mesures grevée d'une sérieuse marge d'erreur, il y a la question de la densité et de l'avenir de l'Univers.

Du côté obscur

Heureusement, malgré le côté obscur des choses, cet inventaire conforte les théories cosmologiques modernes. Les quantités relevées sont compatibles avec les prédictions du modèle inflationnaire aboutissent à un univers plat, sans courbure mesurable. Mais elles mettent également en évidence trois problèmes majeurs relatifs à la matière et l'énergie sombres :

- Où sont les baryons sombres ?

- Qu'est-ce que la matière sombre non baryonique ?

- Quelle est la nature de l'énergie sombre ?

Pour répondre à ces questions, les astrophysiciens ont été chercher des éléments de réponses chez les cosmologistes ainsi que les physiciens, théoriciens et expérimentateurs, qui avaient déjà imaginé divers scénarii pour expliquer la véritable nature de l'Univers, en particulier son étonnante structure à grande échelle.

Un halo diffus de gaz chaud porté à plusieurs millions de degrés (en pourpre) a été détecté autour de la galaxie active Hercules A. Ce gaz est chauffé par l'énergie libérée par la matière attirée par le trou noir supermassif situé au coeur de la radiosource. Document Chandra.

Certains ont fait appel à des théories très originales comme les Théories de Grande Unification, les GUT qui fourbissent leurs armes avec des entités aussi abstraites que les axions (des particules de la famille des bosons de Goldstone qui ne respectent pas toutes les lois de conservations fondamentales) ou les cordes cosmiques (des défauts topologiques issus de la théorie inflationnaire).

Grâce à ces travaux qui se sont étalés sur plusieurs décennies, les astrophysiciens nous disent aujourd'hui que le candidat le plus prometteur pouvant représenter les baryons sombres, c'est-à-dire les constituants invisibles optiquement parlant de la matière ordinaire et formant la "matière sombre", est le gaz chaud diffus intra-amas dont on voit un très bel exemple à droite, en pourpre, autour de la galaxie active Hercules A. Cette photo combine les images visible, radioélectrique et X.

En raison de sa température de brillance extrêmement élevée - jusqu'à 100 millions de degrés dans le cas de l'amas 1E0657-56, voir photo plus bas - cette composante est détectable dans le rayonnement X (et dans une moindre mesure en lumière blanche et UV) et par ses émissions radioélectriques dans les amas de galaxies et parfois dans le halo qui enveloppe chaque galaxie (par exemple NGC 4631).

A partir de ce constat, à partir de 2011 et pendant trois ans, les astronomes ont étudié 25 amas de galaxies massifs présentant de fortes émissions dans le rayonnement X, seule trace du gaz chaud intra-amas, pour confirmer l'influence éventuelle de la matière sombre de l'énergie sombre.

Ce programme de cartographie baptisé "Cluster Lensing And supernova Survey with Hubble", CLASH en abrégé, combine l'étude des lentilles gravitationnelles les plus massives aux performances d'imagerie améliorées du Télescope Spatial Hubble grâce à ses caméras WFC3 et ACS pour tester les modèle de formation des galaxies. C'est ainsi que nous avons aujourd'hui des preuves tangibles de l'existence de cette matière sombre les amas de galaxies.

Rappel historique

La présence de gaz chaud intra-amas fut détectée pour la première fois en 1977 par N.Bahcall de l'Université de Princeton grâce au télescope spatial Ariel 5 dédié au rayonnement X. A l'époque on n'évoquait pas encore la matière sombre mais on établit une corrélation entre la luminosité X de l'amas et le type de galaxie. On découvrit notamment que le nombre de galaxies spirales diminuait vers le centre de l'amas. Ce phénomène s'expliquait par la combinaison d'une radiation Bremsstrahlung ou radiation de freinage émise par le gaz chaud intra-amas et un phénomène de balayage (stripping) des galaxies spirales par la pression dynamique externe intra-amas. On y reviendra à propos de la formation et de l'évolution des galaxies.

En 1982, une étude des amas de galaxies réalisée par W.Forman et C.Jones du Centre d'Astrophysique Harvard Smithsonian à partir des données du télescope spatial Einstein également dédié au rayonnement X a permis de déterminer la distribution du gaz chaud dans le halo de plusieurs amas.

Nous verrons à propos de la structure de l'univers que ce gaz chaud intra-amas qui constitue l'une des trois composantes des amas avec la matière sombre et les étoiles est peu visqueux et que des turbulences peuvent facilement se développer à petites échelles. On a également découvert en 2019 qu'il existe un équilibre entre ces trois composantes, renforçant le modèle ΛCDM.

Depuis, la présence de ce gaz chaud diffus a été détectée dans la plupart des amas de galaxies et même autour des galaxies du champ (les isolées) dont voici un bref inventaire.

NGC 2300

En 1992, l'équipe de John S. Mulchaey du STScI et son équipe découvrirent grâce au télescope ROSAT, une enveloppe de gaz chaud diffus intra-amas autour de la galaxie NGC 2300 (Arp 114 ou UGC 3798) présentée ci-dessous (la galaxie jaunâtre de type E-S0). Paradoxalement, si Halton Arp l'a cataloguée parmi les galaxies particulières, il ne l'a pas décrite, s'intéressant uniquement à la forme anormale de la galaxie spirale et bleutée proche.

A gauche, la galaxie spirale NGC 2276 (Arp 25, en bleu) et la galaxie NGC 2300 (jaunâtre, en dessous du centre), l'ensemble format l'amas Arp 114 mais dont Halton Arp ignore NGC 2300 dans son descriptif, la jugeant normale. Cette photographie en lumière blanche a été réalisée avec un télescope RCOS de 81 cm d'ouverture (en 20 heures de temps d'intégration total). A droite, son aspect inattendu dans le rayonnement X tel que le photographia l'observatoire orbital ROSAT en avril 1992. Pour les ordres de grandeur, la partie la plus brillante de la galaxie NGC 2300 mesure 3' de diamètre et brille à la magnitude apparente 12.1. La quantité de matière sombre est dix fois plus vaste que la matière visible. L'agrandissement de l'image visible reprend une zone un peu plus étendue. Documents Caelum Obs./NOAO/U.Az et NASA/GSFC/ESA.

NGC 2276 et NGC 2300 sont situées dans la direction de la constellation de Céphée. NGC 2300 brille à la magnitude apparente +12.2 et la zone la plus brillante mesure 30" d'arc de diamètre.

Malgré de nombreuses mesures spectrales, la marge d'erreur sur la distance des deux galaxies est encore de 30% bien que les dernières mesures effectuées à partir des données du Télescope Spatial Hubble et de l'observatoire orbital ROSAT situent ces deux galaxies à 150 millions d'années-lumière.

Observé dans le rayonnement X par le satellite ROSAT, Mulchaey et son équipe découvrirent que ce groupe de galaxies est en réalité plongé dans un immense nuage de gaz chaud d'environ 1.3 millions d'années-lumière de diamètre. Les deux galaxies seraient donc bien en interaction à travers ce nuage obscur.

Sa découverte incita les astronomes à rechercher des associations similaires dans les autres groupes et amas. Depuis, les astronomes ont découvert que cette "matière sombre" se concentre à l'intérieur et autour des petits amas de galaxies. Les raisons de sa présence sont encore mystérieuses mais il est probable qu'au lieu de s'être dissipée il y a des milliards d'années, cette matière a été piégée par la gravité générée par une immense composante obscure et indétectable, l'énergie sombre.

Voyons à présent ce qu'il en est à plus grande échelle, dans les amas de galaxies.

L'amas de Pandore, Abell 2744

L'amas de galaxies de Pandore (Pandora), Abell 2744, est situé à 3.5 milliards d'années-lumière. Comme on le voit ci-dessous, il présente un tout autre aspect quand le satellite Chandra l'observe dans le rayonnement X (en rouge, à droite). Pourtant, en lumière blanche il n'existe pas de sources visibles dans cette zone, pas de quasars ni de galaxiez actives.

Quand on fait l'inventaire de cet amas, on constate qu'il comprend une centaine de galaxies brillantes contenant chacune probablement 1 milliards d'étoiles et plus de 3000 galaxies pâles situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. Sa masse totale est estimée à 4000 milliards de masses solaires !

Les analyses des photographies prises en lumière blanche et proche infrarouge par le Télescope Spatial Hubble, le VLT et le Subaru y compris l'analyse des lentilles gravitationnelles, ainsi que l'analyse du rayonnement X par le satellite Chandra ont permis d'établir une cartographie de la matière sombre comme on le voit sur l'image en fausses couleurs ci-dessous au centre.

A gauche, l'amas de Pandore ou Abell 2744 situé à 3.5 milliards d'années-lumière, les galaxies à l'arrière-plan étant situées à plus de 12 milliards d'années-lumière. Il s'agit d'une image composite visible/IR. Le champ couvre 2'x3' d'arc. Au centre, une vue générale de Pandore dans les rayonnements visible et X. Les zones rouges représentent les émissions X tandis que les zones bleues indiquent la présente de matière sombre en interaction avec le gaz chaud et à l'origine des effets de lentilles gravitationnelles (jusqu'à 3 images pour une galaxie !). Cette matière invisible représente environ 75% de la masse de cet amas. A droite, le rayonnement de l'amas dans le rayonnement X où il brille 4 fois plus qu'en lumière blanche. Documents HST/Spitzer et Chandra.

Les résultats des analyses montrent que 20% de la masse de Pandora est représentée par les galaxies, 5% de sa masse est constituée de gaz chaud mais environ 75% de sa masse soit 3000 milliards de masses solaires sont constituées de matière sombre invisible ! Cette matière se manifeste uniquement par son attraction gravitationnelle.

En effet, en raison de la masse colossale de cet amas, certaines petites galaxies présentent des effets de lentilles gravitationnelles, leur image se démultipliant deux fois et même trois fois autour de la masse déformante (cf. la relativité générale et les articles de P.A.Oesch et al., ApJ 808, p104, 2015; D.Lam et al., ApJ 797, p98, 2014).

En pointant précisément la manière dont ces images sont déformées, les astronomes ont pu localiser indirectement cette masse - la matière sombre - qui se situe dans toute la zone bleue ci-dessus.

Même découverte dans d'autres amas dont un échantillon est présenté ci-dessous. Sans exception, on constate chaque fois que ces amas sont enveloppés de matière sombre dont le noyau est très dense et le volume total beaucoup plus vaste que l'image stellaire visuelle qu'ils nous présentent.

L'aspect de quelques amas de galaxies en combinant les images visibles du Télescope Spatial Hubble et du VLT avec les images en rayonnement X du satellite Chandra. Tous ces amas témoignent qu'une importante quantité de matière sombre enveloppe les amas mais elle ne participe pas à leur évolution du fait de sa faible interaction avec la matière ordinaire, baryonique. Document NASA/STScI/NAOJ/ESO adapté par l'auteur.

Les chercheurs ayant étudié ces amas ont découvert que des nuages de matière sombre peuvent entrer en collision mais comme on s'y attendait, cela provoque très peu d'effet sur la trajectoire et la morphologie des galaxies. Cette matière obscure, bien que capable de dévier la lumière - on peut la localiser et estimer sa masse grâce à son effet de lentille gravitationnelle - n'interagit presque pas avec la matière ordinaire, d'origine baryonique; elle traverse ces amas comme si les milliards d'étoiles et les mégatonnes de gaz n'existaient pas ou à peine !

Malgré ce manque d'interactions, l'information est précieuse car elle permet aux astrophysiciens et aux physiciens théoriciens de fixer des contraintes sur les propriétés de cette manière élusive et mystérieuse.

Les candidats idéaux pour la matière sombre non baryonique sont invisibles et indétectables par nature mais on pense qu'il devrait s'agir de matière sombre et froide quelque peu exotique constituée de particules élémentaires lourdes et lentes abandonnées peu de temps après le Big Bang, telles que les hypothétiques axions ou les neutralinos que l'on trouve respectivement dans les théories de GUT et de supersymétrie.

Enfin, les candidats pour l'énergie sombre sont nombreux : la nouvelle constante cosmologique Λ, l'énergie du vide, un champ scalaire ondulant (une mini-inflation), la quintessence (un champ scalaire décrit par Limin Wang et ses collègues) ou quelques défauts topologiques comme les cordes cosmiques ou les monopôles.

Bref, ces concepts exotiques représentent une véritable brigade d'entités très puissamment armées mais inconnues, dont la plupart sont sorties tout droit de l'imagination débridée des physiciens dans le seul but de rendre dame Nature élégante et cohérente dans ses actions.

A gauche et au centre, l'amas de galaxies Abell 85 situé dans la constellation de la Baleine (Cetus) à environ 700 millions d'années-lumière rassemble plus de 500 galaxies. Cet amas contient en particulier la galaxie elliptique géante Holmberg 15A (Holm 15A) de magnitude 14.7 qui abrite un trou noir supermassif de 40 milliards de masses solaires. La masse visible (stellaire) de cet amas représente environ 2 billions (1010) de masses solaires. A gauche, une image optique obtenue par l'Observatoire Wendelstein de l'Université Ludwig-Maximilians de Munich. Au centre, une image composite optique et rayons X obtenue par le SDSS et Chandra révélant un halo d'énergie sombre portée à plusieurs millions de degrés. Voici une image en optique obtenue par le télescope Gemini. A droite, en 2010 l'équipe de Dan Coe du JPL analysa 42135 images des galaxies situées à l'arrière-plan déformées par les lentilles gravitationnelles pour calculer l'emplacement et la quantité de matière sombre qui fut identifiée en bleu. La zone brillante centrale qui occupe la moitié de l'image s'étend sur 94" soit 1 million d'années-lumière (306 kpc). Selon les analyses des astronomes, le noyau de matière sombre d'Abell 1689 est beaucoup plus massif que prévu pour un amas de cette taille et rejoint la poignée d'amas présentant un noyau dense similaire. Documents Matthias Kluge/USM Wendelstein Observatory/MPE, CXC/SDSS et Dan Coe et al./JPL.

Ces trois groupes de candidats sont des sortes de mercenaires que dame Nature paye énergie sur l'ongle pour calmer le grand jeu cosmique et réorganiser le cosmos après le grand Chaos originel. Sans leur intervention, nous ne pouvons pas comprendre l'évolution de l'Univers et sa structure à grand échelle.

Mais d'un autre côté, l'aspect parfois rébarbatif de ces théories ne plaît pas à tout le monde, certains les jugeant justes bonnes à alimenter l'imagination des auteurs de science-fiction.

Et de fait, à ce jour les astrophysiciens comme les physiciens confirment qu'aucune observation n'a permis de découvrir cette matière sombre non baryonique. Quant à l'énergie sombre, l'horizon est à peine moins obscur. Ce n'est pas pour autant que ces théories sont fausses et que ces particules n'existent pas.

A ceux qui en doutent et c'est bien légitime, rappelons que les quarks, les neutrinos ou l'antimatière sont également issus de cette armée insolite et invisible et ont accompli des actions au-delà des espérances des physiciens. Nous leur devons une meilleure compréhension de l'Univers et sans eux, nous en serions encore à croire que les atomes et les réactions nucléaires n'existent pas.

L'amas Abell 1689 situé dans la Vierge photographié par le Télescope Spatial Hubble. Il comprend au moins 1000 galaxies situées entre 7 et 12 milliards d'années-lumière. Au centre, les effets des lentilles gravitationnelles permettent de localisation la masse déformante au centre de l'amas. A droite, l'image infrarouge de l'amas Abell 1689 obtenue par le Télescope Spatial Hubble. Voici l'image X obtenue par le satellite Chandra révélant un système calme. Cet amas contient 80% de matière sombre. Document NASA/ESA/STScI et NASA/JPL-Caltech/Yale/CNRS.

Passons à présent en revue cette collection d'entités sombres et les contributions possibles des différents candidats évoqués ainsi que leurs points faibles.

La densité critique et l'avenir de l'Univers

1. La densité critique

Déterminer la quantité et la composition de la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers est une question importante et même fondamentale en cosmologie. Les physiciens nous disent qu'aujourd'hui, la densité Ωo de l'Univers (où l'indice"o" fait référence à l'époque actuelle) correspond au rapport entre sa densité totale et sa densité critique d'énergie :

Ωo = ρt / ρc

Cela correspond à la contribution fractionnaire de chaque composante (par exemple les baryons, les photons, les étoiles, etc) à la densité critique.

A l'image d'une masse qui s'enfonce plus ou moins dans un filet en fonction de son poids, la densité influence la géométrie de l'Univers :

R2courb = Ho-2 / (Ωo-1)

Le rayon de courbure (ou plutôt k = R-2) détermine la géométrie spatiale : positive pour une sphère, négative pour une hyperbole et nulle pour un espace plan.

A gauche, les différentes valeurs assignées à la constante de Hubble avant la publication des résultats de la mission Planck. A l'extrême droite du diagramme figurent les nouvelles données Télescope Spatial Hubble. A droite, la relation entre le paramètre de densité de masse Oméga (rapport entre la densité moyenne de l'Univers actuel et la densité critique), l'âge de l'Univers et la constante de Hubble H dans le modèle inflationnaire avec une constante cosmologique positive. Ces trois paramètres sont les principales caractéristiques de tout modèle cosmologique homogène et isotrope (inflationnaire ou pas). Rappelons que la mission Planck a permis d'évaluer la constante de Hubble à 67.8 km/s/Mpc et la densité baryonique moyenne à 0.416, portant l'âge de l'Univers à environ 13.8 milliards d'années. Dans un modèle d'univers sans inflation et sans constante cosmologique, les mêmes courbes sont abaissées, ce qui signifie que pour les mêmes paramètres l'âge à l'Univers ne dépasserait pas 12 milliards d'années. Documents J.Huchra et A.Guth.

Au début des années 2000, pour une constante de Hubble (paramètre de Hubble) Ho = 50 km/s/Mpc, les mesures concordaient pour donner à la densité critique une valeur de :

Cela correspond, en moyenne, à quelques atomes tous les 10 m3.

Malheureusement étant donné que la solution varie comme le carré de Ho, cela signifie que pour une valeur 2 fois plus grande de Ho, la densité est multipliée par 4. Il faut donc être très précis dans les calculs.

Si Ho est ne fut-ce que 25% plus grand que la valeur indiquée ci-dessus, conformément aux mesures effectuées par le satellite Planck (Ho = 67.8 km/s/Mpc), la densité critique devient 1.56 fois plus élevée (6.98 x 10-30 g/cm3). Nous savons aujourd'hui grâce aux mesures du satellite WMAP que cette densité critique vaut 9.9 x 10-30 g/cm3, avec une marge d'erreur de 0.5%. Cela correspond à une densité moyenne de 5.9 protons par cm3 et une densité baryonique moyenne de 0.416.

2. Le facteur de décélération

A propos de la vitesse comobile des galaxies, d'après les analyses spectrales, l'Univers continue son expansion : les galaxies présentent un spectre de raies décalé vers le rouge. Il serait donc ouvert. Seul hiatus, nous ignorons quelle est sa géométrie exacte, un indice qui nous aiderait grandement à apprécier sa forme réelle.

Le taux actuel de décélération de l'expansion (qo) dépend de la densité de l'Univers ainsi que de la contribution de la matière et de l'énergie. Le facteur de décélération qo et la constante de Hubble Ho sont tous deux liés à la courbure de l'espace. Ils varient en fonction de la densité de la matière selon les relations suivantes :

Le facteur de décélération

avec Ho, la constante de Hubble; qo, le facteur de décélération actuel; Po, la pression actuelle; ρo, la densité actuelle; R, le rayon de courbure; c, la vitesse de la lumière; Λ, la constante cosmologique et G, la constante de la gravitation.

3. L'expansion accélérée de l'Univers

Si cette théorie est toujours vrai, en 1998 les astronomes ont découvert à leur plus grande surprise que les supernovae de type Ia étaient plus éloignées que le prévoyait le modèle Standard. Il en déduisirent que le taux d'expansion de l'Univers accélérait au lieu de ralentir. Ce phénomène est contre-intuitif car même si la comparaison est incorrecte, en principe le taux d'expansion d'une explosion - comme celle du Big Bang en première approximation - devrait ralentir au fil du temps en raison de l'effet de la gravité qui excerce une sorte de résistance face à l'expansion de la matière sous l'impulsion initiale. Ce phénomène apparemment paradoxal ne s'explique pas sans amender le modèle Standard et en faisant intervenir la constante cosmologique Λ.

Visiblement, ou plutôt d'une manière obscure et totalement inconnue, cette matière sombre ou cette énergie sombre (voire les deux composantes) participe à l'expansion accélérée de l'Univers. Cela fait des décennies que les astronomes sont sur sa trace à travers tout le spectre et jusqu'aux confins de l'Univers sans parvenir à la trouver et l'identifier. Il y a bien des progrès (on a par exemple découvert que des galaxies très éloignées et donc très anciennes présentent peu de matière sombre ou dans lesquelles cette matière serait diffuse, etc.) mais elles ne permettent pas encore d'identifier cette composante obscure. On y reviendra.

A lire : L'accélération de l'expansion de l'univers

Les problèmes du modèle Standard

Le problème est que cette matière ou cette énergie sombre pèse de tout son poids sur l'évolution de l'Univers et sans pouvoir déterminer sa nature et ses propriétés, il est difficile d'élaborer un modèle précis de l'Univers et en particulier de prédire son avenir. Aussi, actuellement le modèle Standard est trop simple et n'est pas conforme à la réalité et donc sans grand intérêt. Quant au modèle ΛCDM, si c'est le meilleur que nous possédons, il n'est pas complet non plus car il doit tenir compte de l'inflation et ses paramètres doivent encore être ajustés; il est donc encore loin de pouvoir tout expliquer.

4. L'avenir de l'Univers

En cosmologie, seules la quantité et la composition de la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers nous permettent de comprendre son passé ainsi que son avenir.

Ainsi que nous l'avons expliqué, cette densité détermine l'âge actuel de l'Univers, l'époque à laquelle s'interrompit l'ère radiative (quelque 10000 ans après le Big Bang), celle à laquelle les petites inhomogénéités se sont formées dans la forme primitive de la matière (entre le découplage électrofaible et l'époque de la Recombinaison), de quelle manière se sont formées les grandes structures cosmiques ainsi que la formation et l'évolution des galaxies individuelles.

Pour celui qui se penche sur la cosmologie, voire sur son propre avenir dans une optique spirituelle, il est donc important de savoir quel sera l'avenir de l'Univers. Dans ce contexte, l'influence de la gravité est au coeur de nos préoccupations immédiates. En effet, deux propriétés contribuent à créer la force de gravité de la matière. L’une est sa "densité d’énergie", qui est égale à sa densité multipliée par le carré de la vitesse de la lumière. Cette quantité est toujours positive. La seconde contribution vient de la pression exercée par la matière sur son environnement à l'instar de la pression engendrée par un gaz. Généralement cette force de pression est très faible comparée à la grande quantité d’énergie potentielle contenue dans la matière.

Si on considère que la matière baryonique présente une pression nulle (équation d'état w = 0), l'énergie du vide présente une pression négative (w = -1) et le rayonnement une pression très faible (w = 1/3) mais suffisante par exemple pour propulser une voile solaire dans l'espace.

L'avenir de l'Univers n'est pas directement déterminé par sa densité critique ou son taux de décélération. En effet, il peut exister des Univers à courbure positive et vide de matière. L'avenir de l'Univers dépend surtout de la contribution de toutes les composantes de la matière et de l'énergie dans le futur. Or nous savons aujourd'hui que l'énergie sombre contribue à environ 75% dans le bilan de la densité d'énergie de l'Univers.

Une chose est sûre, l'Univers s'effondrera sur lui-même lorsque le taux d'expansion sera nul et l'influence de la gravité dominera les autres forces.

Si l'Univers était uniquement constitué de matière, une courbure positive avec une densité Ωo > 1 déclencherait à moyen terme son effondrement sur lui-même; si la courbure de l'Univers est négative, alors Ωo < 1 et il poursuivra son expansion à l'infini.

Le passé, comme l'avenir de l'Univers, est dominé par le rayonnement : photons, neutrinos et particules exotiques. La prédominance de la matière n'apparaît finalement que comme un épiphénomène à l'échelle cosmique même si ses effets furent localement spectaculaires avec l'apparition de la vie.

Toutefois, des composantes "exotiques", c'est-à-dire constituées d'une matière baryonique ou non baryonique inconnue, ou même constituée de cette fameuse énergie sombre, peuvent modifier cette évolution dans un sens comme dans l'autre. De même, un Univers à courbure positive mais constitué d'énergie du vide positive renforcera l'expansion de l'Univers, tandis qu'un Univers à courbure négative mais présentant une énergie du vide négative provoquera son effondrement sur lui-même.

En revanche, nous savons grâce à la thermodynamique et à la physique quantique que même si l'Univers est plat, avec une courbure nulle et Ωo = 1, l'Univers connaîtra un jour une mort thermique et la quasi totalité des particules élémentaires finiront par se désintégrer.

En conclusion, mesurer la quantité de matière et d'énergie ainsi que déterminer leur composition respective est un défi. Pas uniquement du fait que les inhomogénéités présentent une grande échelle, de l'ordre de 30 millions d'années-lumière (10 Mpc), mais également parce qu'il peut exister des composantes qui demeurent constantes ou changent très peu au cours de l'évolution (par exemple l'énergie du vide ou les particules relativistes) qui ne se révèlent qu'à travers leurs effets sur l'évolution de l'Univers lui-même.

Décrivons à présent en détails cet inventaire de toute la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers et ses implications dans le modèle cosmologique Standard.

Deuxième partie

Inventaire de toute la matière et de l'énergie contenues dans l'Univers

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[1] Michael S. Turner, "Dark Matter and Energy in the Universe", Astronomy and Astrophysics, 10 Jan 1999 - B.K. Gibson, T.S. Axelrod et M. E. Putman (eds.), "The Third Stromlo Symposium: The Galactic Halo", ASP Conference Series, Vol.666, 1999 - S. Perlmutter et al., "The Cosmic Triangle: Revealing the State of the Universe", Science, 28 May 1999. Lire également les résultats de la mission Planck publiés par l'ESA en 2015.


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