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Titan et la mission Cassini-Huygens

Titan en transit devant Saturne photographiée le 6 mai 2012 par la sonde spatiale Cassini à 778000 km de Titan. La résolution est de 46 km/pixel. Document JPL Photojournal.

Sous les brumes de Titan (I)

Avec ses 5150 km de diamètre, Titan est le plus gros satellite de Saturne et le second plus gros satellite naturel du système solaire derrière Ganymède (5262 km). Avec une taille comprise entre celle de Mercure et de Mars et plus grand que Pluton, si Titan orbitait autour du Soleil, il serait considéré comme une planète naine !

Avec un tel diamètre, situé à 1.22 milliard de kilomètre du Soleil et au mieux à 1.07 milliard de kilomètre de la Terre, Titan apparaît dans un télescope amateur comme une petite étoile de magnitude apparente 8.28. Mais on ne peut pas la confondre avec une étoile car comme les autres lunes de Saturne et les principaux satellites de Jupiter, Titan ne scintille pas comme une étoile car à fort grossissement on discerne une petite surface.

Titan dont le nom fait référence aux divinités grecques, les Titans, les fils d'Ouranos et de Gaïa, fut découverte en 1655 par l'astronome hollandais Christiaan Huygens grâce à une lunette grossissant 50 fois similaire à celle qu'utilisa Hévelius.

Titan se serait formée à partir de l'accrétion des débris et des poussières accumulés sur l'orbite de Saturne il y a plus de 4.5 milliards d'années. Ensuite, des collisions et des impacts majeurs ont probablement perturbé les orbites de toutes les lunes qui ont migré jusqu'à leur position actuelle.

Au cours de son évolution, l'orbite de Titan a été stabilisée par la gravité de Saturne, si bien qu'aujourd'hui le satellite présente une rotation synchrone - comme la Lune vis-à-vis de la Terre ou Charon vis-à-vis de Pluton : sa période de rotation sur son axe est identique à sa période de révolution autour de Saturne. Titan présente donc toujours la même face à Saturne. Titan effectue une révolution autour de Saturne en 15.9 jours sur une orbite de moins en moins excentrique (0.03). Comme sur Io, Europe ou Encélade, cet effet gravitationnel a pu générer des mouvements dans le manteau et l'écorce de Titan et des effets de marées comme sur Terre, conduisant à une activité cryovolcanique (il s'agit un volcanisme ordinaire où l'eau remplace le magma) et des déplacements de son écorce.

De nouveaux résultats de la mission Cassini publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2020 par Valery Lainey du CNRS et ses collègues, indiquent que Titan s'éloigne de 11 cm par an de Saturne (contre 3.82 cm par an pour la Lune), une valeur cent fois plus élevée que prévu. C'est également le cas pour d'autres lunes comme Rhéa. Ce phénomène avait déjà été proposé en 2016 par l'astrophysicien Jim Fuller du Caltech et ses collègues (cf. "MNRAS") qui avaient suggéré que les lunes extérieures pouvaient migrer aussi vite que les lunes intérieures en raison de résonances orbitales qui verrouillent leurs orbites avec la planète. Cette hypothèse est aujourd'hui prouvée. On en déduit que les lunes de Saturne se sont formées beaucoup plus près de la planète et que le système d'anneaux s'étend donc également plus rapidement que prévu.

Données physiques de Titan comparées à la Terre

Paramètre

Titan

Terre

Distance au Soleil :

Révolution sidérale :

Période de rotation (synchrone) :

Vitesse orbitale moyenne :

Inclinaison orbitale :

Excentricité orbitale :

Diamètre :

Magnitude visuelle :

Albedo :

Energie reçue du Soleil :

Masse :

Gravité :

Vitesse de libération :

Densité :

Température en surface (équateur) :

Composition de l'atmosphère :

Pression atmosphérique au sol :

1 221 850 000 km

>15.945 jours

15.945 jours

5.6 km/s

0.33°

0.029192

5150 km

8.28

0.21

14.93 W/m2

1.34 x 1023 kg

1.345 m/s2

2.65 km/s

1.881

-178°C

N2, Ar, CH4

1500 mb

149 597 870 km

365.242 jours

23h 59m 04s

29.79 km/s

23°26'

0.017

12756 km

-3.86

0.367

240 W/m2

5.9736 x 1023 kg

9.81 m/s2

11.2 km/s

5.52

+15°C

N2, O2, Ar, CO2

1013 mb

Jusqu'aux années 1980 et la mission Voyager 1, on estimait que Titan présentait une densité de 2.1 en raison de la présence d'éléments légers et de glace, valeur qui a depuis été revue à la baisse. Bien que 30% plus grand que la Lune, Titan est deux fois plus léger (densité de 1.88 contre 3.34). Sa faible densité s'explique par la présence d'un épais noyau rocheux d'un rayon d'environ 1900 km entouré d'un manteau trois fois moins étendu (675 km) constitué de différentes glaces cristallines mais on ignore s'il est structuré comme celui de Ganymède ou homogène comme celui de Callisto.

Titan présente une structure interne plus différenciée que celle de Ganymède. Cela vient du fait que Titan contient de la glace d'eau et d'ammoniaque (solution aqueuse d'ammoniac) qui ont été mélangées par -100 à -180°C alors que sur Ganymède la glace a été fondue vers -173°C selon une étude publiée par R.Vidal de l'Université de Virginie et ses collègues dans la revue "Science" (en PDF) en 1997.

L'atmosphère de Titan

Titan doit surtout sa réputation au fait qu'il est le seul satellite dans le système solaire recouvert d'une épaisse atmosphère mais opaque en lumière blanche qui nous empêche d'observer sa surface qui de ce fait est longtemps restée mystérieuse et fut l'objet de toutes les spéculations.

Après la visite de sonde spatiale Voyager 1 en 1980, Titan fut visité par Voyager 2 en 1981 et à partir de juin 2004 par la sonde spatiale Cassini-Huygens puis en alternance entre 2005 et 2017 par Cassini seule après qu'elle ait larguée son atterrisseur Huygens.. Survolée la première fois à moins de 4000 km de distance, les images de Voyager 1 avaient toutefois laissé les astronomes sur leur fin. En effet, les caméras étant insensibles à l'infrarouge, elles n'avaient pas permis de discerner la surface de Titan. Nous étions si près du but et pourtant encore si loin...

A gauche, Titan photographiée en lumière blanche par la sonde spatiale Voyager 1 en 1980. A droite, une photographie prise en octobre 1994 par le Télescope Spatial Hubble en proche infrarouge (850 nm). Bien que de mauvaise qualité, en comparant plusieurs images successives, les chercheurs y ont décelé des nuages. Mais dans les deux cas, Titan cache sa surface sous une épaisse atmosphère qui bloque tout rayonnement en dessous d'environ 900 nm.

A partir de 1994, grâce à un traitement d'image poussé (déconvolution) des images couleur et proche infrarouge (850 nm) prises par le Télescope Spatial Hubble, malgré le flou et le bruit électronique très présents sur les photos (cf. ci-dessus à droite), le planétologue Peter H. Smith et ses collègues de l'Université d'Arizona parvinrent à identifer des détails brillants interprétés comme étant des nuages se déplaçant à 25 m/s par rapport à la surface. Les images en proche infrarouge révélèrent également des différences d'albedo en surface (voir plus bas). Mais à l'époque, il était pratiquement impossible d'en dire plus.

Entre-temps, les planétologues ne sont pas restés inactifs et sont parvenus à plus ou moins modéliser l'atmosphère de Titan sur base des données recueillies par les observatoires terrestres. C'est ainsi que dans une étude publiée dans la revue "Science" en 1991, Christopher P. McKay du centre Ames de la NASA et son équipe montrèrent que l'épaisse couche de brume qui enveloppe Titan produit un anti-effet de serre en réfléchissant la lumière du Soleil dans l'espace, rendant sa surface nettement plus froide que la haute atmosphère. Cette perte de chaleur compense partiellement le réchauffement par effet de serre et réduit la température de surface de 9°C alors que l'effet de serre l'augmente de 21°C. Le bilan donne une température de surface voisine de -181 à -179°C soit 12°C plus chaude que la température effective de -191°C (82 K) qui serait atteinte en l'absence de toute atmosphère.

Avant la visite des sondes spatiales, c'était à peu près tout ce qu'on savait sur Titan et les livres de vulgarisation ne lui accordaient tout au plus qu'un paragraphe. Seuls une poignée d'exobiologistes et de biochimistes comme Carl Sagan ("Cosmos", 1980), François Raulin et André Brack ("L'évolution chimique et les origines de la vie", 1991) lui réservèrent quelques pages en spéculant sur sa chimie prébiotique. Ce n'est que dans les années 2000 qu'on put enfin lever le voile sur cette mystérieuse lune.

Ci-dessus à gauche, le croissant de Titan en couleurs naturelles photographié par la sonde Cassini le 21 oct. 2009 à 145000 km de distance.  A droite, le limbe de Saturne se levant derrière l'atmosphère de Titan. Photo prise par la sonde Cassini le 31 mars 2005 à environ 7500 km de Titan et 1.2 million de km de Saturne et traité par Jason Major. Ci-dessous, gros-plans sur la stratification de la haute atmosphère. Il s'agit de brumes organique se formant vers 400 km d'altitude au-dessus de la couche tholines où le rayonnement UV brise les molécules de méthane et d'azote. La photo de gauche fut prise le 31 mars 2005 par la sonde spatiale Cassini à environ 9500 km de distance. La résolution est d'environ 400 m/pixel. Documents CICLOPS, NASA/JPL/SSI/Jason Major, JPL Photojournal et NASA/JPL-Caltech/SSI.

A partir de 2005 l'astronautique permit aux planétologues et exobiologistes d'explorer Titan in situ grâce à la sonde spatiale Huygens qui se posa avec succès sur sa surface et à long terme depuis l'espace grâce aux passages rapprochés de la sonde Cassini jusqu'à 880 km de Titan.

Suite à l'analyse de toutes ces données, le planétologue Marcello Fulchignoni de l'Observatoire de Paris et une équipe internationale de chercheurs publièrent les premiers résultats de leurs découvertes dans la revue "Nature" fin 2005.

Selon les chercheurs, l'épaisse atmosphère de Titan a conservé ses composants primitifs et est principalement constituée d'azote (80% contre 76% pour la Terre), d'argon (12% contre 0.9%) et de méthane (6% contre des traces), ce dernier dominant la haute atmosphère. Vers 400 km d'altitude, la mésosphère prend une coloration bleutée à violette en raison de la diffusion de la lumière sur les molécules organiques. A cette altitude, le rayonnement UV brise les molécules de méthane (CH4) plus ou moins mêlées d'éthane (C2H6) ou d'azote (N2). Plus près de la surface, ces mêmes éléments sont à l'état glacé ou de bruine mêlée de neige de méthane.

Fait intéressant, le rayonnement solaire dégrade ces molécules, les transformant en composants hydrocarbonés (nitrile, acide cyanhydrique, acétonitile, etc). On trouve également de l'hydrogène moléculaire à l'état de trace (0.2%).

Le profil de Titan. Documents JPL PhotoJournal et NASA adapté par l'auteur.

Titan reste un monde glacé, inhospitalier. La température est d'environ -130°C vers 1400 km d'altitude. Ensuite, elle présente deux maxima, l'un de -73°C à 1200 km d'altitude, le second de -88°C vers 250 km d'altitude. Entre les deux niveaux, les températures sont plus élevées que les modèles avec des fluctuations atteignant 40° par rapport au modèle jusqu'à 250 km d'altitude. Plus bas, la température présente un minimum d'environ -200°C vers 40 km d'altitude pour remonter ensuite légèrement et atteindre un maximum de -179°C au sol.

Y a-t-il de l'eau sur Titan ? Avec une température au-dessus de la couche nuageuse proche de -115°C et de -179°C au sol, l'eau glacée présente sur le sol ne peut pas se sublimer dans son atmosphère qui ne contient pratiquement pas de vapeur d'eau. Mais elle est par contre chimiquement très riche. En revanche, il peut exister de l'eau liquide dans les endroits isolés proches de sources chaudes. En fait, il pourrait encore en exister, formée soit par un impact soit par le cryo-volcanisme. Ce genre de phénomène peut tout à fait se produire actuellement.

Dans les basses couches, l'atmosphère baigne localement dans un brouillard assez similaire au "smog" qui stagne au-dessus de nos grandes villes mais il est beaucoup plus épais. Dans ces conditions de "clair-obscur", la surface éclairée par le Soleil baigne en permanence dans un crépuscule jaunâtre du fait de la dispersion de la lumière par les nuages d'hydrocarbures, les brumes présentes près de la surface et les aérosols omniprésents en altitude (voir pages suivantes).

A gauche, des nuages stratosphériques (PSC) découverts dans l'atmosphère de Titan par la sonde spatiale Cassini le 29 décembre 2006. Il s'agit d'une image combinée visible et infrarouge (VISM). Ce système nuageux s'étendait sur 2400 km (la taille des Eats-Unis) et était encore visible bien que plus pâle le 13 janvier 2007. Les PSC se forment entre 30 et 50 km d'altitude par des températures de - 209°C. A part qu'ils sont composés de glace de méthane, ils sont similaires aux nuages stratosphériques terrestres. A droite, des nuages stratosphériques photographiés au-dessus de l'Islande le 4 février 2003 au lever du Soleil depuis un DC-8 de la NASA volant dans les basses couches. Les mesures Lidar indiquent qu'ils sont uniquement composés de glace d'eau formés en dessous de -88°C (PSC de Type 2). Sur Terre, ces nuages polaires se forment entre 15-25 km d'altitude par des températures inférieures à -78°C (PSC de Type 1 contenant également des particules d'acide). Comme sur Terre, sur Titan ces nuages se forment en hiver près du pôle au-delà de 65° de latitude où la température est 6° plus froide qu'au-dessus de l'équateur. Documents ESA/NASA/JPL/U.Az. et NASA-GSFC/Mark Schoeberl.

Si nous pouvions sentir l'odeur de Titan (c'est impossible du fait qu'il manque d'oxygène et en raison du froid qui nous brûlerait les poumons, gèlerait notre nez et nous tuerait en quelques minutes), par -180°C pratiquement aucune effluve ne se dégage de la matière. En théorie, à température ambiante (+20°C) Titan pourrait sentir les hydrocarbures et le goudron, mêlé d'effluves parfois ammoniaquées dans les régions actives. En pratique, l'azote et le méthane constituant l'essentiel de l'atmosphère de Titan, ces gaz sont inodores. C'est tout différent de la Terre, où l'odeur que l'on sent provient essentiellement du métabolisme végétal y compris des pollens et parfois de réactions de l'air avec l'ozone (après un orage), la pluie (l'odeur de petrichor émanant des bactéries actinomycètes en suspension dans l'air qui décomposent les végétaux) ou des effluves des embruns marins. Mais il n'y a rien de tout cela sur Titan.

Selon les modèles climatiques de Titan, les vents atteignent 120 m/s (432 km/h !) en altitude et sont presque nuls en surface.

Enfin, la pression au sol est de 1467 HPa, légèrement supérieure à celle qui règne à la surface de la Terre (1013 HPa).

Hydrocarbure et molécule hydrocarbonée

Ne pas confondre hydrocarbure et hydrocarbone... 

Un hydrocarbure est une molécule composée de carbone et d'hydrogène : CxHy, le plus simple étant CH4, le méthane.

"Hydrocarbone" est une anglicisme. On parle toutefois de molécule hydrocarbonée. L'acide cyanhydrique, HCN, n'est pas un hydrocarbure mais un nitrile (groupement CN) dont l'appellation officielle est méthanenitrile. Le deuxième composé de cette famille est l'acétonitrile (CH3CN) ou éthanenitrile. Ces éléments ont été détectés dans l'atmosphère de Titan.

Ionosphère et ionisation de la haute atmosphère

L'atmosphère de Titan contient également une couche ionosphérique entre 140 et 40 km d'altitude avec un pic de conductivité vers 60 km, c'est-à-dire juste en dessous de la couche de brume condensée. On a également observé des éclairs dans l'atmosphère de Titan.

Malgré sa taille, la présence d'un noyau et d'un manteau probablement fluide, Titan ne présente pas de champ magnétique et gravite occasionnellement en dehors de la magnétosphère de Saturne. L'astre est donc exposé périodiquement au vent solaire dont les particules de forte énergie sont à même d'ioniser les molécules situées au sommet de son atmosphère. On retrouve un phénomène un peu similaire sur Terre dans l'ionosphère qui présente une certaine conductibilité électrique en raison de l'ionisation partielle de l'air par le rayonnement solaire.

La chimie des hydrocarbures

L'atmosphère de Titan contient plusieurs couches de brumes. La première se situe en haute altitude entre 450 et 550 km, sous la mésopause (490-600 km selon les régions). Le voile orangé qu'on observe depuis l'espace correspond à une épaisse couche de brume composée de tholine située entre 100 et 210 km d'altitude, sous la stratopause (300-310 km).

Précisons que la tholine est une matière organique rouge-orangée ou brune dont le nom fut proposé par Carl Sagan et ses collègues dans un article de la revue "Icarus" en 1990 pour qualifier cette matière inconnue sur Terre sous forme naturelle (du fait que l'environnement est oxydant) qui est notamment présente sur Triton, Pluton, certains KBO et quelques comètes. Elle se forme sous l'effet du rayonnement solaire (UV) ou d'autres particules énergétiques à partir de différentes molécules organiques. Les principales réactions chimiques combinent le méthane soit à de l'azote et des benzènes soit à de l'ammoniac et de l'eau, généralement sous forme gazeuse. La tholine peut aussi se former par dissociation ou ionisation de molécules organiques qui se combinent pour former des benzènes qui produisent des ions dans les aérosols tombant à basse altitude où l'on trouve des tholines en abondance avec un poids moléculaire assez important (jusqu'à 8000 Da), ce qui explique l'intense couleur orangée de Titan.

A consulter : La carte topographique de Titan, UAI

A gauche, le profil de l'atmosphère de Titan établi en 2003, deux ans avant l'atterrissage de la sonde spatiale Huygens. La teinte orange qu'on voit depuis l'espace provient de la couche brumeuse de tholine qui se situe entre 100 et 210 km d'altitude. En dessous, on trouve différents types de nuages cirriformes ou cumuliformes composés de méthane et près de la surface des aérosols composés de pluie verglacée de méthane. Au centre, l'atmosphère de Titan à l'échelle. A droite, les réactions chimiques formant les tholines. Documents ESA/T.Lombry, Kelvinsong et JPL adaptés par l'auteur.

Notons comme l'ont montré Carl Sagan et ses collègues en 1986, à l'instar des nitriles, les tholines combinées à de l'eau peuvent former des acides aminés, des nucléotides et d’autres molécules essentielles à la vie, ce qui en fait un lieu de prédilection pour les futures missions spatiales à la recherche de traces de vie, même si en soi la température très négative est préjudiciable à la vie. On y reviendra.

En dessous de la couche de tholine, l'atmosphère devient plus claire et comprend deux principales couches dont une couche de brume photochimique condensée voire de bruine entre 50-100 km d'altitude et une couche nuageuse d'éthane spécifique à la région polaire à 44 km d'altitude, au niveau de la tropopause (40-44 km). Ensuite, entre 20 et 30 km d'altitude, on observe une couche de cirrus de méthane qui tombe en pluie verglacée dans les basses couches, suivie de cumulus de méthane vers 15 km d'altitude accompagnés d'averses ou de pluies de méthane et enfin, des brouillards d'éthane (ou d'éthyle) stagnent près du sol.

Relation entre les hydrocarbures méthane, éthane et propane dans l'atmosphère de Titan. Document C.Nixon et al.

Ceci dit, le profil vertical de l'atmosphère de Titan est localement plus complexe. Ainsi, entre 150 et 200 km d'altitude, dans la couche de tholine, Voyager repéra les premiers nuages et de la pluie de méthane. Ces brumes et ces aérosols permettent aux rayons solaires de synthétiser de l’HCN dans un milieu gazeux. Ces composés organiques sont entraînés dans la circulation atmosphérique. Quelques-uns s’accumulent dans les lacs et les rivières de méthane ou d'éthane (voir plus bas) mais la plupart finissent sur le sol gelé où ils sont irradiés par le rayonnement ultraviolet solaire et se brisent. Comme sur Triton ou Pluton, ces composés carbonés se dégradent ensuite et prennent une coloration brune sombre. La chimie prébiotique doit avoir beaucoup de mal pour se développer à la surface de Titan.

D'autres composés intéressants sont cachés dans l'atmosphère de Titan. En 1980, le spectromètre de la sonde spatiale Voyager 1 identifia des hydrocarbures dans l'atmosphère de Titan, seul résultat tangible de sa visite éclair auprès de cette lune à l'atmosphère opaque. Voyageur détecta des molécules carbonées composées jusqu'à 3 atomes de carbone comme le propane (C3H8) et le propyne (CH3C2H) et même 6 atomes de carbone dans le cas du benzène (C6H6) mais curieusement aucune molécule carbonée de taille intermédiaire comme le propène (anc. propylène, C3H6).

Il fallut attendre la mission Cassini pour que son spectromètre CIRS détecte sa signature thermique parmi les signatures chimiques des autres gaz beaucoup plus fortes comme l'expliqua Conor Nixon du centre Goddard de la NASA et son équipe dans un article dans les "Astrophysical Journal Letters" en 2013. Pour rappel, le propène est un polymère très commun sur Terre qui entre dans la composition d'un plastique appelé le polypropylène.

Le propène fut découvert dans l'atmosphère de Titan entre 100 et 250 km d'altitude, c'est-à-dire au niveau de la couche de tholine avec des abondances variant entre environ 2.0 et 4.6 ppbv (partie par milliard en volume) selon l'altitude, inférieure à celles du propane et du propyne.

Grâce à ALMA, les astronomes ont détecté de l'acrylonitrile (cyanure de vinyle) dans l'atmosphère de Titan. Document M.Y.Palmer al./NASA,/NRAO.

Les chercheurs en déduisent qu'il y a un "paradigme" sur Titan avec la relation "méthane > éthane > propane" où on observe un alongement des chaînes de carbone et un renforcement des liaisons hydrogène comme on le voit sur le schéma présenté ci-dessus. Ainsi il existe une relation chimique dans la basse stratosphère pour les molécules à 2 et 3 carbones : alcanes > alcynes > alcènes. Selon Nixon, il semble y avoir une omniprésence relative des molécules carbonées à triple liaison plutôt que doublement liées, probablement en raison de la plus grande résistance des liaisons triples à la photolyse et à l'attaque chimique.

Parmi les autres molécules carbonées présentes sur Titan, grâce au réseau submillimétrique et millimétrique ALMA, Maureen Y. Palmer du centre Goddard de la NASA et ses collègues ont découvert en 2014 de l'acrylonitrile (ou cyanide de vinyle, C2H3CN) dans l'atmosphère de Titan. La découverte fut annoncée dans la revue "Science Advances" en 2017. Cette substance déjà inférée antérieurement à partir des données du spectromètre de masse IMS de Cassini se forme en présence de méthane, d'éthane et soit d'azote ou de cyanure (CN).

Selon les chercheurs, l'acrylonitrile peut se lier pour former des membranes dont l'aspect ressemble aux parois cellulaires lipidiques des organismes terrestres. Selon les signatures spectrales, cette substance déjà complexe se trouve à au moins 200 km au-dessus de la surface de Titan, c'est-à-dire également dans la stratosphère, à hauteur de la couche de tholine.

La présence d'acrylonitrile prouve une fois de plus que malgré le froid glacial qui règne sur Titan et l'absence d'activité volcanique - des conditions à l'opposé de celles qui régnaient sur la Terre primitive - son atmosphère dispose potentiellement des conditions d'une chimie prébiotique. On y reviendra en détails dans le dossier sur la bioastronomie et notamment dans l'article sur la contamination extraterrestre.

Malgré un froid à vous glacer les os, Titan reste un lieu de prédilection pour l'étude des composés prébiotiques qui donnèrent naissance à la vie sur Terre. En effet, par sa composition chimique, Titan ressemble à la Terre d'il y a 4 milliards d'années, la chaleur en moins. Si nous découvrons une forme de vie élémentaire ou ne fut-ce que les briques qui conduisent au monde vivant, ce sera une grande première car cela démontrera que la vie peut parfaitement apparaître dans un milieu glacé, loin de la chaleur réconfortante du Soleil ou des sources chaudes.

Cela dit, Titan peut très bien abriter des sources chaudes si l'activité cryo-volcanique est importante. Des remontées d'eau chaude mêlée de méthane ou d'ammoniaque peuvent permettre à certaines formes de vie élémentaires de survivre en surface ou dans le sous-sol, comme c'est le cas sur Terre dans différents lieux humides jugés hostiles à toute forme de vie (Grand Prismatic Spring, etc). On reparlera de ces milieux extrêmes dans d'autres dossiers dont celui consacré à la faculté d'adaptation.

Mais le plus intéressant est la surface de Titan qui put enfin être observée de près par la sonde spatiale Huygens et à 880 km d'altitude par la sonde Cassini. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

Des précipitations aux lacs de méthane

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