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La Bible face à la critique historique

La Bible de Jérusalem ouverte sur la page du livre de la Genèse décrivant le Déluge. Document T.Lombry.

Le Déluge et l'Arche de Noé

Les chapitres 6 à 9 du livre de la Genèse relatent le récit du Déluge et de l'Arche de Noé. Si on écarte les contradictions du récit évoquées dans l'article consacré à la Genèse, on peut se demander si ce récit biblique repose sur des faits historiques et dans ce cas quand se seraient-ils produits ? Dans le cas contraire, ce récit épique soulève aussi quelques questions sur le plan théologique.

Les scientifiques ont évidemment commencé par rechercher des traces de l'Arche de Noé au sommet ou sur les contreforts du Mont Ararat (Genèse 8:4-5), "Agri dagi" en truc qui signifie "la Montagne de feu", situé à l'est de la Turquie et au sud-est de la mer Noire (cf. Google Earth).

Comme on le voit ci-dessous, les seules "traces" évoquant de loin un bateau sont un relief allongé en forme de cuvette situé à plus de 80 km du plan d'eau le plus proche et une autre une anomalie en forme d'amande. Toutes les deux sont des formations géologiques et non des structures artificielles, n'en déplaise aux amateurs de sensationnalisme.

 Quant à la soi-disant découverte de restes d'une structure en bois en Turquie en 2010, il s'agissait d'une... tromperie organisée par l'un des prestataires de l'association Noah's Ark Ministries International !

Mais les défenseurs de la thèse Biblique n'ont pas été découragés et poursuivirent leurs recherches. Les Créationnistes qui croient littéralement au texte de la Bible et estiment que le monde fut créé il y a seulement 6000 ans, prétendent que l'Arche de Noé est enfouie sous cette bosse du Mont Ararat qu'ils ont appelé Durupinar en hommage au capitaine Ilhan Durupinar, un cartographe qui la découvrit en 1959. Mais tout le monde n'en est pas convaincu en commençant par les géologues qui affirment depuis des décennies que cette bosse montagneuse est juste un relief de forme inhabituelle.

Des chercheurs ont réalisé des scans 3D du Durupinar pour tenter de prouver qu'il recouvrait bien l'Arche de Noé. Des études furent entreprises par l'ingénieur en informatique et archéologue Andrew Jones et par le géophysicien John Larsen. Les résultats de leurs travaux ont fait l'objet d'un documentaire réalisé par Cem Sertesen intitulé "Noah's Ark" diffusé en 2017 suivi par un second documentaire. Sertesen admit que les images ne sont pas nécessairement celles de l'Arche de Noé mais  pourraient être celles d'un autre navire. Le site devait à nouveau être prospecté par des archéologues avant l'hiver 2019 mais la pandémie de Covid-19 interrompit net leur projet. On en reparlera si les chercheurs y font une découverte.

A voir : Has Noah's ark been found?: Experts looks for new evidences, Daily Mail, 2018

A gauche, une photo aérienne du relief allongé que les Créationnistes appellent Durupinar sur les flancs du Mont Aratat prise le 25 octobre 2017. Au centre, une autre vue de ce relief. Consultez également la vidéo ci-dessus. A droite, une anomalie en forme d'amande. Ces reliefs n'ont rien à voir avec une structure artificielle. Documents Huseyin Yildiz/Anadolu Agency/Getty Images et D.R.

Du coracle à l'Arche

Sans preuve de l'existence de l'Arche, en 2010 le philologue et assyriologue britannique Irving Finkel, conservateur au British Museum qui rassemble une collection de plus de 13000 tablettes en cunéiforme, traduisit une tablette d'argile découverte à Babylone en 1948 mais qui resta depuis tout ce temps dans une collection privée. Datant d'environ 1750 avant notre ère, selon Finkel elle décrit une 9e version du Déluge (voir plus bas) dans laquelle le dieu sumérien Atrahasis héros de l'histoire construit un bateau géant pour accueillir un couple de tous les animaux antiques et échapper au déluge.

Selon Finkel, le texte explique comment construire une embarcation dont les nervures en bois mesurent "dix nindan". Un "nindan" équivalant à 6 mètres, cela correspond à un bateau de 60 m de côté ou de 67.7 m de diamètre et de 6 m de haut soit de 3600 m2 ! Il est construit avec 3600 fuseaux tressés de roseaux maintenus par 30 membrunes en bois formant un réseau et dont la coque est rendue hermétique avec un doigt de bitume. La coque de roseaux offrant une certaine tension, elle est maintenue dans la partie supérieure par un cerclage fait de joncs maintenus par des cordes. Toutefois, le texte ne décrit pas comment on le construit, ni comment on le dirige (il ne mentionne pas de quille) et ne fournit aucun dessin.

Irving Finkel en 2014 au British Museum tenant en main la petite tablette en cunéiforme datant de ~1750 avant notre ère décrivant le Déluge et la construction d'une arche géante de 60 m de diamètre. Document Dale Cherry.

La description correspond à celle d'un coracle, un bateau traditionnel en roseau (ou en bambou) couvert soit de bitume soit de peaux. Léger et facile à construire, on l'utilisa pendant des siècles en différents endroits du monde, en Grande-Bretagne (Ecosse, Irlande, Pays de Galles), en Irak, en Iran, en Inde, au Tibet et au Viêt-Nam notamment.

Cette embarcation ronde fut utilisée dans tout le Moyen-Orient comme le prouvent des sculptures mésopotamiennes où l'on voit des coracle transportant des pierres. Dans les années 1930, on en construisait encore sur les rives du Tigre près de Bagdad, en Irak. Aujourd'hui on en fabrique encore en Inde. Le coracle peut servir à de multiples usages. Outre la pêche, on s'en sert pour transporter des marchandises, des animaux ou des personnes.

Par chance, à l'époque où Finkel entreprit son enquête, il apprit qu'un irakien nommé Asam avait construit une réplique d'un coracle, une embarcation de moins de 2 m de diamètre dirigée à la rame que les pêcheurs locaux appellent un "quffa" (traduit par gufa ou kuphar).

C'est à partir de ce modèle que Finkel aidé par l'historien Eric Staples et l'archéologue maritime Tom Vosmer décidèrent de construire le coracle décrit sur la tablette d'argile. La réplique dispose de deux plates-formes, une inférieure pour parquer les animaux ou les marchandises et une supérieure pour les personnes. L'Iran n'étant pas un pays très sûr et l'acheminement de tout le matériel n'étant pas aisé, l'équipe décida de le fabriquer au Kerala, une région réputée sur ses chantiers navals située sur la côte de Malabar, dans le sud de l'Inde.

Seul problème personne n'a jamais construit un coracle géant, le plus grand mesurant environ 6 m de diamètre. Il pouvait accueillir plus de 20 adultes ou une charge de 1500 kg. De plus, les calculs montrent que celui de 60 m exigerait plus 1500 tonnes de bois et peserait 2300 tonnes, sans que les ingénieurs soient certains qu'il flotterait.

S'il est possible que la taille du bateau ait été exagérée par lyrisme, selon Finkel pour décrire le bateau avec autant de précision, le rédacteur devait avoir une expérience en construction navale. On peut donc se baser sur ces dimensions pour fabriquer un prototype de taille réduite, la réduction d'échelle impactant logarithmiquement (l'inverse de l'exponentielle) son volume et son poids.

Finkel et ses amis décidèrent de se reporter sur un modèle plus petit. Ils choisirent de construire un coracle de 12 m de diamètre et 3 m de hauteur contenant 12 tonnes de bois et pesant tout de même 35 tonnes. La fabrication du bitume fut un autre défi. Pour enduire hermétiquement une surface de 251 m2, il fallut utiliser du bitume raffiné et le mélanger avec de l'huile de poisson et de la graisse animale pour le rendre plus épais et collant et ajouter plus ou moins de poudre de chaux mélangée à des débris de coquillages lacustres brûlés pour le rendre suffisamment dur. Mais trop de chaux le rendrait cassant et trop d'huile le ferait fondre. Bien que le résultat ne fut jamais totalement satisfaisant, le temps était limité et il fallait poursuivre la construction.

Finalement, après 6 mois de construction, le coracle fut terminé et mis à l'eau. Bien qu'il flottait, aussitôt il présenta des fuites d'eau qui furent colmatées du mieux possible et des pompes furent même temporairement installées pour évacuer l'eau qui s'était accumulée. Sans quille pour le diriger, le coracle fut tracté. Il prouva qu'il pouvait transporter plusieurs tonnes de marchandises. La démonstration était concluante et ravit les chercheurs.

Le coracle de 12 m de diamètre et 3 m de haut construit en Inde par l'équipe d'Irving Finkel en 2014 serait une réplique miniature de l'Arche de Noé. Il pèse environ 35 tonnes et nécessita des matériaux qui furent importés ou achetés localement et transportés par des éléphants. L'équipe utilisa uniquement des outils traditionnels, ni métal ni colle, mais des roseaux, du bois et du bitume comme l'ont sans doute fait les ouvriers il y a 4000 ans. De gauche à droite et de haut en bas, le coracle terrminé, sa mise à l'eau, la difficile tache d'enduire les roseaux de bitume et la plate-forme inférieure réservée aux animaux. Des étais empêchent la pression de l'eau de briser la coque et solidarisent les deux plates-formes. Ce coracle de 35 tonnes flotte mais n'a pas de quille et fut donc tracté. Documents NGS et WGBH.

Finkel fut très heureux de constater que son projet avait abouti et qu'il était possible de construire une grande arche. Il décrivit son enquête et cette expérience inédite dans son livre "L'Arche avant Noé" (2015). Le National Geographic réalisa également un reportage sur la construction de ce coracle.

Si cette réplique prouve qu'une grande embarcation ronde peut transporter des tonnes de marchandises et de personnes, elle ne prouve pas que l'Arche de Noé exista. D'ailleurs Finkel ne croit pas que l'Arche ait existé. Elle démontre seulement qu'à l'époque de la rédaction du récit biblique, les juifs se sont inspirés d'histoires lues et entendues en Mésopotamie. Il faut à présent déterminer à quelle époque remonte ces histoires et pourquoi on a voulu qu'on s'en souvienne.

L'histoire du Déluge mentionnée sur la 9e tablette mésopotamienne ne dit pas comment la "super guffa" fut mise à l'eau. D'un volume 8 fois supérieur au prototype de Finkel, avec un masse de 2300 tonnes à vide, il est impossible de la tracter ou de la rouler sur des rondins. D'un poids d'environ 15000 tonnes en pleine charge, même si une arche ronde à fond plat offre un faible tirant d'eau, il faut plus qu'une rivière pour supporter son poids (pour rappel les anciennes péniches en bois pesaient ~400 tonnes en pleine charge, celles en fer ~700 tonnes et les grandes péniches modernes naviguant sur le Rhin transportent jusqu'à 4000 tonnes et toutes sont à la limite de la flottaison).

Il faut donc trouver un mécanisme ou un évènement naturel susceptible de mettre à l'eau une arche trois à quatre fois plus lourde qu'une péniche moderne. Seule une crue exceptionnelle - une débacle - serait capable de la mettre à l'eau. On en déduit que les Mésopotamiens ne prévoyaient d'utiliser ce type de coracle qu'en cas de force majeure, par exemple pour échapper à une inondation historique qui aurait noyé le pays sous plusieurs mètres d'eau.

L'hypothétique Arche de Noé au coucher du Soleil dans sa version "réduite" de 30 m de diamètre. S'il fallait le construire avec des roseaux et du bois, ce coracle pèserait 140 tonnes à vide et supporterait une charge d'environ 1000 tonnes. L'arche originale décrite sur les tablettes était deux fois plus grande (67.7 m de diamètre), 4 fois plus volumineuse et 16 fois plus lourde. Document T.Lombry.

A propos de l'Arche de Noé des Créationnistes

Parmi les ouvrages plus folkloriques, il faut citer l'Arche de Noé des créationnistes américains. En 2016, Ken Ham, promoteur du projet et créationniste convaincu ainsi que des membres de l'association "Answers in Genesis" (AiG), un mouvement fondamentaliste chrétien du nord du Kentucky, récoltèrent 100 millions de dollars pour construire une "réplique" de l'Arche de Noé inspirée de la peinture du Quaker américain Edward Hicks réalisée en 1846. Ils ont reçu l'aide des Amish, réputés pour leur savoir-faire en menuiserie et ébénisterie.

L'Arche présentée ci-dessous fut construite à Williamstown, au Kentucky. Elle mesure 137 m de longueur, 23 m de haut et 14 m soit "300 coudées, par 50 coudées, par 30 coudées" comme le précise la Bible (Genèse 6:15). Cette structure monumentale ne sera jamais mise l'eau. Elle sert juste de symbole et abrite une exposition permanente.

En 2016, Ken Ham avait déclaré au "New York Times" : "Ici, ce ne sera pas le monde de Disney ou d'Universal, où les gens viennent pour s'amuser. Le but est religieux". Son but est de "diffuser le message chrétien". Pour les créationnistes la reconstruction de l'Arche fournit à l'humanité un symbole palpable de protection contre les dangers du monde et l'emprise de la laïcité. Le site fut inauguré le 7 juillet 2016. Il complète le Musée de la Création installé à une cinquantaine de kilomètres de là qui est également géré par des créationnistes.

L'Arche de Noé construite en 2016 par des membres créationnistes du Kentucky, aux États-Unis, selon les dimensions spécifiées dans le livre de la Genèse. Une chose est certaine, c'est un belle attraction touristique. Documents Ark Encounter.

L'intérieur de la structure envahie de l'odeur du bois neuf, conduit le touriste dans une salle exposant grandeur nature des cages contenant la cargaison complète des 6800 créatures bibliques, y compris un couple de Tyrannosaurus rex articulé. Cherchez l'erreur ! Pour vous mettre dans l'ambiance, l'exposition est illustrée d'un décor sonore de péplum, entrecoupé de bruits de tempête et de cris d’animaux. Pour terminer, vous aurez même une interview entre Noé et une jeune impie sauvageonne ! L'entrée de l'attraction digne du cirque de Barnum vous coûtera 25$.

Selon Rick Skinner, le maire de Williamstown, en 2017 l'Arche rapporta 374295$ en 11 mois, un montant inférieur aux prévisions qui comptaient sur 1.4 million de visiteurs. Pour 2018, les chiffres furent revus à la baisse avec une fréquentation estimée à 870000 visiteurs (cf. Grant County News).

Les protestants opposés à cette construction ont dénoncé la participation financière des pouvoirs publics. Ils soulignent que le soutien public au projet religieux équivaut à ce que le gouvernement approuve les arguments anti-scientifiques des créationnistes, un affront aux règles fédérales qui exigent que les activités de l'Église et de l'État restent séparées. Une bonne centaine de libres penseurs des trois États limitrophes protestent également chaque année contre l'Arche, dénonçant ses pratiques d'embauche, ses enseignements anti-évolutionnaires et son acceptation des incitations fiscales de l'État.

Cela n'a pas empêché Ken Ham d'annoncer en 2021 des plans d'expansion, notamment une attraction de la Tour de Babel, une maquette de Jérusalem à l'époque du Christ et un carrousel à thème. Selon Ham, l'attraction de la Tour de Babel est destinée à lutter contre le racisme en montrant que l'humanité descend d'un ancêtre commun (cf. WDRB).

Rappelons que selon un sondage Gallup parut en juin 2014, 42% des Américains croyaient que Dieu a créé les humains sous leur aspect actuel, bien qu'une bonne partie acceptait la théorie de l'évolution de Darwin. En mai 2017, un nouveau sondage Gallup montrait que 38% des Américains dont l'ancien vice-président républicain Mike Pence partageaient les croyances des créationnistes. C'était toutefois le pourcentage le plus faible depuis 35 ans, ce qui reste une bonne nouvelle.

A côté de cet égarement religieux mercantile qui nous éloigne de la réalité historique, d'autres indices renforcent la théorie selon laquelle l'histoire du Déluge trouve son origine dans des évènements survenus en Mésopotamie.

Les légendes mésopotamiennes : Atrahasis et Gilgamesh

Les scientifiques ont recherché d'éventuelles histoires ou légendes remontant entre l'époque exilique (~597 avant notre ère) et plusieurs millénaires avant notre ère ainsi que des traces ou vestiges pouvant authentifier l'évènement du Déluge comme par exemple une montée des eaux exceptionnelle suite à un catastrophe naturelle.

Atrahasis, le Supersage, à l'origine de la légende de l'Arche de Noé. Selon une légende mésopotamienne, sur les conseils du dieu Enki (un des trois dieux membre de la triade des Annunakū), il construisit une arche et sauva les êtres vivants de la noyade. Document D.R.

La mention d'une inondation globale ayant détruit toute vie apparaît pour la première fois dans des textes de l'ancienne Babylone - Bab'ilani en akkadien signifiant la Porte des dieux (la même racine que Babel)  - remontant entre le XXe et le XVIe siècle avant notre ère.

Avec le texte en cunéiforme décrypté par Finkel décrit ci-dessus, il existe neuf versions connues de l'histoire mésopotamienne du Déluge, chacune étant une version plus ou moins adaptée de la précédente.

La plus vieille version écrite mais qui est déjà dérivée d'un récit antérieur fut rédigée en sumérien vers 1600 avant notre ère. Le héros est le roi Ziusudra (qui signifie "Jour à la vie prolongée") qui vivait dans la cité sumérienne de Nippur. L'histoire décrit comment le roi construisit un bateau et sauva des vies, lorsque les dieux décidèrent de le détruire.

Dans une autre version, cette fois babylonienne écrite vers 1200 avant notre ère comprenant environ 1200 vers et appelée le "Poème du Supersage" ou "L'Epopée d'Atrahasis", le héros est appelé Atrahasis et l'inondation se réfère au débordement d'un fleuve (Atrahasis, tablette III, iv, lignes 6-9). Selon les experts en assyriologie dont Finkel précité, ce serait ce "Poème du Supersage" qui inspira aux prêtres le récit de Noé.

C'est à la même époque que fut probablement écrit le poème "Enuma Elish", un récit de la création du monde écrit en akkadien cunéiforme (cf. ces tablettes) qui rend hommage au dieu Marduk, le plus grand dieu babylonien qui créa les humains.

Mais la version épique la plus connue et la plus longue est "L'Epopée de Gilgamesh" dont le héros est nommé Utnapishtim (qui signifie "Il trouva vie"). La première version complète de cette épopée fut rédigée vers 1800 avant notre ère en akkadien, la langue diplomatique de l'époque qu'on parlait jusqu'au pays de Canaan, et se réfère au roi Gilgamesh, 5e roi (peut-être légendaire) de la Première Dynastie d'Uruk.

Nous possédons également une copie assyrienne remontant au Xe ou XIe siècle avant notre ère et une version du VIIIe siècle. Selon la légende, c'est Ninurta (qui représente également Saturne) qui mit fin au déluge en "construisant un mur de pierre". Gilgamesh est le héros de l'épopée et non celui qui survécut à l'inondation.

Un fragment de la XIe tablette néo-assyrienne de L'Epopée de Gilgamesh (version ninivite, réf. BM K.3375, AN107404001) relatant également le Déluge (ou tablette du Déluge). Elle fut gravée en cunéiforme au VIIe siècle avant notre ère soit plus de 1000 ans après la première version de l'épopée, le récit du Déluge ayant probablement été ajouté vers le XIIIe.s. avant notre ère. Cette tablette en argile fut découverte à Ninive et mesure 15.25 x 13.33 x 3.17 cm. Documents British Museum.

Enfin, la dernière version que nous connaissons fut écrite en grec au IIIe siècle avant notre ère par un prêtre babylonien nommé Berossus, président du temple de Babylone. Il dirigeait une communauté religieuse composée de Babyloniens, de Macédoniens et de Grecs. Selon Finkel, cette version diffère peu des récits écrits près de deux millénaires auparavant.

Fait intéressant que nota Finkel, à mesure que l'histoire fut copie sur de nouvelles tablettes, certains détails furent modifiés ou ignorés dont justement ceux décrivant les dimensions et donc la forme de l'arche. Sur la 9e tablette que consulta Finkel, l'arche est ronde et inscrite dans un carré. Mais dans l'une des versions de l'Épopée de Gilgamesh rédigée vers 700 avant notre ère, le copiste ou le scribe a oublié de mentionner ce détail ou l'a volontairement ignoré. Quand on essaye ensuite de construire ce bateau, on constate qu'il ressemble à un parallélépipède rectangle mis debout ! Il ne pourrait jamais flotter. Dans une autre version, l'arche reste rectangulaire mais est posée sur sa longueur pour finir par prendre la forme traditionnelle d'une barque allongée.

Comme l'explique Finkel dans son livre précité ainsi que cet article comparatif consacré à la Bible, mis à part que Noé s'appelle Atrahasis sur les tablettes d'argile, on retrouve dans les deux textes la même chronologie des faits et pratiquement les mêmes mots : le même motif (les raisons du Déluge sont "expliquées" de manière aussi peu précises dans les deux écrits), le même avertissement de Dieu, la construction d'une arche, l'entrée dans l'arche, le déluge, la colombe, la sortie de l'arche, le sacrifice sur l'autel, la bénédiction et la promesse divine. Bien entendu le Coran a repris les mêmes sources.

Pour sa part, Jean Bottéro, expert en assyriologie et de formation dominicaine, confirme dans son livre "Babylone et la Bible" (2012) cette convergence entre l'Ancien Testament et la civilisation mésopotamienne.

Ce déluge fut longtemps considéré comme un mythe mésopotamien jusqu'à ce que les scientifiques le mettent en relation avec des évènements naturels catastrophiques survenus au Moyen-Orient et notamment en Mésopotamie.

L'impact des crues en Mésopotamie

En découvrant au début du XXe siècle les vestiges des cités et les trésors de Mésopotamie, les archéologues découvrirent tout autour de la ziggourat de Ur une couche de limon épaisse de 3 mètres. Or une crue ordinaire ne dépose au mieux que quelques centimètres de limon. Si aujourd'hui Ur est en plein désert à plus de 260 km du Golfe Persique, à l'époque où la cité était florissante, la mer arrivait à ses pieds. Mais ce limon n'est pas l'oeuvre de la mer mais de l'eau douce et donc d'un lac ou des fleuves.

Après un siècle d'excavations et de carottages dans tout le pays et principalement le long du Tigre et de l'Euphrate et des cités antiques, les archéologues ont découvert partout des dépôts de limon conséquents et récurrents mais dispersés dans le temps sur une période de plusieurs siècles.

A gauche, la carte de la Mésopotamie dont les empires d'Akkad et d'Ur III (2254-2218 ACN) s'étendirent "de la mer d'en haut à la mer d'en bas", c'est-à-dire la Méditerranée au Golfe Persique. Le mont Aratat et la mer Noire sont situés juste au nord. Notez qu'en 4000 ans, la mer recula de plus de 260 km. Au centre et à droite, l'aspect que devait avoir Babylone, la "Porte des dieux", du temps de sa splendeur entre 1800 et 300 avant notre ère. Alexandre le Grand la conquit en 331 avant notre ère mais au lieu d'y trouver des masures, il découvrit une prestigieuse ville impériale le long de l'Euphrate (cf. cette carte) qui commerçait avec le monde entier. Mais déjà à son époque la Tour de Babel (la grande ziggourat) était déjà en partie démantelée. Aujourd'hui, il ne reste qu'un carré de terre. Documents Google Earth/T.Lombry, Byzantium 1200 et Tim Wehrmann.

Les chercheurs en déduisent que pendant des siècles et en fait durant toute l'Antiquité, les habitants de Mésopotamie subirent les crues du Tigre et de l'Euphrate qui occasionnaient des inondations mémorables et parfois dramatiques pour recouvrir leurs terres sous 3 mètres de limon. Ces crues et ces inondation noyaient des dizaines de milliers d'hectares de zones habitées et de terre fertile, y compris certains quartiers des grandes villes, Babylone par exemple étant traversée par un canal de l'Euphrate.

Selon l'archéologue Pascal Butterlin, expert du Moyen-Orient à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur d'un livre sur la Mésopotamie notamment, avec le temps, pour faciliter le transport des marchandises et des personnes, toute une flotte de bateaux desservit l'Empire et un réseau hydrographique de plus en plus artificiel fut bâti entre les villes, qui finirent par former ce qu'on appelle un archipel de cités. Comme aujourd'hui, la hantise des habitants et des autorités était d'assister au débordement ou à la rupture d'un canal lors d'une crue majeure. Comme on le voit ci-dessous, de nos jours dans le sud de l'Irak les marais mésopotamiens existent toujours. Mais en dehors de cette région protégée, ils furent asséchés pour en extraire le pétrole.

Les habitants de Mésopotamie avaient donc l'habitude d'assister aux crues des fleuves et l'utilisation des coracles ou de barques en roseaux était courante, y compris des modèles de grandes tailles capables de transporter des charges de plusieurs tonnes.

Les marais du sud de l'Iraq photographiés par Nick Wheeler. Les eaux boueuses du Tigre fusionnent avec les eaux bleues de l'Euphrate pour former une vaste plaine inondable de roseaux. A droite, les marais de l'Euphrate près de Raqqa. Document North Press Agency Syria. Il s'agit des marais de l'ancienne Mésopotamie. Souvent considérés comme le site du légendaire jardin d'Eden, les marais et leurs villes désertiques environnantes sont habités depuis l'époque sumérienne. Les sceaux et tablettes d'argile du British Museum montrent que ce mode de vie prospéra jusqu'à la fin des années 1970 et existe encore partiellement. Dans les années 1950, plus de 100000 personnes vivaient dans les zones humides qui couvraient 20000 km2. Aujourd'hui, ces marais sont protégés en tant que "Régions humides d'importance internationale" par le Ramstar. Imaginez maintenant que dans l'Antiquité, chaque année les crues des deux fleuves dévastèrent la région, apportant à la fois le bonheur grâce au limon fertile et le malheur par les drames qu'elles entraînèrent, une succession d'inondations qui marquèrent durablement la culture mésopotamienne jusque dans ses poèmes.

Losque les juifs furent exilés à Babylone, près de l'actuelle Bagdad, ils furent certainement étonnés par l'importance que représentait l'eau dans ce pays. Ils furent sans doute aussi surpris d'assister aux crues de l'Euphrate et de constater que les habitants utilisaient des coracles pour se déplacer.

Le débordement de la mer Noire

La seconde hypothèse se réfère à un changement du climat survenu en Asie Mineure environ 5500 ans avant notre ère suite à la fonte des glaciers (qui suivirent la grande glaciation survenue il y a 15000 ans). Selon cette théorie proposée en 1993 par les géologues des fonds marins William Ryan et Walter Pitman, vers 7500 avant notre ère la mer Noire était isolée de la mer de Marmara derrière une bande de terre qui faisait office de barrage. Vers 5500 avant notre ère la différence de niveau aurait été supérieure à 100 mètres.

Selon la théorie de Ryan et Pitman illustrée ci-dessous, suite au réchauffement du climat et la remontée du niveau des océans, la mer de Marmara se déversa par le détroit du Bosphore dans la mer Noire qui se remplit d'eau salée en 2 ans. Elle finit par déborder et inonder toutes les plaines avoisinantes sur des centaines de kilomètres à la ronde en quelques années. Les auteurs estiment que le flux d'eau correspondait à 200 fois les chutes du Niagara et inonda une superficie de quelque 170000 km2. Une débâcle déferla sur la Mésopotamie à côté de laquelle une inondation ressemble à une flaque d'eau. Les auteurs ont décrit leur théorie dans un livre intitulé "Noah's Flood" (2000).

A voir : The Post-glacial Flooding of the Black Sea (animation de 56 MB), UCSB

Simulation de la variation de l'étendue de la mer Noire entre 8000 et 7500 ans BP selon la théorie de Ryan et Pitman (1993). Mais elle fut rejetée car cette débâcle catastrophique n'a jamais eu lieu. En revanche, suite au réchauffement du climat, la mer de Marmara s'est déversée dans la mer Noire dont le niveau s'est effectivement élevé il y a environ 7500 ans et cela dura au moins 2000 ans. Document Google Earth adapté par l'auteur.

Sur le plan socio-culturel, aucun évènement aussi important soit-il remontant à plusieurs milliers d'années n'est resté dans la mémoire collective sans le support de l'art pariétal ou de l'écriture. Même les légendes des autochtones d'Alaska relatant des grandes vagues se réfèrent au mieux à des catastrophes naturelles survenues quelques siècles auparavant mais jamais à des milliers d'années. Seule exception, certains récits du "Temps du Rêve" des Aborigènes d'Australie font références à des inondations catastrophiques qui se sont produites il y a environ 18000 ans suite à la fonte de la calotte polaire australe (cf. The Great Flood). En revanche, les traditions et les coutumes des descendants de ces premiers peuples peuvent avoir des racines multimillénaires.

Mais pour valider la théorie de Ryan et Pitman, le récit biblique n'étant pas scientifiquement fondé, la Science avait besoin de preuves.

En 1999, l'explorateur des fonds marins Bob Ballard découvrit les vestiges d'une plage sous 150 mètres d'eau à proximité des côtes sud de la mer Noire. Les sédiments contenaient des roches et des coquillages indiquant que l'eau douce du lac avait été submergée par de l'eau de mer; les sédiments comprenaient des coquillages d'eau douce vieux de 7800 ans et des coquillages marins datant de 7300 ans. Il y avait donc bien eu un lac à cet endroit avant la mer.

A l'époque, on en déduisit qu'en Haute Mésopotamie, les effets de cette débacle furent catastrophiques et spectaculaires : le paysage fut noyé sous plus de 150 mètres d'eau ! L'eau stagna durant des années et cet évènement serait resté dans la mémoire collective pendant des siècles.

Selon les spécialistes, c'est ce déluge survenu plus de 6000 ans plus tôt qui inspira le "Poème du Supersage" puis "L'Epopée de Gilgamesh".

Si une inondation majeure c'est bien produite à cette époque, les détails de cette théorie sont toutefois controversés et aujourd'hui la majorité des spécialistes la rejète, preuves à l'appui, et proposent une autre version plus conforme à la réalité.

Selon une étude publiée dans les "Geo-Marine Letters" en 2001 par Oya Algan de l'Université d'Istanbul et ses collègues, la sédimentation de la mer Noire commença il y a au moins 10000 ans et s'est poursuivie jusqu'il y a 7300 ans.

Dans une autre étude publiée dans les "Quaternary Science Reviews" en 2009, Liviu Giosan du WHOI et ses collègues ont montré que le niveau de la mer Noire avant sa reconnexion à la mer de Marmara était 30 mètres sous le niveau actuel, plutôt que les 80 mètres ou moins, selon la théorie de la catastrophe.

La région qui s'étend entre la mer Noire et la mer Égée de nos jours. C'est par le détroit du Bosphore que l'eau salée de la mer de Marmara s'infiltra lentement dans la mer Noire il y a plus de 7300 ans et finit par la faire déborder, noyant les plaines alentours habitées. Document Google Earth adapté par l'auteur.

Si l'inondation s'était produite, l'augmentation du niveau de la mer et la zone inondée lors de la reconnexion étaient nettement plus faibles que ce que Ryan et Pitman ont proposé. 

Étant donné que la profondeur du Bosphore, dans son sillon médian, varie actuellement entre 36 et 124 mètres avec une profondeur moyenne de 65 mètres, au cours des 10000 dernières années - durant l'Holocène - la mer Noire se trouva 30 mètres plus bas qu'à l'heure actuelle, ce qui implique que le contact avec la Méditerranée n'aurait jamais pu être rompu, et par conséquent, il n'aurait pas pu y avoir une catastrophe de type cascade ni même aussi grande que le prétendent les auteurs.

De plus, selon une étude publiée dans les "Earth and Planetary Science Letters" en 2016 par Samuel L. Goldberg aujourd'hui au MIT et ses collègues, il aurait fallu une pression durable dans le temps et suffisamment soutenue par l'eau de la mer de Marmara pour creuser un hypothétique isthme à travers le Bosphore actuel ou une différence de niveau d'eau suffisante entre les deux bassins hydrographiques.

Selon une étude publiée dans les "Quaternary Science Reviews" en 2012 par Kenneth Mertens de l'Université de Gand et ses collègues, la variation de la longueur du processus des kystes du dinoflagellé Lingulodinium machaerophorum, une espèce de plancton vivant dans l'eau salée, ne montre aucune grande variation de la salinité de la mer Noire. La salinité augmenta progressivement d'environ 14 (14 grammes de sel par kilo d'eau de mer soit 1.4%) il y a ~9900 ans à un minimum d'environ 12.3 il y a ~8500 ans pour atteindre des salinités actuelles d'environ 17.1 il y a ~4100 ans. Il n'y a donc aucune preuve d'inondations catastrophiques.

Pour comprendre le passé de la mer Noire, des géologues, des océanographes et des micropaléontologue ont étudié le fond de la mer Noire pour connaitre l'évolution de sa composition au cours des derniers millénaires. Ils ont également recherché les traces d'un éventuel cataclysme, en particulier d'un effondrement des remparts du Bosphore dans ka mer Noire qui serait survenu il y a environ 7500 ans.

Des carottages furent réalisés dans le fond vaseux et sédimentaire de la mer Noire. Au total, 144 km de carottes géologiques furent ainsi prélevées. Parmi celles-ci, la géologue marine et micropaléontologue Karin Zonneveld du MARUM en Allemagne découvrit une carotte exceptionnelle présentant une série de strates typiques d'un environnement d'eau douce progressivement envahi par l'eau salée Les espèces de microfossiles indiquent qu'elles vivaient en eau douce puis elles furent progressivement remplacées par des espèces d'eau salée. La salinisation de la mer Noire fut donc graduelle.

La salinisation est en fait survenue bien plus tôt que ce que pensaient Ryan et Pitman. La grotte de Sofular située en Cappadoce, près de Zonguldak au nord de la Turquie, en apporte la preuve. Les nombreux stalagmites qu'on y trouve ont conservé la mémoire de plus de 400000 ans de changements climatiques, de variations de température, d'humidité, la pluviométrie et même la nature de la végétation en surface, en bordure de la mer Noire.

Selon le géologue et paléoclimatologue Domink Fleitmann de l'Université de Bâle en Suisse, les données montrent qu'il y a 9500 ans, soit 2000 ans plus tôt que les estimations de Ryan et Pitman, la mer Noire avait déjà atteint son niveau actuel. Plus étonnant, l'écoulement des eaux allait de la mer Noire vers la mer de Marmara. Les chercheurs en ont déduit qu'il n'y a donc jamais eu de cataclysme.

En fait, suite au réchauffement du climat, c'est l'eau issue de la fonte des glaces qui est à l'origine de l'expansion de la mer Noire. Ce processus commença très tôt.

Dans une étude publiée dans les "Geophysical Research Abstracts" en 2013, l'équipe de Lyudmila Shumilovskikh de l'Université Georg-August de Göttingen en Allemagne,  montra qu'au cours des deux dernière périodes interglaciaires, l'Eémien (pic de chaleur il y a 126000 ans) et l'Holocène (depuis 12000 ans), une reconnexion s'est créée entre la Méditerranée (via la mer de Marmara) et la mer Noire, induisant une transition d'eau douce/saumâtre vers des conditions plus marines. La température de surface de la mer et la salinité de la mer Noire ont atteint des valeurs significativement plus élevées à l'Eémien par rapport à l'Holocène, suggérant un afflux méditerranéen plus important dans le bassin méditerranéen. Puis durant l'Holocène, le climat changea de nouveau et se réchauffa, affectant les conditions environnementales autour de la mer Noire et dans de nombreuses autres régions.

Vue aérienne du Tigre et de la plaine inondable luxuriante près de Bayji, dans la province de Salah Ad Din, en Iraq. Photo prise le 21 juillet 2005 par Jim Gordan/U.S. National Archives.

Vers 15000 ans avant notre ère, le niveau de la mer Noire augmentant, elle s'écoula d'abord vers la mer de Marmara à travers le détroit du Bosphore. Lorsque les deux niveaux se sont équilibrés, le flux s'est inversé. Les eaux de la mer Noire sont devenues saumâtres pour finalement présenter leur aspect et leur composition actuelles. Etant donné que le détroit du Bosphore est très étroit et constitue le seul point d'entrée vers la mer Noire, l'eau s'est écoulée très lentement. Fleitmann estime qu'il fallut 2 à 3000 ans pour que l'eau salée remplace totalement la masse d'eau douce de la mer Noire.

Si la mer Noire s'est remplie lentement, la situation fut dramatique sur les rivages qui sont à fleur d'eau. Les eaux de la mer intérieure envahirent brutalement les terres et les inondations furent traumatisantes pour les populations locales qui en ont gardé le souvenir pendant des siècles.

Aujourd'hui la salinité de la mer Noire reste modérée, variant entre 13 et 23 contre 22 pour la mer de Marmara, entre 36 à 39 pour la Méditerranée et 35 en moyenne pour les océans.

En conclusion, c'est donc bien une histoire d'eau qui apporta le malheur sur les hommes et qui inspira aux juifs exilés le récit du Déluge évoqué dans la Bible. Ainsi, la métaphore de l'Arche de Noé devient une très belle mise en scène pour expliquer le "sauvetage" de ce qui deviendra le "Peuple élu" par Yahvé pour reprendre l'expression des érudits juifs.

Quant au récit biblique évoquant les couples d'animaux montés à bord de l'Arche, le texte se résume à trois versets très évasifs et cite très peu d'espèces. A la place, les auteurs citent des groupes d'animaux : "Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle; sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre. [...] D'entre les animaux purs et les animaux qui ne sont pas purs, les oiseaux et tout ce qui se meut sur la terre" (Genèse 7:2-3 et 8).

En fait, à travers le récit de Noé et du Déluge, les gardiens juifs de la Loi voulurent insister sur le symbole de la renaissance du monde, la recréation de l'humanité matérialisée par la croyance du peuple juif en un dieu unique capable d'unifier tout un peuple. Ceux qui ne partagent pas leur croyance n'ont qu'à mourir.

Finalement la colombe que lâche Noé au quarantième jour du Déluge devient le symbole d'une nouvelle époque dans laquelle Yahvé promet qu'il n'y aura plus de déluge. Mais il ignorait les effets du changement climatique et de la fonte des glaces qui aujourd'hui mettent en péril des centaines de millions d'habitants à travers le monde.

C'est aussi une histoire d'inspiration néo-assyrienne remontant au règne de Sargon II (722-705 avant notre ère) qui est à l'origine de l'histoire biblique du couffin de Moïse déposé sur le Nil. Même inspiration babylonienne pour la famille des vieux patriarches hébreux.

En guise de conclusion

En résumé, pendant leur exil à Babylone entre 597 et 539 avant notre ère, les Hébreux ont souvent entendu ou lu l'histoire d'Adam et Ève et celle du Déluge, notamment des générations d'enfants qui apprirent l'écriture cunéiforme sur les bancs d'écoles. En effet, nous avons deux documents attestant que les écoliers juifs en exil apprirent l'akkadien et à écrire en cunéiforme.

Extension de l'empire néo-assyrien (vert) le long du "croissant fertile" vers 600 avant notre ère, à l'époque exilique juive. Notez qu'à cette époque la cité de Ur était sur la côte du Golfe Persique qui s'est depuis retiré de 260 km vers le sud. Document Google Maps/T.Lombry.

Le premier document est une preuve archéologique. L'un des récits mésopotamiens du Déluge fut découvert sur une tablette d'argile utilisée par un écolier. Tous les enfants de Mésopotamie, y compris ceux déportés au cours des conquêtes militaires ont donc naturellement intégré les légendes et récits sumériens (le jardin d'Éden) et mésopotamiens (le Déluge, Moïse, etc).

Le second document est un indice biblique rédigé par le prophète Daniel. Célèbre pour ses prophéties, Daniel était adolescent quand il fut exilé à Babylone. Le livre de Daniel évoque son instruction : "Alors Daniel fut introduit devant le roi. Le roi prit la parole et dit à Daniel: Es-tu ce Daniel, l'un des captifs de Juda, que le roi, mon père, a amenés de Juda ? J'ai appris sur ton compte que tu as en toi l'esprit des dieux, et qu'on trouve chez toi des lumières, de l'intelligence, et une sagesse extraordinaire. On vient d'amener devant moi les sages et les astrologues, afin qu'ils lussent cette écriture et m'en donnassent l'explication; mais ils n'ont pas pu donner l'explication des mots. J'ai appris que tu peux donner des explications et résoudre des questions difficiles; maintenant, si tu peux lire cette écriture et m'en donner l'explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d'or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume. Daniel répondit en présence du roi: Garde tes dons, et accorde à un autre tes présents; je lirai néanmoins l'écriture au roi, et je lui en donnerai l'explication" (Daniel 5:13-17).

Après leur retour à Jérusalem, à l'époque d'Esdras (Ve siècle avant notre ère), pour bien se différencier des autres peuples, s'unir autour d'une même foi et renforcer leur identité après la destruction traumatisante du Temple, les juifs entreprirent la rédaction de leur propre récit mythologique pour servir de contre-histoire au puissant mythe de création babylonien. Mais il y a une différence majeure entre les deux traditions. Dans la légende mésopotamienne, les humains ne sont pas jugés moralement pour ce qu’ils font, alors que dans la Genèse ils sont responsables de leurs actions et de leur funeste destin. Comme le souligne Greenblatt, "Les Hébreux mettent ainsi l’ancienne histoire des origines sens dessus dessous. Ce qui était un triomphe dans Gilgamesh devint une tragédie dans la Genèse".

Notons que l'historien britannique Norman Cohn (1915-2007) publia en 1996 un livre de référence intitulé "Noah's Flood: The Genesis Story in the Western Thought" qui relate l'histoire mythique de Noé et du Déluge. On reviendra sur cet auteur.

Nous verrons que la même mise en scène s'est vraisemblablement produite au sujet du récit du passage de la mer Rouge par Moïse et son peuple et celui construit autour de l'Arche d'alliance.

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