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Les problèmes du modèle Standard
A la recherche de la matière sombre (V) Le projet GC3 Pour tenter de mieux comprendre les origines de l'Univers, les physiciens ont tiré profit des superordinateurs sous les auspices du Grand Challenge Cosmology Consortium (GC3). Le projet qui vit le jour en 1993 fut dirigé par Jeremiah Ostriker et rassemble des chercheurs, physiciens et informaticiens de six universités et plusieurs centres privés de recherches. Grâce à la puissance d'un superordinateur CRAY T3D, ces chercheurs espèrent mieux comprendre comment se forma la structure de l'Univers à grande échelle et en particulier quel fut le rôle de la matière sombre et de l'énergie sombre dans la formation initiale des galaxies et des superamas de galaxies. Pour les aider dans leur tâche, il est important que les astrophysiciens continuent à leur fournir des données en sondant l'Univers le plus loin possible, c'est-à-dire à plus de 10 milliards d'années-lumière et des redshift z~0.3 et supérieurs afin de cartographier en trois dimensions la répartition des galaxies quelques milliards d'années seulement après le Big Bang et tenter d'analyser leur composition et d'estimer leur masse parmi d'autres paramètres. Le 1 juillet 2023, l'ESA en collaboration avec SpaceX (à défaut de lanceur russe) lança le télescope spatial Euclid présenté ci-dessous à gauche qui sera placé à 1.5 million de kilomètres de la Terre sur le point L2 de Lagrange. Ce projet européen démarré en 2010 regroupe 1600 chercheurs de 250 laboratoires de 17 pays. Euclid dispose d'un miroir de 1.20 m de diamètre pour 4.5 m de longueur et pèse 2 tonnes. Il fonctionne en optique avec l'instrument VIS (VISible) équipé de 36 plaques CCD de ~4k couvrant un champ de ~0.7° et pouvant produire des images de 610 MB. Il travaille également dans le proche infrarouge avec l'instrument NISP (Near Infrared Spectrometer and Photometer) avec 16 CCD de 2k qui couvrent un champ de ~0.7° avec une résolution de 0.3". Euclid atteint la 25e magnitude en visible et présente une résolution de 0.1", similaire à celle du Télescope Spatial Hubble mais avec un champ 100 fois plus étendu. Il permet aussi de mesurer les oscillations baryoniques acoustiques (BAO) pour calculer les perturbations du plasma et la distribution de la matière autour des galaxies. Sa zone d'observation couvre tout le ciel à l'exception de la zone de la Voie Lactée, du Grand Nuage de Magellan et de la lumière zodiacale, ce qui représente 15000° carrés. Euclid a coûté 606 millions d'euros contre 2 milliards de dollars pour le HST et 10 milliards de dollars pour le JWST. Les ingénieurs ont utilisé des technologies de pointe très complexes mais pas les plus avant-gardistes afin de réduire son coût. Pendant 6 ans, Euclid va photographier et réaliser des spectres des objets du ciel profond afin que les astronomes évaluent la distribution de la matière et de l'énergie sombres à différentes époques à partir des déformations observées dans les lentilles gravitationnelles notamment. A partir de ces résultats, les astronomes pourront éliminer les modèles cosmologiques qui ne corroborent par les données et qui sont donc inadéquats. On espère qu'Euclid permettra de déduire certaines propriétés des deux composantes sombres et vu ses performances, on ne serait pas étonné qu'il permette aux astronomes de découvrir des phénomènes inattendus et bouleverse quelque peu la cosmologie.
Le télescope Vera Rubin (ex-LSST) En 2007, quelques dizaines d'astronomes parmi lesquels John Huchra (†2010), Robert Kirshner et Anthony Tyson ont proposé de construire un Dark Matter Telescope présentée ci-dessus à droite, un télescope optique de 8.42 m de diamètre constitué d'un seul miroir capable d'atteindre la magnitude 24 en 20 secondes de pose (temps d'intégration). Le projet verra le jour sous la forme du télescope Vera Rubin (ex-LSST ou Large Synoptic Survey Telescope) construit au sommet du Cerro Pachón, au Chili. Il est équipé d'une caméra CCD de 3.2 gigapixels mesurant 1.60 m de diamètre ! Il devrait entrer en service au plus tard en 2025. Sachant qu'il existe une galaxie bleue de 29e magnitude toute les secondes d'arc du ciel, le Vera Rubin permettra de suivre l'évolution de l'Univers à grande échelle en découpant les temps cosmiques comme le fit la "z-machine" du CfA en tranches de 3° d'angle. Cet instrument très sensible aura également pour mission de détecter les MACHOs et les astéroïdes NEO dans le cadre du programme Spacewatch de la NASA. Le projet DESI Parallèlement à l'analyse du ciel et aux recherches en physique des particules, en 2015 le Département de l'Energie américain donna son accord pour le financement du projet DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) géré par le Laboratoire de Berkeley (LBL) proposé par l'équipe d'Amir Aghamousa. Ce projet auquel participe une équipe de plus de 900 chercheurs de plus de 70 institutions internationales débuta en 2019. Héritié du sondage BOSS (Baryon Oscillation Spectroscopic Survey) du SDSS, il utilise le télescope Mayall de 4 m du Kitt Peak installé en Arizona et travaille notamment en collaboration avec le télescope Blanco de 4 m du CTIO installé au Chili. DESI consiste en un ensemble spectrographique multi-objets composé de 10 spectrographes utilisant des réseaux holographiques en phase volumique (VPH) et exploitant chacun 3 bandes spectrales (B, R et proche IR). Le plan-focal est recouvert par 5000 câbles en fibre optique. L'ensemble permet d'enregistrer 5000 spectres de galaxies en parallèle. A voir : DESI VR Flight Spectroscopic Carte 3D de 14.7 millions de galaxies
Le but de DESI consiste à tracer la matière sombre dans l'Univers en enregistrant de manière automatique le spectre des galaxies. Le but du projet est d'établir une cartographie 3D de 40 millions de galaxies et quasars du ciel très profond (complétées par 10 millions d'étoiles) mais dans un volume dix fois plus vaste que le sondage BOSS. DESI recherche 4 types d'objets : les galaxies brillantes jusqu'à z = 0.4, les galaxies rouges lumineuses (LRG) jusqu'à z = 1, les galaxies à raies d'émission (ELG) jusqu'à z = 1.6 et les quasars très distants jusqu'à z = 3.5 voire au-delà. Le détecteur XENON1T Après trois ans de construction à l'abri d'une caverne pour minimiser au maximum les rayonnements naturels parasites, en 2017 une équipe internationale de 135 scientifiques annonça que leur détecteur XENON1T présenté ci-dessous et installé au Laboratoire National de Gran Sasso en Italie était opérationnel (cf. E.Aprile et al., 2017). Cet instrument a pour but de détecter les flashes qui devraient se produire lors de la collisions des hypothétiques particules massives faiblement interactives, les fameux WIMPs avec des atomes de xénon. L'instrument est un cryostat dont la chambre contient du xénon liquide refroidi à -95°C. Toute trace de collision se matérialisera par une ionisation du liquide suivie d'une phénomène de scintillation ressemblant à des flashes que les scientifiques pourront étudier pour caractériser la nature exacte des particules incidentes. A ce jour, XENON1T est le détecteur de matière sombre le plus sensible et l'un des détecteurs les mieux blindés au monde. S'il est conçu pour détecter la matière sombre et les WIMPs, il est également sensible à de nombreux autres évènements et notamment la désintégration du Xe-124.
Récemment, le système XENON1T s'est pour ainsi dire auto-détecté quand il enregistra la décroissance du xénon-124, un évènement extrêmement rare. En effet, ce radioisotope est quasiment stable à l'échelle humaine car il présente une demi-vie (période) de 1.8x1022 ans soit 18000 milliards de milliards d'années (ou 18 trilliards d'années). Sachant que l'abondance du Xe-124 est de 0.095%, dans les 3200 kg de Xénon que contient le détecteur, il y a 3.2 kg de Xe-124 et donc 3.2x1025 atomes de cet élément, suffisamment pour observer quelques désintégrations radioactives comme ce fut le cas entre décembre 2016 et décembre 2018. Il s'agit en fait d'une double capture électronique (double-bêta) avec émission de neutrinos du Xe-124. Il ne s'agit donc pas encore de la découverte d'un WIMP. Cette découverte prédite mais inattendue fut décrite dans la revue "Nature" en 2019 (en PDF sur arXiv). Le projet SuperCDMS L'expérience du "Super Cryogenic Dark Matter Search" ou SuperCDMS est un projet des physiciens du SLAC de l'Université de Stanford. Il a pour objectif de détecter des particules de matière sombre dont la masse est inférieure à dix fois la masse du proton soit < 0.9 MeV/c2. Le SuperCDMS est le successeur des expériences CDMS réalisées dans la mine souterraine Soudan au Minnesota. Le superCDMS SNOLAB (Vale Inco Mine, Sudbury, Canada) est une installation beaucoup plus profonde et plus "propre", offrant une protection beaucoup plus importante contre les rayons cosmiques à haute énergie et contre les sous-produits de désintégration radioactive. Le système utilise 15 détecteurs cryogéniques à semi-condcuteurs conçus pour maintenir les détecteurs à des températures inférieures à une fraction de degré au-dessus du zéro absolu afin d'atténuer le bruit thermique. Le SuperCDMS à SNOLAB est en mesure de tester la majeure partie de l'espace des paramètres proposé pour les WIMP avec une sensibilité particulière pour la détection de WIMP de faible masse.
EURECA La future expérience européenne EURECA (European Underground Rare Event Calorimeter Array) doit être installée dans le laboratoire souterrain de Modane (cf. IN2P3) situé dans le tunnel routier du Fréjus, en Savoie. Elle doit succéder aux collaborations EDELWEISS, CRESST et ROSEBUD. L'objectif est d'explorer les sections efficaces scalaires dans la région du picobarn (10-9-10-10 barn sachant que 1 b = 100 fm2) avec une masse cible allant jusqu'à une tonne. Le projet devait être opérationnel vers 2017 mais aucune information ne circule. On peut regretter le manque d'information sur cette installation scientifique censée rivaliser avec le SuperCDMS. En effet, les rares publications se réduisent à un article publié en 2007 et des documents archivés depuis 2011. D'autres lois : la théorie MOND Selon l'Israélien Mordehai Milgrom de l'Institut des Sciences Weizmann de Rehovot, l'existence de la matière sombre ne sera jamais qu'une hypothèse car cette idée découle en réalité de l'inadéquation des lois de la gravitation et de la dynamique. Comme alternative à la théorie de la matière sombre, en 1983 Milgrom proposa la théorie MOND (MOdified Newtonian Dynamics) qui fut formalisée par Jacob Bekenstein en 1984, lui apportant un support inespéré et qui la formalisa dans le cadre de la relativité en 2004. Milgrom part du constat qu'on ne connaît pas la précision de la loi de Newton au-delà du Nuage de Oort, à 0.1 pc. Dès lors, il s'est demandé si on ne pouvait pas modifier le paramètre de l'accélération gravitationnelle afin que cette loi soit notamment conforme avec les courbes de rotation des galaxies. Si l'idée de Milgrom avait tout du sacrilège dans l'esprit des défenseurs de la physique newtonienne, dans le fond il avait raison. Pourquoi pas ?, se dirent les scientifiques les plus ouverts qui examinèrent sa proposition. En effet, dans tous les contextes astrophysiques, la présence de matière sombre n'est nécessaire que lorsque l'accélération de la gravité tombe sous la valeur critique de ao = 2 x 10-10 m/s2. Selon Milgrom, sous cette valeur l'accélération a d'une masse M ponctuelle située à une distance R ne suivrait plus la valeur newonienne a = GM/R2 mais serait égale à √(a.ao). Autrement dit, l'attraction gravitationnelle n'est plus proportionnelle à la masse M mais à la racine carrée de cette masse.
Milgrom modifie l'équation de la gravité sous la forme : a = √( G M ao / R ), avec ao = 2 x 10-10 m/s2 Du coup l'attraction gravitationnelle varie maintenant en 1/R et non plus en 1/R2. Si on applique cette loi aux galaxies, on constate que les courbes de rotation sont plates jusque très loin du centre. La vitesse Vrot de rotation obéit alors à la relation : V4rot = G M ao, avec M la masse visible de la galaxie Appliquée à la Voie Lactée et aux galaxies proches, cette loi donne de remarquables résultats. Pratiquement toutes les courbes de rotation peuvent s'appliquer sans recourir à de la matière sombre et sans paramètre libre, ao étant une constante universelle. Même les galaxies naines a priori dominées par la matière sombre s'accordent avec cette loi. Un autre succès de la théorie MOND est de prédire la relation Tully-Fisher. En 1977, les astronomes américains Brent R. Tully et Richard J. Fischer découvrirent une relation entre la vitesse de rotation des galaxies spirales et leur luminosité, qui fut appelée la relation Tully-Fischer. Avec le temps, la luminosité fut remplacée par la masse visible totale, y compris le gaz. Comme l'indique le graphique présenté ci-dessus à gauche, cette relation montre que la masse visible des galaxies varie comme V4, ce que prédit exactement la théorie MOND. En revanche, le modèle Standard (ΛCDM sous régime newtonien) ne prédit pas la même pente ni le même point zéro. Selon l'astronome français Richard Taillet, "la voie MOND est une approche intéressante dans la mesure où elle apporte une réponse fondamentale aux problèmes de la matière noire, d'une manière qui est falsifiable, c'est-à-dire qui peut être confirmée ou infirmée par des observations. Il est possible que les fondements théoriques de MOND ne soient pas aussi solides que ses partisans le prétendent, mais il est encore trop tôt pour que la question soit tranchée. C'est en tout cas une hypothèse à garder en tête". Ecrit au début des années 2000, aujourd'hui ont peut affirmer que la théorie MOND est fausse. La théorie MOND invalidée Si la théorie MOND s'applique dans un certain nombre de cas et peut même expliquer la tension de Hubble (la différence entre le taux d'expansion observé et attendu), pour être validée elle doit s'appliquer dans tous les cas et chaque nouvelle observation est un nouveau test. Or depuis plusieurs décennies les astronomes ont rassemblé de nombreuses observations que la théorie MOND est incapable d'expliquer. Autrement dit, de manière générale cette théorie est approximative voire fausse et on ne peut donc pas la retenir comme une alternative valable à loi de Newton ou à la théorie d'Einstein. Concernant la relation de Tully-Fischer décrite ci-dessus, les implications de la théorie MOND sur les rapports M/L, qu'ils soient calculés en lumière blanche ou en infrarouge, ne sont pas conformes à la réalité. La luminosité des galaxies, une fonction L1/4 dans la relation de Tully-Fischer deviendrait une fonction L1/2 par exemple[15]. On a bien tenté de rechercher pourquoi si peu de baryons étaient visibles et se condensaient dans les galaxies. Pour les galaxies massives, les astronomes ont évoqué l'effet des trous noirs supermassifs sur les noyaux actifs ainsi que l'effet du souffle des supernovae dans les galaxies naines qui auraient pu empêcher la condensations du gaz et la formation des étoiles. Mais ce ne sont que des hypothèses qui n'ont jamais été validées. La théorie MOND présente un défaut majeur. Si on modifie le paramètre de l'accélération gravitationnelle, le mathématicien Robert H. Sanders[16] aujourd'hui à l'Université de Groningen aux Pays-Bas a démontré en 1990 que ses implications restaient de toute façon inadéquates en relativité générale dans les limites des champs faibles. Précisons que Sanders a écrit un livre en anglais sur le sujet intitulé "The Dark Matter Problem" (2014).
A leur tour, l'astronome Israa Abdulqasim de l'Université de Malaya en Malaisie et ses collègues ont montré dans un article publié sur arXiv en 2018 que la galaxie NGC 3256 présentée ci-dessus, une LIRG (Luminous InfraRed Galaxy) située à 117 millions d'années-lumière dans le superamas Hydre-Centaure semble contenir une grande proportion de matière sombre dans ses régions centrales. La quantité de matière sombre atteint ~48 milliards de masses solaires, soit nettement plus élevée que la masse stellaire. Cette masse sombre représente 87% de la masse dynamique. La théorie de MOND ne peut pas expliquer ce type d'observation. En fait la théorie de MOND est valable mais uniquement en absence de matière sombre et en dessous de l'échelle galactique. En effet, en 2001 l'équipe d'Anthony Aguirre de l'Institut d'Etudes Avancées de Princeton (IAS) montra dans "The Astrophysical Journal" que la théorie MOND n'explique pas le comportement des absorbeurs Ly-α et de la matière sombre dans les amas de galaxies. Une autre étude contredit également le modèle de MOND. En 2022, des chercheurs chinois ont comparé les courbes de rotation de la Voie Lactée et de M31 dans les modèles ΛCDM et dans MOND en utilisant la simulation ΛCDM EAGLE. Leurs résultats publiés dans la "Physical Review D" en 2022 (en PDF sur arXiv) montrent que les courbes de rotation sont cohérentes avec le modèle ΛCDM. Selon les auteurs, "leur écart par rapport à la prédiction générique MOND devrait être attribué à un effet de champ externe, ou éventuellement une fonction d'accélération". En effet, dans le halo et à grandes distance du centre, dans la simulation ΛCDM EAGLE l'accélération diminue selon les lois de Kepler mais pas dans le modèle MOND. Les chercheurs confirment qu'à de "très grandes distances, ces données supportent le modèle ΛCDM". La fatigue de la lumière Dans un article publié dans les "MNRAS" en 2023, le physicien théoricien Rajendra P. Gupta de l'Université d'Ottawa au Canada, propose de résoudre les problèmes du modèle Standard en associant la théorie existante du Big Bang et de l'Univers en expansion avec l'explication marginale de l'hypothèse de la fatigue de la lumière (ou de la lumière fatiguée) imaginée en 1929 par Fritz Zwicky. Gupta a calculé qu'en combinant ces théories, le Big Bang serait survenu il y a 26.7 milliards d'années, l'Univers étant deux fois plus âgé que les modèles actuels ne le prédisent. On reviendra sur cette hypothèse à propos des cosmologies alternatives. Autres résultats Certaines théories de la physique quantique prévoient l'existence d'un boson de jauge hypothétique qui serait à l'origine d'une cinquième interaction fondamentale qui aurait presque le même effet que la gravité. On y reviendra en physique quantique quand nous décrirons les différentes interactions et ferons un saut en dehors du modèle Standard des particules élémentaires qui de toute évidence n'explique pas non plus tous les phénomènes. Parmi les autres progrès, en 2019 une expérience de laboratoire conduite à l'Imperial College de Londres (cf. E.Copeland et al., 2019) a permis d'exclure toute une série de modèles associant l'énergie sombre à une cinquième force et de restreindre les modèles restants. Mais cela n'explique toujours pas sa nature. La matière sombre : un simple effet de marée ?
Il est possible que la matière sombre n'existe pas tout simplement ! Ce pavé dans la marre cosmique fut lancé suite à la publication dans "The Astrophysical Journal" en 2022 d'une étude réalisée par François Hammer du GEPI de l'Observatoire de Paris et ses collègues. Les chercheurs ont étudié les étoiles et la dynamique de 40 galaxies naines dans un rayon d'environ 300 kpc ou ~1 million années-lumière autour de la Voie Lactée à partir des données de Gaia EDR3. Ils ont constaté que les étoiles ne suivent pas une orbite circulaire comme on le croyait mais des orbites radiales. Les galaxies naines en cours de fusion avec la Voie Lactée perdent tout leur gaz ce qui provoque une réaction d'expansion des étoiles restantes (cf. les fusions de galaxies). Il en résulte ce qu'on appelle des chocs de marée de la Voie Lactée sur les galaxies naines qui l'entourent qui ont pour effet d'augmenter la dispersion des vitesses des étoiles. Autrement dit, on a l'impression qu'à grandes distances du centre de la Voie Lactée les étoiles accélèrent mais selon les auteurs ce ne serait qu'un effet de marée. Ce phénomène n'est pas un effet de la pression dynamique (ram pressure). Selon les chercheurs, "si les progéniteurs des galaxies naines étaient riches en gaz, la pression dynamique aurait d'abord ralenti leurs mouvements, puis aurait éliminé leur gaz". Ce n'est pas ce que montrent les données. Si la matière sombre n'est qu'une illusion, cette conclusion remet en cause plus de 40 années de recherches sur le sujet durant lesquelles des équipes de chercheurs épaulées par les superordinateurs les plus puissants ont établi des relations d'échelle entre la masse et le rayon des galaxies ou des amas de galaxies. Selon les auteurs, ces effets de marée expliquent la courbe de rotation des galaxies alors que le modèle ΛCDM ne l'explique pas. Si cette découverte est confirmée, elle risque d'avoir non pas l'effet d'une marée mais celle d'un tsunami en astrophysique ! Serait-ce la fin de la matière sombre comme le pensent Hammer et ses collègues ? Sans doute pas tout de suite. En effet, l'effet de marée explique peut-être les courbes de rotation des galaxies mais la matière sombre est omniprésente dans l'univers. Comme nous l'avons expliqué (voir page 1), dans un rayon de quelques dizaines d'années-lumière autour du Soleil, la densité augmente déjà d'un facteur 2 sans qu'on puisse identifier la nature de cet excès de matière différent de la masse stellaire et autres baryons. Aux dernières nouvelles, l'univers visible contient environ cinq fois plus de matière sombre que de matière ordinaire et semble s'organiser autour d'un immense réseau de filaments de matière sombre qui se sont développés probablement depuis la formation de l'Univers (cf. la structure de l'Univers). Aux intersections de ces filaments, on trouve des structures visibles massives, comme les amas de galaxies. Pour que l'explication de Hammer et ses collègues soit éventuellement validée, il faut la généraliser. Ils devraient donc confirmer cet effet de marée sur beaucoup d'autres galaxies et à différentes époques cosmiques. Actuellement des chercheurs du GEPI analysent le contenu en matière sombre des galaxies distantes. Cela prendra du temps. Mais ce ne sera pas suffisant. Si le modèle ΛCDM n'explique pas tout selon les chercheurs, on voit mal comment un simple effet de marée remplacerait la matière sombre dont semblent constitués les filaments cosmiques. Elle n'explique pas non plus les lentilles gravitationnelles comme celles qu'on découvre dans l'amas de galaxies ZwCl 0024+1652 présenté ci-dessous à gauche, celui de Pandore (Abell 2744) ou SDSS J1004+4112 parmi beaucoup d'autres. Dans ces amas qui peuvent contenir une centaine de galaxies, la matière sombre représente jusqu'à 80% de la masse de l'amas soit des milliers de milliards de masses solaires constituées de matière sombre invisible !
Il faudra aussi discuter avec les physiciens et vérifier du côté du LHC si les énergies manquantes qu'on observe dans certaines collisions peuvent s'expliquer par d'autres particules que de la matière sombre. A ce jour, ce n'est pas le cas. Ainsi qu'on le constate, malgré leur optimisme et leurs certitudes, Hammer et ses collègues n'ont résolu qu'une partie du problème; en réalité ils n'ont vu que l'arbre qui cache une forêt toujours bien sombre. En guise de conclusion Il faut bien admettre que nous ne savons pas encore de quoi l'Univers est constitué et à quelles lois il obéit réellement ! Si l'astrophysique nous dresse un panorama compréhensible du paysage cosmique, il en va autrement du paysage quantique où régulièrement les physiciens constatent qu'il manque des particules dans leur modèle Standard ou qu'une nouvelle particule vient bouleverser l'harmonie apparente de leur théorie. Mais soyons optimistes. Les découvertes des satellites COBE, WMAP et Planck ainsi que Gaia nous réconfortent tout de même avec une réalité moins exotique et rassurent les chercheurs sur l'exactitude de leurs lois qui, à quelques exceptions près, sont tous les jours validées jusqu'aux limites de l'univers que leurs instruments peuvent atteindre. Toutefois, il faut admettre que l'incomplétude des théories de grande unification étend son voile jusqu'en cosmologie quand il faut expliquer la structure à grande échelle de l'univers et l'étire jusqu'à l'instant de la création de l'Univers où les physiciens perdent leurs repères. Espérons que l'avenir nous dévoilera les secrets de l'Univers. Pour plus d'informations Sur ce site Les interactions entre particules (la 5e force hypothétique) Les missions COBE, WMAP et Planck DESI ou le destin de l'Univers La matière et l'énergie sombres dans l'univers Vidéos Énergie noire et modèles d'univers, F.Combes, Collège de France, 2016 Les simulations cosmologiques de matière noire, F.Combes et al., Collège de France, 2015 Le problème de la matière noire : galaxies spirales, F.Combes et al., Collège de France, 2015 La matière noire dans l'univers, F.Combes, Collège de France, 2014 Sur Internet La matière noire, Richard Taillet, LAPTH La théorie MOND, R.Taillet Cours de Cosmologie, SAF/IAP Cosmology Tutorial (en partie en français), Ned Wright, UCLA The evidence for dark matter in galaxies, Michael Richmond, RIT Dark Matter, Jaan Einasto, 2010 M31 and a Brief History of Dark Matter, Morton Roberts, 2007 Sources and Detection of Dark Matter and Dark Energy in the Universe, 6th UCLA Symposium, 2004 Dark Matter 2002, 5th UCLA Symposium Large Synoptic Survey Telescope (LSST) Edelweiss, Expérience de détection directe de WIMPs, CNRS Grand Challenge Cosmology Consortium, GC3 Warm Dark Matter, P.Bode, P.Ostriker et N.Turok, U.Princeton Dark Matter, Center for Particle Astrophysics Dark Matter and Large Scale Structure, Joel Primack, SLAC Cosmos in fast forward, simulations, U.Illinois The Dark Matter Universe, U.Oregon Cosmological Dark Matter: An Overview, Alex Markowitz, UCLA Project CLEA : The large scale structure of the universe, U.Gettysburg WIMPS versus MACHOS, D.Bennett, U.Notre Dame DEEP project, Obs.Lick. Quelques livres (cf. détails dans ma bibliothèque dont la rubique Cosmologie) Niveau vulgarisation Big bang: Histoire critique d'une idée, Thomas Lepeltier et Jean-Marc Bonnet-Bidaud, Folio Essais, 2021 Le Futur du cosmos: Matière noire et énergie, Joseph Silk, Odile Jacob, 2015 La matière noire. Clé de l'Univers ?, Françoise Combes, Vuibert, 2015 Le mystère de la matière noire, Gianfranco Bertone, Dunod, 2014 A la recherche de la matière noire : histoire d'une découverte fondamentale, Robert Sanders, De Boeck, 2012 Matière sombre et énergie noire, Alain Bouquet et Emmanuel Monnier, Dunod, 2008 Matière noire et autres cachotteries de l'Univers, Alain Bouquet et al., Dunod, 2003 Niveau avancé ou universitaire Dark Matter. Theories on its Origin & Substance, Paul F. Kisak, CreateSpace Independent Publishing Platform, 2015 The Dark Matter Problem: A Historical Perspective, Robert H. Sanders, Cambridge University Press, 2014 Cosmologie. Des fondements théoriques aux observations, Francis Bernardeau, EDP Sciences, 2007 Dark Matter In The Universe, John Bahcall, Tsvi Piran, Steven Weinberg, World Scientific Publishing Co Pte Ltd, 2004 The Third Stromlo Symposium, No. 165: The Galactic Halo, Astronomical Society of the Pacific, 1999.
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