Contacter l'auteur / Contact the author

Recherche dans ce site / Search in this site

 

 

Pluton, le dieu des Enfers

Charon photographié par la sonde New Horizons le 14 juillet 2015 juste avant le périastre. Sur l'original les plus petits détails mesurent 2.9 km. Document JHUAPL.

Charon, le passeur des Enfers (IV)

Le 22 juin 1978, l'astronome James Christy de l'US Naval Observatory découvrit une excroissance de l'image de Pluton prise avec le télescope de 1.55 m installé à Flagstaff qui révéla la présence d'un satellite gravitant autour de la planète naine. Il sera baptisé Charon (prononcer "karon" même si beaucoup d'experts, y compris américains préfèrent prononcer "sharon").

Charon doit son nom, non pas aux astronomes qui ignoraient ce mythe grec, mais à Christy lui-même en hommage à son épouse qui s'appelle Charlène.

Depuis, le Télescope Spatial Hubble et plusieurs télescopes terrestres dont celui de Gemini North et Subaru de 8.2 m ont réussi à photographier le satellite parfaitement différencié de Pluton, mais cela reste à la limite de leurs capacités.

Charon présente un diamètre de 1208 km. Comparativement à Pluton, il paraît énorme. Pour Edward F. Tedesco du JPL on peut pratiquement considérer que le couple Pluton-Charon forme un couple physique. Comparativement au système Terre-Lune, Charon est quatre fois plus rapproché de Pluton que notre Lune l’est de la Terre.

En orbite circulaire à une distance d’environ 17 rayons de Pluton, soit 19640 km, Charon est animé d'un mouvement rétrograde perpendiculaire au plan de l'orbite de Pluton (94°). Il tourne autour de Pluton en un peu plus de 6 jours ce qui signifie que les deux astres ont une rotation synchrone. Par ailleurs un phénomène de marée gravitationnelle bloque pour ainsi dire l'orientation des deux astres qui sont toujours tournés l'un vers l'autre, comme la Lune vis-à-vis de la Terre. C'est un cas unique dans le système solaire.

Sur Pluton il n'est donc pas difficile de trouver Charon dans le ciel : il occupe toujours la même place. En revanche, un observateur situé aux antipodes ne verrait jamais Charon !

Bien que Charon et Pluton aient été formés ensemble il y a des milliards d'années, ils sont totalement différents. Charon est beaucoup plus pâle que Pluton, avec un albedo variant entre 0.32 et 0.39, une des hémisphères étant rougeâtre. Son pôle Nord présente également de grandes taches sombres comme on le voit ci-dessus. Sa densité est voisine de 1.7 indiquant qu'il contient peu de roches.

A gauche, le couple Pluton-Charon photographié par la sonde spatiale New Horizons le 8 juillet 2015 à 6 millions de kilomètres de distance. A droite, le profil spectral de Pluton comparé à celui de Charon. Documents JHUAPL et NASA/ESA/STScI.

Les premières photographies détaillées montrent que Charon présente une grande fracture dans sa région équatoriale, un canyon long de 1000 km et profond de 7 à 9 km dont l'origine n'est pas encore déterminée (voir plus bas) ainsi que des fosses, des falaises et des lignes de crêtes mais relativement peu de grands cratères.

Charon présente une légère atmosphère contenant du méthane qu'il perd progressivement au profit de Pluton.

La surface de Charon ne semble pas contenir de méthane ni d'ammoniac mais serait constituée d'eau glacée sale, assez semblable aux moraines de nos glaciers. Enfin, la surface de Charon est légèrement plus chaude que celle de Pluton.

Un océan gelé sous la croûte de Charon ?

Quelles conditions expliqueraient les grandes fractures et la ceinture de crêtes visibles sur la surface de Charon ? Dans un article publié dans la revue "Icarus" en 2023, Alyssa Rose Rhoden du SwRI et ses collègues ont proposé que ces fractures seraient provoquées par un océan gelé sous sa surface.

Cette annonce surprit de nombreux scientifiques qui considéraient auparavant Charon comme une boule de glace sâle et pensaient que cette petite lune n'était rien d'autre qu'un bloc fait de coquilles de glace épaisses.

Charon possédait-il jadis de l'eau et un océan ? Les chercheurs ont développé de nouveaux modèles océaniques pour Charon en utilisant de l'eau, de l'ammoniac et leur mélange. Les modèles précédents des intérieurs de Charon suggèrent que les coquilles de glace ne pourraient pas se fissurer en raison du gel intense qui fige tout l'océan souterrain. Les premiers modèles montraient que les coquilles de glace étaient trop épaisses (environ 100 km) pour se fracturer. En revanche, le nouveau modèle montre que les coquilles de glace n'avaient que 10 km d'épaisseur lorsque les cryovolcans sont entrés en éruption. Il y avait donc peut-être de l'eau et un océan sous la surface de Charon.

A voir : Flying over Charon, NASA

A gauche, la région fracturée de Serenity Chasma sur Charon. L'agrandissement couvre une surface d'environ 320 x 170 km. A droite, un agrandissement du canyon d'Argo Chasma vu de profil photographié le 14 juillet 2015. L'image couvre ~300 km. Mais les chercheurs estiment que la longueur totale d'Argo est d'environ 700 km (contre 450 km pour le Grand Canyon en Arizona) et plonge à 9 km de profondeur. Documents U.Lamamud et al. (2018) et NASA/JHUAPL/SwRI.

Selon Rhoden, il est possible que la surface de la lune n'ait pas été en contact avec l'océan à cette époque : "Si la coquille de glace de Charon avait été suffisamment mince pour être complètement fissurée, cela impliquerait qu'une beaucoup plus grande partie de l'océan gela contrairement à ce qu'indiquent les canyons identifiés sur l'hémisphère de Charon."

Cependant, les chercheurs affirment que les flux cryovolcaniques n'auraient pas duré longtemps car les conditions sur Charon n'ont soutenu que la perte de chaleur. Même la radioactivité interne de Charon n'était alors pas assez intense pour produire de la chaleur.

Selon les auteurs, "En raison du faible réchauffement radiogénique au sein de Charon et de la perte de réchauffement des marées au début de son histoire, une mince coquille de glace aurait été de courte durée, ce qui implique que les flux cryovolcaniques d'origine océanique auraient cessé relativement tôt dans l'histoire de Charon, conformément aux interprétations de sa géologie de surface."

Le gel de l'océan a peut-être entraîné la formation de failles profondes mais qui n'ont pas complètement plongé jusqu'à l'océan et formèrent des canyons. Les fractures peuvent provenir des coquilles de glace situées le long de la ceinture tectonique des crêtes qui divisent les régions nord et sud de la lune.

Rhoden et son équipe suggèrent que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour confirmer ces nouvelles découvertes passionnantes.

Hydra, Nix, Kerberos et Styx

En plus de Charon, quatre autres satellites escortent Pluton : Hydra (S/2005 P1) et Nix (S/2005 P2) furent découverts le 31 octobre 2005. Kerberos (S/2011 P4) fut découvert en 2011 et Styx (S/2012 P5) en 2012.

Nous devons ces découvertes à la collaboration de nombreux astronomes travaillant au Space Telescope Science Institute (STScI) pour le compte de différents observatoires américains (STScI, Lowell, SETI Institute, etc).

Pluton et son cortège de satellites découverts grâce au Télescope Spatial Hubble en 2005 et 2012. Documents NASA/ESA/STScI.

Les photographies et les données transmises par New Horizons ont permis de préciser les dimensions et la nature de ces satellites.

Hydra mesure 55x40 km tandis que Nix mesure 42x36 km. Bien que la coloration globale de Nix soit gris neutre comme celle d'Hydra, il présente une intrigante tache rouge qui suscite l'intérêt des scientifiques qui attendent impatiemment les prochaines images en gros-plans pour déterminer sa nature.

Nix et Hydra dont voici une photo générale gravitent sur des orbites chaotiques et totalement imprévisibles à environ 48675 km de Pluton pour Nix et 64700 km de Pluton pour Hydra, soit beaucoup plus loin que Charon, mais dans le même plan que lui. Ils sont environ 5000 fois moins brillants que Pluton avec une magnitude voisine de +23. Aucun des deux ne possède d'atmosphère. La température à leur surface est comprise entre -233 et -228°C.

Kerberos et Styx sont 3 à 4 fois plus petits. Kerberos mesure entre 13 et 34 km de diamètre. Les archives du Télescope Spatial Hubble indiquent qu'il l'avait déjà photographié entre le 15 février 2006 et le 25 juin 2010. Ce satellite gravite à environ 58000 km de Pluton, entre les orbites de Nix et Hydra et accomplit une révolution en 32.1 jours. Sa période est pratiquement en résonance 1:5 avec Charon.

Les satellites Nix (gauche) et Hydra (droite) photographiés par New Horizons le 14 juillet 2015. Les photos ne sont pas à l'échelle. Les couleurs ont été ajoutées à partir des données de l'imager multispectral Ralph et la gamme de gris multipliée par trois. Les plus petits détails mesurent moins de 1 km sur Nix et 1.2 km sur Hydra. Images prises le 14 juillet 2015. Documents JHUAPL.

Enfin, Styx présente une forme irrégulière comprise entre 10 et 25 km et gravite entre les orbites de Charon et Nix.

Les cinq lunes ayant des paramètres orbitaux similaires, on pense que ce système ne se serait pas formé par capture mais suite à la collision entre deux astres de la taille de Pluton à une époque qui remonte à plus de 4 milliards d'années.

Selon les dernières hypothèses, le système de Pluton aurait donc très bien pu se former comme l'a été le système Terre-Lune (collision de deux astres puis éjection et mise en orbite des débris qui par coalescence auraient formé les lunes).

Suite à cette découverte, les astronomes pensent que les impacteurs proviendraient de la Ceinture de Kuiper (les KBO) situés au-delà de Neptune et obéiraient à une dynamique beaucoup plus complexe que prévue. Il n'est pas impossible que les astronomes découvrent d'autres lunes autour de Pluton sur des orbites plus rapprochées.

Toutefois, selon Andrew Steffl du SwRI, il est peu probable qu'il existe d'autre lunes mesurant plus de 15 km de diamètre dans le système de Pluton. La recherche continue.

Cette découverte est intéressante car elle révèle pour la première fois que des KBO (même si Pluton fut éjecté de leur club, il en est originaire) peuvent être escortés par plusieurs satellites. On pourrait donc envisager que certains astéroïdes soient également escortés de plusieurs lunes. Tout dépend de leur masse et des effets de marées qu'ils subissent.

Ceci termine notre revue de Pluton. La majorité des résultats scientifiques furent publiés dans la revue "Icarus" dédiée au système solaire, les sites du JHUAPL, de la NASA et les magazines de vulgarisation se réservant les rapports de synthèse destinés au grand public.

La planète X existe-t-elle ?

 Dès l'annonce de la découverte de Pluton, Ernest Brown déjà connu pour ses calculs des perturbations lunaires, doutait que cette astre puisse être responsable des perturbations d'Uranus et de Neptune. Nous savons aujourd'hui que Pluton a une masse 500 fois inférieure à celle de la Terre. Quand on sait que Lowell changea plusieurs fois la position supposée de sa planète, oscillant entre la Balance, les Gémeaux et le Taureau, il y a tout lieu de croire que Lowell avait prédit par hasard que Pluton se situerait dans les Gémeaux...

Aussi de nombreux astronomes se remirent à rechercher la "vraie" planète de Lowell. Tombaugh participa à ce travail, examinant 70% de la voûte céleste, ce qui représentait quelque 90000 degrés carrés, jusqu'à la magnitude 17.5. Les régions éloignées de la Voie lactée ne contenaient que 40 à 60000 étoiles par plaque, mais celles du Sagittaire en revanche, situées en plein coeur de la Voie Lactée, en contenait plus d'un million. Dans cette région, l'analyse d'une surface de 3 mm sur 20 mm prenait 10 minutes. A cette vitesse il lui fallait deux heures de concentration pour venir à bout d'un degré carré. Son travail fut donc proportionnel au nombre d'étoiles figurant sur chacune de ces plaques.

La planète "X" n'existe pas. En revanche, il existe des objets Transneptuniens (TNO) et des KBO appartenant ou éjectés de la Ceinture de Kuiper qui constitue un immense réservoir de débris glacés qui s'étend jusqu'à environ 500 U.A. à partir de l'orbite de Neptune. Il comprend notamment les célèbres Eris, Sedna et Quaoar. Pluton est originaire de cette région reculée du système solaire. Document T.Lombry.

Pour éviter des "trous" dans la couverture du ciel, Tombaugh consacra 30% de son temps à rephotographier les anciennes zones, les faisant déborder d'une certaine quantité d'une plaque à l'autre. En 14 ans, il consacra ainsi 7000 heures à observer consciencieusement chacune des 90 millions d'étoiles du ciel comprises entre 60° de déclinaison Nord et 50° Sud ! Il passa également au crible la région au-delà de Canopus et l'amas globulaire Omega Centauri. 

Mais au lieu de découvrir cette planète X, Tombaugh découvrit une comète, un nouvel amas globulaire, plusieurs amas d'étoiles, marqua 1807 étoiles variables, 3969 astéroïdes et dénombra 29548 galaxies ! Sur 90 millions d'étoiles analysées sur 362 plaques, il n'y avait pas une seule planète ! Il en suspecta des centaines autour de la magnitude 17 mais il s'agissait toujours d'artefacts ou de défauts de mise au point sur le plan-film. Slipher finit pas abandonner la partie au bout de 13 ans de recherches. Mais Clyde Tombaugh[3] persista.

En 1939 et 1940, Tombaugh rephotographia environ un tiers de l'écliptique, des constellations du Poisson jusqu'au Taureau, y compris le Cancer où se trouvait à l'époque Pluton, ainsi que la Balance, de façon à être certain d'avoir "attrapé" la plus pâle des planètes avant de plonger dans les champs riches et brillants de la Voie Lactée. Tombaugh fut en mesure d'analyser des étoiles jusqu'à la magnitude 18.6. Une nouvelle fois il découvrit près de 1000 pseudo-planètes qui n'étaient que des défauts de mise au point.

Sachant que la planète X serait très pâle, son éclat chutant d'un facteur quatre chaque fois que sa distance à la Terre doublait, malgré cette limitation, Tombaugh était convaincu, à juste titre, de pouvoir "détecter une planète de la taille et de la brillance de Neptune à sept fois la distance de Neptune au Soleil, soit environ 200 U.A." Non pas qu'il ne puisse exister de planètes géantes dans cette région, mais les simulations informatiques modélisant la formation du système solaire, indiquent en général que les planètes massives se trouvent à une distance intermédiaire du Soleil. Cette distance se situe dans la région de Jupiter-Saturne. Le modèle est identique en ce qui concerne les systèmes satellitaires.

Tombaugh reconnaît que la tâche la plus difficile fut d'examiner la région située vers 18h d'ascension droite, dans la partie sud du Sagittaire, située en plein coeur de la Voie Lactée. Mais en vain. Il alla jusqu'à explorer le ciel 20° au sud de l'écliptique, sans plus de succès. Après avoir consacré plus de 50 ans de sa vie à rechercher la planète X, il reste persuadé que cette planète se cache quelque part dans ces régions sud, "s'approchant probablement de la région de son noeud ascendant". Il reste une infime possibilité que cette planète existe : "La chasse devrait se poursuivre maintenant dans les régions sud du Verseau ou même de la Baleine. Fort heureusement, ces régions ne sont pas riches en étoiles et je pense qu'une telle recherche pourrait être mise sur pied."

En 2004, de l'avis général des astronomes, mis à part la mythique planète Némésis qui pourrait encore expliquer les infimes perturbations orbitales et les arrivées périodiques des comètes issues du Nuage de Oort, avec Pluton nous pensions avoir découvert la dernière planète (naine) du système solaire. Bien que cette conclusion ne transpirait pas d'une totale certitude mathématique, il y avait peu d'espoir de trouver un nouvel astre de cette taille dans le système solaire. Et pourtant nous nous trompions. Bien sûr nous n’avons pas découvert une grosse planète, elle est même toute petite, mais elle demeure plus grosse que tous les astéroïdes connus. Vous l'avez reconnue, il s'agit de la planète naine Eris, sans oublier Sedna et l'hypothétique 9e planète qui reste toujours dans la course. On y reviendra.

On reviendra également sur la mission de New Horizons lorsqu'elle aura enregistré de nouvelles données sur l'héliopause.

Pour plus d'informations

Les astéroïdes

La planète naine Eris

Les Objets Transneptuniens et les KBO

Les membres de la Ceinture interne de Oort (Sedna, le Nuage de Hills et la 9e planète)

Jet Propulsion Laboratory (JPL)

New Horizons (JHUAPL)

The New Horizons Spacecraft (PDF), SwRI.

Retour au système solaire

Page 1 - 2 - 3 - 4 -


[3] Clyde W Tombaugh, "Plates, Pluto, and Planets X", Sky & Telescope, Apr 1991, p360.


Back to:

HOME

Copyright & FAQ