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Les amas de galaxies

Température au coeur des amas de galaxies (III)

Si apparemment l'espace intergalactique paraît vide de matière et de rayonnement, il suffit de l'observer en dehors du spectre visible pour se rendre compte que ce milieu est non seulement rempli de matière mais également relativement chaud et le siège de nombreux phénomènes insoupçonnés.

Évolution du décalage doppler (z) d'une tranche entière d'univers de z=4 à z=0 selon 4 projections : la densité de matière sombre, la densité de gaz, la température du gaz et la métallicité du gaz. Document Illustris.

Les amas de galaxies se réchauffent

Selon les résultats d'une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (en PDF sur arXiv) par Brice Ménard de l'Université Johns Hopkins et ses collègues, les chercheurs ont découvert qu'en moyenne, la température des amas de galaxies est aujourd'hui de 2 millions de Kelvins. C'est 10 fois plus chaud qu'il y a 10 milliards d'années et quatre fois plus chaud que la couronne solaire.

Selon Ménard, "Nous avons mesuré les températures tout au long de l'histoire de l'univers. Avec le temps, tous ces amas de galaxies deviennent de plus en plus chauds parce que leur gravité attire de plus en plus de gaz vers eux." Selon Yi-Kuan Chiang aujourd'hui à l'Université d'État d'Ohio et coauteur de cet article, "Cette traînée est si violente que de plus en plus de gaz sont choqués et chauffés."

Ce modèle de chauffage gravitationnel peut être appliqué à des galaxies entières, à des amas de galaxies et aux structures à grande échelle, conformément à la théorie proposée par le cosmologiste James Peebles, lauréat du prix Nobel de physique en 2019. Selon Ménard, "Nos mesures sont une excellente confirmation de cette théorie."

Pour effectuer cette analyse, les chercheurs ont rassemblé les données enregistrées par les astronomes pendant deux décennies, d'abord à partir d'un télescope au sol dans le cadre du sondage SDSS, puis de la mission du satellite Planck de l'ESA.

L'équipe a utilisé une technique développée par Ménard et Chiang qui leur ont permis d'estimer le redshift des concentrations de gaz observées dans les images micro-ondes remontant jusqu'à 10 milliards d'années dans le temps. Il s'agit des amplitudes du fond de l'effet thermique Sunyaev-Zel'dovich dépendant du redshift z (cf. la découverte du rayonnement à 2.7 K).

Ils ont constaté une augmentation progressive de la température des gaz en fonction de l'âge de l'Univers. À mesure que l'Univers évolue, les concentrations de matière sont entourées de halos de gaz de plus en plus chauds. Ainsi, la température moyenne des électrons est passée de 7x105 K à z = 1 il y a ~7.8 milliards d'années à 2x106 K aujourd'hui (z = 0).

Cette tendance est également prédite par des simulations numériques telles celle présentée à droite, montrant comment la matière sombre et les atomes présents dans les gaz évoluent au cours du temps. Dans cette simulation on constate que la température des gaz était froide à z = 2 il y a 10.4 milliards d'années et est devenue beaucoup plus chaude aujourd'hui, toute la carte devenant brillante (z = 4 représente 12.2 milliards d'années).

Chiang souligne que le réchauffement de l'Univers est un processus normal. Il se réchauffe en raison de la formation des galaxies, des amas et des grandes structures cosmiques.

Caractéristiques du gaz chaud intra-amas

En étudiant les galaxies et les amas dans le rayonnement X, les astronomes ont découvert un nouveau phénomène : ils sont enveloppés d'un halo de gaz chaud porté entre 10 et 100 millions de Kelvins. Si on comprend aisément qu'une galaxie soit composée de nuages de gaz froid à partir duquel se forment les étoiles, l'origine de ce gaz très chaud intergalactique ou WHIM (Warm-Hot Intermediate Medium) également appelé le milieu intra-amas (intracluster medium ou ICM) est plus mystérieuse. Elle le devient plus encore quand on apprend que la matière sous toutes ses formes représente à peine 27 ±4% de la masse totale d'une galaxie (le reste étant représenté à raison de 67 ±4% par l'énergie sombre, 4.9 ±0.6% par les baryons, 0.5% par les neutrinos et seulement 0.5% par les étoiles et la matière visible) et que la moitié des baryons qui devraient être présents dans l'univers manque à l'appel ! On reviendra sur ce sujet très important dans un autre article.

La découverte de ces halos dilués très chauds soulève plusieurs questions : quelle est la composition de ce gaz, d'où vient-il (a-t-il une origine intra-amas ou intergalactique) et est-il localisé ou omniprésent ?

Au début des années 2000, la réponse n'était pas encore définitive mais les astronomes estimaient que ce gaz chaud fut produit par les étoiles et s'était ensuite rassemblé dans et autour des amas à l'époque de la formation des amas de galaxies qui débuta quelques milliards d'années après le Big Bang, vers z = 2 ou 3.

Voyons en détail ces deux processus.

1. Origine et composition du gaz chaud intra-amas

L'astrophysique et la cosmologie nous ont appris que tous les éléments chimiques lourds comme le carbone, l'oxygène, le néon, le sodium, le magnésium, l'aluminium, le solium, le soufre, l'argon, le calcium, le nickel et le fer proviennent tous du cycle de vie des étoiles. Ces réactions de nucléosynthèse se terminent finalement par l'explosion de l'étoile en supernova.

Soit l'étoile est isolée et explose en supernova ordinaire - dans ce cas on parle de supernova à effondrement de coeur -  soit il s'agit d'une naine blanche accrétante associée à une étoile compagne plus légère dont elle accrète l'atmosphère jusqu'au seuil critique de masse où elle explose en supernova thermonucléaire (de Type Ia). Dans les deux cas, l'explosion libère dans l'espace tous les éléments chimiques que l'étoile a produits dans ses couches externes.

Dans le cas des supernovae thermonucléaires (Type Ia), on pensait que ce processus prenait beaucoup plus de temps qu'une supernova ordinaire dont le noyau s'effondre car la naine blanche doit d'abord se former à partir d'une étoile de masse inférieure, puis il lui faut du temps pour accumuler la matière de son compagnon avant que l'explosion ne se produise.

L'effondrement du noyau des étoiles massives et les supernovae de Type Ia ont tendance à produire des modèles d'abondance chimique très différents, les premiers générant principalement des éléments plus légers comme l'oxygène et le magnésium, tandis que les secondes sont principalement responsables du fer et du nickel. Les éléments intermédiaires comme silicium et le soufre sont produits en quantités à peu près égales par les deux types de supernovae.

On peut donc imaginer qu'en mesurant la composition chimique de l'univers, on pourrait reconstruire son histoire chimique, savoir où, quand et comment chacun des éléments chimiques indispensable à l'évolution de la vie fut créé. Se posent alors les questions de savoir si l'univers primitif était très différent de celui d'aujourd'hui et s'il exiterait encore des parties de l'univers ayant une composition très différente de l'univers local ?

C'est à ces questions que tenta de répondre l'équipe d'Aurora Simionescu alors à la JAXA et aujourd'hui astrophysicienne au SRON aux Pays-Bas dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2015. Les auteurs ont préféré de trouver la réponse à ces questions non pas en analysant la composition des étoiles elles-mêmes, mais plutôt celle de l'ICM, le milieu intra-amas. En effet, la majeure partie de la matière baryonique (ordinaire) contenue dans l'univers, et donc la plupart des métaux, ne se trouve pas dans les étoiles, mais dans le gaz diffus et très chaud intra-amas où se rassemble environ 90% de la matière.

A gauche, le satellite à rayons X Suzaku de la JAXA a cartographié quatre directions à travers l'amas de galaxies de la Vierge. Le bras nord (en haut) s'étend sur 5 millions d'années-lumière depuis la galaxie massive M87 (au centre). Le cercle en pointillés est le rayon du viriel, le rayon maximum d'équilibre marquant la limite où les nuages de gaz pénètrent juste dans l'amas. Certaine galaxies membres de l'amas sont également indiquées. L'image en arrière-plan est extraite du sondage en rayons X réalisé par le satellite allemand ROSAT. Le petit carré bleu au centre indique la zone qui apparaît dans l'image en lumière visible. A droite, la première cartographie du fer, du magnésium, du silicium et du soufre jusqu'aux limites de l'amas de la Vierge. Les proportions de ces éléments s'avèrent constantes dans tout l'amas, ce qui signifie qu'ils ont été bien mélangés dès le début de l'histoire de l'Univers. Documents A.Simionescu et al. (2015).

Vu sa haute température, la composition chimique du gaz intra-amas peut être mesurée par spectroscopie à rayons X. Chaque élément chimique du milieu intra-amas émet un rayonnement à une énergie spécifique à partir de laquelle on peut généralement déduire l'abondance de cet ion.

A l'époque, il était très difficile d'obtenir des mesures fiables de l'abondance des métaux, à l'exception des parties les plus denses et les plus brillantes du milieu intra-amas, soit sur quelques centaines de milliers d'années-lumière autour du centre, ce qui représente environ un millième du volume total d'un amas de galaxies typique. Il y avait des indices intéressants selon lesquels la composition chimique à plus grandes distances variait, à savoir que les parties centrales contenaient davantage de produits de supernova thermonucléaires comme le fer, tandis que la périphérie des amas de galaxies était enrichie uniquement par les supernovae à effondrement de coeur. Mais il était très difficile d'en être certainr, car à grandes distances du centre il y avait très peu de photons de rayons X et beaucoup de bruit de fond, et différents articles aboutissaient souvent à des conclusions scientifiques différentes.

C'est ici que le satellite à rayons X Suzaku de la JAXA qui fut opérationnel entre 2005 et 2015 montra sa supériorité sur les autres satellites en consacrant plusieurs semaines à enregistrer ces fameux photons X de l'amas de la Vierge. Le bruit de fond de Suzaku étant inférieur à celui des autres détecteurs de rayons X, il fournit aux chercheurs les mesures les plus fiables à l'époque qui permirent d'améliorer les modèles d'enrichissement chimique dans les régions extérieures et faibles des amas de galaxies.

Appliquant la même technique à l'amas de Persée, le plus proche et le plus brillant, les résultats montrèrent une distribution remarquablement uniforme de l'abondance du fer dans le milieu intra-amas à grande échelle. Cela suggère que la périphérie des amas de galaxies n'a pas été enrichie uniquement par des supernovae à effondrement de coeur, comme on le supposa sur base d'observations antérieures, mais que les supernovae thermonucléaires ont également dû jouer un rôle.

Cependant, afin de réellement déterminer quels types de supernovae contribuent à la présence de métaux dans le milieu intra-amas à très grandes échelles, il était nécessaire de mesurer non seulement l'abondance d'un produit de supernova thermonucléaire tel que le fer, mais également celle d'un élément chimique principalement produite par des supernovae à effondrement de coeur, de sorte que les deux abondances puissent être directement comparées. A l'époque cela n'a pas été possible pour l'amas de Persée dont les raies étaient rop faibles. En revanche, Suzakua obtenu de bons résultats sur l'amas de la Vierge qui est pourtant le deuxième amas le plus brillant du ciel en rayons X avec Persée.

Finalement, les chercheurs réussirent à détecter non seulement le fer mais aussi le magnésium, le silicium et le soufre jusqu'aux limites de l'amas de la Vierge. Ils découvrirent que les rapports entre les abondances de fer, de silicium, de soufre et de magnésium sont constants dans tout le volume de l'amas de la Vierge et correspondent en fait à peu près à la composition du Soleil et de la plupart des étoiles de notre Galaxie. Cela signifie que les éléments chimiques de l'univers sont très bien mélangés (au moins jusqu'à l'amas de la Vierge situé à 65 millions d'années-lumière), avec une composition chimique qui reste la même depuis l'échelle du rayon solaire (quelques centaines de milliers de kilomètres) jusqu'à la taille d'un amas de galaxies (plusieurs millions d'années-lumière). Il semble peu probable que d'autres parties de l'univers aient une composition très différente de la nôtre.

De plus, pour que les métaux soient si bien mélangés à une si grande échelle, la majeure partie de l'enrichissement doit avoir eu lieu il y a longtemps. Nous savons que le jeune Univers connut une étape de formation intense d'étoiles il y a environ 10 milliards d'années, lorsque de nombreuses supernovae explosèrent et que leur énergie combinée aux puissants vents interstellaires soufflés par les trous noirs actifs à la même époque, a probablement pu repousser les métaux hors des galaxies qui se sont ensuites mélangés dans l'espace intergalactique environnant.

Cela signifie que l'Univers s'est enrichi de métaux, produits à la fois par des supernovae thermonucléaires et par effondrement de coeur, et parvint à une composition similaire à celle que nous voyons aujourd'hui 4 milliards d'années après le Big Bang, alors qu'il avait 30% de son âge actuel. Autrement dit tous les éléments chimiques nécessaires à la formation du système solaire et des être humains, existaient déjà en abondance bien longtemps avant la formation du Soleil et de la Terre.

2. Propriétés du gaz chaud intra-amas

Le second processus à l'origine du gaz intra-amas est propre aux amas de galaxies. Selon les modèles galactiques, les jeunes galaxies du champ et celles rassemblées en amas seraient entrées mutuellement en collision. On suppose que ces galaxies en interactions ont subi l'effet d'un balayage violent (cf. le stripping) qui expulsa le gaz interstellaire sous forme d'un vent intense. Au contact de cette onde de choc, les nuages de gaz ont été comprimés et réchauffés, donnant localement naissance à de nouvelles étoiles. Les galaxies ayant perdu la majorité de leur gaz se sont transformées en elliptiques ou en lenticulaires. Ce processus a certainement duré plusieurs milliards d'années jusqu'à ce que les galaxies situées en périphérie des amas y participent. Finalement, ce gaz chaud intra-amas arracha le gaz interstellaire des rares galaxies spirales existantes encore au coeur des amas riches.

Image composite de l'amas de galaxies de Coma alias Abell 1656 situé à environ 320 millions d'années-lumière enregistré en optique (les étoiles) et rayons X (le halo rose). Il est totalement enveloppé de gaz chaud peu visqueux. Document CXC.

Ces évènements ce sont produits il y a plus de 7 milliards d'années, vers z = 0.5 et antérieurement. Après son éjection des galaxies, ce gaz s'est répandu dans l'amas où il est resté piégé en raison des forces gravitationnelles, y compris celles plus discrètes de l'énergie sombre. Etant trop diffus, ce gaz ne s'est pas refroidi efficacement et est resté chaud. Etant encore sous l'effet des chocs, ce gaz continua d'émettre d'intenses rayons X. Ce sont ces émissions que les astrophysiciens ont enregistréesen rayons X.

Grâce à des télescopes optique et rayons X, Irina Zhuravleva de l'Université de Chicago et son équipe ont étudié l'amas de Coma alias Abell 1656 situé à 320 millions d'années-lumière dont une image composite est présentée à gauche.

Dans un article publié dans la revue "Nature Astronomy" en 2019 (en PDF sur arXiv), les chercheurs ont montré que ce gaz d'une énergie de  ~8 keV soit plusieurs millions de degrés représente une masse environ 6 fois plus importante que la masse stellaire. Le gaz intra-amas chaud est si peu dense que les particules doivent parcourir environ 100000 années-lumière en moyenne pour interagir les unes avec les autres. Les chercheurs en ont déduit que ce gaz présente une très faible viscosité et donc que des turbulences peuvent facilement se développer à petites échelles (plus la viscosité est faible plus le fluide s'écoule facilement et plus l'énergie se dissipe facilement).

Pourquoi la viscosité du gaz chaud est-elle si faible dans l'amas de Coma ? Une explication est la présence d'irrégularités à petite échelle dans le faible champ magnétique (quelques μG) de cet amas. Ces irrégularités peuvent dévier les particules chargées présentes dans le gaz chaud, principalement les électrons et les protons. Ces déviations réduisent la distance qu'une particule peut parcourir librement et, par extension, la viscosité du gaz.

Connaître la viscosité du gaz dans un amas de galaxies et l'échelle à laquelle se développe la turbulence sont des données utiles qui peuvent aider les astronomes à comprendre les effets de phénomènes importants tels que les collisions et les fusions entre galaxies ou entre amas de galaxies. Ainsi, la turbulence générée par ces évènements de grande ampleur peut servir de source de chaleur, empêchant le gaz chaud des amas de se refroidir et former des milliards de nouvelles étoiles.

Notons que le gaz chaud de l'amas de Coma est plus chaud que celui des autres amas de galaxies les plus brillants situés à proximité et présente aussi une densité relativement faible, contrairement aux coeurs froids et denses des autres amas de galaxies lumineux, notamment ceux de Persée et de la Vierge. Sachant qu'il est impossible de reproduire en laboratoire des conditions de vide et de température aussi élevées que celles d'un amas de galaxies, cela offre également aux astronomes une opportunité d'utiliser l'amas de Coma comme "laboratoire d'étude" de la physique des plasmas.

Le refroissement du gaz intra-amas

Bien que les amas de galaxies soient enveloppés dans un halo de gaz chaud, la densité du gaz au centre des amas de galaxies est assez élevée pour produire un refroidissement. En effet, les chocs entre atomes étant assez fréquents, ils transfèrent de l'énergie de l'un à l'autre, et cette énergie est parfois utilisée pour changer le niveau électronique. Il s'ensuit une émission de photons, qui est capable de traverser le gaz sans interaction (la densité est assez faible pour que le gaz soit optiquement mince), emportant l'énergie à l'extérieur. Ce mécanisme produit un refroidissement du gaz. Il en résulte une différence de température entre diverses zones du gaz qui produit un courant de matière vers le centre (la pression ne contrebalançant pas la gravité). On peut alors se demander ce que va devenir ce gaz à force de s'accumuler.  Les astronomes évoquent la "catastrophe du refroidissement" (cooling catastrophe).

Une idée pour éviter ce refroidissement serait que le gaz, en augmentant sa densité, forme des étoiles. Et en effet, on a certains indices de présence d'étoiles chaudes dans ces régions. Toutefois, il existe une variante, dans laquelle le gaz serait un milieu multi-phases : une enveloppe de température moyenne à l'échelle de l'amas, contenant des condensations plus froides en s'approchant du centre. Ces modèles représentent la tendance actuelle.

Selon cette théorie, un courant de refroidissement se développe dans le centre d'un amas de galaxies car le milieu intra-amas doit théoriquement se refroidir rapidement, engendant un flux de matière à un taux de quelques dizaines à quelques milliers de masses solaires par an. Comment ? Le gaz intra-amas (un plasma) perd son énergie par émission de rayons X. La luminosité en rayons X est proportionnelle au carré de la densité, qui s'élève fortement vers le centre de nombreux amas. Ainsi la température centrale tombe typiquement jusqu'au tiers ou la moitié de la température en périphérie de l'amas. L'échelle de temps de refroidissement du gaz intra-amas est relativement courte pour une échelle de temps astronomique, moins d'un milliard d'années. Comme le gaz au centre de l'amas se refroidit, la pression du milieu intra-amas provoque la chute vers le centre d'encore plus de matière, induisant ainsi un flux ou courant de refroidissement vers le trou noir supermassif qui se cache généralement dans la galaxie centrale. C'est notamment le cas de l'amas de Persée qui abrite la radiogalaxie 3C 84 alias Perseus A sur laquelle nous reviendrons à propos de la rétroaction des trous noirs supermassifs.

Les spécialistess pensent que le phénomène de refroidissement prédit comme très important est en fait beaucoup plus faible que prévu, car il y a peu d'exemples de gaz froids émetteur en rayons X dans les amas. Il s'agit là du paradoxe des courants de refroidissement. Divers phénomènes ont été proposés pour expliquer la rareté des évidences observationnelles prouvant ce refroidissement : chauffage par l'AGN situé au centre de l'amas de galaxies, éventuellement par l'intermédiaire d'ondes acoustiques (comme on le voit dans les amas de Persée et de la Vierge), conduction thermique de la chaleur à partir de la périphérie des amas, chauffage par les rayons cosmiques, dissimulation du gaz froid par un matériel absorbant, mélange du gaz froid avec un matériel plus chaud, etc. Le chauffage par les AGN est l'explication la plus répandue, car ils émettent beaucoup d'énergie sur une longue période.

Des ponts de matière relient les amas de galaxies

Si le gaz chaud est présent au sein des amas de galaxies, il est évidemment également présent entre les amas de galaxies. Grâce au télescope spatial infrarouge Herschel de 3.5 m de l'ESA, une équipe d'astronomes dirigée par l'astrophysicien Kristen Coppin de l'Université McGill au Canada découvrit un immense pont de matière reliant deux des trois amas de galaxies au sein du superamas RCS 2319+00 découvert en 2008 à z = 0.9 soit une distance propre de ~7.4 milliards d'années-lumière.

Le pont de matière reliant deux amas de galaxies au sein du superamas RCS 2319+00 situé à plus de 7 milliards d'années-lumière. Document NASA/ESA/JPL/CXC.

Selon les résultats de leur étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2012, ce filament intergalactique présenté à droite contient des centaines de galaxies et s'étend sur 8 millions d'années-lumière. Selon Kristen Coppin, la découverte d'un superamas émergeant est exceptionnellement rare étant donné la distance à laquelle il se trouve. Sa masse est estimée à environ 6 x 1014 M.

Le coeur de ces amas a déjà été méticuleusement étudié en lumière blanche et en rayons X mais c'est grâce aux analyses infrarouges et submillimétriques (55-672 microns) du télescope spatial Herschel que l'intense activité des étoiles en formation cachées dans les nuages obscurs des filaments a pu être détectée grâce à la chaleur libérée par les étoiles.

L'émission infrarouge suggère que les galaxies présentes dans le pont de matière produisent une masse équivalente à environ 1000 M de nouvelles étoiles chaque année (soit un SFR ~1000 M/an), un taux record. Par comparaison, de nos jours la Voie Lactée affiche un SFR ~ 3 M/an (cf. K.Torri et al., 2019).

Cette intense activité est vraisemblablement entretenue par les effets de la gravitation qui forcent les galaxies à entrer en collisions mutuelles, perturbant et comprimant les nappes de gaz, formant à petite échelle des concentrations de gaz qui déclenchent des bouffées de formations de nouvelles étoiles.

L'étude de ces filaments est très intéressante car ces ponts lumineux de matière nous offrent un instantané de la manière dont évoluent les stuctures cosmiques sur de très grandes échelles et la manière dont elles influencent l'évolution des galaxies individuelles piégées en leur sein. En effet, dans ce cas-ci, les astrophysiciens peuvent explorer la question fondamentale de savoir si c'est la nature ou la "nourriture" de la galaxie qui détermine son évolution. Dans l'esprit d'un astrophysicien, le rôle de l'environnement est l'une des facteurs clés pour expliquer l'évolution galactique.

Les simulations indiquent que les galaxies formant le pont de matière de RCS2319 finiront pas migrer vers le centre du superamas émergeant. Au cours des 6 à 8 prochains milliards d'années, les astronomes estiment que cette région ressemblera à un gigantesque amas de galaxies, similaire à celui de l'amas de Coma. Cet ama contiendra des galaxies elliptiques rouges et pratiquement mortes contenant des étoiles âgées rougeâtres à la place des jeunes étoiles bleutées.

Le pont de gaz chaud reliant les amas de galaxies Abell 399 et Abell 401. Doc ESA/HFI/LFI.

Les galaxies que l'on voient actuellement comme des éruptions stellaires dans le superamas RCS2319 finiront par mourir en créant l'une des structures les plus massives de l'Univers. C'est donc un évènement exceptionnel qu'on peut observer aujourd'hui.

Un autre exemple de pont de matière reliant des amas de galaxies fut découvert en 2012 par la satellite Planck entre les amas Abell 399 et Abell 401 situés respectivement à z = 0.0724 et z = 0.0737 soit une distance propre d'environ 970 millions d'années-lumière.

Comme illustré à gauche, les deux amas de galaxies sont reliés par un pont de gaz chaud porté à 80 millions de Kelvins mesurant ~10 millions d'années-lumière (cf. Collaboration Planck, 2013). L'image combine la photo optique et celle de l'effet Sunyaev-Zel'dovich sur le rayonnement à 2.7 K (en orange) prise par le satellite Planck. Cet effet sur le rayonnement à 2.7 K se produit lorsque le rayonnement cosmologique passe à travers un gaz chaud. Une partie du rayonnement excite les électrons du gaz, laissant une faible trace dans le rayonnement micro-onde sous forme de ce halo colorisé en orange.

Etant donné son étendue et sa structure, l'origine de ce gaz chaud est encore inconnue bien que l'effet d'un balayage (stripping) ou de l'interaction avec le trou noir supermassif d'un AGN soit probable. Les astronomes ont également suggéré que ce gaz chaud ferait partie des filaments formant la structure de l'Univers à grande échelle et pourrait représenter une partie de ces fameux baryons "manquants" à l'inventaire cosmologique. Mais jusqu'en 2015 il fut impossible de confirmer cette théorie par l'observation et ce n'est qu'en 2017 que les astronomes en apportèrent la preuve. On y reviendra dans l'article Le mystère des baryons manquants résolu.

Rappelons que la mission d'imagerie par rayons X et de spectroscopie XPRISM de la JAXA en collaboration avec la NASA lancée en 2023 a pour mission de réaliser des mesures directes de la vitesse du gaz dans plusieurs amas de galaxies proches. Ces données fourniront plus de détails sur la dynamique des amas, permettant ainsi aux astronomes de mener des études plus approfondies afin de mieux connaître la nature, les propriétés et l'origine de ce gaz.

Les superamas de galaxies

Jusqu'en 1960 environ, les astronomes pensaient que l'Univers était homogène à toutes les échelles en vertu du "principe cosmologique". Mais après l'avoir sondé dans les trois dimensions les astronomes eurent une étonnante vision de l'univers : les galaxies ne sont pas uniformément réparties ! Elles s'organisent dans des structures à grande échelle : les superamas de galaxies.

En 1960, l'astrophysicien Gérard de Vaucouleurs de l'Université du Texas découvrit que l'Amas Local, entouré d'une vingtaine de petits amas et d'une trentaine de galaxies isolées formait le "Superamas Local" ou superamas de la Vierge (Virgo) dont le centre se situe à environ 65 millions d'années-lumière du Soleil. L'Amas Local se trouve en périphérie de ce superamas dont il effectue la révolution autour du centre à la vitesse d'environ 400 km/s.

Au fil des études, il s'est avéré que le Superamas Local contient environ 10000 galaxies regroupées dans une centaine d'amas et représente une masse d'environ 1015 M. Il s'étend sur un diamètre d'environ 33 Mpc ou 110 millions d'années-lumière. Le Superamas Local présente un volume ~7000 fois supérieur à celui de l'Amas Local qui est un membre périphérique de cette structure gigantesque.

Grâce aux différents programmes de sondages du ciel profond, du POSS de 1958 à la distribution DR17 du SDSS de 2021, les astronomes ont eu la chance de pouvoir réaliser un inventaire de l'Univers et de placer chacune des galaxies analysées soit environ 1 milliard d'objets (ce qui ne représente que 0.01% du total estimé), dans un modèle tridimentionnel de l'Univers dont les scientifiques ont tiré plusieurs vidéos y compris en 3D (anaglyphes) à l'intention du public et présentées ci-dessous.

A voir : Largest Sky Map Revealed: An Animated Flight Through the Universe

A flight through the Universe by SDSS 3D (version 3D anaglyphe)

En analysant ces données et quantité d'autres informations recueillies à différentes longueurs d'ondes (IR, radio, X, etc), les astronomes ont découvert que jusqu'à plus de 10 milliards d'années-lumière (le Grand mur GRB), les galaxies s'agglutinent dans des superamas n'occupant que quelques pourcents du volume.

Ces gigantesques formations laissent autour d'elles de grands trous vides quasiment exempts de galaxies pouvant atteindre plusieurs centaines de millions d'années-lumière de diamètre, tel le "trou du Bouvier" découvert en 1981 par l'astronome américain Robert Kirshner et ses collaborateurs[3] qui mesure 250 millions d'années-lumière de diamètre. On y a finalement découvert 60 galaxies alors qu'un tel volume pourrait en contenir au moins 100 fois plus.

Cette structure particulière apparaît surtout à grande échelle où l'univers des galaxies prend la forme d'énormes bulles de savon.

Pour ne pas nous égarer dans cet Univers, le sujet étant aussi vaste que son objet d'étude, nous reviendrons en détails sur les superamas en cosmologie lorsque nous décrirons la structure de l'Univers à grande échelle et aborderons les questions que cela soulève.

Pour plus d'informations

Voyage sur les flots de galaxies - Laniakea, notre nouvelle adresse, Hélène Courtois, Dunod, 2016

Galaxies et Cosmologie, Françoise Combes et Misha Haywood, Ellipses Marketing, 2009

Mystères de la formation des Galaxies. Vers une nouvelle physique?, Françoise Combes, Dunod, 2008

What nearby clusters can teach us about galaxy formation and evolution (PDF), Matthew Colless/AAO, 2011

Nearby Optical Galaxies: Selection of the Sample and Identification of Groups, G.Giuricin et al., ApJ., Vol. 543, 1, janv 2000

Local Group Cosmology, s/Dir David Martinez-Delgado, Cambridge University Press, 2013

Large-Scale Stucture of the Universe, P.J.E. Peebles, Princeton Series in Physics, 1992

Large-Scale Motions in the Universe, Vera C. Rubin, Princeton University Press, 1988/1992.

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[3] R.Kirschner et al., Astrophysical Journal Letters, 248, 1981, L57.


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