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L'origine et l'avenir de l'Homme L'homme de Cro-Magnon : 54000 - 8000 ans (XIII) Nous savons que les Homo sapiens sont venus directement d'Afrique il y a plus de 50000 ans pour peupler l'Eurasie (cf. S.Benazzi et al., 2011; J-J. Hublin et al., 2020). Ils se distinguent notamment des Néandertaliens par leur morphologie, leur culture et leur patrimoine génétique. Le fait qu'ils possèdent quelques pourcents d'ADN néandertalien situe leur métissage quelque part entre 50000 et 60000 ans BP, probablement au Moyen-Orient. En Europe, les enregistrements fossiles montrent que l'expansion des Homo sapiens précéda la disparition des Néandertaliens de 3000 à 5000 ans. Cependant, la composition génétique des premiers Homo sapiens d'Europe, les hommes de Cro-Magnon, d'il y a plus de 40000 ans resta longtemps mal connue car on a découvert peu de spécimens aussi âgés et peu d'entre eux ont été étudiés. Cette lacune a été comblée ces dernières années. L'holotype L'holotype de l'homme de Cro-Magnon fut découvert en 1868 à Les Eyzies de Tayac, en Dordogne, dans le sud-ouest de la France au cours de travaux de construction de la ligne de chemin de fer Périgueux-Agen. Sur base de la datation des restes trouvés dans la sépulture où gisait le squelette, l'individu date de ~27680 ans BP. Entre 1872 et 1902 une dizaine d'individus de la même espèce furent découverts en France dans les grottes de Grimaldi situées près de Menton, non loin de la frontière italienne. Dès 1868, le chirurgien Paul Broca, fondateur de l'anthropologie physique, et le préhistorien Louis Lartet évoquèrent la découverte d'une nouvelle "race" humaine lors de congrès d'archéologie et dans les "Annales des sciences naturelles zoologie et paléontologie" (dont l'édition de 1874, p133-145). Toutefois, depuis cette époque la dénomination Cro-Magnon n'a jamais été validée scientifiquement et n'est mentionnée que dans la littérature populaire, les scientifiques s'en tenant à la seule appartenance à l'espèce Homo sapiens ou plus généralement à l'homme moderne. Quant au concept de race, il est souvent utilisé à tord et abusivement pour établir les bases d'une ségrégation. On y reviendra.
Les révélations de la grotte Mandrin (~54000 ans) Une équipe internationale de 23 chercheurs dirigée par Ludovic Slimak, paléoanthropologue à l'Université de Toulouse Jean Jaurès et spécialiste des Néandertaliens annonça dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2022, la découverte dans le sud de la France, dans la grotte Mandrin (ou les grottes de Mandrin) située au lieu dit La Bastille, sur les hauteurs de Grenoble dans la vallée du Rhône (Drôme), d'outils en pierre taillée datés entre 56800 et 51700 ans et d'une dent appartenant à un Homo sapiens qui vivait il y a environ 54000 ans, une époque où l'on pensait que les Néandertaliens étaient les seuls homininés vivant en Europe. Cette découverte apporte également des éléments très instructifs sur la vie des premiers Cro-Magnon et de leurs voisins néandertaliens, suggérant qu'ils ont peut-être occupé alternativement cette grotte.
La grotte Mandrin tire son nom du contrebandier français Louis Mandrin (1725-1755) qui vécut dans la région. La grotte se situe actuellement à 225 m au-dessus du Rhône. La grotte Mandrin préhistorique n'avait pas du tout l'aspect actuel. En effet, la grotte fut intégrée dans un ensemble de fortifications entre 1824 et 1847 par le général Haxo qui supervisa la construction du Fort de la Bastille par le commandant Tournadre, chef du bataillon du Génie Militaire de Grenoble, qui en fit une forteresse inspirée du style Vauban pour défendre la vallée des attaques des Savoyards venant du nord. Les militaires abandonnèrent le site en 1932 qui devint un lieu touristique dès 1934. Comme la plupart des grottes et sachant qu'elle se situe à 25 km de la grotte Chauvet, la grotte Mandrin a été fouillée par des scientifiques (paléoanthropologues, archéologues, géologues, etc) depuis 1990. Slimak a dirigé de nombreuses missions sur le site depuis 1998. A ce jour, 12 couches sédimentaires ont été mises à jour et sont datées entre 80000 et 35000 ans BP. Depuis 1990, les chercheurs ont découvert près de 60000 objets lithiques et plus de 70000 restes de faune (des os de chevaux, de bisons et d'autres animaux). Ces artefacts sont très bien conservés car ils étaient ensevelis sous des dépôts de sable transportés régulièrement par le mistral. Depuis 2006, Slimak et ses collègues ont découvert dans la couche E plus de 1500 pointes de silex miniatures (des microlithes mesurant entre 0.8 et 5 cm de longueur) et des os d'animaux taillés dont la finesse d'exécution tranche avec les pointes et lames, d'exécution plus classique, des couches supérieures et inférieures. En 2016, les chercheurs découvrirent une molaire cassée qui s'avéra être une dent de lait humaine, le couronnement des années de recherches. Au total, selon Slimak, "Nous avons passé 15 ans à fouiller cette couche. Nous y avons été lentement car c'est très riche et il y a beaucoup de très petits fragments". A
voir : Les grottes Mandrin
Les os d'animaux présentant des marques de boucherie (voir plus bas) découverts dans la couche E furent datés au radiocarbone entre 56800 et 51700 ans cal. BP. La datation par luminescence optiquement simulée (OSL) du quartz contenu dans les sédiments indique la même plage de dates. La molaire cassée date donc d'environ 54000 ans, du Néronien. Elle repousse donc de près de 10000 ans la présence de l'homme moderne en Europe (dans la grotte de Bacho Kiro en Bulgarie, voir plus bas). En 2018, soit trente ans après leur découverte, Slimak demanda au paléoanthropologue Clément Zanolli de l'Université de Bordeaux d'analyser la molaire de la couche E et huit autres dents en plus ou moins bon état trouvées dans d'autres couches. Bien que cassée, la molaire présente encore le talonide, l'excroissance caractéristique située sur la partie supérieure des molaires tricuspides des humains modernes et qui donne à nos dents un contour plus carré que celles des Néandertaliens. Selon Sanolli, elle appartenait à un jeune enfant humain moderne âgé de 2 à 6 ans, un ancien Homo sapiens. Les huit autres dents appartiennent à six individus et présentent des caractéristiques clairement néandertaliennes. Les outils en pierre de la couche E du Néronien confirment l'identification de la dent : ils sont plus petits, plus précis et plus standardisés que les outils des couches portant les dents de Néandertal, qui ressemblent aux outils moustériens caractéristiques des Néandertaliens. Selon Slimak, "Avec les outils néandertaliens, chaque outil est une création. Si vous regardez 1000 outils, chacun sera complètement différent. Mais avec une industrie d'Homo sapiens… c'est super standardisé, super régulier".
Selon les chercheurs, les outils et les dents découverts dans les couches situées au-dessus de la couche E suggèrent que les Néandertaliens ont réoccupé la grotte Mandrin. Puis, dans des couches datées d'il y a environ 42000 ans, les outils semblent à nouveau avoir été fabriqués par des humains modernes; ils ressemblent aux outils dits Proto-Aurignaciens trouvés dans d'autres gisements humains modernes de la même période, en particulier en Espagne et en Bulgarie. Comme c'est souvent le cas dans les abris sous roche, les chercheurs ont constaté que de fines couches de dépôts minéraux se sont formés sur les parois de la grotte Mandrin, enregistrant le passage des saisons humides et sèches, un peu comme les cernes des arbres. Des couches de suie imprégnaient également les parois. En effet, comme un mur noircit sous la flamme d'une chandelle, ces couches minérales peuvent piéger la suie des incendies et des foyers brûlant à l'intérieur des grottes. Des traces d'anciens foyers chevauchaient aussi la couche E et la couche située juste au-dessus qui contenait des outils néandertaliens. Pour les chercheurs, cela suggère qu'une brève période s'est écoulée entre la formation des couches et donc entre l'entrée des Néandertaliens et la sortie des Homos sapiens. L'équipe analysa ces dépôts microscopiques au moyen d'une nouvelle technique appelée la fuliginochronologie développée en 2018 par une collègue de Slimak (cf. S.Vandevelde et al., 2018) qui permet d'analyser les couches de suie. Selon les chercheurs, l'étude des fragments des parois "tombés directement dans les couches montrent qu'Homo sapiens est revenu une fois par an dans la cavité, pendant 40 ans. [Sapiens et Néandertal] se sont probablement rencontrés à un moment donné, mais nous ne pouvons pas dire avec certitude qu'ils se sont rencontrés dans la grotte". Selon les chercheurs, "nous sommes en mesure d'affirmer grâce à nos travaux que Sapiens est arrivé en Europe continentale, et plus précisément dans la vallée du Rhône, dès 54000 ans au moins, et qu'il occupa durant 40 ans environ un site colonisé par Néandertal à peine un an plus tôt".
Pour Slimak et ses collègues, il ne fait aucun doute que l'Homo sapiens était bien dans la région plus tôt qu'on ne le croyait. En effet, seuls les humains modernes sont parvenus à maîtriser l'industrie microlithique qui exige un savoir-faire que ne possédait pas Néandertal. Selon Slimak, ces Homo sapiens sont probablement venus de l'est et ont remonté la vallée du Rhône depuis la côte méditerranéenne. Après leur première installation dans l'abri, Sapiens et Néandertaliens se sont relayés dans la grotte pendant 10000 ans. Mais les scientifiques doivent rester prudents à propos des datations et leurs interprétations. En effet, de telles affirmations risquent d'avoir l'effet d'une bombe dans le petit monde de la paléoanthropologie. Un débat en perspective Si la dent de lait appartient bien à un Homo sapiens, la paléoanthropologue Sandrine Prat du CNRS et du Musée de l'Homme de Paris relève que la datation des couches ne présente pas une résolution temporelle suffisante pour affirmer que les habitants de la grotte l'ont occupée à moins d'un an d'écart. C'est une déduction qui n'est pas dans les données. Par conséquent, Prat estime que baser des conclusions sur une seule dent et des datations de couches très proches dans le temps entachées d'une incertitude, augmentent le risque d'erreur et nécessiteraient plus d'éléments de preuves (cf. France-Culture, 11 fév. 2022). Rachel Wood, spécialiste en radiocarbone à l'Université Nationale Australienne, qualifie l'étude de "remarquable" mais n'est pas non plus convaincue que les chercheurs puissent déterminer l'âge des couches de suie d'il y a 54 000 ans à moins d'un an, compte tenu des preuves qu'ils ont présentées jusqu'à présent : "Compte tenu des incertitudes... je serais sceptique quant à cette prise en charge d'une courte transition entre les deux [couches]".
Interrogé à ce sujet, le paléoanthropologue français Jean-Jacques Hublin, professeur au Collège de France et qui connait aussi bien les Néandertaliens que Ludovic Slimak n'est pas persuadé que la dent de lait est une preuve irréfutable : "Une dent de lait, ce n'est pas comme un squelette, un crâne ou un fémur. C'est tout petit, ça se balade, ça peut se promener dans la stratigraphie" (cf. "Le Monde", 9 fév. 2022). Mais Slimak n'est pas de cet avis car il ne s'agit pas seulement d'une dent d'Homo sapiens de 54000 ans qui fut découverte mais de "tout un ensemble de données archéologiques solidement datées grâce aux technologies de pointe et à des experts du monde entier [...] nous avons des éléments diagnostics dans toutes les couches pour le prouver". Comme souvent en paléontologie, face à des preuves fragmentaires voire même à un seule preuve, les conclusions des chercheurs annoncent sinon une controverse au moins un débat d'experts en perspective. Selon Francesco d'Errico, archéologue à l'Université de Bordeaux, ces découvertes pourraient révolutionner notre compréhension de la transition entre les derniers Néandertaliens et les premiers hommes modernes en Europe. Mais il faudra plus de preuves : "Si le schéma proposé est confirmé par de futures découvertes, nous devrons certainement changer notre vision de cette transition. Un tel changement de paradigme est tout à fait possible mais nécessite... plus de sites et plus de preuves sans équivoque". Il faut donc découvrir d'autres objets et idéalement des fossiles humains datant de la même époque. Les fouilles se poursuivent. La grotte de Bacho Kiro (~45000 ans) Avant la découverte de la dent de lait et des artefacts dans la grotte Mandrin, les plus anciens fossiles d'hommes de Cro-Magnon avaient été découverts dans quatre gisements à travers l'Europe. En 1982, des fossiles humains furent découverts dans le labyrinthe de galeries distribuées sur quatre étages de la grotte de Bacho Kiro située à 5 km à l'ouest de la ville de Dryanovo, en Bulgarie. Elle fut occupée par des Néandertaliens il y a plus de 50000 ans qui laissèrent parmi les stalagmites des outils en pierre Moustériens. Puis des Homo sapiens ont occupé la grotte au cours d'au moins deux vagues; un premier groupe qui laissa derrière lui des perles et des lames en pierre tachées d'ocre, occupa les lieux il y a environ 45000 ans. Une second groupe s'y installa il y a environ 36000 ans avec des artefacts plus sophistiqués (cf. S.Pääbo et al., 2021). En 1988, des fossiles humains furent découverts dans la grotte de Fumane, à Molina, dans les Préalpes de la Vénétie, en Italie. La grotte fut occupée par des Néandertaliens du Moustérien jusqu'il y a ~40150 ans puis par des Homo sapiens il y a au moins 35500 ans (cf. A.Broglio et al., 2009; A.Falcucci et al., 2017).
En 2002, le maxillaire d'un jeune homme fut découvert dans la grotte de Pestera cu Oase située dans le sud-ouest de la Roumanie datant entre 37000 et 42000 ans. Particularité, cet homme a hérité de 6.4% d'ADN de Néandertalien alors qu'il vécut au moins 5000 ans après l'arrivée des premiers Homo sapiens en Europe. En 2008, on retrouva le fémur gauche d'un homme moderne à Ust-Ishim, dans la province d'Omsk, en Sibérie. Daté au carbone-14, le fossile à 45000 ans. C'est le plus ancien et donc le premier Homo sapiens ayant foulé le sol de Sibérie (cf. Science, 2014). Un peu plus à l'ouest, dans la grotte karstique de Koněprusy située à Zlatý kůň en République Tchèque, des chercheurs découvrirent dans les années 1950 le crâne incomplet d'un homo sapiens. Il n'avait pas pu être daté car la colle bovine utilisée pour le réparer avait contaminé les os. Une première analyse morphométrique suggéra qu'il s'agit probablement (à 98%) du crâne d'une femme (cf. R.Rmoutilová et al., 2018). En 2021, Johannes Krause du MPI et ses collègues décidèrent de dater ce crâne en utlisant une méthode de datation génétique originale basée sur le métissage ancestral avec des Néandertaliens comme marqueur temporel (cf. J.Krause et al., 2021). Selon Krause, les fragments d'ADN néandertalien découverts dans le génome du crâne de Zlatý kůň suggèrent que la femme est née 60 à 80 générations soit environ 2000 ans après le métissage de ses ancêtres avec des Néandertaliens. L'homme découvert en Sibérie de 45000 ans a hérité de fragments d'ADN de Néandertaliens plus courts remontant à environ 85 à 100 générations après sa rencontre avec des Néandertaliens. Cela suggère que la femme tchèque a vécu avant l'homme de Sibérie et pourrait avoir jusqu'à 47000 ans. C'est à ce jour le plus ancien Homo sapiens d'Europe. A lire : Les fossiles de Cro-Magnon (Les Eyzies-de-Tayac, Dordogne) Bulletin et mémoires de la Société d'Anthropologie de Paris, D. Henry-Gambier, 2002 Les cultures associées aux Homo sapiens européens Sur le plan paléontologique, le concept de culture représente un groupe d'individus, une population ou une société partageant le même mode de vie (un style de vie, des traditions, etc) adapté à un ou des environnements spécifiques. Une culture concerne les habitants d'un ou de plusieurs "pays", par opposition au faciès culturel qui est régional ou local. La culture de l'homme de Cro-Magnon se développa entre environ 55000 et 14000 ans BP. Il est possible que sa culture ait survécu sporadiquement jusqu'il y a 8000 ans BP, durant l'Holocène. Sa vie fut créative et spirituelle. La plupart des vestiges ont été retrouvés dans des grottes et des abris sous roche. Les différentes cultures associées aux hommes de Cro-Magnon sont le Néronien (~55000-46000 ans BP), le Châtelperronien (45000-38000 ans BP), l'Aurignacien (~43000-29000 ans BP), le Gravettien (~43000-23000 ans BP), le Solutréen (23000-17000 ans BP), le Badegoulien (17000-15000 ans BP) et le Magdalénien (17000-11700 ans BP), cette dernière représentant le paroxysme de l'art rupestre notamment. Le Périgordien (35000 ans BP) et l'Azilien (12000-8000 ans BP) ne sont pas considérés comme des cultures paléolithiques. Le premier est une erreur taxonomique qui n'est officiellement plus documentée depuis 1970 (cf. Paléo, 2018) et le second est un faciès culturel, c'est-à-dire une variante régionale ou locale d'une culture. A ce jour, en Europe, on ne connait aucun art rupestre associé aux cultures Néronienne et Châtelperroniennne. Adapté de UNCG et mis à jour par l'auteur. A partir d'environ 42000 ans BP, les cultures et les industries paléolithiques ont rapidement progressé par rapport aux traditions ancestrales, présentant une plus grande diversification et un art plus raffiné. Les outils fabriqués par l'homme de Cro-Magnon comprenaient des pics, des lames, des pointes de flèche à pédoncule, des lances, des couteaux, des grattoirs, des burins, des percoirs, des alènes, des aiguilles, etc., et un plus grand nombre d'outils fabriqués en os, en ivoire et en bois ainsi que des lampes-brûloirs (pour éclairer les grottes), des objets décoratifs et des sculptures destinées notamment au culte de la déesse mère. Parmi ces sculptures, les archéologues ont découvert ~200 figurines de femmes rondes aux fesses hypertrophiées marquées par une stéatopygie (hypertrophie graisseuse) et même souvent enceintes, dont la fameuse "Vénus de Willendorf" de 11 cm de hauteur sculptée dans du calcaire il y a 24000 à 26000 ans dans l'actuelle Autriche. Citons également la célèbre tête sculptée de la "Vénus de Brassempouy" (la Dame à la capuche) de 3.65 cm découverte en France datant d'environ 25000 ans. A
voir : La Dame à la capuche et la salle Piette
Une extraordinaire collection d'artefacts paléolithiques furent également découverts récemment dans 4 grottes situées dans le sud-ouest de l'Allemagne, entre 1 et 5 km au nord-est de la ville de Schelklingene. Ces grottes sont situées dans des vallées des affluents du Danube traversant le plateau du Jura : la vallée de la Lone, abritant les grottes de Vogelherd et de Hohlenstein-Stadel, et la vallée de l'Ach abritant les grottes de Geißenklösterle et de Hohle Fels, la plus proche de Schelklingen (cf. l'article d'Harand Floss, Palethnologie, 2015#7 et l'article de Don's Map). La grotte de Hohle fels (le Rocher Creux) fut découverte en 1870 par le pasteur et paléontologue Oscar Fraas et fit encore l'objet de recherches en 2018. Elle se compose d'une première salle ou hall se prolongeant par un tunnel de ~30 m de long menant à une grande salle de 500 m2 et de 12 m de hauteur. On y a notamment découvert des dizaines d'artefacts y compris des pierres taillées sur plusieurs niveaux d'occupation datant entre 40000 et 13000 ans BP. Le préhistorien américain Nicholas J. Conard découvrit en 2008 des objets et des figurines dont les fragments de 2 flûtes respectivement en os de cygne et en ivoire de mammouth et une troisième flûte, la plus grande et la mieux conservé (mais en 12 fragments) sculptée dans un os de vautour long de 21.8 cm et d'un diamètre de 0.8 cm datant de 42000 ans BP, ainsi que la figurine d'une Vénus en ivoire datant de 35-40000 ans découverte en 2009. On a également découvert un homme-lion en ivoire datant de 32-35000 ans (similaire bien que plus grande à celle trouvée sur le site de Hohlenstein-Stadel), un oiseau stylisé de 41 mm datant de 31-33000 ans (similaire à ceux découvert dans d'autres grottes), une sorte de cheval brisé en 5 fragments datant de 30000 ans et un phallus de 19.2 cm en pierre polie brisé en 14 morceaux datant de ~28000 ans.
On a également découvert 40 perles en ivoire de mamouth datées entre 34-42000 ans (cf. DerStandard, 2017), de petites pierres calcaires d'environ 4 cm de côté probablement tombées des parois ornées, des points ocres alignés datant de 15000 ans (cf. S.Wolf et al., 2018) ainsi qu'un outil permettant de fabriquer des cordes. La grotte fut donc occupée pendant des milliers d'années par des générations d'humains à l'esprit très créatif. Ensuite elle fut abandonnée pendant 10000 ans jusqu'à ce qu'on la redécouvre au XIXe siècle. Hormis des petits points ocres découverts dans la grotte de Hohle fels, les plus anciennes peintures rupestres réalisées par l'homme de Cro-Magnon remontent à 36000 ans et furent découvertes en Ardèche, dans la grotte Chauvet (ex-grotte ornée de la Combe d'Arc, également appelée grotte Chauvet-Pont d'Arc)[6]. On y dénombre plus de 1000 traces graphiques (peintures, traits, taches, etc) dont environ 500 dessins dont les fameux panneaux des chevaux et des lionnes des cavernes en chasse. A Chauvet, certains artistes ont travaillé à 6 mètres de hauteur et tout prouve qu'ils avaient une grande maîtrise de l'art du fusain au charbon de pin.
C'est au Magdalénien, entre ~17000 et 11700 ans BP que l'Homo sapiens laissa dernière lui une étonnante collection de pierres taillées (racloir, feuille-de-laurier, aiguille, etc.) et de magnifiques peintures rupestres dans les grottes de France (grottes de Lascaux en Dordogne, Niaux dans l'Ariège, etc), d'Espagne (grotte d'Altamira en Cantabrie) et d'Italie (Valcamonica en Lombardie). Rappelons que les plus anciennes peintures rupestres furent découvertes dans la grotte de La Pasiega en Espagne et furent réalisées par l'homme de Néandertal il y a 64000 ans et les peintures rupestres les plus anciennes réalisées par des Homo sapiens remontent à plus de 45500 ans et furent découvertes aux Célèbes (Sulawesi), en Indonésie. A voir : La grotte Chauvet en immersion virtuelle, Google
Les peintures rupestres du paléolithique supérieur sont exceptionnelles et plusieurs sites à travers le monde furent classés au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO. Parfois les détails du sujet sont tellement précis qu'un éthologue peut facilement différencier sur les peintures ou les sculptures non seulement l'espèce mais également le sexe de l'animal. On peut par exemple différencier un lion d'une lionne car non seulement l'artiste a tracé le scrotum du lion mais à cette époque les lions n'avaient pas de crinière et les artistes Cro-Magnon les ont bien reproduits comme tels, ce qui démontre un sens de l'observation très aiguisé. Notons au passage qu'il s'agissait de lions des cavernes, une espèce adaptée au froid, 20% plus grande que le lion actuel et plus velue dont on a retrouvé des fossiles jusqu'au nord du cercle Arctique, dans la région de Belaya Gora située au nord de la province de Yakoutie en Sibérie (en même temps que des fossiles de mamouths laineux, de rhinocéros laineux, de boeufs musqués, d'ours, de chevaux, de rennes, de lionceaux, d'un loup des steppes et autres grands mammifères quelquefois en excellent état de conservation, avec leurs dents, leurs chairs, leur fourrure, et parfois même avec de l'ADN exploitable. Même une alouette de 46000 ans fut découverte dans le permafrost décongelé). A lire : Des gravures rupestres de 37000 ans trouvées en France (sur le blog, 2012) Les hommes préhistoriques souffraient de caries (sur le blog, 2014)
Les lions des cavernes sont apparus en Eurasie et en Amérique du Nord il y a 500000 ans et disparurent il y a ~13000 ans BP. Les Néandertaliens et les Homo sapiens les ont donc cotoyés et chassés. On dénombre quelque 150 représentations de lions des cavernes, en particulier 120 peintures très réalistes dans les grottes Chauvet, Roucadour et de Lascaux et 30 peintures ou gravures plus sommaires dans les grottes d'Arcu-sur-Cure, la Baume Latrone, Compbell Pech merle, Labastide, des Combarelles et de Font-de-Gaume. Le lion des cavernes figure également sur ces statuettes en ivoire et en os. Plus étonnant, à partir des années 1980 le paléoanthropologue Marc Azéma découvrit que certaines peintures rupestres ou des os plats sculptés présentaient des mouvements décomposés d'animaux. Rien que dans la grotte de Lascaux, Azéma a dénombré 20 animaux, principalement des chevaux ayant des têtes, des pattes ou des queues surnuméraires. Aujourd'hui grâce à des algorithmes de reconnaissance de formes, les géomaticiens peuvent clairement distinguer les différentes formes superposées dans une peinture ou une gravure rupestre. Ici on découvre une tête de bison en position haute superposée à une tête horizontale puis abaissée, ailleurs on découvre un aurochs ou un bison ayant les pattes antérieures relevées puis fléchies (cf. le blog d'Eric Le Brun pour quelques exemples d'animations).
En 1868, on découvrit à Laugerie-Basse en Dordogne, un petit disque d'environ 5 cm de diamètre percé d'un trou central extrait d'une omoplate sur lequel est gravé sur une face une gazelle ayant les pattes en extension et au revers la même gazelle ayant les pattes repliées. Le préhistorien Florent Rivere a fabriqué une copie de l'objet à partir d'une omoplate de renne et constaté qu'il s'agissait probablement d'un thaumatrope préhistorique, un jouet optique tirant profit de la persistance rétinienne. En effet, comme on le voit ci-dessous, en faisant pivoter la médaille autour de l'axe du diamètre, on crée le mouvement donnant l'impression que l'animal a été abattu en plein saut. Les archéologues ont également découvert deux fragments d'os allongés reproduisant côte-à-côte trois positions différentes d'un même lion, donnant l'impression qu'il court (ci-dessus à droite). Ces découvertes renforcent l'idée qu'à côté des peintures et sculptures statiques classiques, les artistes ont peint ou sculpté des scènes volontairement décomposées avec l'intention que l'observateur puisse imaginer le mouvement de l'animal, donnant naissance à la technique de l'animation du mouvement, l'ancêtre du cinéma au sens éthymologique du terme. En fait, à travers ces exemples les artistes de la préhistoire ont exploité au mieux les techniques de leur temps, nous démontrant qu'avec des moyens rudimentaires ils étaient parvenus à une maîtrise totale de l'art de l'image et de l'animation.
La grotte de Lascaux est également l'un des rares sites préhistoriques (avec la grotte de Leang Bulu Sipong 4 aux Célèbes) comprenant des peintures rupestres de thérianthropes, des créatures mythiques mi-humaines mi-animales. Mais celles-ci sont 27000 ans plus récentes. Enfin, parfois l'homme de Cro-Magnon n'a pas hésité à exploiter la troisième dimension en tirant profit des reliefs des parois d'une grotte par exemple et du jeu des ombres et des lumières. Ainsi dans la grotte d'El Castillo en Espagne (Cantabrie), une stalagmite a été taillée de telle manière que la silhouette d'un chaman-bison se projette sur la paroi située à l'arrière-plan comme on le voit ci-dessous à droite. Des oeuvres aussi sophistiquées en disent long sur le génie inventif de nos ancêtres jugés un peu vite de "primitifs" par certains. C'est également à cette époque que fut fabriquée la première flûte façonnée dans un os. Certains musicologues ont même évoqué la qualité de la réverbération des sons à certains endroits des grottes pour avancer l'idée que certaines peintures rupestres avaient été dessinées tout spécialement à ces endroits en raison de l'écho particulier des parois. Sans preuve du contraire, on peut supposer beaucoup de choses. A consulter : Les dessins préhistoriques de Zdeněk Burian (1905-1981)
On explique cette évolution culturelle par le fait que l'homme de Cro-Magnon vivait à une époque où la nourriture était en suffisance, ce qui lui donna le temps de réfléchir. Son intelligence lui permit d'être un habile technicien, un artisan et un artiste. Même si on ne pourra jamais savoir qu'elle fut la destination exacte de ces grottes, il paraît clair que ces premiers hommes essayèrent de comprendre quel était le sens de la vie et de la mort, évoquant leur vie quotidienne à la chasse et invoquant les puissances surnaturelles lors des cérémonies consacrées au culte des esprits. Leur langage devait probablement être proche de celui des aborigènes ou des chants indiens. De manière générale, on constate que de l'homme de Cro-Magnon, Homo sapiens d'il y a environ 30000 ans jusqu'à celui du Moyen-Âge, le corps des hommes a progressivement gagné en gracilité. En revanche sa taille a toujours été très variable depuis l'Homo erectus tout en étant directement influencée par la qualité de sa nourriture et ses prédispositions génétiques. Notre morphologie moderne émergea il y a environ 20000 ans.
Au fil du temps, les Homo sapiens et quelques autres espèces humaines contemporaines émigrèrent sur d'autres continents, la progression se faisant de proche en proche pour finalement atteindre les antipodes. On retrouve les traces des Homo sapiens et même d'autres espèces jusqu'en Sibérie et en Océanie, dans l'archipel de la Sonde (Timor) et à Florès. Mais finalement, l'Homo sapiens fut la seule espèce humaine qui survécut. Elle peupla finalement l'Asie puis atteignit l'Australie et la Nouvelle-Zélande. On la retrouve dans le détroit de Béring et finalement en Amérique du Nord (Denver) et du Sud (Chili) il y a environ 14000 ans. Ce peuplement de la Terre entière provoqua un accroissement numérique des populations qui se chiffraient à plusieurs dizaines de millions d'individus, ce qui finit par diviser l'espèce en plusieurs groupes distincts. Nous reviendrons un plus loin sur l'impact de cette population.
Rappelons qu'entre-temps, il y a environ 21000 ans, l'homme de Cro-Magnon subit les effets du dernier maximum glaciaire avec une baisse moyenne de 4°C dans l'Atlantique Nord (cf. ENS). Le niveau des mers baissa de 125 mètres (cf. J.Chappell et al., 1996; K.G. Miller et al., 2020) et la surface des terres émergées augmenta de 20 millions de kilomètres carrés. L'Angleterre se couvrit de glaciers et était reliée au continent, la Sardaigne était reliée à la Corse, la Grèce à la Turquie, les îles d'Indonésie ne formaient qu'une seule terre ainsi qu'une grande partie des îles d'Océanie (voir page précédente), facilitant les migrations des populations. Ainsi, il y a plus de 27000 ans, les artistes de la grotte Cosquer aujourd'hui en partie immergée dans les Calanques de Marseille, peignirent des pingouins, preuve de la froidure du climat. Les grottes de Lascaux et Chauvet-Pont-d'Arc se situaient au niveau de la rivière (respectivement de la Vézère et de l'Ardèche) qu'elles surplombent aujourd'hui de plusieurs dizaines de mètres. Ces artistes sont les représentants les plus méridionaux de la culture Magdalénienne. A voir : Restitution de la grotte Cosquer
La culture du Renne : 18000 - 12000 ans Avec la fonte des glaces, la remontée progressive du niveau des océans et le recul des glaciers, l'Europe apparaît sous un nouveau visage. Sur le plan culturel, cette époque marqua la rupture entre le Paléolithique et le Mésolithique avec l'émergence de nouvelles sociétés préhistoriques dont la culture Magdalénienne qui occupa à son paroxysme une bonne partie de l'Europe continentale comme illustré ci-dessous au centre. C'est à cette époque qu'apparaît la "culture du Renne". Ces groupes de populations vivaient dans un environnement froid de steppe-toundra, caractéristique de la fin de la dernière période glaciaire. C'était des chasseurs-cueilleurs nomades, dont la subsistance reposait principalement sur la chasse des grands herbivores comme le renne, mais aussi le cheval et le bison. Les Magdaléniens sont surtout connus pour leurs extraordinaires peintures rupestres, comme celles des grottes de Lascaux et d'Altamira.
Sur le plan culturel, nous sommes à l'apogée de la culture Magdaléniennne et au début de l'Epipaléolithique, la fin de l'Âge de pierre. Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les chasseurs-cueilleurs et collecteurs nomades du Paléolithique sont loin d'être des personnes écervellées, fragiles et bohêmes. D'un point de vue industriel, nous ne sommes plus du temps du biface mais on travaillait encore les éclats de silex pour fabriquer des lames, des lamelles, des burins, des perçoirs, des grattoirs et des pointes de flèche ou de lance. D'un point de vue culturel, les Magdaléniens sont des Homo sapiens qui présentent des talents artistiques évidents, les peintures pariétales ornant les grottes de Lascaux et de Niaux parmi d'autres ainsi que les outils de chasse (harpons, sagaies et propulseurs sculptés, etc.) et les objets décoratifs (sculptures en ivoire ou sur bois, parures, pendentifs, lampes, etc.) attestant de leur savoir-faire. Ce sont également des hommes costaux et des chasseurs aguerris, maniant habilement la lance, le propulseur et l'arc à flèche, capables de tendre des pièges et de tuer à distance des animaux aussi massifs et dangereux que des mammouths. A voir : La grotte Chauvet-Pont-d'Arc en 3D VR, ARTE Visite virtuelle de la grotte Chauvet-Pont-d'Arc
A quoi ressemblaient la faune et la flore de cette époque ? Des fossiles de rennes remontant à 12300 ans ont été découverts à l'est de Paris notamment, et un peu partout en Europe on a retrouvé des fossiles de mammouths, d'aurochs, de bisons, de rhinocéros laineux, de chevaux, d'antilopes saigas, etc. A cette époque, la toundra avait envahi toute l'Europe. Les Magdaléniens vivaient au rythme des migrations des rennes qui constituaient leur alimentation de base. Comme les nomades des régions nordiques d'aujourd'hui, ils établissaient des campements de quelques jours avant de poursuivre leur vie de nomade au cours de laquelle ils croisèrent également des loups qu'ils avaient déjà domestiqués, donnant les premières races de chiens. La population magdalénienne commença à régresser il y a 12000 ans, au plus fort de la glaciation du Dryas et donna naisance aux Aziliens en France, aux Creswelliens en Angleterre et à la culture de Federmesser dans l'est de la France et en Allemagne. Changement climatique En Europe, la végétation s'adapta graduellement à ce refroidissement du climat. Il y a 12000 ans, le bouleau dominait les pins sylvestres puis leur distribution s'inversa mille ans plus tard, lorsque le froid se réinstalla. Les animaux subirent ce changement plus brutalement. Les espèces des régions froides furent remplacées par des espèces forestières locales comme le cerf. L'homme chassa l'aurochs, le bison, le cheval mais dont le nombre régressa ensuite, et cotoya l'ours et le renard. Le chamois remonta vers les altitudes, de même que le bouquetin, la marmotte et le lièvre variable. Il y a environ 11700 ans, durant l'évènement de Dansgaard-Oeschger (ou évènement D-O), le climat se réchauffa brutalement d'environ 8° en 40 ans et de 15° au total pour atteindre le niveau actuel en l'espace d'un siècle. Il y a 10000 ans le niveau des mers était déjà remonté de 50 mètres. Les rennes ainsi que les animaux habitués au froid remontèrent vers le nord, suivis par les populations scandinaves. Ainsi, 4000 ans plus tard, les rennes s'installèrent sur les côtes de Norvège, en Finlande et tout autour du cercle Arctique où les ancêtres des Samis, des Inuits, des Tchoukotkas et des Nénètses notamment développèrent leur élevage.
Le froid se réinstalla en Europe entre 11000-10000 ans et marqua la fin du Tardiglaciaire et le début de l'Holocène, l'âge interglaciaire. Le paysage européen s'éclaircit, les forêts de pins sylvestres et de bouleaux reculèrent et la steppe réapparut. Les glaciers descendirent de nouveau dans les vallées et les plaines. Entre 10000 et 9000 ans, durant la période Préboréale, la température remonta rapidement et la végétation s'adapta. Les forêts devinrent plus épaisses, des bouleaux réapparurent dans les pinèdes, auxquelles succédèrent des forêts mixtes abritant de nombreuses espèces de chênes. Le faciès culturel de l'Azilien : 12000 - 9000 ans A la fin de l'époque Préboréale, vers la fin de l'Azilien, le climat européen se radoucit et devint tempéré. C'est durant cette période que les hommes firent preuve d'innovations techniques et fabriquèrent des armatures d'armes de très petites tailles, dites microlithes, géométriques ou non, en bois, en corne ou en silex ne mesurant que quelques centimètres, typiques de la civilisation mésolithique. Ces outils et accessoires comprennent des pointes de flèches à double aileron, des harpons, des faucilles, des aiguilles, des petits racloirs, des petites pointes triangulaires, des segments de cercle, etc. Sur le plan climatique, entre 9000-8000 ans, des forêts mixtes de chênes, d'ormes et de noisetiers apparurent en Europe. Ensuite, entre 8000-5000 ans, durant l'optimum Holocène, les populations devinrent sédentaires, c'est la néolithisation, durant laquelle nous assistons au développement de l'agriculture et de l'élevage. On y reviendra (page 15). La culture de l'Aurochs : 12300 - 7500 ans La fin de la dernière glaciation survint il y a environ 11700 ans. Cette phase terminale appelée le Tardiglaciaire marque le début d'un important changement climatique. Une fois de plus, la pression de l'environnement modifia la façon dont l'homme allait survivre dans les régions situées au-delà de 40° de latitude. Selon les études des climatologues et des glaciologues (par exemple celles du LCSE en France ou du NSIDC américain), à l'époque nous étions encore dans une période de grands froids avec une température moyenne 2° inférieure aux températures actuelles. C'est déjà bien plus chaud qu'il y a 25000 ou 50000 ans où la température moyenne chuta entre 6 et 8° et même de 14° dans les régions tempérées des latitudes moyennes (cf. le projet CLIMAP).
Entre la fin du Paléolithique, il y a 12300 ans, et le début du Mésolithique, vers 10000 à 7500 ans, les groupes de chasseurs-cueilleurs s'adaptèrent à des climats plus doux. On appelle populairement ces sociétés la "culture de l'Aurochs" en raison de leur mode de vie spécifique. L'aurochs (Bos primigenius) est un ancêtre des bovins domestiques. C'était une espèce emblématique de cette période. Il fournissait viande, peau et os utilisés dans divers outils. Les sociétés mésolithiques sont moins mobiles que leurs prédécesseurs et commencent à exploiter un éventail plus large de ressources (fruits, poissons, mollusques). Les outils en pierre deviennent également plus petits et spécialisés (microlithes). Ces groupes étaient présents dans de vastes régions d'Europe et du Proche-Orient, où l'aurochs était abondant. La culture de l'Aurochs marque une transition vers le Néolithique dans certaines régions, où des communautés commencent à domestiquer des animaux et à cultiver des plantes. Ayant profité de la baisse du niveau des mers et de l'extension des glaciers, c'était la première fois dans l'histoire de l'humanité que les humains étaient présents sur tous les continents y compris dans les régions polaires.
Avec le réchauffement qui suivit, les glaciers furent remplacés par d'immenses étendues de steppe herbacée où la forêt reprit doucement sa place. Dans les régions montagneuses tempérées et nordiques, les glaciers reculèrent jusqu'à 2000 m d'altitude, laissant derrière eux d'immenses vallées glaciaires, localement envahies par l'eau douce ou l'eau de mer. Il y a 7500 ans, les peintures rupestres découvertes en Norvège se trouvaient au niveau de la mer. La fonte des calottes polaires provoqua une hausse du sol d'au moins 40 mètres. En raison du changement climatique, les populations furent contraintes de s'adapter face à la disparition de leur gibier habituel et la transformation du paysage, ce qui modifia profondément leur organisation sociale. L'un des endroits en Europe qui subit le plus fortement cette transformation du paysage fut le Doggerland. Submersion du Doggerland A la fin du Pléistocène et au début de l'Holocène, lors de la dernière glaciation, le niveau de la mer était environ 130 mètres plus bas qu'aujourd'hui. La zone qui forme aujourd'hui la mer du Nord était à sec et le resta durant des milliers d'années. Cette région est appelée le Doggerland et fut découverte par des pêcheurs à la fin des années 1930 qui remontaient dans leurs filets des artefacts archéologiques et des os datant de la préhistoire. Comme illustré sur la carte présentée ci-dessous à gauche, on estime que le Doggerland exista sous diverses formes entre environ 18000 et 9000 ans et s'étendait tout le long de la côte est de la Grande-Bretagne jusqu'à la côte de l'Allemagne et la péninsule danoise du Jutland et des Pays-Bas actuels aux îles Orcades (Orkney). Il y a seulement 12000 ans, cette vaste terre était un paysage mixte de forêts, de collines, de lagunes, de marais, parcouru de ruisseaux et de lacs et bordé de plages dans sa partie nord. Le Doggerland était très riche en nourriture de toutes sortes. Il regorgeait d'animaux sauvages migrateurs, de grands mammifères et servait de terrain de chasse saisonnier. A l'époque de la culture de Bromme (15300-11000 ans) et du Tardenoisien (12000-7000 ans), des Homo sapiens ont probablement habité cette région. En témoignent les découvertes aléatoires faites au fond de la mer du Nord : des outils et des armes en os, en bois de cervidés et en silex datant du Mésolithique, des fragments de textile, un canoë, des pièges à poissons, des restes humains vieux de 13000 ans, un fragment de crâne d'un Néandertalien vieux de 40000 ans, un crâne de mammouth, des os de rhinocéros laineux ainsi que des restes de plantes.
La submersion du Doggerland s'est déroulée très lentement et en plusieurs phases. La fonte des glaciers qui débuta plusieurs milliers d'années auparavant, entraîna progressivement l'élévation du niveau de la mer. Plusieurs phénomènes se sont probablement conjugués pour submerger le Doggerland. Il y a environ 10500 ans, le lac glaciaire Agassiz situé dans l'actuel Canada, se déversa massivement dans l'océan Atlantique via la baie d'Hudson. A sa plus grande extension, il y a 13000 ans, il couvrait une superficie de 440000 km2, recouvrant une grande partie des provinces du Manitoba et d'Ontario (cf. Hidden Hydrology). Cette vidange ou drainage catastrophique aurait provoqué des perturbations des courants océaniques, ralentissant notamment la circulation thermohaline, ce qui aurait contribué au refroidissement du Dryas récent (cf. T.G. Fisher et al., 2002). Certains scientifiques estiment que le niveau de la mer augmenta de manière significative en seulement deux ans, inondant plus de la moitié du Doggerland. Puis, il y a environ 9000 ans, l'élévation du niveau de la mer de quelques dizaines de mètres supplémentaires sépara définitivement la péninsule britannique du continent européen, transformant l'actuelle Grande-Bretagne et l'Irlande, en îles. La région connut également un mégatsunami appelé Storrega il y a 8150 ans puis un second il y a 7000 ans et d'autres plus récemment (le dernier remonte à 1500 ans) déclenchés par une série de glissements de terrains sous-marins au large des côtes norvégiennes (vers 62°N et 0°E) qui emportèrent énormement de terres au large (cf. S.Bondevik et al., 2005). On estima que le mégatsunami déplaça 3500 km3 de matériaux sur une distance de 290 km et jusqu'à environ 800 km pour les matériaux les plus fins, bouleversant au final une superficie d'environ 95000 km2. Tellement puissant, ce mégatsunami nivela le Doggerland et provoqua une brèche temporaire dans le détroit du Pas de Calais. Certaines des zones les plus élevées du Doggerland sont restées quelques temps émergées entraînant la formation de nombreuses îles dans la jeune mer du Nord. La plus grande de ces îles était la zone de l'actuel Dogger Bank, une vaste zone située actuellement entre 15 et 36 m de profondeur à environ 100 km de la côte est de l'Angleterre et qui était probablement une ancienne moraine glaciaire géante. Finalement, elle fut engloutie par la mer il y a environ 9000 ans, noyant définitivement l'un des paysages les plus riches du nord-ouest de l'Europe. Aujourd'hui, les eaux du Dogger Bank sont connues des pêcheurs pour sa faune marine très riche. Mais en même temps, des voix s'élèvent pour protéger cette région marine. Peuplement de l'Amérique et Culture Clovis : 26500-14000 ans Les spécialistes en paléontologie, environnement et paléogénétique notamment ont longtemps débattu pour savoir si les humains sont arrivés en Amérique par la route du nord depuis la Sibérie avant ou après le dernier maximum glaciaire. Nous avons évoqué précédemment (page 10) l'hypothèse d'une migration des hommes en Amérique de Nord il y a 130000 ans, théorie controversée faute de preuve. Selon une autre étude publiée dans la revue "Nature" en 2020, Ciprian F. Ardelean de l'Université Autonome de Zacatecas au Mexique et ses collègues ont découvert des indices dans la grotte de Chiquihuite au Mexique, suggérant que cette région fut habitée par des hommes il y a plus de 26500 ans.
Selon les chercheurs, analysées au radiocarbone et par luminescence optiquement simulée (OSL), une couche datait d'il y a 16600 à 12200 ans et contenait environ 88% d'outils en pierre, et une couche datait d'environ 16600 à 33000 ans et contenait environ 12% d'outils en pierre. Toutefois, la recherche de matériel génétique dans la grotte n'a donné que de l'ADN végétal et animal (genévriers, sapins, pins, chauves-souris, ours, campagnols, souris de chasse et marmottes), mais pas d'ADN humain. L'équipe a également trouvé des traces de soufre, de potassium et de zinc, des éléments qui pourraient être des signes d'activités humaines, telles que l'abattage d'animaux ou la miction, bien qu'il soit également possible que ces éléments aient été laissés par des carnivores utilisant la grotte. Selon les chercheurs, les outils sont d'un style inconnu des archéologues, mais qui n'a pas beaucoup changé au fil des millénaires. Mais il n'y avait pas beaucoup d'outils compte tenu de la durée d'utilisation de la grotte, qui semble avoir été peu utilisée. D'autres preuves d'activité humaine peuvent se trouver plus près de l'entrée de la grotte, mais cette zone est difficile à fouiller en raison de l'effondrement de l'entrée. Bref, mis part des os d'animaux et du charbon, malheureusement aucun foyer ou squelette humain n'a été découvert sur le site. Des pierres taillées furent excavées mais la datation indirecte ne prouve pas que le site fut occupé par des humains à cette époque. En effet, selon Matthew R. Bennett de l'Université de Bournemouth au Royaume-Uni, la datation de ces éventuelles ruines d'habitations humaines et des outils lithiques a priori associés fut contestée car les preuves s'appuyaient sur ce qui ressemblait à des outils de pierre qui auraient pu se former naturellement ou sur des artefacts qui auraient pu se déplacer de leurs couches stratigraphiques d'origine. C'est en raison de cette difficulté de datation que Bennett a recherché des empreintes de pas qui sont des données sans équivoques, qui de plus donnent une plus grande crédibilité à d'autres preuves de la présence d'humains en Amérique du Nord il y a plus de 20000 ans (voir plus bas). Dans une autre étude également publiée dans le même numéro de la revue "Nature" en 2020, les archéologues Lorena Becerra-Valdivia et Thomas Higham de l'Université d'Oxford ont pris en compte des dates connues de 42 sites archéologiques en Amérique du Nord et en Béringie (la région qui reliait historiquement la Russie et l'Amérique) et les ont injectées dans un modèle analysant la dispersion humaine. Ce modèle leur indiqua une présence humaine précoce en Amérique du Nord datant d'au moins 26000 ans. Les deux études vont à l'encontre du modèle de la "Culture Clovis", une hypothèse proposée dans les années 1920-1930 selon laquelle les premiers humains sont arrivés sur le continent américain via la Béringie durant la Fin de l'Âge Glaciaire, il y a environ 13000 ans. Le terme Clovis tire son nom de la faune du Pléistocène découverte à Blackwater Draw, près de Clovis, au Nouveau Mexique. La Culture Clovis disparut il y a 11000 ans. Mais de nouvelles découvertes ont permis d'affirmer que le peuplement de l'Amérique débuta bien plus tôt. La grotte de Chiquihuite est l'un des rares sites analysés indiquant que les humains auraient vécu en Amérique du Nord avant le début de la Fin de l'Âge Glaciaire. Si les auteurs ont raison, on peut allors se demander quels itinéraires physiques ces humains auraient empruntés pour se rendre aussi loin au sud à une date aussi précoce, en particulier pendant l'étendue maximale des calottes glaciaires. C'est ce dont nous allons examiner.
En 2018, une équipe internationale de chercheurs dirigée par le paléogénéticien Eske Willerselv du Musée d'Histoire Naturelle du Danemark publia dans la revue "Nature" les résultats de la datation au carbone-14 d'un squelette de nourrisson catalogué USR1 découvert près de celui d'un foetus sur le site d'Upward Sun River en Alaska en 2011. L'analyse génétique de USR1 révéla qu'il datait de 13500 ans, confirmant que le peuplement de l'Amérique s'est bien effectué par le détroit de Béring. Cette population de chasseurs-cueilleurs qui n'appartient pas aux groupes des Amérindiens natifs et jusqu'alors inconnue fut appelée les Anciens Béringiens. Les analyses génétiques et les modélisations démographiques montrent que les Anciens Béringiens (AB) et les ancêtres des autres Américains Natifs (AN) descendent d'une seule population qui quitta la Sibérie il y a 36000 ans. Précisons qu'il ne s'agit pas de populations d'origine européenne ni indo-européenne comme on l'a d'abord cru sur base d'une mauvaise interprétation des résultats ADN (cf. E.Willerslev et al., 2013), mais d'une population distincte résidant entre le lac Baïkal et la Sibérie orientale. Cette population domestiqua le cheval qu'on retrouva plus tard chez les Amérindiens. A cette époque nous étions en pleine glaciation du Wisconsin qui s'installa en Amérique du Nord entre -85000 et -7000 ans, correspondant à peu près à la glaciation de Würn en Europe. Ces populations devaient donc littéralement se geler les pieds que ce soit en Sibérie orientale ou en Alaska avec des séracs et des congères de plusieurs dizaines de mètres de haut dans tout le pays totalement infranchissables. Ces murs de glace rendirent impossible la migration le long de la côte du Pacifique ou à travers l'ouest du Canada. Il y a environ 24000 à 20000 ans, ces populations se sont séparées en deux branches : AB vers l'est et AN vers le sud du continent nord américain. Ensuite, le groupe des Américains Natifs s'est probablement scindé en deux lignées (AN Nord et AN Sud) il y a environ 17000 ans. Si les époques sont exactes, les chercheurs ignorent dans quelles régions d'Amérique du Nord ces populations se sont séparées. Une autre étude également publiée sous la direction de Eske Willerslev dans la revue "Nature" en 2016 (dont voici le résumé du journaliste Ewen Callaway) suggère qu'à la même époque la voie côtière longeant le Pacifique aurait également été empruntée en parallèle par les premiers Homo sapiens. La "Highway 1" de Californie a donc une origine plutôt lointaine ! Toutefois, il faut insister que le couloir ou route migratoire le long de côte Pacifique est difficile à confirmer sur le terrain car depuis cette époque le niveau de l'océan s'éleva d'environ 66 mètres.
L'hypothèse de la Culture Clovis fut remise en question lorsqu'on découvrit dans le complexe de Buttermilk Creek, sur le site de la terrasse de Debra L. Friedkin, au Texas, une industrie lithique remontant à 15500 ans. La présence d'humains à cette époque suggéra l'existence d'une culture pré-Clovis (cf. M.R. Waters et al., 2011). Puis les découvertes se succédèrent. L'archéologue américain Dennis Jenkins et Eske Willerselv précité notamment voulurent confirmer l'origine des ancêtres des Amérindiens actuels. Mais leurs recherches les conduisent sur les terres sacrées des tribus amérindiennes. Sachant combien les Amérindiens furent maltraités par les colonisateurs blancs et qu'ils refusent par tradition qu'on déterre leurs morts, même à des fins de recherche scientifique d'ADN ancien, ces recherches soulevèrent des polémiques dans les tribus amérindiennes au point de porter certaines affaires en justice comme celle du retour sur ses terres ancestrales du squelette de l'Homme de Kennewick dit l'Ancien (Ancien One) daté de 8400-8690 BP découvert dans l'Etat de Wahsington en 1996. Willerselv en particulier eut beaucoup de difficultés pour convaincre les chefs tribaux de ses bonnes intentions. Finalement, après de nombreux pourparler et beaucoup de diplomatie, y compris l'intervention du président Obama (qui accepta de rendre les restes de l'Homme de Kennewick à sa tribu et de l'enterrer, cf. Smithsonian, 2016), Willerselv et son équipe ont pu analyser l'ADN d'une poignée de restes de squelettes ou même d'une simple dent mais durent ensuite les rendre à leurs tribus respectives afin qu'ils soient à nouveau enterrés selon la tradition et que les ancêtres poursuivent leur voyage dans l'au-delà. Grâce à tous ses efforts, on découvrit des traces de présence humaine datant d'il y a environ 14300 ans dans les grottes de Paisley Caves en Orégon, sur la côte Ouest (cf. L.-M. Shillito et al., 2020). On découvrit également des traces d'occupation humaine à Anzick, dans le Montana remontant à 12600 ans (cf. E.Willerslev et al., 2014). A cette époque, la steppe commença à se former. On a en effet retrouvé au Canada la première plante apparue il y a 12600 ans juste à l'époque où un corridor libre de glace se forma en Alberta, à l'ouest du Canada, facilitant la migration des animaux dont le bison, le mamouth laineux et le campagnol qui auparavant n'existaient pas en Amérique du Nord. Des traces de pas de 23000 ans Comme on le voit ci-dessous, en 2018 l'équipe de Matthew R. Bennett précitée découvrit affleurant du sol des traces de pas dans le Parc National de White Sands au Nouveau Mexique datant entre 13000 et 11500 ans BP (cf. M.R. Bennett et al., 2020). Des humains ont marché dans la boue des berges d'un ancien lac qui s'est asséché et s'est transformé en un désert de gypse blanc. Puis en 2021, Bennett et ses collègues aidés par un radar à pénétration de sol (RPS) ou radar géologique, découvrirent de nouvelles traces de pas dans le Parc National de White Sands datant cette fois entre 23000 et 21000 ans BP (cf. M.R. Bennett et al., 2021). Selon les chercheurs, "de nombreuses traces semblent être celles d'adolescents et d'enfants. Les grandes empreintes de pas d'adultes sont moins fréquentes." Cette découverte suggère que le peuplement de l'Amérique du Nord commença bien avant la Fin de l'Âge Glaciaire. Selon Bennett, ces empreintes suggèrent que les humains sont peut-être arrivés en Amérique du Nord il y a 30000 ans, des milliers d'années avant le Dernier Maximum Glaciaire.
Entre-temps, les hommes étaient déjà descendus jusqu'en Amérique du Sud. Les plus anciennes traces humaines furent découvertes en 1976 à Monte Verde, au Chili. Les os humains et les charbons de bois furent datés d'environ 14000 ans comme le confirma l'étude dirigée par Tom D. Dillehay de l'Université Vanderbilt publiée dans la revue "Science" en 2008. Cueva de las Manos : 13000-1300 ans Il existe un site préhistorique exceptionnel car unique au monde en Argentine, la "grotte aux Mains" ou Cueva de las Manos située dans le département de Santa Cruz près de la ville de Perito Moreno, au nord du célèbre glacier du même nom. Les peintures rupestres en très bon état furent classées au Patrimoine de l'UNESCO en 1999. Située au pied d'une falaise en escalier surplombant le canyon du Rio Pinturas, on découvre sur les parois de la grotte différentes scènes de chasse de guanacos qui sont toujours présents dans la région, ainsi que des scènes de chasse montrant des animaux et des silhouettes humaines en pleine interaction. Mais il contient surtout de nombreuses mains réalisées au pochoir, comme cela se faisait antérieurement en Europe notamment. Il y a cinq concentrations distinctes d'art pariétal, avec des figures et des motifs plus récents recouvrant souvent des pétroglyphes plus anciens. Les peintures ont été réalisées à base de pigments minéraux naturels tels que des oxydes de fer (rouge et violet), du kaolin (blanc), de la natrojarosite (jaune) et de l'oxyde de manganèse (noir), mélangés à un liant.
Plusieurs sites archéologiques sont situés sur les deux rives du Rio Pinturas et témoignent d'une occupation de toute la zone par des chasseurs depuis plus de 13000 ans. La plupart des empreintes au pochoir furent ralisées entre ~13000 et 9000 ans BP. Les derniers pétroglyphes remontent à 1300 ans. Le site fut habité jusque vers 700 de notre ère par les ancêtres probables des premiers peuples Tehuelche de Patagonie. Notons que la région de Santa Cruz regorge de nombreux sites préhistoriques. Selon l'archéologue Dean R. Snow de l'Université de Penn State, sur base de l'indice de Manning, les mains représentées sur les parois de la grotte sont celles de femmes, ce qui prouve qu'elles participaient activement à la vie culturelle et aux activités artistiques. Mais cette interprétation a été critiquée (cf. J.Bruzek et al., 2012). Toutefois, l'indice de Manning s'est trouvé renforcé par d'autres études qui ont montré ce dimorphisme sexuel et que le rapport 2D:4D entre l'index et l'annulaire (les deux doigts qui entourent le majeur) est corrélé à l'exposition prénatale aux hormones sexuelles (cf. Science, 2009-2017; C.Han et al., 2016; F.Kilic et al., 2020). Enfin, citons une autre étude publiée dans la revue "Archives of Sexual Behavior" en 2018, dans laquelle Tuesday M. Watts de l'Université d'Essex et ses collègues ont étudié les mains de 18 jumeaux féminins et de 14 jumeaux masculins. Les chercheurs ont constaté que chez les femmes, l'index et l'annulaire sont généralement de même longueur, tandis que chez les hommes, la différence entre ces deux doigts est plus grande. On observe clairement cette morphologie dans les pétroglyphes de mains de Cueva de las Manos. Premières cultures domestiquées en Amazonie il y a plus de 10000 ans On a longtemps cru que les tribus amazoniennes étaient exclusivement des chasseurs-cueilleurs. Or depuis que les hommes ont exploré le bassin amazonien, nous avons des preuves qu'ils ont façonné le paysage grâce à la culture de plantes domestiquées. Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2020, l'écologue Umberto Lombardo de l'Université de Berne et ses collègues ont découvert dans le Llanos de Moxos situé dans l'actuelle Bolivie, "des traces de culture de manioc datant de 10350 ans, de courges d'il y a 10250 ans et de maïs remontant à 6850 ans". Selon les chercheurs, la région sud-ouest du bassin amazonien fait ainsi partie "des premiers endroits du monde où des communautés humaines cultivèrent des plantes domestiquées. [...] Ces populations ont contribué à modifier la végétation en apportant de nouvelles espèces au coeur de la forêt".
Notons qu'on ne parle pas encore stricto sensus d'invention de l'agriculture. L'agriculture de pleine-terre dans le Moxos est seulement documentée vers 400 après notre ère, jusqu'à l'arrivée des Européens. En fait, l'agriculture a pour but non seulement de contrôler le cycle biologique d'espèces domestiquées (végétales, animales, voire champignons et microbes) utiles à l'humanité mais également d'améliorer les espèces comme par exemple pour obtenir des céréales ayant de plus grands grains, plus nombreux, plus résistants afin d'assurer un meilleur rendement. Il n'est pas certain que les premiers cultivateurs avaient cet objectif en tête (cf. C.P. Osborne et al., 2017). On y reviendra à propos de la culture néolithique (cf. page 15). Le gène qui façonna le visage de l'humanité Pourquoi notre corps est-il plus gracile et notre visage plus aplati que celui des humains archaïques comme les Néandertaliens ? Depuis Darwin, nous savons que l'évolution humaine est un processus dynamique capable notamment de répondre à la pression de l'environnement. Plus récemment nous avons découvert que toutes une série de gènes agissent sur la morphologie. Puis des spécialistes se sont penchés sur la socialisation de l'espèce humaine et ont étudié la relation entre le comportement et la morphologie et ce qui se passe lors de la domestication animale, allant jusqu'à suggérer que l'être humain s'est "auto-domestiqué". Si de nombreux primates présentent au début de leur vie une apparence gracile, nous sommes les seuls à la conserver jusqu'à l'âge adulte. Cette conservation de traits morphologiques tout au long de la vie suggère que les humains ont conservé dans leur patrimoine génétique des éléments facilitant les interactions sociales. En effet, au cours de l'évolution les humains ont de plus en plus compté sur des interactions sociales pacifiques pour s'épanouir et progresser. Intuitivement, nos ancêtres ont sélectionné des partenaires présentant des traits moins agressifs notamment sur le visage. Mais jusqu'à présent les preuves génétiques liant les caractéristiques faciales à ce processus d'autodomestication restaient rares (cf. A.Adamo et al., 2014; G.A. Vega-López et al., 2017; M.R. Sánchez-Villagra et C.P. van Schaik, 2018). Dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2019, Giuseppe Testa de l'Université de Milan en Italie et ses collègues ont découvert l'un de ces gènes. Ils ont découvert que les modifications de l'ADN liées au développement du visage diffèrent nettement entre les humains actuels et nos plus proches parents disparus, les Néandertaliens et les Dénisoviens. Selon Richard Wrangham, professeur d'anthropologie biologique à l'Université d'Harvard, qui n'a pas participé à cette étude, on s'attendait à de telles différences si les humains modernes étaient une espèce autodomestiquée. Des études antérieures ont montré qu'il existe chez l'être humain des gènes potentiellement liés à la domestication, mais "l'avancée critique" de cette nouvelle étude est qu'elle a ciblé un gène candidat important et est parvenue à le relier à un résultat prédit de la domestication : des traits du visage plus fins. Pour découvrir ce lien, Testa et ses collègues ont utilisé des cellules provenant de personnes atteintes d'une maladie génétique bien caractérisée appelée le syndrome de Williams-Beuren. Les traits du visage et les comportements des personnes atteintes de ce syndrome tendent fortement vers l'extrémité la plus amicale des sentiments humains. Les auteurs pensent que les changements génétiques qui sous-tendent ces traits pourraient aider à expliquer la génétique de l'évolution du visage humain. Concrètement, les gènes liés à Williams-Beuren guident la migration et l'action des cellules de la crête neurale, qui remplissent diverses fonctions au début du développement embryonnaire, dont l'une consiste à la construction des os du visage.
Les auteurs ont étudié in vitro le gène associé à Williams-Beuren, BAZ1B, qui régule la migration des cellules souches de la crête neurale. En utilisant des cellules provenant de personnes atteintes ou non du syndrome de Williams-Beuren, et donc portant des variantes du nombre de copies du locus 7q11.23 (situé sur le chromosome 7), les chercheurs ont évalué l4impact de différentes "doses" de ce gène. Ils ont découvert que BAZ1B est un "contrôleur principal" des cellules de la crête neurale, avec des effets différents selon les doses. Les auteurs ont ensuite comparé les séquences d'ADN qui interagissent avec BAZ1B chez les humains modernes avec les mêmes régions de l'ADN chez des humains archaïques et ont trouvé une différence. Les humains modernes présentent une légère perturbation de l'activité de la crête neurale par rapport à la pleine puissance de ses effets, libres de toute perturbation, chez les Néandertaliens et les Dénisoviens. Selon les auteurs, c'est "la première validation empirique de l'hypothèse et du positionnement de l'auto-domestication humaine." L'effet de cette perturbation génétique chez les humains modernes est la réduction des traits du visage. Les auteurs suggèrent que la version la plus délicate des caractéristiques faciales s'est largement répandue chez les humains à mesure qu'ils s'orientaient vers un mode de vie plus social et moins agressif. Le paléobiologiste Marcelo Sánchez-Villagra de l'Université de Zurich qui n'a pas participé à cette étude confirme qu'utiliser une maladie génétique bien caractérisée telle que Williams-Beuren est un bon moyen d'étudier les gènes impliqués dans des processus de développement tels que celui du visage. De tels outils ouvrent la voie à la compréhension de ce qui s'est passé au cours d'une phase critique de l'évolution humaine. Testa est ses collègues ont également identifié d'autres gènes sur le chromosome 7 ayant des liens possibles avec des comportements sociaux associés à l'autodomestication. L'un d'eux est le célèbre FOXP2 qui est impliqué dans le langage. Wrangham précité considère qu'il sera important d'examiner les gènes liés à une réduction de la taille du cerveau, dans lesquels les cellules de la crête neurale ne jouent aucun rôle (les Néandertaliens avaient un cerveau plus gros que celui des humains modernes). Testa conclut que les études comparant l'ADN humain moderne et ancien représentent une formidable opportunité pour étudier notre évolution : "Nous avons vraiment commencé à ouvrir un champ de recherche qui s'appuie sur les épaules de nombreux géants et qui, nous l'espérons, attirera de nombreux géants." Comment l'Homo sapiens évita la consanguinité Raphaëlle Chaix est anthropogénéticienne au Muséum National d'Histoire Naturelle (MNHN) de Paris. Elle a étudié des sépultures anciennes pour comprendre les systèmes de parenté de nos ancêtres. Elle a présenté ses résultats dans différents articles sur la génétique des populations et lors d'un colloque qui s'est tenu en 2020 (cf. la vidéo). Ses découvertes ont été résumées dans un article de presse publié en 2021 par différents médias. Selon Chaix, il est impossible de savoir à quoi aurait pu ressembler la photo de famille d'un clan d'Homo sapiens mais nous pouvons en dresser le portrait grâce à la génétique. Des études génétiques suggèrent que les femmes quittaient leur clan d'origine pour fonder leur famille dans le clan de l'homme, ce qu'on appelle la patrilocalité, ce qui a permis d'éviter la consanguinité. En 2005, des archéologues ont découvert une tombe près d'Eulau, en Allemagne, vieille de 4600 ans BP contenant les vestiges de quatre personnes. L'analyse ADN révéla qu'il s'agissait d'un couple et ses deux enfants, offrant la première preuve de l'existence d'une structure familiale nucléaire (cf. U.Mainz). Les trois autres tombes ont également révélé que les individus étaient liés entre eux par leur chromosome Y, transmis par le père. Il en était de même sur de nombreux autres sites funéraires.
Selon Chaix, "Il semblerait donc que la patrilocalité domine". L'archéologue Anne Augereau de l'Inrap de Paris confirme que "Le patrimoine génétique des femmes est beaucoup plus diffusé géographiquement". Cette tendance est confortée par les études sur les rapports isotopiques du strontium qui renseignent sur l'environnement géologique dans lequel a grandi chaque sujet, via l'eau, les plantes et les animaux qu'il y a consommés. Selon Augereau, "Il y a plus souvent concordance entre les signatures chimiques locale et individuelle des hommes que des femmes. Ils sont donc plus nombreux qu'elles à être enterrés là où ils ont passé leur enfance". Les gènes nous apprennent aussi que les chasseurs-cueilleurs d'il y a 34000 ans ne formaient pas de petits groupes marqués par la consanguinité. Selon Chaix, "Au contraire, les individus semblent peu apparentés génétiquement." Pour Augereau, "Il semblerait que patrilocalité et patrilinéarité - le fait que la filiation paternelle prime - s'appliquent au mésolithique [c'est-à-dire entre -9600 à -6000 ans en Europe]. Mais nous ne disposons que d'un échantillon de population restreint, sur une aire géographique limitée." Sans compter que les liens symboliques, comme l'adoption, ne laissent pas de trace. Le puzzle est donc encore incomplet pour généraliser cette tendance. Pour avoir une vue plus générale il faut compléter cette étude en analysant plus d'ADN ancien afin d'en savoir plus sur les liens de parenté au sein même des clans, des tribus voire des ethnies. Mais cela reste un défi sachant qu'il existe peu de sépultures communes ou familiales datant de la préhistoire sans compter qu'il est assez difficile de trouver de l'ADN dans les régions humides comme en Europe où il se dégrade rapidement. Il faudra être patient et compter sur la chance. Premier impact anthropique : la théorie du Blitzkrieg
C'est à l'époque de l'Homo sapiens, entre la fin du Pléistocène supérieur et l'Holocène (100000-12000 ans voire bien plus tard dans certaines régions du monde), qu'on assista un peu partout sur la planète à l'extinction de nombreux grands mammifères : les rhinocéros laineux, les mammouths, les saigas, l'ours des cavernes et le lion des cavernes disparaissent de l'Eurasie, les mastodontes, le grand paresseux, le tigre à dents de sabres, le lion, le guépard, l'antilope, le castor géant et le tatou géant disparaissent de l'Amérique du Nord tandis que les grands marsupiaux (lion marsupial, diprotodon, etc.) disparaissent en Australie. Selon une étude publiée par Anthony D. Barnosky dans les "PNAS" en 2008, au total sur plus de 350 espèces de grands mammifères de plus de 44 kg vivant avant l'arrivée de l'Homo sapiens, 183 espèces soit à peine la moitié vivaient encore 8000 ans avant notre ère. Sur la même période, la population humaine passa de quelques millions à plus de 140 millions d'individus, augmentant de manière exponentielle il y a environ 10000 ans. Sans en avoir la preuve formelle, selon la "théorie du Blitzkrieg" on estime que pour la première fois dans son histoire, l'homme serait le seul responsable de ces extinctions en raison de la pression qu'il provoqua sur l'environnement à force de chasser, piéger et d'empoisonner les animaux ainsi que de modifier ou détruire les biotopes pour satisfaire les besoins d'une population de plus en plus nombreuse, de plus en plus exigeante et de moins en moins à l'écoute de la nature. Depuis cette époque, la survie de la nature est en sursis et ne dépend que de la bonne volonté des hommes. Mais c'est surtout depuis le XIXe siècle que nous avons délibérément massacré la nature sans discernement, sans même nous rendre compte que nous sommes en train de scier toutes les branches de la biodiversité, celles indispensables à notre survie. Nous y reviendrons dans les articles consacrés à l'extinction des espèces et au développement durable. Des Européens à la peau et les cheveux sombres il y a 3000 ans Si la morphologie est une réponse au climat, les premiers européens semblent avoir quitté les pays chauds très récemment. Des études sur la morphologie des Néandertaliens entreprises en 1991 par Trenton Holliday aujoud'hui à l'Université de Tulane et Erik Trinkhaus indiquent que les premières populations européennes ont conservé plus de traits "africains" que les populations contemporaines. Cela appuye la thèse évoquée précédemment selon laquelle l'Homo sapiens est le descendant direct de l'Homo rhodesiensis qui émigra directement d'Afrique vers l'Europe il y a environ 60000 ans. Nous avons des preuves attestant cet héritage génétique. Nous avons expliqué précédemment (cf. page 8) que l'apparition des gènes de la peau claire remontent à plus de 900000 ans. Bien que ces gènes étaient donc présents chez nos ancêtres africains, ils se sont exprimés de manière très variées selon les endroits et les métissages de populations. Dans une étude publiée sur "BioRxiv" (non validée) en 2025, Silvia Perretti de l'Université de Ferrara en Italie et ses collègues ont analysé 348 échantillons d'ADN ancien provenant de 34 pays d'Eurasie. Etant donné que de nombreux échantillons d'ADN étaient dégradés, les scientifiques ont utilisé des modèles prédictifs pour estimer les traits de pigmentation. L'étude a révélé que même après l'apparition des gènes de peau claire dans des régions comme la Suède, ils ne se sont répandus qu'à la fin de l'Âge du Bronze ou au début de l'Âge du Fer, il y a seulement environ 3000 ans. La peau foncée était dominante pendant l'Âge du Cuivre (~7000-3000 ans BP) et plus récemment dans plusieurs régions d'Europe.
Les yeux clairs sont apparus entre 14000 et 4000 ans, notamment en Europe du Nord et de l'Ouest, bien que la peau et les cheveux foncés soient encore prédominants. Un cas atypique notable concerne un enfant de 17000 ans aux yeux bleus découvert dans la grotte de Mura à Monopoli, situé au sud de Bari, dans le sud-est de l'Italie, qui avait la peau et les cheveux foncés (cf. A.Modi et al., 2024). Une augmentation des traits clairs durant cette période suggère une augmentation temporaire de leur fréquence. La persistance d'une pigmentation foncée jusqu'à l'Âge du Fer est surprenante, et les raisons de ce changement restent obscures. Autrement dit, la plupart des anciens Européens avaient la peau, les yeux et les cheveux foncés jusqu'à une époque très récente. En 1903, les fossiles d'un humain furent découverts dans les gorges de Cheddar (Gough's Cave), dans le Somerset en Angleterre. Surnommé "Cheddar Man", le squelette est âgé d'environ 9150 ans. C'est le plus ancien squelette humain découvert en Grande-Bretagne. L'homme est décédé dans la vingtaine. Son crâne dont voici un gros-plan porte une large lésion au-dessus de l'orbite droit suggérant qu'il est mort d'une infection osseuse. L'homme mesurait environ 1.50 m et était bien nourri. L'analyse de son génome fut réalisée par l'équipe de Chris Stringer du Musée d'Histoire Naturelle de Londres (NHM) qui étudie l'homme de Cheddar depuis les années 1970, par Mark Thomas de l'University College de Londres (UCL) et Brian Sykes professeur émérite de l'Université d'Oxford qui avait étudié le fameux Ötzi découvert dans un glacier en Autriche et identifié sept lignées génétiques dans la population européenne continentale. Leurs résultats furent publiés en 2018 dans un article intitulé "Population Replacement in Early Neolithic Britain" disponible sur le serveur "BioRxiv".
Selon les chercheurs, l'homme de Cheddar "avait une peau sombre ou noire, les yeux bleu-vert et probablement les cheveux noirs" (page 4). Il va sans dire que c'est une combinaison génétique qu'on ne retrouve plus nulle part en Europe. Notons qu'un article sur l'histoire génomique des Européens méridionaux fut également publié en 2017 sur "bioRxiv". Toutefois, depuis cette analyse qui remonte à 2017, la science a progressé et beaucoup plus de gènes affectant la couleur de la peau ont été découverts, ce que ne mentionnent pas la plupart des médias ni le documentaire diffusé sur la chaîne anglaise Channel 4. Conclusion, avec le temps les généticiens sont moins affirmatifs sur le fait que l'homme de Cheddar avait la peau sombre. Quant à la couleur de ses yeux, il avait une probabilité de 76% d'avoir les yeux bleus, une mutation qui rappelons-le est apparue chez l'Homo sapiens il y a seulement 18000 ans. L'homme de Cheddar pouvait donc très bien avoir la peau claire et les yeux foncés comme illustré ci-dessous à droite par l'auteur. En admettant que l'homme de Cheddar avait la peau sombre, comment expliquer qu'une telle pigmentation ait subsisté en Angleterre jusqu'à cette époque et a-t-on découvert d'autres cas similaires ailleurs en Europe ? Il existe effectivement quelques groupes humains qui vécurent en Europe présentant une peau sombre. Le génome de l'homme de Cheddar révèle qu'il est proche des autres populations du Mésolithique appelées les Chasseurs-Cueilleurs Occidentaux qui furent découvertes en Espagne, au Luxembourg et en Hongrie qui présentaient une peau sombre il y a environ 8500 ans comme le confirma une étude génomique publiée dans la revue "Science" en 2015. Dans leur ADN il manque deux versions de deux gènes - SLC24A5 et SLC45A2 (ou MATP) - qui conduisent à une dépigmentation et donc à une peau claire, comme celle des Européens actuels. Dans sa "Biographie d'Agricola", l'auteur romain Tacite (58-120) évoque également la peau "basanée et les cheveux crépus" (XI.1) des Silures, un peuple Celte qui habitait dans le Pays de Galles.
Mais dans le nord de l'Europe, là où la quantité de lumière est faible et favorise une peau claire, les chercheurs ont découvert un profil différent chez les chasseurs-cueilleurs. Sept individus découverts sur le site archéologique de Motala, dans le sud de la Suède, et datés de 7700 ans présentent des variantes des deux gènes de la peau claire ainsi qu'un troisième gène, HERC2/OCA2, qui exprime les yeux bleus et peut contribuer à la peau claire et aux cheveux blonds. On en déduit que les anciens chasseurs-cueilleurs qui ont migré vers le Grand Nord notamment par la bande de terre reliant le Danemark (par l'actuelle île de Seeland où se trouve Copenhague) à la Suède avaient déjà la peau claire et les yeux bleus à cette époque, alors que ceux d'Europe centrale et méridionale avaient la peau sombre. On reviendra sur les gènes à l'origine de la couleur des yeux. La peau plus claire pourrait offrir un avantage pour la synthèse de la vitamine D dans les climats nordiques. En effet, aux latitudes élevées, la faible intensité des UV-B limite la synthèse de vitamine D. Une peau claire, moins riche en mélanine, laisse passer davantage d'UV-B, facilitant ainsi cette synthèse. Cela constitua un avantage évolutif pour les populations nordiques. En revanche, des traits comme les yeux clairs se sont probablement propagés par la sélection sexuelle (par exemple l'effet de l'allèle récessif des yeux bleus ou gris hérité des deux parents, d'un attrait pour la rareté, un facteur culturel ou symbolique comme la beauté ou le statut social) ou le hasard.
Grâce à ces découvertes, on peut retracer le flux migratoire des premières populations européennes. Comme l'illustre la carte ci-dessous, des Homo sapiens à la peau sombre ont quitté le nord-est de l'Afrique il y a 40000 ans et ont rejoint l'Europe via la Turquie et l'Europe centrale. Aujourd'hui 10% des Britanniques blancs descendent d'un groupe de migrants ayant transité par la Turquie méridionale. Il y a 15000 ans, des chasseurs-cueilleurs à la peau sombre vivant en Espagne, dans la région du Luxembourg et en Hongrie ont migré par petits groupes vers les îles britanniques à travers la bande de terre qui recouvrait alors la Manche mise à sec par la derrière glaciation. Entre 15000 et 10000 ans d'ici, de petits groupes de colons se sont installés au centre de l'Angleterre mais moururent avant d'établir des populations permanentes. Enfin, il y a moins de 10000 ans, l'homme de Cheddar est décédé dans le Somerset mais la population qu'il représentait continua à peupler l'île, devenant les Britons (ou Britons celtiques). Cette population se développa durant l'Âge de la pierre en conservant probablement (la probabilité est faible mais pas nulle) sa peau sombre et ses yeux clairs jusqu'à l'Âge du fer (à partir de 800 avant notre ère pour cette région du monde) puis fut romanisée et disparu avec l'émergence du christianisme vers la fin du premier siècle de notre ère.
Les analyses génomiques réalisées en 2015 suggèrent également que l'homme de Cheddar était intolérant au lait à l'âge adulte. Cette tolérance ne s'est répandue que plus tard, durant l'Âge du bronze (3000-1000 avant notre ère) bien qu'aujourd'hui certains individus sont toujours intolérants au lait dont une proportion significative de femmes. Aujourd'hui, on estime qu'environ 10% des Européens descendent de chasseurs du mésolithique semblables à l'homme de Cheddar. Si aujourd'hui les Anglais de souche ont tous la peau claire c'est parce qu'il y a environ 6000 ans des groupes de migrants à la peau claire et aux yeux bruns originaires de la péninsule ibérique sont parvenus en Angleterre et ont absorbé les populations dont celles à laquelle appartenait l'homme de Cheddar. On ignore précisément pourquoi la peau claire se développa parmi ces populations mais on constate l'émergence de deux phénomènes : l'un lié à la génétique, l'autre à une adaptation au climat. Lorsque les premiers agriculteurs du Proche-Orient sont arrivés en Europe, ils portaient les deux gènes précités de la peau claire. En se métissant avec les chasseurs-cueilleurs indigènes, l'un de leurs gènes de la peau claire, SLC24A5, s'est propagé à travers les populations européennes, de sorte que les populations d'Europe centrale et du sud ont progressivement présenté une peau plus claire. L'autre variante du gène, SLC45A2, ne s'exprima presque plus jusqu'il y a environ 5800 ans où elle s'exprima de nouveau avec une fréquence très élevée. Ensuite, le régime à base de céréales étant déficient en vitamine D, cela aurait contraint les premiers agriculteurs à synthétiser cet élément essentiel à travers la peau grâce à l'action du rayonnement UV-B solaire sur un dérivé du cholestérol (cholécalciférol qui synthétise la vitamine D3) comme toutes les peaux claires le font en s'exposant au Soleil, ce qui permet au corps (aux intestins) d'absorber le calcium et le phosphore. Selon Mark Thomas, au cours des 10000 dernières années, il est possible que d'autres facteurs aient provoqué une diminution de la pigmentation de la peau, mais c'est la principale explication faisant consensus. Enfin, le généticien Brian Sykes de l'Université d'Oxford analysa l'ADN mitochondrien - l'ADNmt, celui qui est uniquement transmis par la mère - de l'homme de Cheddar dans les années 1990 et le compara à celui de 20 personnes résidents alors dans le village de Cheddar. Il trouva deux correspondances génétiques, dont celle du professeur d'histoire retraité Adrian Targett (qui a la peau claire et les yeux bleus, cf. ce portrait) qui devient ainsi le plus proche parent descendant directement de l'homme de Cheddar. Ce résultat est compatible avec la proportion de 10% des Européens partageant le même type d'ADN mitochondrien, celui appartenant à l'haplogroupe ADNmt U5. On reviendra plus bas sur la distribution des haplogroupes[7]. Les premières migrations humaines Document World History, 2017. Évolution des populations eurasienne et européenne Etant donné que nous avons hérité entre 1 et 4% d'ADN de Néandertal (et peut-être quelques pourcents d'Homo denisova pour ceux qui ont des origines asiatiques notamment), nous avons des preuves tangibles que dès l'époque de Néandertal et plus encore de Cro-Magnon tant les hommes des savanes africaines que ceux d'Asie et de Chine profitèrent de leur compatibilité génétique pour étendre leurs tribus, ce qui n'a fait qu'accélérer l'extension des populations et faciliter leur développement. Pour comprendre de quelle manière les ancêtres des hommes modernes ont conquis le monde, nous avons la chance de disposer de l'ADN mitochondrial transmis par les femmes extrait de fossiles humains découverts en Afrique datant de plus de 150000 ans (ADNmt L, L0, L1, L2, etc) et d'ADN mitochondrial des premiers Eurasiens (ADNmt M, N, R, etc) remontant à environ 80000 ans. En comparant ces signatures génétiques aux haplogroupes actuels, les paléogénéticiens peuvent retracer les routes approximatives de migrations de nos ancêtres depuis l'époque où ils quittèrent l'Afrique et la scission de la première lignée maternelle, ce qu'on appelle le Plus Récent Ancêtre Matrilinéaire Commun ou Ève Mitonchondriale, ADNmt-Eve en abrégé ou mt-MRCA (matrilineal-Most Recent Common Ancestor). Le même principe s'applique au chromosome Y transmit par les hommes (Y-MRCA ou Adam Y chromosomique). En analysant leur distribution, on peut tracer des cartes de migrations phylogéographiques similaires à celles présentées ci-dessous. Notons qu'une étude de datation phylogénique de mt-MRCA et Y-MRCA fut publiée dans la revue "Science" en 2014. Que sait-on précisément de la colonisation de l'Eurasie et de l'Europe par les premiers hommes anatomiquement modernes d'un point de vue phylogéographique ? Selon une étude publiée dans la revue "BMC Genetics" en 2004 par l'équipe de Mait Metspalu de l'Université de Tartu en Estonie, la plupart des populations vivant aujourd'hui en Inde, en Asie du Sud-Ouest et certains groupes d'Australie ont vraisemblablement des ancêtres qui ont initialement colonisé l'Eurasie en venant directement d'Afrique il y a 60000 à 80000 ans comme l'indiquent les carte présentées ci-dessous. A
voir : University of Oxford researchers create largest ever human family tree,
U.Oxford, 2022
L'analyse des haplogroupes d'ADNmt indiens et iraniens montrent que les deux populations n'en formaient qu'une au début du Paléolithique supérieur, il y a environ 45000 ans mais qu'il existait déjà des sous-lignées indiennes spécifiques dérivant des lignées M, N et R. Bien que ces sous-lignées sont rares en dehors du sous-continent indien, on trouve malgré leurs descendants jusqu'en Asie et même en Australie. Selon la phylogéographie déduite de l'haplogroupe ADNmt M, la "Route côtière du Sud" représentée en gras sur la carte ci-dessus à gauche fut empruntée il y a environ 60000 à 80000 ans Son absence virtuelle au Proche-Orient et en Asie du Sud-Ouest implique qu'il n'a probablement pas colonisé initialement l'Eurasie. Par conséquent, les chercheurs estiment que la répartition initiale entre les ADNmt de l'ouest et de l'est de l'Eurasie eut lieu entre la vallée de l'Indus et l'Asie du Sud-Ouest comme le montre la carte ci-dessus à gauche. Selon les auteurs, "il n'y a aucun besoin évident d'introduire la «route du nord» - du Sinaï au Proche-Orient - pour expliquer la colonisation initiale de l'Eurasie, la propagation de certains ADNmt et haplogroupes Y chromosomiques implique que cette route pourrait avoir été utilisée dans une période ultérieure". Disparition de l'haplogroupe M d'Europe il y a ~19500 ans Dans une nouvelle étude publiée dans la revue "Current Biology" en 2018 par l'équipe de Cosimo Posth de l'Institut Max Planck, les chercheurs confirment que la population européenne a drastiquement évolué à la fin de la dernière période glaciaire. L'analyse génétique de 35 fossiles provenant de six pays européens démontre également que l'homme moderne est arrivé directement d'Afrique en Europe, sans détour par le Moyen-Orient ou l'Asie comme on le pensait jusqu'à présent.
Les chercheurs ont analysé l'ADNmt de 35 chasseurs-cueilleurs datant entre 35000 et 7000 ans excavés en Allemagne, en Belgique, en France, en Italie, en Roumanie et en République Tchèque comme indiqué sur les cartes présentées à droite afin de mieux comprendre comment la population européenne évolua durant la dernière glaciation. Les scientifiques ont également pris en compte dans leurs analyses 20 autres génomes mitochondriaux déjà connus. Soulignons que le site paléontologique de Goyet près de Namur (B) dont l'IRSNB détient les ossements est le seul site en Europe à avoir livré des fossiles humains appartenant aux différentes populations du peuplement européen. Certains résultats se sont révélés surprenants : deux individus de Goyet respectivement datés de 35000 et 34000 ans et un individu de la grotte française de La Rochette daté de 28000 ans appartiennent à l'haplogroupe ADNmt M. Or, cette lignée majeure est aujourd'hui totalement absente dans la population européenne, mais est encore fréquente chez les Asiatiques, les Australiens et les Amérindiens de souche. La question est de savoir pour quelle raison cette lignée a disparu d'Europe et à quelle époque ? Selon la paléoanthropologue Mietje Germonpré de l'IRSNB et coautrice de l'article, cette première trace de l'haplogroupe M dans nos régions prouve que l'homme moderne, en quittant l'Afrique, ne s'est pas uniquement dirigé vers l'Asie mais aussi vers l'Europe. À partir des analyses du taux de mutation de l'ADNmt des haplogroupes M et N, les scientifiques ont également déduit que la migration de l'Afrique vers l'Eurasie eut lieu il y a 50000 à 60000 ans. Cette période est à la limite inférieure voire plus récente de 10000 ans que la datation de la "Route côtière du Sud" calculée par l'équipe de Mait Metspalu en 2004. Mais l'imprécision sur cette époque étant également du même ordre, on peut admettre que les premiers colons d'Afrique ont foulé le sol Eurasien il y a environ 60000 ans à l'imprécision près, ce qui est compatible avec l'apparition de l'Homo desinova dans l'Altaï il y a 48000 ans (voir page suivante). Cette analyse montre aussi qu'au cours du dernier Maximum Glaciaire qui s'étendit entre 25000-19500 ans, les chasseurs-cueilleurs ont migré vers le sud de l'Europe - aucun fossile humain n'a été découvert dans le nord. La taille de leur population s'est alors fortement réduite; c'est probablement à cette époque que l'haplogroupe M disparut d'Europe. Par la suite, quand le climat se réchauffa et que la glace se retira, la population qui ne comptait plus d'haplogroupe M se redéploya à travers l'Europe. Enfin, dernière surprise, il semble que les chasseurs-cueilleurs européens aient été largement remplacés par une population d'un haplogroupe maternel différent - ADNmt U5 précité - il y a 14500 ans, au début du Tardiglaciaire, une période de réchauffement climatique suivie par un brusque refroidissement. Toutefois l'ADN nucléaire de ces fossiles préhistoriques n'a pas encore été analysé mais il devrait nous en dire plus sur son peuplement. Dans un autre article nous expliquerons le sens qu'il faut donner à la division originelle des populations d'Homo sapiens et sur la définition de l'espèce humaine qui mérite peut-être d'être révisée. A lire : Origine et évolution de l'Homo sapiens Les concepts d'espèce, sous-espèce, race et polytype Évolution des espèces humaines Alors que les chercheurs ont longtemps cru que deux espèces humaines seulement avaient foulé notre planète à partir de la fin de l'âge glaciaire - l'homme de Néandertal et l'Homo sapiens - nous avons vu qu'une troisième espèce, l'Homo floresiensis, était parvenue jusqu'à l'île de Florès à la même époque. Mais comme on dit, "une découverte n'arrive jamais seule". Cinq ans après la découverte de "Flo", des chercheurs découvrirent l'Homo luzonensis en Asie du Sud-Est, découverte qui ne fut annoncée qu'en 2019. Et cérise sur le gâteau, en 2008 des chercheurs russes annoncèrent la découverte d'une quatrième espèce humaine ayant foulé la terre à la même époque que les premiers Homo sapiens : l'Homo denisova. La découverte surprit les paléontologues et fut d'autant plus révélatrice qu'elle bénéficia des dernières avancées dans l'analyse de l'ADN. C'est l'objet du prochain chapitre. Prochain chapitre
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