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Dénialisme : ce qui pousse les gens à rejeter la vérité

Document Charles Platiau.

Les réfractaires aux mesures anti-Covid-19 (II)

De nos jours les informations non fondées et les mensonges foisonnent sur Internet. Bien que représentant une minorité de la population, des gens parmi lesquels les complotistes et les dénégateurs continuent d'affirmer que la pandémie de Covid-19 est un complot mondial et que le virus est sans danger ! Certains individus en leur nom propre, y compris des élus ou des groupes de pression désinforment sciemment les internautes en affirmant par exemple que le Covid-19 est un virus mortel inventé par l'homme pour détruire certaines populations (complot américain contre la Chine, complot antisémite, invention des Gringos contre les Vénézuéliens, etc). Depuis les années 2000, les anti-vaccinalistes se sont joints à ce mouvement de rejet, encouragés par les propos mensongés d'Andrew Wakefield (cf. l'autisme et la vaccination ROR).

Il faut le dire clairement, par leur incivisme et leur irresponsabilité, les conspirationnistes et les anti-vaccinalistes mettent en danger la santé publique et sont virtuellement responsables de la mort de centaines de milliers de personnes à travers le monde. En effet, du fait qu'ils refusent de respecter les mesures de protection sanitaires et la vaccination, ils entretiennent la propagation du virus, ils contaminent des personnes fragilisées sur le plan immunitaire et empêchent d'atteindre rapidement l'immunité collective. De plus, ils sont responsables de la saturation des lits aux soins intensifs des hôpitaux par des patients Covid non vaccinés, au détriment de patients non-Covid de longue date qui attendent une intervention chirurgicale urgente et dont l'opération est reportée sine die. On peut alors se demander pour quelle raison les patients Covid non vaccinés donnent l'impression d'être prioritaires ? Plus d'un membre du personnel médical et de plus en plus de citoyens en commençant par les malades non-Covid ne trouvent pas cela juste ni éthique. D'ailleurs comme en 2020, depuis la fin 2021 la question éthique revient régulièrement au centre des débats politiques. On y reviendra à propos de la gestion de la crise sanitaire de Covid-19 (cf. La question éthique s'invite au débat).

Bien que peu nombreux, les anti-vaccinalistes sont tellement actifs sur les réseaux sociaux que Facebook (Meta) a été obligé de placer un avertissement sur les pages traitant de la Covid-19 et que YouTube supprime régulièrement des vidéos propageant des rumeurs.

L'avertissement inséré par Facebook depuis le 16 mars 2020 sur toutes les pages traitant du Covid-19 afin de permettre au lecteur de consulter des sources d'informations fiables et de première main. Le lien renvoie le lecteur vers le centre d'information qui relaye des publications officielles (ministère de la santé, ECDC, OMS, GAVI, etc).

A ce sujet, l'attitude des pro-Trump et autres "Covid-sceptiques" sont des exemples emblématiques de la dangereuse influence de certains politiciens et groupes complotistes à travers les médias et les réseaux sociaux sur une certaine frange de la population généralement en porte-à-faux de la normalité et influençable.

Au début de la pandémie, certains ministres visiblement mal informés affirmaient que ce n'était qu'une "grippe mais d'un type doux" (M.De Block en Belgique) ou comme le président Trump qui n'est pas à sa première déclaration stupide qui affirma par exemple que le "virus ne toucherait pas les Etats-Unis", que ce serait "moins grave que la grippe saisonnière" (cf. Reuters) ou que le virus disparaîtra avec le retour du temps chaud (cf. Twitter), quand il ne prétendit pas quelques jours plus tard ne jamais avoir prononcé ces paroles ou avoir été mal compris ! (cf. Politifact).

Malgré tout ce que l'on sait sur la génétique du Covid-19, ses mutations, ses voies de transmission et sa contagiosité, certaines personnes continuent à nier l'évidence et refusent catégoriquement de respecter les mesures de protection sanitaire voire même refusent toute vaccination sous les motifs les plus absurdes. Mais qu'elles visitent des patients Covid hospitalisés et discutent avec leurs proches, et elles changeront d'avis ! On y reviendra.

Outre la désinformation organisée par des groupuscules antivax et complotistes, une des raisons de ce rejet est le discours parfois contradictoire des autorités publiques et des conclusions de certaines études scientifiques, quand certains (pseudo) journalistes n'interprètent pas à leur façon les études scientifiques ou ne propagent pas eux-mêmes des rumeurs.

Un problème de communication

Les communications contradictoires

Dans toute crise et d'autant plus dans une société aussi médiatique que la notre, la communication est un élément clé pour informer la population, mais il faut le faire de manière appropriée. Nous verrons à propos de la gestion de la crise sanitaire de Covid-19 que des ministres, des autorités de la Santé et des chefs d'États se sont contredits à plusieurs reprises sur les dangers liés au Covid-19. Malgré les conseils de l'Euope, même entre États la communication n'a pas été harmonisée. Plus d'un an et demi après le début de la pandémie, il y avait toujours des décisions différentes d'un pays européen à l'autre, y compris entre pays limitrophes et des discours contradictoires, notamment de la part du CDC aux Etats-Unis dont la voix porte jusqu'en Europe.

Dans ces conditions, que doit penser la population ? Il y a d'un côté la majorité bien informée et consciente des risques qui suit à peu près les recommandations des autorités et de l'autre côté une minorité de citoyens généralement mal informés et peu critiques. Ces personnes se font leur propre opinion et n'entendent que les informations qui vont dans le sens qui leur plaisent, même si elles doivent payer leurs actes inciviques par une arrestation ou une amende, car elles estiment être dans leur bon droit, évidemment à tord.

On ne pourra jamais interdire à certaines personnes de croire ce qu'elles veulent ou aux personnes naïves d'écouter les anti-masques, les anti-vaccinalistes et autres complotistes. Mais on ne pourra pas non plus empêcher le pouvoir exécutif de faire respecter la loi et de sanctionner les imbéciles qui refusent d'admettre l'évidence.

La désinformation sur les applications de Facebook

Nous avons expliqué page précédente que les dénégateurs, les porteurs de rumeurs et autres "fakes news" jouent un rôle important sur les réseaux sociaux en publiant de fausses informations que les plus crédules croieront sans même réfléchir. Les administrateurs de Facebook sont bien conscients du rôle indirect qu'ils jouent en laissant ces messages circuler dans leurs applications.

Depuis des années chacun peut signaler à Facebook des messages ou des commentaires allant contre la charte du site ou bloquer des personnes qui publient de fausses informations. De leur côté, ces dernières années les administrateurs de Facebook ont supprimé des dizaines de millions de faux profils et des robots recherchent également des mots-clés indésirables dans les commentaires et les publications qui sont automatiquement bloqués et n'apparaissent plus sur le site.

Face à l'augmentation des faux profils et des fausses informations, depuis 2017 et notamment suite aux campagnes de dénégations en tout genre (complotistes, climato-sceptiques, pro-Trump, anti-vaccinalistes, etc), y compris d'origine étrangère, les administrateurs de Facebook ont décidé d'agir directement à la source en lançant des enquêtes approfondies.

Ainsi que l'explique Facebook sur sa page dédiée, "Nous travaillons constamment pour trouver et arrêter des campagnes coordonnées qui cherchent à manipuler le débat public dans nos applications [...] Nos équipes continuent de se concentrer sur la recherche et la suppression de campagnes trompeuses dans le monde entier, qu'elles soient étrangères ou nationales".

En juillet 2021, Facebook publia son rapport sur le "Coordinated Inauthentic Behavior" (CIB ou comportement non authentifié coordonné) qui rend compte de la situation sur les informations ayant été détectées et supprimées des applications gérées par Facebook. On apprend notamment dans ce rapport que Facebook a "supprimé deux réseaux de Russie et de Myanmar dont le réseau de Russie étant lié à Fazze, une société de marketing enregistrée au Royaume-Uni. Les informations récoltées par Facebook furent transmises à leurs partenaires de l'industrie, des chercheurs, des forces de l'ordre et des décideurs". Dans le cadre de cette opération, rien qu'en juillet 2021 Facebook supprima 144 comptes Facebook, 262 comptes Instagram, 13 pages et 8 groupes. Mais comme le reconnait Facebook, c'est un travail sans fin car tous les jours de faux comptes sont ouverts et de fausses informations sont publiées, et ce qui avait été supprimé hier revient aujourd'hui sous le pseudonyme ou le commentaire d'une autre personne ou d'un autre groupe.

Mais voyons le bon côté des choses : aujourd'hui les personnes qui propagent de fausses informations sont dans le collimateur des gestionnaires de réseaux sociaux et risquent parfois d'être poursuivies en justice. D'ici quelques années, on peut même espérer que l'Europe proposa une loi pénalisant les porteurs de rumeurs.

L'effet des études non validées

La désinformation et les rumeurs se propagent d'abord par des articles scientifiques non validés ou entachés de fraude. L'exemple le plus connu qui défraya la chronique est l'article du Dr Andrew Wakefield publié en 1998 dans la revue "The Lancet" sur la soi-disant relation entre l'autisme et la vaccination ROR sur lequel on reviendra en détails. Finalement des chercheurs démontrèrent que l'article était basé sur des données falsifiées et il fut rétracté en 2010. Mais entre-temps, l'article servit de "preuve" aux anti-vaccinalistes qui depuis n'ont cessé de prétendre que les vaccins tuent et d'essayer de convaincre les personnes hésitantes qu'elles doivent refuser la vaccination ! En réalité, les responsables de ces groupes de pression antivax ont des intérêts financiers dans cette désinformation et gagnent beaucoup d'argent en profitant de la détresse et de la crédulité de certaines personnes.

Le phénomène s'est amplifié lorsque des études scientifiques appliquant une mauvaise méthodologie et des résultats d'expériences inexacts ont exacerbé la désinformation à propos de la pandémie de Covid-19, incitant certaines personnes à refuser la vaccination et tout geste barrière, mettant en danger la vie même des citoyens. 

Comme dans le cas de l'article de Wakefield, même si l'étude est rétractée, le mal est déjà fait car des webzines d'actualités voire pseudoscientifiques ainsi que des sites Internet et des blog amateurs ont déjà diffusé l'information et beaucoup ne reviennent plus sur les articles publiés et ne mentionnent pas les rétractations et les errata. Ces publications erronées qui propagent des rumeurs augmentent donc le risque de désinformation.

Les informations inexactes sur les vaccins sont particulièrement dangereuses à un moment où l'utilisation des vaccins est remise en question et, où comme aux Etats-Unis, les autorités de la Santé (le CDC) ont affirmé que le vaccin contre le Covid-19 n'était pas efficace contre le variant Delta (cf. l'efficacité des vaccins contre les variants).

Prenons l'exemple de la revue médicale "Vaccines". Le 24 juin 2021, elle publia un article de Harald Walach, Rainer J. Klement et Wouter Aukema sur la politique de vaccination contre la Covid-19. Les auteurs conclurent que la vaccination contre le Covid-19 causait la mort de deux personnes pour trois sauvées, des résultats qui se sont rapidement propagés dans la presse anglophone et sur les réseaux sociaux.

Quelque 200 à 300 manifestants anti-masques rassemblés à Paris le 29 août 2020. Document Aurelien Morissard/Maxppp.

Un tweet du scientifique Robert Malone critique envers la vaccination résumait le document et fut retweeté un bon millier de fois. Des vidéos visant à désinformer furent également publiées par des élus conservateurs (républicains) dont Liz Wheeler et furent consultées des centaines de milliers de fois sur Facebook. Si le tweet de Malone fut supprimé, la vidéo de Wheeler est restée sur Facebook pendant quelques semaines.

L'éditeur de "Vaccines" a rapidement réagi et rétracta l'article le 2 juillet 2021, affirmant qu'il contenait "plusieurs erreurs qui affectent fondamentalement l'interprétation des résultats".

Au moins quatre membres du conseil d'administration de "Vaccines" ont démissionné suite à la publication de cet article, dont Katie Ewer, professeure agrégée et immunologiste principale à l'Institut Jenner de l'Université d'Oxford. Selon Ewer qui n'est pas impliquée dans cette étude, "On aurait dû reconnaître que ce document aurait un grand impact. Que personne au journal n'ait relevé cela... est très inquiétant, surtout pour un journal consacré aux vaccins".

Autre exemple, la revue "Medical Hypotheses" publia le 20 novembre 2020 un article de Baruch Vainshelboim, physiologiste du groupe de soins de santé VA Palo Alto du ministère américain des Anciens Combattants. Dans cet article intitulé "Les masques faciaux à l'ère du COVID-19 : une hypothèse de santé", l'auteur prétend "bien que les preuves scientifiques à l'appui de l'efficacité des masques faciaux fassent défaut, des effets physiologiques, psychologiques et sanitaires indésirables sont établis. Il a été émis l'hypothèse que les masques faciaux ont un profil d'innocuité et d'efficacité compromis et devraient être évités".

L'article fut seulement rétracté en juillet 2021. L'éditeur déclara qu'il citait de manière sélective des articles publiés et incluait des données "non vérifiées".

Début 2021, "The Gateway Pundit", un site Internet qui publie fréquemment de fausses informations, rapporta l'étude et déclara que le port du masque recommandé pour se protéger du virus et ralentir sa propagation, était "inefficace" et nocif ! Cet article fut partagé des dizaines de milliers de fois sous forme de lien ou de capture d'écran sur les réseaux sociaux, a été mis à jour pour indiquer que l'auteur de l'étude n'était pas affilié à l'Université de Stanford, mais il n'a pas mentionné la rétractation.

Certaines des plus grandes revues scientifiques, dont "The Lancet" et le "New England Journal of Medicine" (NEJM), ont retiré des articles liés à la pandémie au Covid-19, y compris un certain nombre d'études erronées. On y reviendra à propos de la fraude en science.

En revanche, certains journalistes comme ceux du quotidien français "Le Monde", sont prêts à accepter des conclusions scientifiques hâtives et trompeuses par patriotisme, sous prétexte qu'il s'agit d'une étude française ! Ce fut le cas d'une étude sur les Covid longs publiée en 2021 dans la revue JAMA" qui suscita la polémique en raison de son manque de méthode mais que le quotidien appuya sans émettre aucune critique. Nous sommes loin de la déontologie journalistique ! On y reviendra à propos des séquelles de la Covid-19.

Selon Maimuna Majumder, épidémiologiste computationnelle à la faculté de médecine de l'Université d'Harvard, les articles scientifiques ont attiré le public "d'une manière sans précédent", de sorte que les spécialistes doivent "faire un meilleur travail" pour expliquer leurs travaux à un public profane qui n'a peut-être pas les compétences pour les évaluer. "Toutes les études qui ont été produites et largement partagées pendant la pandémie n'ont pas été scientifiquement validées. C'est particulièrement troublant car des études mal réalisées se sont avérées capables d'influencer la prise de décision au niveau individuel pendant la pandémie, y compris celles relatives à la vaccination".

Rumeurs et fake news

"Fake News !" Combien de fois n'a-t-on pas entendu ces mots dans le bouche de Donald Trump. A croire qu'il a déposé l'expression et s'en réserve l'exclusivité !

Donald Trump n'a jamais été de bons conseils et sa politique fut un fiasco. Comme nous l'avons expliqué à propos de la "Triade Noire", c'est un cas pathologique au sens propre ! C'est un homme d'affaire narcissique tombé par hasard en politique et qui marche à l'instinct en espérant que le monde gobe ses paroles. Or comme tout populiste, il ne connait pas ses dossiers, ne s'y intéresse pas, il manipule l'opinion publique et ment en permanence. Bref, c'était un président incompétent et considéré comme le pire président de l'Histoire des États-Unis !

Mais il n'est malheureusement pas le seul...

Quand Wakefield fait son cinéma

En 2016, Andrew Wakefield qui fut totalement discrédité par l'Ordre des Médecins britannique, sortit un film conspirationniste intitulé "Vaxxed : From Cover-Up to Catastrophe". Dans ce film, il dénonce encore une fois les effets indésirables du vaccin ROR alors que ces soi-disant effets furent infirmés par de nombres études. L'une des dernières études importantes remonte à 2019 et fut réalisée auprès d'une cohorte de 657461 enfants au Danemark (cf. A.Hviid et al., 2019).

Les affiches du film conspirationniste "Vaxxed : From Cover-Up to Catastrophe" d'Andrew Wakefield sorti en 2016. A gauche, sa présentation à Atlanta en mai 2016. Au centre, une autre affiche. A droite, le dos du DVD réédité en 2017.

Jusqu'en 2020, ce film mensongé était encore disponible en DVD sur Amazon et est toujours proposé sur eBay, deux webmarchands qui n'assurent aucun contrôle sur le contenu des articles mis en vente et participent ainsi à la désinformation.

Des scientifiques français porteurs de rumeurs

Plus récemment, dans un article publié dans la revue "Frontiers in Public Health" le 19 novembre 2020, Jean-François Toussaint de l'Institut de Recherche bioMédicale et d'Epidémiologie du Sport (IRMES) de Paris et ses collègues ont minimisé la pandémie de Covid-19 et prétendu qu'il n'y avait aucun lien entre la sévérité du confinement et la mortalité liée au Covid-19 !

Vu les effets bénéfiques du confinement sur le taux de reproduction du virus et face à l'état de santé des patients Covid en soins intensifs, la conclusion des chercheurs parut plus que douteuse et même proche de la désinformation. Cet article mérite donc une analyse.

Les scientifiques français prétendent se référer à une étude publiée sur "medRxiv" (non validée), le 6 juin 2020 par des chercheurs de la Blavatnik School of Governement (BSG) de l'Université d'Oxford. Or, interrogés sur leur étude, plusieurs membres de l'équipe britannique affirment que leur étude indique en réalité exactement le contraire de ce que prétend l'équipe de Toussaint. En effet, l'étude britannique conclut : "Un degré plus faible de rigueur gouvernementale et des temps de réaction politique plus lents, sont associés à plus de décès liés au Covid-19".

Constatant que leur résultat était opposé à celui des Anglais, les chercheurs français ont-ils seulement pris la peine de contacter leurs collègues anglais pour discuter du sujet ? On peut en douter et cette paresse intellectuelle ne plaide pas en leur faveur et est un triste exemple de la prétention intellectuelle dont font preuve ces chercheurs français.

Si quelqu'un douterait des résultats de l'étude britannique qu'il se rappelle les effets des divers confinements et du strict respect des consignes sanitaires sur les courbes épidémiques (sur le nombre de cas de contamination comme sur le nombre de décès liés au Covid-19) qui effectivement ont permis de ralentir la propagation du virus et de réduire la valeur Ro < 0.7 comme on l'observa en France, en Belgique, au Luxembourg et ailleurs.

En conclusion, il est triste et désespérant pour l'image de la Science comme de l'intérêt du public que des universitaires ne collaborent pas au niveau européen et dérivent vers la pseudoscience. Pire, qu'ils trompent les lecteurs pour le prestige d'être publié et l'appât du gain ! Cette façon de manipuler la Science est très malsaine et doit être dénoncée. On reviendra sur la question de la fraude en science.

Quand des journalistes et des réalisateurs propagent des rumeurs

Ici on ne parle pas de la propagande chinoise qui transpire dans tous les médias établis en Chine mais celle propagée par les sites complotistes comme GlobalResearch (Mondialisation en version française) et par certaines journalistes sans éthique, y compris en Europe et notamment en France.

Hold-up. Retour sur un chaos (France)

Le 11 novembre 2020, le journaliste et réalisateur français Pierre Barnerias annonça sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter la sortie de son film "Hold-up. Retour sur un chaos" produit grâce à un financement participatif. Ce film est présenté comme un "documentaire" décrivant comment l'épidémie au Covid-19 a été déclenchée et traitée par les autorités, en particulier en France. L'auteur précise même que ce son film est "basé sur des faits et rien que des faits" ! Mais le préciser n'est-il déjà pas l'indice d'un doute sous-jacent ?

L'auteur prétend pas moins que le gouvernement, les experts scientifiques, les agences de santé, les grandes institutions internationales et les médias ont manipulé la population par leurs mensonges, leur incompétence et leur corruption (sic!). Mais ce film n'est-il pas lui-même diffusé par les médias ? D'entrée de jeu l'auteur se contredit !

"Hold-up. Retour sur un chaos" de  Pierre Barnerias.

Le problème est qu'à l'image de la fin du mandat de Donald Trump, Barnerias n'accorde aucune place au débat contradictoire (seul un intervenant l'évoque, le Dr Michael Levitt mais pour arriver à des conclusions erronées), il n'apporte aucune preuve de ses allégations et extrapole des informations puisées ci et là dont il fait un amalgame pour tirer des conclusions hâtives et incohérentes.

Feignant l'innocence et la liberté d'expression lors d'interviews visant à le discréditer, le réalisateur se barde de prétextes et évoque des clichés surannés pour tenter de défendre son film.

S'il est vrai qu'au début de la pandémie les gouvernements furent critiqués pour leur gestion de la crise, c'était aussi une expérience nouvelle pour tout le monde, dont chacun à tirer des leçons.

En dépi de toute logique narrative, l'auteur soi-disant "journaliste" mais qui n'en respecte par la déontologie a interviewé pêle-mêle et sans discernement des scientifiques, du personnel médical, des politiciens, des prix Nobel et même des chauffeurs de taxi sans même les avertir que leurs réponses serviraient un documentaire.

Visiblement trompés par la finalité du film ou cités par le réalisateur, Philippe Douste-Blazy, ancien ministre français de la santé s'est d'ailleurs désolidarisé du film comme il le déclara dans un tweet ainsi qu'une autre intervenante. L'Institut Pasteur a déposé plainte en diffamation contre le réalisateur du film ainsi que contre plusieurs auteurs de vidéos à tendance complotistes, diffusées sur Internet (cf. Libération).

Pierre Barnerias a interviewé des soi-disant scientifiques de renom mais dont l'éthique est discutable ou qui furent disgraciés. Luc Montagnier par exemple a été renié par l'Institut Pasteur. Pascal Trotta ne croit pas à l'origine naturelle du virus. Christian Perronne fut radié de ses fonctions professionnelles pour théorie complotiste. Le diplôme en anthropologie de Jean-Dominique Michel fut obtenu dans une académie anglaise qui n'existe pas. Le biophysicien Michael Levitt fait des généralités à partir de cas particuliers. La généticienne Alexandra Henrion-Claude s'oppose aux mesures de confinement et aux gestes barrières, etc. Ce film est truffé d'interviews de pseudoscientifiques ou de scientifiques ayant dérivé dont les propos ont très souvent été dénoncés !

Histoire de meubler et se donner des airs "sérieux", l'auteur assomme aussi le spectateur de chiffres et de schémas qu'il est impossible de fixer et encore moins d'interpréter mais cette mise en image peut influencer les plus naïfs.

L'auteur fait également passer dans la voie off illustrée d'un décor sonore grandiose des commentaires mensongés ou certainement mal interprétés sur les raisons du confinement ou le rôle des instituts de santé notamment. Elle évoque aussi la peur et les menaces en faisant référence à des clichés comme Hitler, Big Brother ou le transhumanisme, des raccourcis qui mal interprétés par le téléspectateur peu critique lui donneront une image biaisée de la réalité.

Des esprits critiques objectifs et des journalistes scientifiques ont relevé d'innombrables "fakes news" et des incohérences dans ce film qui suscita de nombreuses réactions pour ne citer que la série de tweets de Gauthier Repetto.

La revue "Science et Avenir" a également répondu au film en reprenant point par point dans plusieurs articles les pseudo-arguments de Barnerias qu'elle démolit en quelques phrases. Le journal "Le Monde" a aussi remis les pendules à l'heure. Les chaînes de télévision TV5 Monde et LCI parmi d'autres ont également dénoncé les contre-vérités de ce film qui ressemble plus à de la propagande pro-complotiste qu'à un documentaire digne de ce nom.

Ceci n'est pas un complot (Belgique)

Quelques mois plus tard, le réalisateur belge Bernard Crutzen utilisa la même approche dans son film "Ceci n'est pas un complot" quoique... En effet, dans ce pseudo documentaire qui a été financé par crowdfunding, l'auteur dénonce la manière dont la crise sanitaire a été médiatisée en Belgique. Mais pour conforter ses propos, l'auteur a utilisé la méthode classique des complotistes : interviewer des personnes écartées des discours officiels et des antennes comme le médecin anesthétiste Pascal Sacré, licencié pour faute grave du Grand Hôpital de Charleroi pour ses opinions sur la gestion de la crise sanitaire publiés sur les réseaux sociaux (cf. Sens & Symboles, un site complotiste).

"Ceci n'est pas un complot" de Bernard Crutzen.

Comme le font tous les complotistes, l'auteur sort les explications de leur contexte pour proposer des avis peu nuancés et qui manquent de précision pour faire croire aux internautes que nous sommes "victimes d'une manipulation de masse en vue d'instaurer un régime liberticide à partir d'omissions, de mensonges, de manipulations et d'informations sensationnalistes". A chacun de juger.

Visé indirectement par son contenu, le journaliste Arnaud Ruyssen de la RTBF analysa en détail ce film qui présente les médias "comme des manipulateurs complices de l'avènement d'un régime autoritaire". Rien d'étonnant direz-vous quand on connaît les thèses que défendent les complotistes qui prétendent que le Covid-19 est un moyen pour l'État de mettre légalement en place une politique liberticide, un slogan que reprennent en coeur les étudiants sans même réfléchir à ce qu'ils disent... 

Selon Ruyssen, ce film "minimise complètement le coeur du problème de cette épidémie... à savoir le risque de faire exploser notre système hospitalier. Il rappelle dans son analyse ce qu'a toujours dit le ministre de la Santé et les experts : "un hôpital saturé, cela a des répercussions en cascade sur toutes les autres pathologies à soigner et donc sur la société dans son ensemble". Mais nous savons que les complotistes n'entendent que midi à leur porte et retournent souvent la charge de la preuve à leur avantage comme de croire que tout ce que confirment les scientifiques est forcément faux et vice versa !

Malgré toutes les critiques qui déservent ces films, ils attirent un certain public mal informé et peu critique qui n'entend que la vérité qui lui plaît, même fausse, et non la vérité scientifique. On y reviendra à propos du dénialisme.

Si la liberté d'expression est encouragée en démocratie et ne nuit à personne, elle peut devenir un problème personnel en cas de diffamination ou de jugement non contradictoire. Comme le trumpisme, la banalisation des mensonges peut affecter la société lorsque ce comportement est exploité au bénéfice d'un pouvoir autoritaire. On ne peut donc pas laisser circuler ce genre de film complotiste sans réagir.

Les Covid-sceptiques

A côté des colporteurs de rumeurs et des complotistes, il y a les Covid-sceptiques, des personnes qui ne croient pas en l'existence du virus et de la Covid-19 jusqu'à mourir pour défendre leurs idées.

L'infirmière Jodi Doering témoignant de son expérience des patients "Covid-sceptiques" sur CNN le 16 novembre 2020.

Aux Etats-Unis, Jodi Doering, une infirmière exerçant dans le Dakota du Sud, alerta les médias dont CNN le 16 novembre 2020 sur le fait que certains de ses malades en phase aiguë de la Covid-19, refusent encore de croire à la maladie et estiment "qu'il doit y avoir une autre raison pour laquelle ils sont malades". Ils sont persuadés qu'ils ont la grippe, une pneumonie ou même un cancer mais surtout pas la Covid-19 puisqu'ils n'y croient pas ! (cf. ce tweet de New Day).

Dans l'interview publiée sur Twitter, elle déclara à propos de ces patients Covid-sceptiques : "Ils vous insultent et vous demandent pourquoi vous devez porter tous ces trucs (les protections des professionnels de santé) parce qu'ils n'ont pas la Covid, parce que ce n'est pas réel".

Pire, Jodi Doering déclara que ces patients meurent parfois sans avoir contacté leur famille : "Alors qu'ils devraient passer ces moments à appeler leur famille, ils sont remplis de colère et de haine. Quand on essaye de les raisonner, en leur demandant si on peut appeler leur famille, leurs enfants, leur femme, leurs amis, leur frère, ils disent "non parce que je vais aller mieux". Et vous, vous regardez leur taux d'oxygène baisser..." (cf. ce tweet de New Day).

Heureusement, Jodi Doering soignent aussi des patients Covid plus compréhensifs mais l'infirmière voulut témoigner sur CNN "parce que ce n'est pas le cas d'un seul patient" mais bien une situation répétée entretenue par les propos irresponsables du président Trump et des groupes de pression anti-Covid-19.

Afin de sensibiliser les personnes qui seraient encore sceptiques sur la dangerosité de la Covid-19, l'interview de Jodi Doering fut reprise par de nombreux webzines, y compris francophones.

On pourrait aussi citer des personnes plus connues qui ont refusé la vaccination sous le prétexte que nous n'aurions pas assez de recul pour évaluer la dangerosité du vaccin et qui ont succombé à la maladie. Il y eut notamment les frères Bogdanoff. En revanche, il est vrai qu'une poignée de personnes vaccinées sont également décédées d'une thrombose dont la mannequin bréslienne Valentina Boscardin âgée de 18 ans. Mais cela reste exceptionnel.

Les croyants

Si on peut considérer les conspirationnistes et les anti-vaccinalistes comme des gens sectaires, la religion a aussi sa part de responsabilité dans la désinformation. En effet, il y a des croyants au sens spirituel tout aussi dangereux que les groupes de pression civils. Certains croyants comme le président brésilien d'extrême-droite Jair Bolsonaro prétend que le virus est "l'oeuvre de satan", ce qui lui valut la désapprobation de la majorité des maires du pays.

D'autres croient qu'ils seront épargnés par le virus par la "grâce de Dieu" ou qu'une incantation ou une bénédiction sauvera les fidèles (cf. K.Copeland), au point que certains chrétiens protestants se croient immunisés par "le sang de Jésus" coulant dans leurs veines (cf. CNN). Cette réaction obligea aux moins 14 États américains à laisser les églises ouvertes malgré le confinement !

Selon un sondage Gallup réalisé en 2018, près de 40% de la population américaine estime qu'il est important de laisser les églises ouvertes car cela leur permet de communier et de prier ensemble pour "sauver l'humanité du virus", faisant ainsi le lien entre le message messianique du président Trump et celui du Pape. Si 51% des Américains considèrent que la religion est très importante, 37% seulement des Américains considèrent que les religieux ont une éthique élevée ou très élevée. Mais cela ne les empêchent pas de croire les sermons des pasteurs.

A gauche, durant les fêtes pascales, la célébration du Jeudi Saint le 9 avril 2020 par le pape François eut lieu dans la Basilique Saint-Pierre vidée de ses fidèles et où la distanciation sociale fut respectée. Voir la vidéo sur YouTube. Document Alessandro Di Meo/Pool/AFP. A droite, alors que la pandémie de Covid-19 sévissait toujours, lors d'un discours en mai 2020, le cardinal américain Raymond L. Burke déclara : "Bien que l'État puisse fournir des réglementations raisonnables pour la sauvegarde de la santé, il n'est pas le fournisseur ultime de la santé. Dieu l'est". Il refusait de porter un masque facial. Le 10 août 2021, il déclara qu'il avait été testé positif au Covid-19 et une semaine plus tard il était sous ventilateur (cf. CNN).

Mais il ne faut pas croire qu'il n'y a qu'en Amérique que les Chrétiens sont endocrinés et n'ont pas peur du virus. En Italie, en Espagne et au Portugal, la religion est au coeur de la vie de la plupart des citoyens.

Mais il ne faut pas non plus considérer a priori que tous les Croyants sont anti-Covid. En France, il existe une communauté protestante d'Évangéliques appelée l'Église de la Porte Ouverte Chrétienne dont le siège est à Mulhouse. Sa réaction face à l'épidémie est toute différente des communautés américaines. Juste avant le confinement, des fidèles furent contaminés lors d'un rassemblement et neuf d'entre eux sont décédés. Cela créa une nouvelle polémique car la région de Mulhouse est l'un des "clusters" d'où se propagea l'épidémie en France. La préfète du Grand Est et du Bas Rhin, Josiane Chevalier, mit en cause la responsabilité de cette Église. Le responsable s'en est défendu, regrettant des propos infondés et stigmatisants. Il déclara que si on l'avait informé avant qu'il y avait des personnes contaminées parmi les membres, il n'aurait jamais organisé ce rassemblement (cf. RTL, La Croix).

Il semble que nous ayons encore beaucoup du chemin à faire pour éduquer la population, lui apprendre à développer son sens critique, pour balayer cet obscurantisme politique ou religieux quand il ne s'agit pas de dénégation pure et simple !

Facteurs rendant certaines personnes sensibles à la désinformation sur la santé

Dans une étude publiée en 2021 parrainée par l'Université du Kansas, Hong Tien Vu, professeur adjoint de journalisme et de communication de masse et Yvonnes Chen, professeure associée de journalisme et de communication, ont examiné les facteurs incitant les internautes à être sensibles aux fausses informations sur la santé, les fameuses rumeurs et autres "fake news".

Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont partagé avec plus de 750 participants huit versions d'une rumeur affirmant qu'une carence en vitamine B17 pouvait provoquer un cancer. Les chercheurs ont ensuite mesuré si la façon dont l'article était présenté - y compris les références de l'auteur, le style d'écriture et si l'article était qualifié de "suspect" ou "non vérifié" - affectait la façon dont les participants percevaient sa crédibilité et adhéreraient aux recommandations de l'article ou le partageraient sur les réseaux sociaux. Les résultats ont montré que la présentation de l'information n'influençait pas la façon dont les gens la percevaient et que seule l'efficacité des médias sociaux jouait un rôle dans la décision des internautes.

Document IFLA.

Dans une version, l'article bidon comprenait la signature d'un médecin, y compris une brève description de ses diplômes médicaux. Dans une autre version, l'auteur a été décrit comme étant mère de deux enfants avec une formation en écriture créative. Dans une autre version, il s'agissait d'une blogueuse des modes de vie. Certaines versions suivaient un style journalistique, tandis que d'autres utilisaient un langage plus informel.

Selon Vu, "nous voulions tester deux compétences qui sont souvent utilisées dans les programmes de formation aux médias à travers le monde, les références de l'auteur et le style d'écriture, ainsi que le signalement. Les résultats suggèrent que compter sur les membres du public pour faire le travail afin de déterminer les fausses actualités peuvent être un long chemin à parcourir. Lorsque les gens doivent évaluer la crédibilité d'une information, cela nécessite un travail mental. Lorsque nous surfons sur le web, en général nous avons tendance à nous fier aux grandes entreprises technologiques pour vérifier les informations".

Selon les chercheurs, les participants qui ont utilisé le plus efficacement les médias sociaux ou qui étaient plus avertis dans l'utilisation de la technologie, ont évalué les informations et ont déclaré qu'ils avaient peu de chances de partager l'article. L'orientation en matière de santé ou le fait que les participants recherchent ou non des informations sur la santé, ne joue aucun rôle dans le discernement de l'exactitude des informations. Cela reste toutefois important car les personnes très intéressées par les informations sur la santé ont plus de chances de partager les nouvelles découvertes, qu'elles soient crédibles ou non.

Les résultats ont montré que les références de l'auteur et la manière dont l'histoire était écrite ne présentaient pas de différences significatives sur la façon dont les lecteurs percevaient sa crédibilité, adhéreraient à ses recommandations ou la partageraient. Cependant, ceux qui ont noté que l'article présenté était signalé ne recherchaient pas une information vérifiée et avaient beaucoup moins de chances de le considérer comme crédible, d'adhérer aux recommandations ou de le partager.

Bien que l'étude fut réalisée avant la pandémie de Covid-19, les conclusions des auteurs restent particulièrement pertinentes car la désinformation et les informations politisées sur la pandémie ont proliféré. Cela montre que la désinformation apparemment anodine peut également être dangereuse.

Vu souligne que le problème de la désinformation est plus surnois qu'il parait : "Le problème avec les études sur les rumeurs est que le sujet est très politisé. Les fausses informations peuvent également concerner un sujet qui n'est pas politisé ou polarisant. Parler de vitamine B17 semble inoffensif, mais les gens y croient. Les gens peuvent consacrer du temps, de l'argent et des efforts à essayer de trouver un remède, et cela peut être très dangereux si vous ne suivez pas les conseils d'un médecin et que vous tombez sur de fausses informations".

Selon les auteurs, le fait que toute sortes d'informations signalées aient retenu l'attention des lecteurs et qu'ils les aient partagées montre à quel point il est important pour les grandes entreprises technologiques telles que les plate-formes des réseaux sociaux de vérifier les informations ou d'étiqueter le contenu contenant des informations fausses, non vérifiées ou dangereuses.

Vu conclut : "Chaque fois que nous voyons des informations signalées, nous devons élever immédiatement notre scepticisme - notre sens critique -, même si nous ne sommes pas d'accord avec elles. Les grandes entreprises technologiques ont un rôle très important à jouer pour garantir un environnement informatif sain et propre".

La démocratie en péril

La démocratie est un système politique qui permet aux citoyens de prendre leur destin en main. Mais elle est fragile car les processus démocratiques peuvent être mis à mal par des groupuscules ou un parti extrémiste et même par un premier ministre épris de pouvoir, imprévisible ou narcissique (cf. Boris Johnson et Donald Trump).

Il y a 2400 ans, dans "La République" Platon écrivit cette vérité universelle : "Selon toute vraisemblance, aucun autre régime ne peut donner naissance à la tyrannie que la démocratie; de la liberté extrême naît la servitude la plus complète et la plus terrible." Sans même évoquer l'esclavage, l'intolérance et l'idéologie de certains individus nous montrent que l'Histoire lui donna raison et pas plus tard qu'en 2021.

Le pouvoir d'un pays démocratique n'est pas absolu et l'autorité doit pouvoir encadrer les courants extrémistes et être capable de débattre avec son pire ennemi tout en imposant des limites et un recentrage des priorités. C'est actuellement ce pouvoir d'encadrement qui manque dans les démocraties les plus laxistes, notamment aux Etats-Unis et en Europe de l'Ouest. Ce sont ces faiblesses politiques qui furent à l'origine du Brexit et de la marche des pro-Trump contre le Capitole le 6 janvier 2021.

Jake Angeli, sympatisant du groupe "QAnon" et qui se fait appelé "QAnon Shaman" face aux forces de l'ordre à l'intérieur du Capitole à Washington, le 6 janvier 2021. A travers ses tatoutages Angeli revendique le wotanisme, une idéologie raciste, antisémite et néonazie. Le président Trump ne s'est jamais opposé aux idées de ces groupes radicaux. Document Saul Loeb/AFP.

Pour éviter que les "fake news" dont les propos non fondés des anti-vaccinalistes, des climato-sceptiques et autres complotistes publiés sur Internet et en particulier sur les réseaux sociaux, les forums et les blogs ne minent les valeurs fondamentales des démocraties, de plus en plus de réseaux sociaux et forums sont modérés et les modérateurs n'hésitent pas à supprimer les commentaires et documents (photo, vidéo ou sons) ne respectant la charte éthique du site, notamment concernant les propos xénophobes, racistes, haineux, sexistes, pornographiques, pédophiles ou incitant à la violence parmi d'autres sujets potentiellement criminels.

Sur les réseaux sociaux les plus fréquentés comme Facebook, SnapChat ou Twitter, grâce à l'intelligence artificielle, des algorithmes sont en mesure d'identifier les commentaires en violation avec leur charte éthique dont le compte du propriétaire peut être suspendu ou clôturé.

Ainsi, lorsque Donald Trump publia des propos mensongers et des rumeurs sur Twitter, ce dernier n'a pas hésité à mettre les commentaires à l'index. Puis via Twitter, Donald Trump incita ses supporters à marcher sur le Capitole le jour où se déroula le processus de validation de l'élection de Joe Biden par les sénateurs. Si en soi cette marche était légitime, elle conduisit au décès de cinq personnes dont un policier et blessa une cinquantaine de représentants des forces de l'ordre. Deux jours plus tard, Twitter décida de clôturer le compte personnel de Donald Trump sous le motif "qu'il représentait un risque d'incitation à la violence". Juste après YouTube suspendit la chaîne YouTube de Donald Trump pour le même motif pendant une semaine.

"Trop c'est trop" déclara le sénateur républicain Donald Burr qui se désolidarisa de Donald Trump, s'ajoutant à la dizaine d'autres Républicains qui finirent par ne plus supporter ses idées. Le Conseil de l'Europe et des chefs d'États occidentaux ont également condamné cet acte. Même le pape François condamna les instigateurs de cet acte de violence au Capitole. Mais on n'entendit aucune désapprobation de la part de la Chine ou de la Russie. Seul, le président modéré iranien Hassan Rohani reconnut malheureusement que "la démocratie occidentale est fragile et vulnérable", ce qui en dit long sur l'état du monde en 2021.

Ce qui s'est passé au Capitole était un acte choquant et indigne d'un parti démocratique dans lequel on retrouva des pro-Trump et des membres du groupe QAnon qui est considéré par le FBI comme un groupe potentiellement source de terrorisme intérieur (cf. CBS). L'activiste Jake Angeli qui est un sympatisant de QAnon et des dizaines d'autres participants clairement identifiés sur les photos publiées dans la presse furent arrêtés peu après leur action. Une seconde procédure de mise en accusation (impeachment) puis en destitution contre Donald Trump furent ensuite demandées par les élus démocrates à la Chambre des représentants. Malheureusement la majorité républicains s'y opposèrent.

La fin du mandat de Trump et l'incarcération de ses sympatisants qui ont marché sur le Capitole ne signifie pas que le trumpisme ou les complotistes ont perdu leur combat. Si Donald Trump a pratiquement été réduit au silence dès la fin de son mandat, il connaît très bien le pouvoir des médias et va certainement les exploiter. Rien n'empêche Trump et ses supporters de se rassembler dans un nouveau parti politique (on cite The Patriot), de créer un nouveau réseau social, une radio, une télévision (il existe déjà des chaînes de TV pro-Trump) ou un journal privé qui serait géré par des républicains ou des complotistes complaisants envers leurs membres et l'idéologie de QAnon. Mais en cas d'incitation à la haine ou à la violence, rien n'empêche non plus le FBI de mettre fin à leurs activités.

Certaines voix dont celles du fils de Donald Trump, des supporters républicains, de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon et de quelques journalistes français se sont élevées pour dénoncer la fermeture du compte de Donald Trump par Twitter sous le prétexte de la liberté d'expression. En revanche, le "Washington Post" et tous les médias pro-démocrates approuvèrent la décision de Twitter. On constate donc un clivage gauche-droite dans ces opinions.

Interdire à une personne de communiquer sur un réseau social est-il anti-démocratique ? D'abord, le responsable d'un site Internet privé a toujours le droit de fermer le compte d'un utilisateur sans être obligé de motiver son acte (même une entreprise commerciale comme le géant Amazon peut clôturer le compte de n'importe quel client si l'envie lui prend, même si cela doit se terminer devant la justice). Ensuite, cela dépend des propos de l'auteur. Comme Facebook ou Google, Twitter n'empêche personne de s'exprimer mais empêchera toujours les internautes de propager des rumeurs sources d'instabilité sociale, de calomnier ou de porter préjudice à une personne ou une entreprise, et aux agitateurs d'utiliser les réseaux sociaux pour appeler leurs supporters à commettre des actions violentes. D'ailleurs, au quotidien de tels actes sont réprimés. Aujourd'hui, ces personnes ne peuvent plus se cacher derrière l'anonymat des réseaux sociaux et des forums de discussions. Si beaucoup considèrent qu'il était temps de fermer le compte de Donald Trump, on peut se demander pourquoi Twitter mit des années pour réagir alors que les faits étaient établis depuis longtemps.

Nous verrons dans l'article consacré à l'usage d'Internet que l'Europe envisage une loi contre la désinformation. Ce jour là on pourra dire qu'Internet aura retrouvé sa santé mentale.

En guise de conclusion

En ce troisième millénaire, l'évolution du comportement des dénégateurs et autres complotistes et notamment leur plus grande visibilité grâce à Internet et un support grandissant d'une certaine frange de la population signifie qu'il n'est plus possible d'éviter un certain nombre de problèmes déconcertants et potentiellement sources de troubles. Comment par exemple répondre aux personnes qui ont des idées et des mœurs radicalement différents des nôtres ? Comment répondre aux personnes qui aiment ou sont indifférentes au génocide, à la souffrance de millions de personnes, à la vénalité et à la cupidité ? Comment répondre à des personnes égoïstes, racistes, sexistes, sans éthique et sans scrupules ? Comment dans ses conditions défendre les principes démocratiques, l'humanisme et la science désintéressée parmi d'autres valeurs fondamentales de notre société ?

Il est difficile de dire si les climato-sceptiques aspirent secrètement au chaos et à la souffrance qu'entraîne le réchauffement planétaire, s'ils sont simplement indifférents à ce phénomène ou s'ils aspirent désespérément à ce que ce ne soit pas le cas mais sont submergés par le désir de garder les choses en l'état. De même, il est difficile de dire si les négationnistes préparent le terrain pour un autre génocide ou veulent préserver une image immaculée de la bonté des Nazis et du mal des Juifs. Il est tout aussi difficile de dire si les anti-vaccinalistes du SIDA travaillent pour empêcher les Africains d'avoir accès aux antirétroviraux afin qu'ils gagnent eux-mêmes le combat de la vie contre la mort, ou s'ils sont en mission pour les préserver des maux de l'Occident. Même chez les anti-Covid-19, il est difficile de comprendre pourquoi un patient préfère mourir de la maladie que d'annoncer à ses proches qu'il est atteint de la Covid-19 et est gravement malade.

Ce nouveau royaume du post-dénialisme connecté - les internautes dans le déni consultant les discours dénialistes en ligne - tend à se répandre en prenant exemple sur l'attitude de Trump. Avec des actes gratuits mais criminels comme la marche sur le Capitole, nous savons à présent où nous en sommes; au lieu de courir après les ombres, nous pouvons observer les choix moraux auxquels ces dénialistes et complotistes aspirent et auxquels nous seront peut-être bientôt confrontés si les défenseurs de la démocratie n'y prêtent pas attention et ne réagissent pas.

Face à la montée du dénialisme, peut-être avons-nous mis notre incrédulité trop longtemps à l'épreuve et ignoré les signaux d'alerte, ce qui est également une forme de déni ! Mais au moins nous en avons conscience et prenons la mesure du risque.

Dans nos démocraties, la chance d'avoir la liberté d'exprimer nos désirs nous empêche d'être les témoins objectifs de notre époque et de faire face à des questions éthiques très difficiles du genre : qui sommes-nous en tant qu'espèce ? Avons-nous tous - à part les sociopathes - une base morale commune ? Comment apprécier les personnes dont les idées sont radicalement différentes des nôtres ? Si nous sommes capables d'appréhender ces révélations, cela pourrait nous entraîner dans une nouvelle voie constructive dans laquelle le monde politique accepterait de discuter des idées les plus extrêmes. Cela pourrait constituer une base pour relancer un certain espoir de progrès pour l'humanité, fondé non pas sur des illusions de ce que nous aimerions être, mais sur un compte rendu objectif de ce que nous sommes. Bien sûr, vu l'influence grandissante des groupes extrémistes de gauche comme de droite dans le monde, on peut douter que l'humanité atteigne un jour la sagesse nécessaire pour entrevoir paisiblement et sereinement ce futur.

Pour plus d'informations

En français

Les avantages de la vaccination (sur ce site)

Psychologie des personnes réfractaires aux mesures anti-Covid-19 (sur ce site)

Internet pour le meilleur et pour le pire (sur ce site)

Fake News et désinformation, EduScol

Psychologie des croyances, Thierry Ripoll, Sciences Humaines, 2020

Complots et paranoïa: La vérité sur les théories de la conspiration, Guillaume Lebeau, City Edition, 2019

Théories du complot, Will Bryan et al., Editions de l'Imprévu, 2018

Au cœur des théories du complot, Christian Doumergue, Opportun, 2017

En sciences, votre meilleure conseillère est la surprise, Julia Galef, Slate, 2015

Déni, négation et dénégation : aspects psychopathologiques et cas cliniques, Marina Litinetskaia, Annales Médico-psychologiques, 2013

Le dénialisme scientifique (ou négationnisme de la science), par Alan Vonlanthen, Podcast, 2011

La montée du dénialisme, Revue Médicale Suisse, 2009

Vaccination contre la rougeole et "dénialisme scientifique", InfoVac, 2009

L'empire des croyances, Gérald Bronner, PUF, 2003/2018

Chronologie du négationnisme, USHMM

En anglais

Liste de publications sur les effets psychologiques de la pandémie de Covid-19, U.Sheffield

17 times Donald Trump said one thing and then denied it, Politifact

Flat Earth: What Fuels the Internet's Strangest Conspiracy Theory?, Stephanie Pappas, Live Science, 2018

Scientists Say They've Found The Driver of False Beliefs, And It's Not a Lack of Intelligence, ScienceAlert (extrait de "Open Mind", 2018).

Creationism and conspiracism share a common teleological bias, Pascal Wagner-Egger et al., Current Biology, 2018

Fake news : l'histoire secrète de leur succès, Pour la Science, 2018

"Denial: The Unspeakable Truth", Keith Kahn-Harris, Notting Hill Editions, 2018

Are antivaxers “holding science hostage”?, David Gorski, 2018

Connecting the dots: Illusory pattern perception predicts belief inconspiracies and the supernatural, Jan-Willem van Prooijen et al., EJSP, 2017

How climate scepticism turned into something more dangerous, The Guardian, 2017

This Former NASA Engineer Has Debunked Pretty Much Every Online UFO Sighting, Science Alert, 2017.

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