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La formation du système solaire

La phase T Tauri (IV)

Le jeune Soleil au stade T Tauri Classe II. Document T.Lombry.

L'étoile T Tauri située à environ 478 années-lumière dans la constellation du Taureau fut découverte en 1852 par le chasseur d'astéroïde britannique John Russell Hind et fut d'abord considérée comme une étoile variable car sa magnitude apparente oscillait entre 10 et 14. Par la suite, plusieurs astronomes dont E.E. Barnard et S.W. Burnham la scrutèrent en détail et découvrirent à proximité une nébulosité dont la brillance fluctuait en quelques années. On la dénomma la nébuleuse de Hind, cataloguée NGC 1555 ou Shapley 238. On se rendit alors compte qu'il ne s'agissait pas d'une nébuleuse de réflexion mais d'une enveloppe de gaz d'un autre type. Il fallut attendre 1890, soit près de 40 ans après sa découverte pour que l'astronome Shelburn Wesley découvre que T Tauri se trouve au coeur d'une petite nébuleuse d'environ 4" dans sa plus grande dimension. Mais sa nature et son origine restaient inconnues.

Par un heureux hasard, à quelque 30" à l'ouest de la nébuleuse de Hind se trouve un autre objet similaire, l'objet Herbig-Haro HH30 dont une photographie est présentée un peu plus bas.

Grâce au télescope Hooker de 2.5 m du Mont Wilson, en 1945 l'astronome Alfred Joy décrivit pour la première fois la nature de T Tauri citant parmi ses caractéristiques physiques : "1) des variations lumineuses d'environ 3 magnitudes, 2) un type spectral F5-G5 avec des raies d'émission ressemblant à celles de la chromosphère solaire, 3) peu lumineuses et 4) associée à des nébulosités sombres et brillante. [...] Les caractéristiques 1-4 sont probablement liées physiquement et forment ensemble un type stellaire distinct."

Par la suite l'astronome George Herbig de l'Université d'Hawaï affina les critères de Joy sur base d'analyses spectroscopiques révélant la présence des raies d'émissions du Ca H et K, Ca II, Fe I et [S II] qui seront complétées par la découverte du spectre d'absorption du lithium Li I à 6707 Å par Leonard Kuhi et Lawrence Cram en 1989, preuve de la jeunesse de cet astre car cet élément est rapidement détruit dans le coeur protostellaire.

Aujourd'hui, nous savons que T Tauri est de classe spectrale G5 V et est un jeune système né il y a quelques millions d'années assez semblable à ce que le système solaire devait ressembler il y a 4.58 milliards d'années. L'étoile principale (T Tau N) qui est aussi la plus jeune fait partie d'un système triple (cf. cette analyse de R.Köhler at al.) et est actuellement au stade Pré-Séquence principale. La partie la plus dense de la nébuleuse protostellaire qui l'entoure présente une masse d'environ 10000 M et continue actuellement de s'effondrer sur la protoétoile T Tau N qui n'a atteint qu'environ 1% de sa masse définitive. T Tauri ne commençera le processus de fusion thermonucléaire que dans plusieurs millions d'années.

 A gauche, localisation de T Tauri dans le ciel (Asc.Dr.: 4h 21m 59.4s, Décl.:+19° 32′ 6.4"). Le champ couvre environ 30° entre Aldébaran (α Tauri) et les Pléiades (M45). Le Nord est dans la direction du coin inférieur gauche. Voici la carte annotée. Document T.Lombry adapté de Simbad. Au centre, une image LRGB de la nébuleuse de Hind, NGC 1555 (en orange,) abritant T Tauri photographiée par Bill Snyder avec un astrographe Planewave Dall-Kirkham de 430 mm f/6.8 équipé d'une caméra CCD Apogee U16. Temps total d'intégration de 16.3 heures. A droite, l'étoile T Tauri photographiée en infrarouge par le CFHT. Le halo bleuté est constitué d'un mélange de poussières circumstellaires et des résidus de gaz ayant donné naissance à T Tauri. Cet astre est en fait un système triple dont les deux principales composantes sont visibles au centre et légèrement au sud-est de l'image.

Ses deux compagnons T Tau Sa et T Tau Sb orbitent l'une autour de l'autre mais ne sont pas visibles car le compagnon Sa émet surtout dans l'infrarouge tandis que Sb émet dans le domaine radio. Selon Köhler et son équipe qui ont étudié ce système grâce au VLA, un quatrième compagnon T Tau Sc pourrait exister près de la composante Sb car une radiosource compacte suit une trajectoire distincte des deux compagnons.

Nomenclature

Les étoiles T Tauri sont classées en différentes catégories selon leurs propriétés physiques et spectrales :

- les T Tauri classiques ou CTTS pour "Classical T Tauri Stars" : elles possèdent un disque d'accrétion affichant des raies d'émissions larges

- les T Tauri à raies faibles ou WTTS pour "Weak-line T Tauri Stars" : elle présentent un disque d'accrétion très ténu et donc des raies spectrales pâles et assez fines

- les T Tauri nues ou NTSS pour "Naked T Tauri Stars" : elles présentent des raies spectrales fines et bien différenciées. Ces étoiles n'étant pas voilées par des nuages de poussière, elles permettent sans difficulté d'observer et d'étudier les premiers stades de la formation des protoétoiles.

Notons que les Anglo-saxons utilisent également l'acronyme "TTS" pour T Tauri Star et les rassemblent avec d'autres protoétoiles et les globules de Bok sous l'acronyme générique "YSO" pour Young Stellar Object.

Quelques-uns parmi les 300 disques protoplanétaires de classes 0 et I identifiés dans le Nuage Moléculaire d'Orion ou Complexe d'Orion situé à environ 1500 années-lumière du système solaire et analysés par ALMA et le VLA dans le cadre du sondage VANDAM (VLA/ALMA Nascent Disk and Multiplicity). Documents ALMA/ESO/J.Tobin/NRAO/ S. Dagnello (2020).

Citons à part les "MYSO" pour Massive Young Stellar Object. Il s'agit de YSO massifs de plus de ~8 M, qu'on présume être les précurseurs des étoiles des classes O et B. Ces protoétoiles se forment beaucoup plus rapidement et vivent beaucoup moins longtemps que les étoiles de faible masse comme le Soleil.

Les MYSO naissent dans des coeurs denses chauds ( 100 K) et compacts ( 0.1 pc) au sein de nuages moléculaires géants. Après la formation du MYSO, son rayonnement ultraviolet dissocie l'hydrogène moléculaire (H2) et ionise l'hydrogène atomique résultant pour former une région H II.

Dans les premiers stades, le coeur de gaz est suffisamment dense pour ralentir le front d'ionisation, ce qui conduit à la formation d'une région H II ultra compacte (UC H II), une phase clé dans la vie des protoétoiles massives. De nombreuses régions UC H II sont associées à des gaz moléculaires chauds. On y détecte ainsi de l'ammoniac hautement excité, du monosulfure de carbone, des masers de méthanol et d'autres traceurs de la phase précoce du noyau chaud (cf. A.J. Frost et al., 2019 et M.Hajigholi et al., 2016).

La densité élevée des nuages de gaz et de poussières qui entourent les régions UC H II les rend totalement invisibles aux longueurs d'ondes UV et visible, mais leurs luminosités élevées (104-106 L) surpasse l'apparence des régions de formation stellaires en infrarouge lointain (300 GHz à 100 THz soit entre 1mm et 3 µm). L'émission provient de la poussière chauffée au sein du gaz ionisé et de l'enveloppe moléculaire dense environnante qu'on peut identifier par son spectre en forte augmentation depuis les longueurs d'ondes proche infrarouge jusqu'à l'infrarouge moyen (384 à 100 THz soit entre 0.8 et 3 µm). Ce sont donc des sujets de prédilection pour les radiotélescopes tels ALMA et les télescopes spatiaux infrarouge tels Herschel-HIFI et le JWST.

Parmi les MYSO citons les systèmes binaires PDS 27 (SS 103) situé dans le Grand Chien et PDS 37 situé dans les Voiles, G305.20+21 situé près de la Croix du Sud et HH1177 situé dans le Grand Nuage de Magellan.

Classification des protoétoiles

Les protoétoiles présentent différents stades d'évolution et les astronomes en ont découvert pratiquement à tous les stades évolutifs, depuis la jeune T Tauri âgée de 20000 ans à celle âgée de 10 millions d'années. En fonction de leur phase évolutive et de leur distribution d'énergie spectrale globale (étoile + disque), ces objets stellaires ont été répartis en 4 classes :

- Objets de classe 0 : l'embryon de ce qui deviendra le coeur de la protoétoile est caché dans un nuage de poussière (99% de molécules et 1% de poussières) sphérique en chute (contraction), formant une enveloppe froide de 10 à 70 K rayonnant dans le spectre radioélectrique. L'objet qui appartient à la classe des YSO (Young Stellar Object) est encore un globule de Bok mais présente un phénomène d'effondrement qui va progressivement donné naissance à un disque. Il est indétectable en dessous de 20 microns ou 0.02 mm et donc uniquement en infrarouge ou en radio thermique. On pense que l'astre évolue vers la classe I en dissipant son enveloppe circumstellaire ou CSE. Cette phase dure moins de 30000 ans.

- Objet de classe I : Un disque d'accrétion se forme dans le plan équatorial de la protoétoile et remplace le nuage originellement sphérique en raison de la conservation du moment cinétique. 

La jeune protoétoile est enveloppée de gaz en cours d'accrétion (en chute sur sa surface et augmentant sa masse). La température de la protoétoile varie entre 70-650 K. Les plus jeunes affichent des raies en émission et une grande abondance de lithium. Leur émission infrarouge présente un spectre pentu (αIR > 0.3 entre 2.2-20 microns) qui la différencie clairement des autres classes.

Le vent stellaire généré par l'accrétion y compris magnétosphérique (voir plus loin) provient d'une région située en bordure de la cavité centrale d'où émane également le jet bipolaire (voir plus bas). Ce jet peut souffler la matière située dans le disque interne, rendant l'étoile visible. Parvenue à ce stade, l'astre est appelé T Tauri. L'essentiel de la lumière de la protoétoile est absorbée et réémise par l'enveloppe à des longueur d'ondes plus longues. Cette phase dure jusqu'à 200000 ans.

Séquence d'évolution d'une étoile

Phase évolutive

Effondrement

préstellaire

Accrétion

protostellaire

Etoile PMS*

en contraction

Etoile

ZAMS*

Schéma structurel

Classe T Tauri

Classe 0

Classe I

Classe II

Classe III

ZAMS

Processus

Adiabatique

Accrétion,

fusion du HD, début de la convection

Convective,

radiative,

début de la fusion nucléaire

Convective,

radiative,

fusion nucléaire

Flux de matière

Princ.vers le centre, un peu vers le disque et l'extérieur

Peu vers l'intérieur, princ. accrétion vers l'extérieur et jets

Faible accrétion

?

-

Dimension du disque

/ enveloppe

< 10000 UA

< 1000 UA

< 400 UA

~100 UA

-

Taux d'effondrement

/ accrétion

10-4

10-5

10-6 - 10-7

?

-

Âge

104 - 105 ans

105 - 106ans

106 - 107 ans

106 - 107 ans

-

Bande d'émission

(sauf IR)

Radio thermique,

rayon X ?

Radio thermique,

rayon X

Optique, radio,

rayon X dur

Optique, radio non thermique,

rayon X dur

optique, radio non thermique,

rayon X dur

Indice spectral α

Source indétectable

sous 20 microns

α > 0.3

-0.3 > α > -1.6

α < -1.6

-

Classification IR de l'évolution des YSO entre l'effondrement du nuage préstellaire jusqu'au stade T Tauri de classe III. Document T.Lombry adapté de Norbert Schulz (2005) et T.P. Greene et al. (1994).

* YSO = Young Stellar Object, PMS = Pre-Main Sequence, ZAMS = Zero Age Main Sequence.

- Objet de classe II : l'étoile T Tauri est entourée d'un disque d'accrétion dont la composition est similaire à celle du nuage moléculaire original (99% de molécules, 1% de poussières) et généralement optiquement épais et opaque en raison de la dispersion de la lumière par les poussières. Cette matière chauffe et émet un spectre principalement infrarouge et visible. C'est la raison pour laquelle leur émission infrarouge présente un spectre à faible pente (-1.6 < αIR < 0) avec un plateau alors que la pente est beaucoup accentuée pour les objets de classe III. La température de la protoétoile varie entre 650-2880 K.

A ce stade, la protoétoile émet un jet bipolaire très lumineux et directif (la matière éloignée de la protoétoile présente un grand moment cinétique et doit perdre cette impulsion en s'approchant de l'astre sinon elle va tourner plus rapidement à mesure qu'elle se rapproche, tandis que la matière chutant vers les pôles tournerait également de plus en plus vite. Ce problème est évité par l'émission de jets par les pôles). Il peut également se former à plus grande distance un anneau de poussière à l'origine éventuelle de planétésimaux et plus tard de planètes. Malheureusement, mis à part le jet bipolaire, le phénomène d'accrétion-éjection est totalement invisible et ne peut être étudié que par des méthodes indirectes. On y reviendra.

A gauche, taux d'accrétion de matière en fonction de la masse de différents types d'étoiles. Les lignes horizontales noires et rouges indiquent l'incertitude sur la masse accrétée pour les protoétoiles IM et HM. A droite, au cours de l'évolution des jeunes étoiles T Tauri (YSO), on observe une forte corrélation entre le taux d'éjection de matière et la luminosité bolométrique (totale). Si le flow de matière et le taux d'accrétion diminuent avec l'âge de la protoétoile, la proportion reste approximativement constante. "Plat" représente les protoétoiles au stade intermédiaire entre les Classe  I et II dont le spectre est plat (cf. T.P. Greene et al., 1994). Documents M.T. Beltrán et W.J. de Wit (2015) et D.M. Watson et al. (2015) adaptés par l'auteur.

Durant cette étape qui peut durer 1 million d'années, certaines protoétoiles vont accréter jusqu'à ~90% de leur masse finale tandis que le disque ne contiendra plus que 1% de la masse totale de départ avec un maximum de l'ordre de 0.01 M, juste de quoi fabriquer une dizaine de planètes dont plusieurs géantes gazeuses et des milliards de débris de plusieurs kilomètres de diamètre. En revanche, dans beaucoup d'autres systèmes protostellaires dont ceux découverts dans le Nuage Moléculaire d'Orion ou Complexe d'Orion, un vaste ensemble de nébuleuses situées à environ 1500 années-lumière du système solaire (cf. En hommage à Orion), seul un tiers de la masse initiale d'hydrogène du nuage protostellaire s'est effondré et est accrété par la protoétoile. La théorie ne correspond donc pas aux observations et un autre mécanisme qui n'est pas encore identifié doit intervenir. On y reviendra plus bas.

La protoétoile entre dans la phase Pré-Séquence principale ou PMS, raison pour laquelle on dénomme également cet astre une "étoile PMS". Dès que son coeur atteint 1 million de degrés K, elle commence par brûler son deutérium tout en continuant à se contracter. En effet, l'étoile évacue son surplus d'énergie gravitationnelle sous forme radiative à travers le mécanisme de Kelvin-Helmohltz, un processus de refroidissement qui entraîne une baisse de pression que l'étoile compense par une nouvelle contraction qui entraîne un réchauffement de son coeur (c'est le même mécanisme qui explique pourquoi tout en se refroidissant Jupiter et Saturne rayonnent plus d'énergie qu'ils n'en reçoivent du Soleil). De plus, en raison du déclenchement des premières réactions thermonucléaires, la protoétoile émet des vents stellaires très violents.

Evolution des YSO (protoétoiles et étoiles PMS)

Phase évolutive

Protostellaire

Pre-Main Sequence (PMS)

Classe T Tauri

Classe 0

Classe I

Classe II

Classe III

Schéma structurel

Courbe d'énergie

Processus

Accrétion

Accrétion

Convection, fusion

Convection, fusion

Temps (années)*

< 30000

~200000

~1 million

~10 millions

Température du coeur

< 70 K

70 - 650 K

640 - 2880 K

> 2880 K

Masse du disque (M¤)

~1 < 0.1 ~0.01 < 0.001

Evolution d'une étoile entre la phase protostellaire initiale et la phase T Tauri classe III. * La séquence commence à t=0 soit 1 million d'années après le début de la phase préstellaire. Document T.Lombry adapté de Philippe André, 2002.

- Objet de classe III : la température au centre de l'étoile augmentant, le disque s'assèche à mesure que la matière est accrété par l'astre tandis que son rayonnement UVE irradie le disque interne mince, repoussant au loin et évaporant les grains de poussière. Le disque devient plus chaud et optiquement plus mince. La quantité de gaz contenue dans le disque diminue par photoévaporation et peut même être réduite à néant.

Le spectre est dominé par la lumière de la photosphère de l'étoile qui brille à présent clairement à travers les nébulosités. La poussière environnante et le gaz contribuent encore à une fraction du spectre infrarouge qui est caractérisé par une pente αIR < -1.6 en raison de sa minceur liée à la présence de débris (ou de planètes) et non plus de molécules.

Parvenue à cette étape, l'étoile PMS ou T Tauri est suffisamment massive pour que son coeur atteigne 10 millions de K et déclenche la fusion de l'hydrogène. Cette réaction va modifier son équilibre hydrostatique (le rayon d'une étoile ne dépend que de sa température, sa densité et de sa pression) et dorénavant l'étoile prendra la forme d'une sphère afin d'optimiser le contrôle de la prodigieuse quantité d'énergie générée par cette réaction thermonucléaire en chaîne.

La température effective de cette étoile est supérieure à 2880 K. A la fin de cette étape qui peut durer plus de 10 millions d'années, l'étoile T Tauri migre vers la Séquence principale des étoiles arrivées à maturité. Son profil d'énergie est à présent celui du corps noir mais il peut encore présenter une petite composante infrarouge ou radio thermique si elle s'entoure d'un anneau de débris ou de planètes.

Les étoiles T Tauri peuvent appartenir à la classe spectrale F, G, K ou M (du blanc au rouge). La majorité d'entre elles appartiennent aux classes de luminosité I ou II et ont généralement une masse inférieure à 3 M. Elles présentent toutes un jet bipolaire associé à une intense émission X variable (100 fois plus intense que celle du Soleil), des émissions radioélectriques et de puissants vents stellaires.

Notons qu'il existe des étoiles similaires aux T Tauri mais plus chaudes dont la masse sur la Pré-Séquence principale varie entre 2-8 M et présentant une classe spectrale A ou B. Il s'agit des étoiles Herbig de type Ae/Be (HAe et HBe). Ce sont des objets des classes I et II intermédiaires entre les étoiles des classes A et B.

Le jet bipolaire

Comme on le voit ci-dessous, grâce aux observations et aux simulations, nous savons depuis 1980 que la formation d'une protoétoile s'accompagne de l'émission spectaculaire de jets directifs en sens opposés, ce qu'on appelle un jet bipolaire, un phénomène qui fait intervenir un mécanisme magnétique complexe sur lequel nous reviendrons page suivante.

Cette émission de jets est typique des YSO en phase proche de T Tauri ou en phase T Tauri, c'est-à-dire de très jeunes protoétoiles variables qui n'ont pas encore démarré la fusion nucléaire dans leur noyau mais évoluent pour devenir des étoiles.

Ces jets s'échappent dans l'espace à une vitesse supersonique qui varie entre 45 km/s et ~600 km/s. Ils bloquent l'augmentation du volume de la protoétoile et favorisent la formation d'un disque équatorial.

Dans le cas de jets bipolaires lents (> 0.2 km/s), les simulations montrent qu'ils peuvent transporter entre 10-100% de la masse accrétée sur la protoétoile.

A voir : A virtual gas cloud collapses into a smattering of new stars, Starforge Coll., 2021

Simulation de l'effondrement d'un nuage protostellaire de ~20 pc de diamètre

A gauche, l'objet de Herbig-Haro HH111, une protoétoile dans la phase T Tauri située à 1300 années-lumière dans le nuage sombre L1617 du nuage moléculaire Orion B. Elle présente un jet dont la longueur totale atteint environ 2.6 années-lumière ! Au centre, gros-plan sur la partie la plus éloignée du jet dans laquelle on distingue des chocs probablement engendrés par les instabilités de la protoétoile. A droite, le jet bipolaire éjecté à plus de 1000 UA par la protoétoile HH30 Tauri située à 450 années-lumière dans la constellation du Taureau. Documents NASA/ESA, NASA/ESA/STScI/U.Rice et NASA/ESA/STScI.

Dans le cas de l'objet Herbig-Haro HH111 présenté ci-dessus à gauche et au centre, il s'agit d'une protoétoile au stade T Tauri enfouie dans un nuage dense de 30 M situé dans le nuage cométaire ou nuage sombre L1617 du nuage moléculaire Orion B, juste à l'extérieur de la Boucle de Barnard, dans le quadrant nord-ouest de la constellation d'Orion (cf. R.Reipurth et al., 2008).

La protoétoile présente une luminosité d'environ 25 L. Elle émet un puissant jet bipolaire dont la longueur totale atteint environ 2.6 années-lumière ! En 45 mois d'observation (entre sept. 1994 et mai 1998), le jet s'est déplacé d'environ 250 UA. Sa vitesse d'expansion varie entre 300 et 600 km/s (cf. R.Reipurth et al., 1992).

Sur la première image, les deux jets (en bleu) sont émis en sens opposés à partir de la seule région de la protoétoile où le champ magnétique est ouvert. Ils proviennent de la partie interne du disque d'accrétion (l'anneau d'accrétion orange vu de profil au centre) et participent au transfert d'énergie vers le disque protoplanétaire.

A gauche, vues générales et gros-plans sur les systèmes protostellaires HL Tauri (au-dessus) et HH30 Tauri (en dessous) située à 450 années-lumière. Voici la photo annotée. Il s'agit de la combinaison d'images visibles prises par la Télescope Spatial Hubble (en bleu/rose) et par le radiotélescope millimétrique ALMA en 2014 (disque orange). Ces images comptent parmi les plus importantes prises de ses dernières années car elles permettent aux astronomes de comprendre comment les planètes se forment. Ce système est âgé d'environ 1 million d'années et l'étoile, invisible à cette longueur d'onde, a déjà ralenti sa croissance et est encore entourée d'un disque dense de gaz et de poussière. Au centre, les trous sombres dans le disque de HL Tauri se développent comme des ellipses sombres et pourraient être l'empreinte des futures exoplanètes en train d'accréter la matière alentour. Au moins six protoplanètes seraient en train de se former dans ce disque qui mesure 90 UA de rayon, soit deux fois la distance du Soleil à Pluton. A droite, image composite optique (VLT/MUSE en bleu) et millimétrique (ALMA en orange) du système protoplanétaire HD 163296 situé à ~400 années-lumière dans la constellation du Sagittaire (cf. ESO) révélant le disque en rotation et le jet bipolaire expulsant du gaz, principalement de l'hydrogène, à grande vitesse du centre du disque. ALMA a détecté des anneaux de poussière jusqu'à 160 UA de l'étoile et des zones évidées concentriques suggérant qu'au moins trois protoplanètes massives sont en formation dans le disque (cf. ESO et A.Isella et al., 2016).

Si la vitesse d'éjection des jets protostellaires est parfois aussi rapide que celle des jets émis par les AGN et autres radiosources qui abritent un trou noir, on ne peut pas les confondre avec ces astres car la quantité d'énergie libérée (leur luminosité) est très différente : pour HH30 elle est de l'ordre de 1032 erg/s, c'est-à-dire au moins dix mille milliards (1013) de fois inférieure à celle des AGN (par ex. >1045 erg/s pour 3C 120). Ce jet bipolaire est émis à travers tout le spectre.

RW Aurigae affiche également un jet comptant parmi les plus brillants, son intensité n'étant dépassée que par celui de DG Tauri et HL Tauri. Il présente également une vitesse transversale variant périodiquement suggérant que son jet optique est en rotation et est peut être projeté par un effet magnétique depuis la surface d'un disque de 0.2 à 3 UA de rayon. On reviendra sur cette étoile binaire accrétante, variable et LMXB quand nous évoquerons les disques de poussière (cf. page 6) car elle cache bien d'autres particularités.

A voir : Celestial Lightsabers: The Stellar Jets of HH 24

Les étonnants jets bipolaires émis par les systèmes protostellaires HH24 (gauche) et HH34 (centre) photographiés en 2015 par le Télescope Spatial Hubble. A droite, une illustration du coeur du phénomène. Une protoétoile en formation est entourée d'un disque de poussière et de gaz en forme de crêpe provenant de l'effondrement de la nébuleuse qui lui donna naissance. Le gaz accrété par l'étoile est porté à haute température et une partie s'échappe le long de l'axe de rotation de l'étoile. Canalisé par des champs magnétiques, le plasma s'échappe par les jets bipolaires entre 45 et 500 km/s jusqu'à des distances variant entre 100 et plus de 50000 UA (0.8 a.l.) voire 1 années-lumière. Ce jet bloque l’augmentation du volume de la protoétoile et favorise la formation d’un disque équatorial. Documents NASA/ESA/STScI/A.Field.

Toutes ces protoétoiles sont dans une phase Pré-Séquence principale qu'elles atteindront dans quelques millions d'années. Arrivée à cette étape, la quantité de matière visible éjectée par la protoétoile représente entre 10 et 30% de la matière accrétée par l'embryon stellaire.

FS Tau

FS Tau (FS Tauri), également appelé HH157 ou TIC 58437437 présenté ci-dessous, est un système situé à environ 450 années-lumière dans la constellation du Taureau. Il fait partie de la région Taurus-Auriga composée de nuages moléculaires denses et sombres qui abritent des nurseries d'étoiles comprenant de nombreuses protoétoiles et de jeunes étoiles. FS Tau est né il y a seulement environ 2.8 millions d'années.

FS Tau est un système multiple composé de FS Tau A, l'étoile brillante située près du centre de l'image présentée ci-dessous à gauche qui elle-même composée de deux étoiles au stade T Tauri formant un couple serré, et de FS Tau B (alias Haro 6-5B), l'objet brillant visible à l'extrême droite et partiellement obscurci par une bande sombre verticale de poussière. La photo montre également d'autres protoétoiles encore enveloppées de gaz et de poussière à travers lesquels perce difficilement la lumière.

FS Tau B est une protoétoile entourée d'un disque protoplanétaire composé de gaz et de poussière. L'épaisse bande de poussière indique qu'on le voit presque de profil.

FS Tau B est probablement en phase de devenir une étoile T Tauri.

A gauche, vue générale du système FS Tau photographié par le HST. Voici la version zoomable. A droite gros-plan sur FS Tau B recconnaisable à la bande sombre de son disque protoplanétaire vu presque de profil. Documents NASA/JPL/ESA.

Le jet bipolaire cyan qu'on aperçoit de part et d'autre de FS Tau B témoigne que cet objet est une protoétoile qui éjecte dans l'espace des flux de matière. FS Tau B génère un jet asymétrique qui peut être dû au fait que la matière est expulsée à des rythmes différents.

FS Tau B est également classé parmi les objets Herbig-Haro. Ces objets se forment lorsque des jets de gaz ionisé éjectés par une protoétoile entrent en collision à grande vitesse avec des nuages de gaz et de poussière situés à proximité, créant ainsi des nébulosités brillantes.

Comme on le voit, l'émission de jets n'est pas exceptionnelle au stade protostellaire et on a déjà observé un tel phénomène dans les objets de Herbig-Haro tels HH24, HH30, HH34, HH111 ou encore HH154 (L1551), cette dernière contenant des enveloppes en forme de tore protostellaire ainsi que BKLT 1623-2418.

Nous verrons dans un autre article qu'un disque d'accrétion fut découvert autour du MYSO du système HH1177 situé dans le Grand Nuage de Magellan à 163000 années-lumière du centre de la Voie Lactée. C’est la première fois qu'un tel disque est découvert en dehors de la Galaxie.

Les trajets de Hayashi et de Henyey

Comme le découvrit l'astrophysicien Chūshirō Hayashi en 1966, une protoétoile d'un certain rayon et d'une certaine masse présente une température effective (superficielle) minimale d'environ 2880 K, appelée la température de Hayashi. En dessous de cette température, la protoétoile n'est pas stable d'un point de vue hydrostatique et va donc chercher une configuration stable. A ce stade de son évolution, si on place la protoétoile dans un diagramme H-R tracé en fonction de sa température effective et de sa luminosité (cf. la courbe bleue ciel à droite dans ce diagramme H-R mais en théorie cette courbe n'apparaît pas encore dans ce diagramme), on observe qu'elle suit ce qu'on appelle le trajet de Hayashi comme on le voit dans le tableau présenté ci-dessous à droite (courbes bleues pour des protoétoiles de différentes masses). Ce trajet commence à droite par une brève courbe asymptote (accroissement vertical vers l'infini) appelée la ligne de Hayashi et se termine vers la gauche par une courbe plus ou moins horizontale placée plus ou moins haut dans le diagramme en fonction de la masse de la protoétoile.

A la fin de la phase protostellaire, la protoétoile poursuit ses contractions gravitationnelles appelées les contractions de Hayashi. Lorsque la protoétoile a trouvé son équilibre hydrostatique, elle quitte le trajet de Hayashi pour prendre un court instant le trajet de Henyey propre aux étoiles en équilibre radiatif (rayonnant comme un corps noir).

La ZAMS

Lorsque la protoétoile a atteint son équilibre radiatif et que la température dans son coeur permet d'amorcer la fusion de l'hydrogène, elle se dirige vers le point d'entrée de la Séquence principale appelé l"Âge Zéro de la Séquence Principale" ou ZAMS ("Zero Age Main Sequence", en pointillé vert ci-dessous à droite). L'étoile devient optiquement visible, c'est ce qu'on appelle la "ligne de naissance" dans le diagramme H-R de la Pré-Séquence principale. Parvenue à l'âge de la maturité, l'étoile peut enfin monter sur la Séquence principale et brûler son hydrogène jusqu'à l'épuisement ou presque. On y reviendra dans l'article consacré à la vie des étoiles.

A gauche, structure d'une protoétoile. Par simplicité la taille relative des régions extérieures a été réduite (rapprochée du centre). Au centre, modélisation d'une coupe en densité selon l'axe radial (de profil) d'une étoile T Tauri avec l'émission du jet bipolaire d'une ouverture angulaire de 20° (en bleu foncé). Le coeur s'étend sur plusieurs rayons solaires tandis que le disque mesure 400 UA de rayon et représente une masse totale équivalant au tiers de celle du Soleil. Les deux petites excroissances à gauche et à droite correspondent aux limites du disque. A droite, les trajets évolutifs de Hayashi des protoétoiles en fonction de leur masse (courbes horizontales bleues en zigzag pour des étoiles PMS de 0.5 à 15.0 M) dans le diagramme H-R de la Pré-Séquence principale. La protoétoile évolue de droite à gauche jusqu'aux pointillés gras en vert représentant la ZAMS (Age Zero de la Séquence principale), c'est-à-dire son point d'entrée sur la Séquence principale. Notez que sa hauteur varie en fonction de la masse (ou la luminosité) initiale de l'étoile. Les lignes pointillées quasi verticales numérotées de 1 à 5 indiquent les différents trajets de Hayashi possibles pour la Pré-Séquence principale. La courbe 1 est le début du trajet de Hayashi des étoiles de faible masse (< 3 M) au terme duquel elles arrivent sur la Séquence principale. Les courbes 2-5 couvrent les trajets de Henyey radiatifs du diagramme H-R qui précèdent la ZAMS et l'entrée sur la Séquence principale. La courbe orange en traits et pointillés gras est la ligne de naissance pour un taux d'accrétion de 10-5 M/an. Notez la zone interdite de Hayashi à droite. Documents T.Lombry basé sur S.Stahler et F.Palla, "The Formation of Stars" (2004), M.Joos et al./ESO et N.Schulz (2004) adaptés par l'auteur.

Concernant le Soleil, avec 1 M on estime qu'il passa par la phase T Tauri 17 millions d'années après sa formation si on se base sur l'âge des plus anciennes météorites et les modèles soit il y a environ 4.58 milliards d'années. La Terre se forma environ 10 millions d'années plus tard il y a environ 4.568 milliards d'années. Evidemment, à cette époque sa surface était un océan de magma qui mit environ 100 millions d'années pour se refroidir. On y reviendra à propos de l'évolution de la Terre.

Le disque d'accrétion des étoiles en phase T Tauri n'a pas encore totalement disparu et peut encore jouer un rôle majeur dans la formation des futures planètes s'il est relativement peu massif (< 10% de la masse de l'étoile). C'est ici qu'interviennent de nouveau le moment cinétique et le champ magnétique.

A l'heure actuelle, les astronomes ont découvert plus de 500 étoiles T Tauri dont plusieurs dans l'amas ouvert NGC 1850 situé dans le Grand Nuage de Magellan. Au moins 4 systèmes T Tauri abritent une exoplanète : CVSO 30 (étoile M3), HD 106906 (étoile F), 1RXS J160929.1-210524 (étoile K) et Gliese 674 (étoile M). HL Tauri et HH30 seront probablement promues à ce titre dans quelques millions d'années.

Structure physique d'un disque de type T Tauri. Notez les fortes températures du gaz à la surface du disque en raison de son ionisation (chauffage) par le rayonnement de la protoétoile tandis que les poussières situées dans le plan restent froides, ce qui est propice à leur accrétion. Documents Karen Willacy et al. (2015) adaptés par l'auteur.

Environ 60% des T Tauri ont moins de 3 millions d'années et la plupart présentent un disque d'accrétion. Dans le cas de RW Auriga déjà citée son disque interne contient des débris suffisamment massifs et nombreux pour être attirés et engloutis par l'étoile. Quand cela se produit, il se forme un immense nuage de gaz et de poussière qui provoque une diminution temporaire de sa luminosité, ce qui explique sa variabilité. On y reviendra.

Evolution du moment cinétique

Si les étoiles T Tauri peu massives présentent une vitesse de rotation de l'ordre de 10 km/s, lorsque les objets de classe III entrent dans la Séquence principale, on observe une grande diversité de vitesses de rotation avec un maximum d'environ 160 km/s alors qu'une fois établie sur la Séquence principale la vitesse de rotation d'une étoile de faible masse retombe à quelques km/s (par ex. 2 km/s pour le Soleil). Par quel mécanisme peut-on expliquer cette évolution ?

Ces différences de vitesses s'expliquent par la configuration de ces systèmes stellaires et la présence ou non d'un champ magnétique couplé au disque d'accrétion. En effet, comme on le voit ci-dessous à gauche, en début de cycle, lorsque l'étoile T Tauri est encore entourée d'un disque massif, si les configurations sont alignées, le couplage du champ magnétique avec le disque freine rapidement la vitesse de rotation de l'étoile mais celle-ci augmente encore un peu du fait que la protoétoile continue à se contracter. Dans ce cas, le moment cinétique est transféré plus efficacement au disque et vers les parties externes du coeur tandis que la masse est transférée vers l'étoile par accrétion. Par conséquent, la vitesse de rotation est relativement lente.

Notons que la masse du disque est également corrélée à la magnétisation du coeur : plus le champ magnétique est intense et donc le freinage magnétique efficace, plus le disque est de faible masse. Ainsi, les simulations montrent que dans le cas où le paramètre de magnétisation μ = 2, les disques ne dépassent jamais une masse de 0.05 M.

A gauche, lorsque les lignes de force du champ magnétique de la protoétoile traversent le disque d'accrétion, ils s'enlisent comme une cueillère dans du sirop. Ce mécanisme réduit la rotation de la protoétoile jusqu'à celle du disque, permettant à l'astre de continer à se contracter. Voir aussi la vidéo sur le site de la NASA. A droite, gros-plan sur le disque de gaz et de poussière qui enveloppait le proto-Soleil il y a 4.58 milliards d'années, au début de la phase T Tauri (classe I). A ce stade, le disque mesure encore 400-1000 UA. Les étoiles HL Tauri et HH30 Tauri sont actuellement au même stade. Documents NASA/JPL-Caltech/ R.Hurt et T.Lombry.

En revanche, lorsque l'étoile T Tauri a perdu son disque d'accrétion, la contraction gravitationnelle de l'étoile conduit celle-ci à accélérer sa vitesse de rotation puisque rien ne peut à présenter la freiner. Le moment cinétique est conservé et à mesure que l'étoile se contracte pour retrouver sa stabilité sa vitesse passe progressivement de 10 à 160 km/s. Ce n'est qu'une fois parvenue sur la Séquence principale dans un état d'équilibre à l'âge de la maturité que l'étoile perd de nouveau de la masse à travers le vent stellaie et retombe à une vitesse de rotation plus faible.

On arrive ainsi à montrer que le moment cinétique d'une étoile T Tauri est directement proportionnel à la vitesse de rotation et à la masse de l'étoile ainsi qu'au carré de son rayon.

Equilibre hydrostatique

Etant donné que la matière s'effondre sur la protoétoile grâce au couplage de son champ magnétique, en théorie elle pourrait accréter toute la matière et ne jamais former de planètes. Or le système solaire contient tout de même 8 planètes. Comment l'effondrement a-t-il été arrêté ?

A mesure que la température et la densité augmentent près du centre, la pression du rayonnement suit la même courbe, générant une force de pression dirigée vers l'extérieur. On estime que le Soleil atteignit cet équilibre entre la force gravitationnelle et la pression interne appelé l'équilibre hydrostatique en 25 millions d'années, à la fin de la phase T Tauri. Ca c'est la théorie. Mais en pratique, durant la phase T Tauri que nous venons de décrire, il existe des mécanismes qui nous échappent encore.

Quand théorie et observation ne concordent pas

Durant la phase T Tauri, les jeunes protoétoiles ou YSO de classe I sont en phase d'accrétion et commencent à émettre de puissants vents stellaires et un jet bipolaire qui repoussent toute la matière restante dans le disque interne, formant une énorme cavité autour de la protoétoile. En théorie, la pression du vent stellaire suffit à vider complètement l'hydrogène contenu dans l'environnement immédiat de la jeune protoétoile en quelques dizaines de milliers d'années. La jeune protoétoile n'étant plus alimentée, elle arrête sa croissance. Elle est sur le point d'arriver à maturité sur la ZAMS évoquée plus haut.

Les mécanismes de transport évoqués plus haut ne résolvent pas totalement la question du moment cinétique. Si l'éjection de matière par les pôles de la protoétoile permet de réduire son moment cinétique et favorise la formation du disque d'accrétion, en même temps ce processus empêche l'accrétion de matière sur l'étoile.

Comme nous l'avons expliqué, si quelques jeunes étoiles accrètent ~90% du gaz contenu dans le disque, on constate que dans la majorité des cas seuls 30% de la masse initiale d'hydrogène du nuage protostellaire s'effondrent et sont accrétés par la protoétoile. Le modèle actuel n'explique pas ce faible taux de conversion de l'hydrogène ni ce que devient le gaz qui n'a pas été utilisé. C'est ici que théorie et observation ne concordent pas.

Pour tenter de comprendre comment se forment les étoiles et affiner ce modèle, l'équipe de Nolan M. Habel de l'Université de Toledo, dans l'Ohio, analysa des centaines de protoétoiles situées dans le Nuage Moléculaire d'Orion précité.

Sachant que la chaleur rayonnée par le disque d'accrétion des protoétoiles émet dans l'infrarouge lointain (cf. la loi de Wien), on peut les détecter à grande distance, d'où l'intérêt d'utiliser des télescopes spatiaux sensibles à ce rayonnement et des radiotélescopes submillimétriques pour étudier les disques circumstellaires et protoplanétaires. Habel et ses collègues ont donc utilisé les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer de la NASA et Herschel de l'ESA pour photographier 304 protoétoiles, dont quelques spécimens sont présentés ci-dessous.

Ces images montrent le détail des cavités produites par les protoétoiles à différents stades d'évolution T Tauri. A partir de la forme et de l'étendue de ces structures, les chercheurs ont pu mesurer les quantités de gaz rejetées pour former les cavités et ont découvert que même les étoiles dont l'étape de formation est la plus avancée possèdent encore des cavités étroites dans leur environnement gazeux.

A gauche, quatre images prises par le Télescope Spatial Hubble (HST) montrant des régions protostellaires en formation dans le Nuage Moléculaire d'Orion situé à 1500 années-lumière. A droite, gros-plans pris par le HST à 1.60 et 2.05 microns de trois exemples de protoétoiles présentant des cavités étroites de tailles croissantes. Documents N.M. Habel et al. (2021).

Jusqu'à présent, les modèles indiquent que le processus se poursuit jusqu'à ce que tout le gaz entourant l'étoile ait été rejeté, interrompant la croissance de la protoétoile. Or de toute évidence, ce mécanisme ne suffit pas pour expliquer la masse des jeunes étoiles arrivées à maturité.

Dans un article qui publié dans "The Astronomical Journal" en 2021 (en PDF sur arXiv), Habel et ses collègues ont montré que les cavités ne se développent pas régulièrement au cours de la croissance des protoétoiles. Ainsi, durant la phase de classe I où l'étoile accrète beaucoup de matière, ils n'ont trouvé aucune étoile développant une cavité. En revanche, la cavité semble réellement s'étendre lorsque l'étoile rejette tout le gaz du nuage protostellaire qu'elle n'a pas utilisé.

Selon Tom Megeath, coauteur de cette étude, "nous constatons qu'à la fin de la phase protostellaire, au moment où la majeure partie du gaz du nuage environnant est tombé sur l'étoile, un certain nombre de jeunes étoiles montrent encore des cavités assez réduites. Notre idée de la manière dont les étoiles s'arrêtent de grossir ne correspond donc pas à ces données". Selon Habel, "Il doit exister un autre processus pour éliminer le gaz qui ne finit pas dans l'étoile."

Pour comprendre pourquoi une partie du nuage protostellaire de gaz n'est pas accrétée par les protoétoiles, les chercheurs comptent beaucoup sur le télescope spatial infrarouge James Webb (JWST) lancé le 25 décembre 2021. Il devrait permettre aux astronomes de sonder les régions internes des disques protostellaires et de mesurer le taux d'accrétion du matériau du disque sur les protoétoiles afin de mieux comprendre la manière dont le disque de gaz interagit avec la protoétoile et les gaz qu'elle éjecte.

En attendant les mesures du JWST, pour résoudre en partie les problèmes décrits ci-dessus, on peut faire appel aux radiotélescopes et examiner les champs magnétiques entourant les protoétoiles. Ceci nous conduit jusqu'à la cavité centrale du disque circumstellaire dont nous allons décrire la formation et la structure magnétique. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

La cavité centrale magnétosphérique

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