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La formation du système solaire

Les T Tauri (IV)

Le jeune Soleil au stade T Tauri Classe II. Document T.Lombry.

L'étoile T Tauri située à environ 471 années-lumière dans la constellation du Taureau fut découverte en 1852 par le chasseur d'astéroïde britannique John Russell Hind et fut d'abord considérée comme une étoile variable car sa magnitude apparente oscillait entre 10 et 14. Par la suite, plusieurs astronomes dont E.E. Barnard et S.W. Burnham la scrutèrent en détail et découvrirent à proximité une nébulosité dont la brillance fluctuait en quelques années. On la dénomma la nébuleuse de Hind, cataloguée NGC 1555 ou Shapley 238. On se rendit alors compte qu'il ne s'agissait pas d'une nébuleuse de réflexion mais d'une enveloppe de gaz d'un autre type. Il fallut attendre 1890, soit près de 40 ans après sa découverte pour que l'astronome Shelburn Wesley découvre que T Tauri se trouve au coeur d'une petite nébuleuse d'environ 4" dans sa plus grande dimension. Mais sa nature et son origine restaient inconnues.

Par un heureux hasard, à quelque 30" à l'ouest de la nébuleuse de Hind se trouve un autre objet similaire, l'objet de Herbig-Haro HH30 dont une photographie est présentée un peu plus bas.

Grâce au télescope Hooker de 2.5 m du Mont Wilson, en 1945 l'astronome Alfred Joy décrivit pour la première fois la nature de T Tauri citant parmi ses caractéristiques physiques : "1) des variations lumineuses d'environ 3 magnitudes, 2) un type spectral F5-G5 avec des raies d'émission ressemblant à celles de la chromosphère solaire, 3) peu lumineuses et 4) associée à des nébulosités sombres et brillante. [...] Les caractéristiques 1-4 sont probablement liées physiquement et forment ensemble un type stellaire distinct."

Par la suite l'astronome George Herbig de l'Université d'Hawaï affina les critères de Joy sur base d'analyses spectroscopiques révélant la présence des raies d'émissions du Ca H et K, Ca II, Fe I et [S II] qui seront complétées par la découverte du spectre d'absorption du Li I à 6707 Å par Leonard Kuhi et Lawrence Cram en 1989, preuve de la jeunesse de cet astre car cet élément est rapidement détruit dans le coeur protostellaire.

Aujourd'hui, nous savons que T Tauri est de classe spectrale G5 V et est un jeune système né il y a quelques millions d'années assez semblable à ce que le système solaire devait ressembler il y a 4.58 milliards d'années. L'étoile principale (T Tau N, N pour North) qui est aussi la plus jeune fait partie d'un système triple (cf. les analyses de R.Köhler at al., 2016; T.L. Beck et al., 2020) et est actuellement au stade Pré-Séquence principale. La partie la plus dense de la nébuleuse protostellaire qui l'entoure présente une masse d'environ 10000 M et continue actuellement de s'effondrer sur la protoétoile T Tau N qui n'a atteint qu'environ 1% de sa masse définitive. T Tauri ne commençera le processus de fusion thermonucléaire que dans plusieurs millions d'années.

 A gauche, localisation de T Tauri dans le ciel. Le champ couvre environ 30° entre Aldébaran (α Tauri) et les Pléiades (M45). Le Nord est au-dessus. Voici la carte annotée. Document T.Lombry adapté de Simbad. A sa droite, une image LRGB de la nébuleuse de Hind, NGC 1555 (en orange,) abritant T Tauri photographiée par Bill Snyder avec un astrographe Planewave Dall-Kirkham de 430 mm f/6.8 équipé d'une caméra CCD Apogee U16. Temps total d'intégration de 16.3 heures. A comparer avec cette image prise par le télescope Mayall de 4 m du Kitt Peak/NOIRLab. A droite du centre, une photo prise en UV (sous filtre F140LP) par la caméra ACS du HST en 2005. A droite, l'étoile T Tauri photographiée en infrarouge par le CFHT. Le halo bleuté est constitué d'un mélange de poussières circumstellaires et des résidus de gaz ayant donné naissance à T Tauri. Cet astre est en fait un système triple dont les deux principales composantes sont visibles au centre et légèrement au sud-est de l'image.

T Tauri N est accompagné du système binaire T Tauri S (S pour South). Les deux étoiles T Tauri Sa et Sb tournent l'une autour de l'autre à une distance de 100 UA de T Tauri N avec une période orbitale de 4600 ans. T Tauri S est cachée par un disque épais de gaz et de poussières. Cette poussière est tellement dense qu'elle réduit la lumière des deux étoiles de 20 magnitudes. Pour cette raison, T Tauri Sa et Sb ne sont visibles qu'en infrarouge, comme illustré ci-dessus à droite, bien que T Tauri Sb émette surtout dans le domaine radio.

Selon Köhler et son équipe qui ont étudié ce système grâce au VLA, un quatrième compagnon T Tau Sc pourrait exister près de la composante Sb car une radiosource compacte suit une trajectoire distincte des deux compagnons.

L'obscurcissement de T Tauri

De nos jours, T Tauri est de magnitude ~10.2 et varie généralement d'une demi-magnitude en raison d'éruptions sporadiques. Selon Tracy Beck du STScI (Space Telescope Science Institute) qui gère le Télescope Spatial Hubble, "Vers 2016, il y eut une forte diminution [jusqu'à la magnitude +11]. Puis à nouveau en 2022-2023, T Tauri N diminua d'environ 2 magnitudes [jusqu'à une magnitude inférieure à +12], ce qui n'avait pas été observé depuis plus d'un siècle."

A gauche, une modélisation 3D du système T Tauri. Les disques d'accrétion sont en vert ( T Tauri Sa et Sb) et jaune (T Tauri N) et les flux sortants sont les cônes bleus et roses. A droite, une illustration artistique du disque de l'étoile T Tauri N en partie caché par le disque de T Tauri S. Documents T.L. Beck et al. (2020) et P.Marenfeld/NOAO adapté par l'auteur.

En raison de sa configuration spatiale vue de la Terre, le disque de T Tau S peut éclipser T Tauri N (cf. T.L. Beck, 2025). Étant donné que le mouvement propre de T Tauri S, c'est-à-dire la vitesse à laquelle la binaire se déplace dans le ciel, est de 0.1" par décennie, associé au mouvement apparent de T Tauri N, cette fois le disque de poussière de T Tauri S occultera également T Tauri N. Selon Beck, "les évènements d'obscurcissement dureront environ 100 ans. Il est possible que T Tauri N disparaisse du ciel dans le futur."

Nomenclature

Les étoiles T Tauri sont classées en différentes catégories selon leurs propriétés physiques et spectrales :

- les T Tauri classiques ou CTTS pour "Classical T Tauri Stars" : elles possèdent un disque d'accrétion affichant des raies d'émissions larges

- les T Tauri à raies faibles ou WTTS pour "Weak-line T Tauri Stars" : elle présentent un disque d'accrétion très ténu et donc des raies spectrales pâles et assez fines

- les T Tauri nues ou NTSS pour "Naked T Tauri Stars" : elles présentent des raies spectrales fines et bien différenciées. Ces étoiles n'étant pas voilées par des nuages de poussière, elles permettent sans difficulté d'observer et d'étudier les premiers stades de la formation des protoétoiles.

Notons que les Anglo-saxons utilisent également l'acronyme "TTS" pour T Tauri Star et les rassemblent avec d'autres protoétoiles et les globules de Bok sous l'acronyme générique "YSO" pour Young Stellar Object.

Quelques-uns parmi les 300 disques protoplanétaires de classes 0 et I identifiés dans le Nuage Moléculaire d'Orion ou Complexe d'Orion situé à environ 1500 années-lumière du système solaire et analysés par ALMA et le VLA dans le cadre du sondage VANDAM (VLA/ALMA Nascent Disk and Multiplicity). Documents ALMA/ESO/J.Tobin/NRAO/ S. Dagnello (2020).

Citons à part les "MYSO" pour Massive Young Stellar Object. Il s'agit de YSO massifs de plus de ~8 M, qu'on présume être les précurseurs des étoiles des classes O et B. Ces protoétoiles se forment beaucoup plus rapidement et vivent beaucoup moins longtemps que les étoiles de faible masse comme le Soleil.

Les MYSO naissent dans des coeurs denses chauds ( 100 K) et compacts ( 0.1 pc) au sein de nuages moléculaires géants. Après la formation du MYSO, son rayonnement ultraviolet dissocie l'hydrogène moléculaire (H2) et ionise l'hydrogène atomique résultant pour former une région H II.

Dans les premiers stades, le coeur de gaz est suffisamment dense pour ralentir le front d'ionisation, ce qui conduit à la formation d'une région H II ultra compacte (UC H II), une phase clé dans la vie des protoétoiles massives. De nombreuses régions UC H II sont associées à des gaz moléculaires chauds. On y détecte ainsi de l'ammoniac hautement excité, du monosulfure de carbone, des masers de méthanol et d'autres traceurs de la phase précoce du noyau chaud (cf. A.J. Frost et al., 2019 et M.Hajigholi et al., 2016).

La densité élevée des nuages de gaz et de poussières qui entourent les régions UC H II les rend totalement invisibles aux longueurs d'ondes UV et visible, mais leurs luminosités élevées (104-106 L) surpasse l'apparence des régions de formation stellaires en infrarouge lointain (300 GHz à 100 THz soit entre 1mm et 3 µm). L'émission provient de la poussière chauffée au sein du gaz ionisé et de l'enveloppe moléculaire dense environnante qu'on peut identifier par son spectre en forte augmentation depuis les longueurs d'ondes proche infrarouge jusqu'à l'infrarouge moyen (384 à 100 THz soit entre 0.8 et 3 µm). Ce sont donc des sujets de prédilection pour les radiotélescopes tels ALMA et les télescopes spatiaux infrarouge tels Herschel-HIFI et le JWST.

Parmi les MYSO citons les systèmes binaires PDS 27 (SS 103) situé dans le Grand Chien et PDS 37 situé dans les Voiles, G305.20+21 situé près de la Croix du Sud et HH1177 situé dans le Grand Nuage de Magellan.

Classification des protoétoiles

Les protoétoiles présentent différents stades d'évolution et les astronomes en ont découvert pratiquement à tous les stades évolutifs, depuis la jeune T Tauri âgée de 20000 ans à celle âgée de 10 millions d'années. En fonction de leur phase évolutive et de leur distribution d'énergie spectrale globale (étoile + disque), ces objets stellaires ont été répartis en 4 classes :

- Objets de classe 0 : l'embryon de ce qui deviendra le coeur de la protoétoile est caché dans un nuage de poussière (99% de molécules et 1% de poussières) sphérique en chute (contraction), formant une enveloppe froide de 10 à 70 K rayonnant dans le spectre radioélectrique. L'objet qui appartient à la classe des YSO (Young Stellar Object) est encore un globule de Bok mais présente un phénomène d'effondrement qui va progressivement donné naissance à un disque. Il est indétectable en dessous de 20 microns ou 0.02 mm et donc uniquement en infrarouge ou en radio thermique. On pense que l'astre évolue vers la classe I en dissipant son enveloppe circumstellaire ou CSE. Cette phase dure moins de 30000 ans.

- Objet de classe I : Un disque d'accrétion se forme dans le plan équatorial de la protoétoile et remplace le nuage originellement sphérique en raison de la conservation du moment cinétique. 

La jeune protoétoile est enveloppée de gaz en cours d'accrétion (en chute sur sa surface et augmentant sa masse). La température de la protoétoile varie entre 70-650 K. Les plus jeunes affichent des raies en émission et une grande abondance de lithium. Leur émission infrarouge présente un spectre pentu (αIR > 0.3 entre 2.2-20 microns) qui la différencie clairement des autres classes.

Le vent stellaire généré par l'accrétion y compris magnétosphérique (voir plus loin) provient d'une région située en bordure de la cavité centrale d'où émane également le jet bipolaire (voir plus bas). Ce jet peut souffler la matière située dans le disque interne, rendant l'étoile visible. Parvenue à ce stade, l'astre est appelé T Tauri. L'essentiel de la lumière de la protoétoile est absorbée et réémise par l'enveloppe à des longueur d'ondes plus longues. Cette phase dure jusqu'à 200000 ans.

Séquence d'évolution d'une étoile

Phase évolutive

Effondrement

préstellaire

Accrétion

protostellaire

Etoile PMS*

en contraction

Etoile

ZAMS*

Schéma structurel

Classe T Tauri

Classe 0

Classe I

Classe II

Classe III

ZAMS

Processus

Adiabatique

Accrétion,

fusion du HD, début de la convection

Convective,

radiative,

début de la fusion nucléaire

Convective,

radiative,

fusion nucléaire

Flux de matière

Princ.vers le centre, un peu vers le disque et l'extérieur

Peu vers l'intérieur, princ. accrétion vers l'extérieur et jets

Faible accrétion

?

-

Dimension du disque

/ enveloppe

< 10000 UA

< 1000 UA

< 400 UA

~100 UA

-

Taux d'effondrement

/ accrétion

10-4

10-5

10-6 - 10-7

?

-

Âge

104 - 105 ans

105 - 106ans

106 - 107 ans

106 - 107 ans

-

Bande d'émission

(sauf IR)

Radio thermique,

rayon X ?

Radio thermique,

rayon X

Optique, radio,

rayon X dur

Optique, radio non thermique,

rayon X dur

optique, radio non thermique,

rayon X dur

Indice spectral α

Source indétectable

sous 20 microns

α > 0.3

-0.3 > α > -1.6

α < -1.6

-

Classification IR de l'évolution des YSO entre l'effondrement du nuage préstellaire jusqu'au stade T Tauri de classe III. Document T.Lombry adapté de T.P. Greene et al. (1994) et Norbert Schulz (2005).

* YSO = Young Stellar Object, PMS = Pre-Main Sequence, ZAMS = Zero Age Main Sequence.

- Objet de classe II : l'étoile T Tauri est entourée d'un disque d'accrétion dont la composition est similaire à celle du nuage moléculaire original (99% de molécules, 1% de poussières) et généralement optiquement épais et opaque en raison de la dispersion de la lumière par les poussières. Cette matière chauffe et émet un spectre principalement infrarouge et visible. C'est la raison pour laquelle leur émission infrarouge présente un spectre à faible pente (-1.6 < αIR < 0) avec un plateau alors que la pente est beaucoup accentuée pour les objets de classe III. La température de la protoétoile varie entre 650-2880 K.

A ce stade, la protoétoile émet un jet bipolaire très lumineux et directif (la matière éloignée de la protoétoile présente un grand moment cinétique et doit perdre cette impulsion en s'approchant de l'astre sinon elle va tourner plus rapidement à mesure qu'elle se rapproche, tandis que la matière chutant vers les pôles tournerait également de plus en plus vite. Ce problème est évité par l'émission de jets par les pôles). Il peut également se former à plus grande distance un anneau de poussière à l'origine éventuelle de planétésimaux et plus tard de planètes. Malheureusement, mis à part le jet bipolaire, le phénomène d'accrétion-éjection est totalement invisible et ne peut être étudié que par des méthodes indirectes. On y reviendra.

A gauche, taux d'accrétion de matière en fonction de la masse de différents types d'étoiles. Les lignes horizontales noires et rouges indiquent l'incertitude sur la masse accrétée pour les protoétoiles IM et HM. A droite, au cours de l'évolution des jeunes étoiles T Tauri (YSO), on observe une forte corrélation entre le taux d'éjection de matière et la luminosité bolométrique (totale). Si le flow de matière et le taux d'accrétion diminuent avec l'âge de la protoétoile, la proportion reste approximativement constante. "Plat" représente les protoétoiles au stade intermédiaire entre les Classe  I et II dont le spectre est plat (cf. T.P. Greene et al., 1994). Documents M.T. Beltrán et W.J. de Wit (2015) et D.M. Watson et al. (2015) adaptés par l'auteur.

Durant cette étape qui peut durer 1 million d'années, certaines protoétoiles vont accréter jusqu'à ~90% de leur masse finale tandis que le disque ne contiendra plus que 1% de la masse totale de départ avec un maximum de l'ordre de 0.01 M, juste de quoi fabriquer une dizaine de planètes dont plusieurs géantes gazeuses et des milliards de débris de plusieurs kilomètres de diamètre. En revanche, dans beaucoup d'autres systèmes protostellaires dont ceux découverts dans le Nuage Moléculaire d'Orion ou Complexe d'Orion, un vaste ensemble de nébuleuses situées à environ 1500 années-lumière du système solaire (cf. En hommage à Orion), seul un tiers de la masse initiale d'hydrogène du nuage protostellaire s'est effondré et est accrété par la protoétoile. La théorie ne correspond donc pas aux observations et un autre mécanisme qui n'est pas encore identifié doit intervenir. On y reviendra plus bas.

La protoétoile entre dans la phase Pré-Séquence principale ou PMS, raison pour laquelle on dénomme également cet astre une "étoile PMS". Dès que son coeur atteint 1 million de degrés K, elle commence par brûler son deutérium tout en continuant à se contracter. En effet, l'étoile évacue son surplus d'énergie gravitationnelle sous forme radiative à travers le mécanisme de Kelvin-Helmohltz, un processus de refroidissement qui entraîne une baisse de pression que l'étoile compense par une nouvelle contraction qui entraîne un réchauffement de son coeur (c'est le même mécanisme qui explique pourquoi tout en se refroidissant Jupiter et Saturne rayonnent plus d'énergie qu'ils n'en reçoivent du Soleil). De plus, en raison du déclenchement des premières réactions thermonucléaires, la protoétoile émet des vents stellaires très violents.

Evolution des YSO (protoétoiles et étoiles PMS)

Phase évolutive

Protostellaire

Pre-Main Sequence (PMS)

Classe T Tauri

Classe 0

Classe I

Classe II

Classe III

Schéma structurel

Courbe d'énergie

Processus

Accrétion

Accrétion

Convection, fusion

Convection, fusion

Temps (années)*

< 30000

~200000

~1 million

~10 millions

Température du coeur

< 70 K

70 - 650 K

640 - 2880 K

> 2880 K

Masse du disque (M¤)

~1 < 0.1 ~0.01 < 0.001

Evolution d'une étoile entre la phase protostellaire initiale et la phase PMS classe III. * La séquence commence à t=0 soit 1 million d'années après le début de la phase préstellaire. Document T.Lombry adapté de Philippe André, 2002.

- Objet de classe III : la température au centre de l'étoile augmentant, le disque s'assèche à mesure que la matière est accrété par l'astre tandis que son rayonnement UVE irradie le disque interne mince, repoussant au loin et évaporant les grains de poussière. Le disque devient plus chaud et optiquement plus mince. La quantité de gaz contenue dans le disque diminue par photoévaporation et peut même être réduite à néant.

Le spectre est dominé par la lumière de la photosphère de l'étoile qui brille à présent clairement à travers les nébulosités. La poussière environnante et le gaz contribuent encore à une fraction du spectre infrarouge qui est caractérisé par une pente αIR < -1.6 en raison de sa minceur liée à la présence de débris (ou de planètes) et non plus de molécules.

Parvenue à cette étape, l'étoile PMS ou T Tauri est suffisamment massive pour que son coeur atteigne 10 millions de K et déclenche la fusion de l'hydrogène. Cette réaction va modifier son équilibre hydrostatique (le rayon d'une étoile ne dépend que de sa température, sa densité et de sa pression) et dorénavant l'étoile prendra la forme d'une sphère afin d'optimiser le contrôle de la prodigieuse quantité d'énergie générée par cette réaction thermonucléaire en chaîne.

La température effective de cette étoile est supérieure à 2880 K. A la fin de cette étape qui peut durer plus de 10 millions d'années, l'étoile T Tauri migre vers la Séquence principale des étoiles arrivées à maturité. Son profil d'énergie est à présent celui du corps noir mais il peut encore présenter une petite composante infrarouge ou radio thermique si elle s'entoure d'un anneau de débris ou de planètes.

Les étoiles T Tauri peuvent appartenir à la classe spectrale F, G, K ou M (du blanc au rouge). La majorité d'entre elles appartiennent aux classes de luminosité I ou II et ont généralement une masse inférieure à 3 M. Elles présentent toutes un jet bipolaire associé à une intense émission X variable (100 fois plus intense que celle du Soleil), des émissions radioélectriques et de puissants vents stellaires.

Dimension des disques protoplanétaires des étoiles Herbig Ae/Be

Parmi les étoiles PMS, il existe des étoiles similaires aux T Tauri mais plus chaudes dont la masse sur la Pré-Séquence principale varie entre 2-8 M et présentant une classe spectrale A ou B. Il s'agit des étoiles Herbig de type Ae/Be (HAe et HBe). Ce sont des objets des classes I et II intermédiaires entre les étoiles des classes A et B.

Grâce au satellite Gaia de l'ESA, en 2018 les astronomes avaient identifié 252 étoiles Herbig Ae/Be dont la majorité est entourée de poussières chaudes (cf. M.Vioque et al., 2018). 44 étoiles HAe/HBe émettent des rayons X et pourraient appartenir à des systèmes binaires comportant une T Tauri (cf. H.Anilkumar et al., 2024). Mais cette hypothèse doit encore être validée.

Parmi les systèmes protoplanétaires abritant une étoile Herbig Ae/Be, à ce jour les astronomes ont découvert trois systèmes se présentant de profil (par la tranche) :

- IRAS 18059-3211 surnommé le "Hamburger de Gomez" (Gomez' Hamburger ou GoHam) découvert par Arturo Gomez du CTIO en 1985 dont le rayon du disque est de ~1200 UA.

- PDS 144N découvert par l'équipe de Marshall D. Perrin en 2006 dont le rayon du disque est de 88 UA. PDS 144 est un système binaire large (cf. J.B. Hornbeck et al., 2012).

- IRAS 23077+6707 alias "DraChi" découvert par l'équipe de Ciprian T. Berghea en 2024 dont le rayon du disque atteint ~1650 UA.

Pour rappel, selon les propriétés du disque protostellaire (la masse de la protoétoile, l'inclinaison du champ magnétique et le paramètre de magnétisation), les simulations les plus optimistes suggèrent qu'une fois parvenu à l'équilibre hydrostatique, la dimension du disque peut atteindre un rayon de 200 à 800 UA pour une épaisseur atteignant 33 UA pour une protoétoile d'une fraction de la masse du Soleil (voir page précédente).

Le rayon réel d'un disque protoplanétaire peut largement dépasser les 1000 UA mais comme les contours d'une nébuleuse, il est difficile à déterminer même si on connaît la distance de l'étoile avec précision. Le gaz d'un disque protoplanétaire s'étend sur des distances supérieures au disque de poussière. Dans le cas de Tau 042021 par exemple qu'on observe également de profil, certains auteurs (cf. G.Duchêne et al., 2024) affirment qu'il présente un rayon de 1000 UA car ils ont détecté du gaz jusqu'à cette distance. Cependant, lorsqu'ils effectuent la modélisation correspondant aux images optiques, ils utilisent un rayon de 400 UA.

Pour rendre les choses encore plus compliquées, il y a parfois des détails étendus comme les "appendices" (les "fangs") qu'on voit dans DraChi dont on ignore encore si elles font partie du disque ou s'il s'agit de filaments, de traces de vents stellaires, de l'enveloppe, etc.

La taille d'un disque protoplanétaire ne diminue pas nécessairement avec le temps. En revanche, l'enveloppe qui entoure le disque se dissipe et finit par disparaître complètement tandis que la poussière se dépose plus près du centre et les grains du disque grossissent par collision-accrétion. Finalement, le gaz contenu dans le disque se dissipe et il ne reste plus que de gros grains de poussière ou des planétoïdes qui finissent par atteindre la taille des astéroïdes ou des planètes. On y reviendra (voir page 7).

A consulter : Catalog of Circumstellar Disks

A gauche, image optique prise par Pan-STARRS en bande giy soit 4866, 7545 et 9633 Å du disque protoplanétaire IRAS 23077+6707 alias "DraChi". Le dique brillant mesure environ 11" de longueur. Dans la partie nord du disque, de très faibles filaments s’étendent sur 17" à partir des deux bords du disque tandis que la partie sud présente une extinction plus importante. Une asymétrie latérale est également visible, suggérant une région interne inclinée. Le disque de gaz et de poussière est tellement épais qu'il cache totalement l'étoile centrale. Au centre, une photo RGBI prise par le HST en 2013 de la nébuleuse protoplanétaire IRAS 18059-3211 surnommée le "Hamburger de Gomez" (GoHam) découvert en 1985 par Arturo Gomez du CTIO. Les deux zones brillantes symétriques sont des régions poussiéreuses entourant le disque de gaz et de poussière qui obscurcit totalement la lumière de l'étoile centrale. A droite, le disque de PDS 144N découvert en 2006. Documents C.T. Berghea et al. (2024), J.Schmidt/HST et Simbad.

Décrivons en détails le système IRAS 23077 car il s'agit probablement du plus grand système protoplanétaire découvert à ce jour.

IRAS 23077, un disque protoplanétaire géant

En 2024, Ciprian T. Berghea de l'USNO (U.S. Naval Observatory) et ses collègues ont annoncé la découverte de ce qui est probablement le plus grand disque protoplanétaire jamais observé (cf. C.T. Berghea et al., 2024) avec une dimension deux fois supérieure aux prédictions les plus optimistes.

L'objet fut découvert par Berghea en 2016 à l'aide du télescope Pan-STARRS. Il se situe dans la constellation de Céphée à environ 1000 années-lumière du Soleil. Comme le montre la photo présentée ci-dessus à gauche, IRAS 23077+6707 (IRAS 23077 en abrégé) alias "DraChi" ressemble à un papillon cosmique géant de magnitude intégrée d'environ +14.2 dont le disque mesure 11" de longueur. Par une nuit bien sombre, cet objet est donc visible dans un télescope amateur de 200 mm de diamètre sous la forme d'une tache floue allongée mais il reste un objet difficile à distinguer.

Pour la petite histoire, IRAS 23077 fut surnommé le "Chivito de Dracula" ("DraChi" en abrégé) par Berghea, qui grandit dans la région de Transylvanie en Roumanie, près de l'endroit où vivait le célèbre Vlad Dracula. Par analogie avec IRAS 18059-3211 alias le "Hamburger de Gomez" présenté ci-dessous au centre et sachant que le nom de "Papillon" (Butterfly) était déjà assigné à une nébuleuse planétaire (NGC 6302), les chercheurs ont suivi la suggestion d'Ana Mosquera, coautrice de l'article avec Berghea, de lui donner le nom du plat national de son pays, le "chivito", qui ressemble à un hamburger. C'est ainsi que "DraChi" naquit.

Photos de IRAS 23077 (DraChi) prises respectivement grâce à la chambre Schmidt du Mt Palomar dans le cadre du sondage DSS2 (1983-1998) et par Pan-STARRS en 2024.

A l'époque, l'équipe de Berghea ne savait pas qu'il s'agissait d'un disque protoplanétaire et il fallut des données supplémentaires pour le découvrir. L'une des raisons était que Berghea et ses collègues ne connaissaient pas le type spectral de l'étoile jusqu'à ce que des astronomes amateurs français recherchant des nébuleuses planétaires en prennent le spectre en 2019 et mettent les scientifiques sur la piste (cf. Le Dû et al., 2022).

Ensuite, grâce au réseau submillimétrique SMA (Submillimeter Array) installé à Hawaï et exploité conjointement par le SAO (Smithsonian Astrophysical Observatory) du CfA (Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian) et l'ASIAA (Institut d'Astronomie et d'Astrophysique Academia Sinica) de Taiwan, les chercheurs ont confirmé qu'il s'agissait d'un disque protoplanétaire.

Grâce au SMA, les auteurs ont détecté du monoxyde de carbone (CO) dans le disque. De plus, ce gaz présente une rotation képlérienne, confirmant ainsi que le disque est en rotation autour d'une très jeune étoile et qu'il ne s'agit pas d'une nébuleuse planétaire autour d'une étoile mourante.

Selon Kristina Monsch, astrophysicienne au SAO et postdoctorale au CfA, qui dirigea la campagne d'observations au SMA et première autrice du second article sur DraChi, "Les données du SMA nous offrent la preuve irréfutable qu'il s'agit d'un disque et, couplées à l'estimation de la distance du système, qu'il tourne autour d'une étoile probablement deux à quatre fois plus massive que notre Soleil." (cf. K.Monsch et al., 2024).

On sait aujourd'hui que DraChi abrite une étoile de classe spectrale A9. Il ne s'agit pas d'une T Tauri mais d'une étoile Herbig Ae; elle appartient à la famille des étoiles PMS présentant des masses élevées variant entre 2 et 8 M. L'étoile HAe de DraChi présente une masse de 1.5 à 2.0 M, une luminosité de 11.5 L et une température effective comprise entre 6500 et 8500 K.

Le disque de DraChi est incliné de 82° d'où les auteurs ont déduit qu'il présente un rayon de 1650 UA et une masse totale estimée à 0.2 M. C'est un record ! Par comparaison, le disque de GoHam mesure environ 1200 UA. Mais comme GoHam, l'étoile centrale étant cachée par le disque de poussière, la distance de DraChi est encore incertaine et devra être précisée par les télescopes spatiaux Hubble et James Webb.

Le disque de gaz et de poussière de DraChi contient suffisamment de matière pour former de nombreuses planètes géantes jusqu'à des distances supérieures à 300 fois l'équivalent de la distance entre le Soleil et Jupiter soit plus de 1500 UA. Ce disque est tellement épais qu'il obscurcit totalement la lumière émise par l'étoile centrale. En revanche, le rayonnement infrarouge du disque est détectable aux longueurs d'ondes millimétriques.

Selon Berghea, l'étoile Herbig Ae de DraChi est aujourd'hui dans la classe dite FS, qui se situe entre les classes I et II, car l'enveloppe se dissipe et devient très pâle. Dans les stades ultérieurs, l'enveloppe disparaîtra complètement. Par comparaison, l'étoile de GoHam est probablement déjà en classe II.

Actuellement, apparemment aucun de ces trois systèmes protoplanétaires ne montre de jet (voir ci-dessous). Mais ça ne veut dire qu'ils ne sont pas très jeunes (classe 0 ou I). DraChi est jeune car il présente encore une faible enveloppe et pourrait donc en principe encore produire de faibles jets mais invisibles par Pan-STARRS. Il est possible que le HST et le JWST ou d'autres télescopes révèlent de nouvelles structures. Mais en 2024, l'équipe de Berghea n'avait pas réussi à obtenir du temps d'observation sur ces télescopes.

Quant à l'âge de DraChi , Berghea avoue que ce n'est pas facile à déterminer. Sur base de disques similaires, leur durée de vie est d'environ 2 à 3 millions d'années. Il s'agit donc d'un système très jeune. Mais actuellement, on peut juste dire que DraChi est probablement plus jeune que GoHam.

Selon Joshua Bennett Lovell, astrophysicien au SAO, postdoctorant au CfA et coauteur du second article avec Monsch, "La découverte d'une structure aussi étendue et brillante qu'IRAS 23077 pose des questions importantes. Combien de ces objets avons-nous encore manqués ? Une étude plus approfondie d'IRAS 23077 est justifiée pour étudier les voies possibles de formation des planètes dans ces environnements extrêmement jeunes, et comment celles-ci pourraient être comparées aux populations d'exoplanètes observées autour d'étoiles lointaines plus massives que le Soleil."

A l'avenir les auteurs vont tenter de débusquer des systèmes protoplanétaires encore plus jeunes. Selon Jeremy Drake, astrophysicien senior à la division des Hautes Energies au Centre de technologie avancée chez Lockheed Martin et coauteur des deux articles précités, "En plus d'acquérir de toutes nouvelles données sur IRAS 23077, nous devons également continuer à rechercher d'autres objets similaires si nous voulons découvrir l'histoire du développement des systèmes planétaires extrasolaires au cours de leurs premières années."

Le jet bipolaire

Comme on le voit ci-dessous, grâce aux observations et aux simulations, nous savons depuis 1980 que la formation d'une protoétoile s'accompagne de l'émission spectaculaire de jets directifs en sens opposés, ce qu'on appelle un jet bipolaire, un phénomène qui fait intervenir un mécanisme magnétique complexe sur lequel nous reviendrons page suivante.

Cette émission de jets est typique des YSO proches des T Tauri ou de type T Tauri, c'est-à-dire de très jeunes protoétoiles variables qui n'ont pas encore démarré la fusion nucléaire dans leur noyau mais évoluent pour devenir des étoiles.

Ces jets s'échappent dans l'espace à une vitesse supersonique qui varie entre 45 km/s et ~600 km/s. Ils bloquent l'augmentation du volume de la protoétoile et favorisent la formation d'un disque équatorial.

Dans le cas de jets bipolaires lents (> 0.2 km/s), les simulations montrent qu'ils peuvent transporter entre 10-100% de la masse accrétée sur la protoétoile.

Dans le cas de l'objet Herbig-Haro HH111 présenté ci-dessous à gauche et au centre, il s'agit d'une protoétoile au stade T Tauri de classe II enfouie dans un nuage dense de 30 M situé dans le nuage cométaire ou nuage sombre L1617 du nuage moléculaire Orion B, juste à l'extérieur de la Boucle de Barnard, dans le quadrant nord-ouest de la constellation d'Orion (cf. R.Reipurth et al., 2008). La protoétoile a déjà accrété une grande partie de sa masse et présente un disque plus stable. Son activité est moins intense qu'une T Tauri de classe I et sa phase d'accrétion est sur le déclin.

La protoétoile présente une luminosité d'environ 25 L. Elle émet un puissant jet bipolaire dont la longueur totale atteint environ 2.6 années-lumière ! En 45 mois d'observation (entre sept. 1994 et mai 1998), le jet s'est déplacé d'environ 250 UA. Sa vitesse d'expansion varie entre 300 et 600 km/s (cf. R.Reipurth et al., 1992).

Sur la première image, les deux jets (en bleu) sont émis en sens opposés à partir de la seule région de la protoétoile où le champ magnétique est ouvert. Ils proviennent de la partie interne du disque d'accrétion (l'anneau d'accrétion orange vu de profil au centre) et participent au transfert d'énergie vers le disque protoplanétaire.

A voir : A virtual gas cloud collapses into a smattering of new stars, Starforge Coll., 2021

Simulation de l'effondrement d'un nuage protostellaire de ~20 pc de diamètre

A gauche, l'objet de Herbig-Haro HH111, une protoétoile T Tauri située à 1300 années-lumière dans le nuage sombre L1617 du nuage moléculaire Orion B. Elle présente un jet dont la longueur totale atteint environ 2.6 années-lumière ! A sa droite, gros-plan sur la partie la plus éloignée du jet dans laquelle on distingue des chocs probablement engendrés par les instabilités de la protoétoile. A droite du centre, le disque protoplanétaire et le jet bipolaire éjecté à plus de 1000 UA par la protoétoile HH30 Tauri située à 450 années-lumière dans le nuage sombre LDN 1551 du Nuage Moléculaire du Taureau (TMC) photographié par le JWST en 2025 combiné à une image submillimétrique prise par ALMA. Les données d'ALMA montrent la concentration des grandes particules de poussière, tandis que l'image du JWST révèle la distribution des petites poussières. A droite, une image de HH30 prise par le HST en 1995. Documents NASA/ESA, NASA/ESA/STScI/U.Rice, NASA/ESA/CSA et NASA/ESA/STScI.

Dans le cas de l'objet HH30 présenté ci-dessus à droite situé dans le nuage sombre LDN 1551 du Nuage Moléculaire du Taureau (TMC) et non loin du système protostellaire HL Tauri, il s'agit d'une protoétoile de type A au stade T Tauri de classe I; elle possède encore un disque protoplanétaire et des jets bien visibles et est en transition entre la phase d'accrétion et la phase de stabilisation.

Le jet bipolaire de HH30 est émis perpendiculaire au plan du disque à une vitesse de ~100-300 km/s et s'étend sur plus de 1000 UA (cf. G.Anglada et al., 2007). Il est généré par des processus magnéto-centrifuges (voir page suivante).

Le jet présente une structure conique avec un angle d'ouverture assez large d'environ 35° avec un écoulement de gaz le long de la surface conique à une vitesse constante d'environ 9.3 km/s (cf. F.Louvet et al., 2018). Cet écoulement plus lent est vraisemblablement lié à la combinaison de processus thermiques moins énergétiques (pression de radiation de la protoétoile et processus de dissipation d'énergie) et d'accrétion. La matière provenant des régions périphériques du disque, où les conditions sont moins extrêmes qu'au centre, s'échappe de manière plus diffuse et moins collimatée. 

Ces deux processus (jet et écoulement) jouent un rôle crucial dans l'évolution du disque et de la protoétoile, et peuvent également interagir entre eux dans l'évolution dynamique de la région.

Concernant son disque protoplanétaire, les données du JWST et d'ALMA ont révélé la présence de petites (millimétriques) et de grandes particules de poussières ainsi que la formation de couches denses propice à la formation de planètes par accrétion. Ensemble, ces observations permettent de modéliser les processus en jeu et indirectement de mieux comprendre la formation du système solaire.

A gauche, vues générales et gros-plans sur les systèmes protostellaires HL Tauri (au-dessus) et HH30 Tauri (en dessous) située à 450 années-lumière. Voici la photo annotée. Il s'agit de la combinaison d'images visibles prises par la Télescope Spatial Hubble (en bleu/rose) et par ALMA en 2014 (disque orange). Ces images comptent parmi les plus importantes prises de ses dernières années car elles permettent aux astronomes de comprendre comment les planètes se forment. Ces deux systèmes sont âgés d'environ 1 million d'années et leur protoétoile respective, invisible à cette longueur d'onde, a déjà ralenti sa croissance et est encore entourée d'un disque dense de gaz et de poussière. Au centre, les trous sombres dans le disque de HL Tauri se développent comme des ellipses sombres et pourraient être l'empreinte des futures exoplanètes en train d'accréter la matière alentour. Au moins six protoplanètes seraient en train de se former dans ce disque qui mesure 90 UA de rayon, soit deux fois la distance du Soleil à Pluton. A droite, image composite optique (VLT/MUSE en bleu) et millimétrique (ALMA en orange) du système protoplanétaire HD 163296 situé à ~400 années-lumière dans la constellation du Sagittaire (cf. ESO) révélant le disque en rotation et le jet bipolaire expulsant du gaz, principalement de l'hydrogène, à grande vitesse du centre du disque. ALMA a détecté des anneaux de poussière jusqu'à 160 UA de l'étoile et des zones évidées concentriques suggérant qu'au moins trois protoplanètes massives sont en formation dans le disque (cf. ESO et A.Isella et al., 2016).

Si la vitesse d'éjection des jets protostellaires est parfois aussi rapide que celle des jets émis par les AGN et autres radiosources qui abritent un trou noir, on ne peut pas les confondre avec ces astres car la quantité d'énergie libérée (leur luminosité) est très différente : pour HH30 elle est de l'ordre de 1032 erg/s, c'est-à-dire au moins dix mille milliards (1013) de fois inférieure à celle des AGN (par ex. >1045 erg/s pour 3C 120). Ce jet bipolaire est émis à travers tout le spectre.

RW Aurigae affiche également un jet comptant parmi les plus brillants, son intensité n'étant dépassée que par celui de DG Tauri et HL Tauri. Il présente également une vitesse transversale variant périodiquement suggérant que son jet optique est en rotation et est peut être projeté par un effet magnétique depuis la surface d'un disque de 0.2 à 3 UA de rayon. On reviendra sur cette étoile binaire accrétante, variable et LMXB quand nous évoquerons les disques de poussière (cf. page 6) car elle cache bien d'autres particularités.

A voir : Celestial Lightsabers: The Stellar Jets of HH 24

Les étonnants jets bipolaires émis par les systèmes protostellaires HH24 (gauche) et HH34 (centre) photographiés en 2015 par le Télescope Spatial Hubble. A droite, une illustration du coeur du phénomène. Une protoétoile en formation est entourée d'un disque de poussière et de gaz en forme de crêpe provenant de l'effondrement de la nébuleuse qui lui donna naissance. Le gaz accrété par l'étoile est porté à haute température et une partie s'échappe le long de l'axe de rotation de l'étoile. Canalisé par des champs magnétiques, le plasma s'échappe par les jets bipolaires entre 45 et 500 km/s jusqu'à des distances variant entre 100 et plus de 50000 UA (0.8 a.l.) voire 1 années-lumière. Ce jet bloque l’augmentation du volume de la protoétoile et favorise la formation d’un disque équatorial. Documents NASA/ESA/STScI/A.Field.

Toutes ces protoétoiles sont dans une phase Pré-Séquence principale qu'elles atteindront dans quelques millions d'années. Arrivée à cette étape, la quantité de matière visible éjectée par la protoétoile représente entre 10 et 30% de la matière accrétée par l'embryon stellaire.

FS Tau

FS Tau (FS Tauri), également appelé HH157 ou TIC 58437437 présenté ci-dessous, est un système situé à environ 450 années-lumière dans la constellation du Taureau. Il fait partie de la région Taurus-Auriga composée de nuages moléculaires denses et sombres qui abritent des nurseries d'étoiles comprenant de nombreuses protoétoiles et de jeunes étoiles. FS Tau est né il y a seulement environ 2.8 millions d'années.

FS Tau est un système multiple composé de FS Tau A, l'étoile brillante située près du centre de l'image présentée ci-dessous à gauche qui elle-même composée de deux étoiles au stade T Tauri formant un couple serré, et de FS Tau B (alias Haro 6-5B), l'objet brillant visible à l'extrême droite et partiellement obscurci par une bande sombre verticale de poussière. La photo montre également d'autres protoétoiles encore enveloppées de gaz et de poussière à travers lesquels perce difficilement la lumière.

FS Tau B est une protoétoile entourée d'un disque protoplanétaire composé de gaz et de poussière. L'épaisse bande de poussière indique qu'on le voit presque de profil.

FS Tau B est probablement sur le point de devenir une étoile T Tauri.

A gauche, vue générale du système FS Tau photographié par le HST. Voici la version zoomable. A droite gros-plan sur FS Tau B recconnaisable à la bande sombre de son disque protoplanétaire vu presque de profil. Documents NASA/JPL/ESA.

Le jet bipolaire cyan qu'on aperçoit de part et d'autre de FS Tau B témoigne que cet objet est une protoétoile qui éjecte dans l'espace des flux de matière. FS Tau B génère un jet asymétrique qui peut être dû au fait que la matière est expulsée à des rythmes différents.

FS Tau B est également classé parmi les objets Herbig-Haro. Ces objets se forment lorsque des jets de gaz ionisé éjectés par une protoétoile entrent en collision à grande vitesse avec des nuages de gaz et de poussière situés à proximité, créant ainsi des nébulosités brillantes.

Comme on le voit, l'émission de jets n'est pas exceptionnelle au stade protostellaire et on a déjà observé un tel phénomène dans les objets de Herbig-Haro tels HH24, HH30, HH34, HH111 ou encore HH154 (L1551), cette dernière contenant des enveloppes en forme de tore protostellaire ainsi que BKLT 1623-2418.

Nous verrons dans un autre article qu'un disque d'accrétion fut découvert autour du MYSO du système HH1177 situé dans le Grand Nuage de Magellan à 163000 années-lumière du centre de la Voie Lactée. C’est la première fois qu'un tel disque est découvert en dehors de la Galaxie.

Les trajets de Hayashi et de Henyey

Comme le découvrit l'astrophysicien Chūshirō Hayashi en 1966, une protoétoile d'un certain rayon et d'une certaine masse présente une température effective (superficielle) minimale d'environ 2880 K, appelée la température de Hayashi. En dessous de cette température, la protoétoile n'est pas stable d'un point de vue hydrostatique et va donc chercher une configuration stable. A ce stade de son évolution, si on place la protoétoile dans un diagramme H-R tracé en fonction de sa température effective et de sa luminosité (cf. la courbe bleue ciel à droite dans ce diagramme H-R mais en théorie cette courbe n'apparaît pas encore dans ce diagramme), on observe qu'elle suit ce qu'on appelle le trajet de Hayashi comme on le voit dans le tableau présenté ci-dessous à droite (courbes bleues pour des protoétoiles de différentes masses). Ce trajet commence à droite par une brève courbe asymptote (accroissement vertical vers l'infini) appelée la ligne de Hayashi et se termine vers la gauche par une courbe plus ou moins horizontale placée plus ou moins haut dans le diagramme en fonction de la masse de la protoétoile.

A la fin de la phase protostellaire, la protoétoile poursuit ses contractions gravitationnelles appelées les contractions de Hayashi. Lorsque la protoétoile a trouvé son équilibre hydrostatique, elle quitte le trajet de Hayashi pour prendre un court instant le trajet de Henyey propre aux étoiles en équilibre radiatif (rayonnant comme un corps noir).

La ZAMS

Lorsque la protoétoile a atteint son équilibre radiatif et que la température dans son coeur permet d'amorcer la fusion de l'hydrogène, elle se dirige vers le point d'entrée de la Séquence principale appelé l"Âge Zéro de la Séquence Principale" ou ZAMS ("Zero Age Main Sequence", en pointillé vert ci-dessous à droite). L'étoile devient optiquement visible, c'est ce qu'on appelle la "ligne de naissance" dans le diagramme H-R de la Pré-Séquence principale. Parvenue à l'âge de la maturité, l'étoile peut enfin monter sur la Séquence principale et brûler son hydrogène jusqu'à l'épuisement ou presque. On y reviendra dans l'article consacré à la vie des étoiles.

A gauche, structure d'une protoétoile. Par simplicité la taille relative des régions extérieures a été réduite (rapprochée du centre). Au centre, modélisation d'une coupe en densité selon l'axe radial (de profil) d'une étoile T Tauri avec l'émission du jet bipolaire d'une ouverture angulaire de 20° (en bleu foncé). Le coeur s'étend sur plusieurs rayons solaires tandis que le disque mesure 400 UA de rayon et représente une masse totale équivalant au tiers de celle du Soleil. Les deux petites excroissances à gauche et à droite correspondent aux limites du disque. A droite, les trajets évolutifs de Hayashi des protoétoiles en fonction de leur masse (courbes horizontales bleues en zigzag pour des étoiles PMS de 0.5 à 15.0 M) dans le diagramme H-R de la Pré-Séquence principale. La protoétoile évolue de droite à gauche jusqu'aux pointillés gras en vert représentant la ZAMS (Age Zero de la Séquence principale), c'est-à-dire son point d'entrée sur la Séquence principale. Notez que sa hauteur varie en fonction de la masse (ou la luminosité) initiale de l'étoile. Les lignes pointillées quasi verticales numérotées de 1 à 5 indiquent les différents trajets de Hayashi possibles pour la Pré-Séquence principale. La courbe 1 est le début du trajet de Hayashi des étoiles de faible masse (< 3 M) au terme duquel elles arrivent sur la Séquence principale. Les courbes 2-5 couvrent les trajets de Henyey radiatifs du diagramme H-R qui précèdent la ZAMS et l'entrée sur la Séquence principale. La courbe orange en traits et pointillés gras est la ligne de naissance pour un taux d'accrétion de 10-5 M/an. Notez la zone interdite de Hayashi à droite. Documents T.Lombry basé sur S.Stahler et F.Palla, "The Formation of Stars" (2004), M.Joos et al./ESO et N.Schulz (2004) adaptés par l'auteur.

Concernant le Soleil, avec 1 M on estime qu'il devint une T Tauri 17 millions d'années après sa formation si on se base sur l'âge des plus anciennes météorites et les modèles soit il y a environ 4.58 milliards d'années. La Terre se forma environ 10 millions d'années plus tard il y a environ 4.568 milliards d'années. Evidemment, à cette époque sa surface était un océan de magma qui mit environ 100 millions d'années pour se refroidir. On y reviendra à propos de l'évolution de la Terre.

Le disque d'accrétion des étoiles T Tauri n'a pas encore totalement disparu et peut encore jouer un rôle majeur dans la formation des futures planètes s'il est relativement peu massif (< 10% de la masse de l'étoile). C'est ici qu'interviennent de nouveau le moment cinétique et le champ magnétique.

A l'heure actuelle, les astronomes ont découvert plus de 500 étoiles T Tauri dont plusieurs dans l'amas ouvert NGC 1850 situé dans le Grand Nuage de Magellan. Au moins 4 systèmes T Tauri abritent une exoplanète : CVSO 30 (étoile M3), HD 106906 (étoile F), 1RXS J160929.1-210524 (étoile K) et Gliese 674 (étoile M). HL Tauri et HH30 seront probablement promues à ce titre dans quelques millions d'années.

Structure physique d'un disque de type T Tauri. Notez les fortes températures du gaz à la surface du disque en raison de son ionisation (chauffage) par le rayonnement de la protoétoile tandis que les poussières situées dans le plan restent froides, ce qui est propice à leur accrétion. Documents Karen Willacy et al. (2015) adaptés par l'auteur.

Environ 60% des T Tauri ont moins de 3 millions d'années et la plupart présentent un disque d'accrétion. Dans le cas de RW Auriga déjà citée son disque interne contient des débris suffisamment massifs et nombreux pour être attirés et engloutis par l'étoile. Quand cela se produit, il se forme un immense nuage de gaz et de poussière qui provoque une diminution temporaire de sa luminosité, ce qui explique sa variabilité. On y reviendra.

Evolution du moment cinétique

Si les étoiles T Tauri peu massives présentent une vitesse de rotation de l'ordre de 10 km/s, lorsque les objets de classe III entrent dans la Séquence principale, on observe une grande diversité de vitesses de rotation avec un maximum d'environ 160 km/s alors qu'une fois établie sur la Séquence principale la vitesse de rotation d'une étoile de faible masse retombe à quelques km/s (par ex. 2 km/s pour le Soleil). Par quel mécanisme peut-on expliquer cette évolution ?

Ces différences de vitesses s'expliquent par la configuration de ces systèmes stellaires et la présence ou non d'un champ magnétique couplé au disque d'accrétion. En effet, comme on le voit ci-dessous à gauche, en début de cycle, lorsque l'étoile T Tauri est encore entourée d'un disque massif, si les configurations sont alignées, le couplage du champ magnétique avec le disque freine rapidement la vitesse de rotation de l'étoile mais celle-ci augmente encore un peu du fait que la protoétoile continue à se contracter. Dans ce cas, le moment cinétique est transféré plus efficacement au disque et vers les parties externes du coeur tandis que la masse est transférée vers l'étoile par accrétion. Par conséquent, la vitesse de rotation est relativement lente.

Notons que la masse du disque est également corrélée à la magnétisation du coeur : plus le champ magnétique est intense et donc le freinage magnétique efficace, plus le disque est de faible masse. Ainsi, les simulations montrent que dans le cas où le paramètre de magnétisation μ = 2, les disques ne dépassent jamais une masse de 0.05 M.

A gauche, lorsque les lignes de force du champ magnétique de la protoétoile traversent le disque d'accrétion, ils s'enlisent comme une cueillère dans du sirop. Ce mécanisme réduit la rotation de la protoétoile jusqu'à celle du disque, permettant à l'astre de continer à se contracter. Voir aussi la vidéo sur le site de la NASA. A droite, gros-plan sur le disque de gaz et de poussière qui enveloppait le proto-Soleil il y a 4.58 milliards d'années, lorsqu'il était une T Tauri (classe I). A ce stade, le disque mesure encore 400-1000 UA. Les étoiles HL Tauri et HH30 Tauri sont actuellement au même stade. Documents NASA/JPL-Caltech/ R.Hurt et T.Lombry.

En revanche, lorsque l'étoile T Tauri a perdu son disque d'accrétion, la contraction gravitationnelle de l'étoile conduit celle-ci à accélérer sa vitesse de rotation puisque rien ne peut à présenter la freiner. Le moment cinétique est conservé et à mesure que l'étoile se contracte pour retrouver sa stabilité sa vitesse passe progressivement de 10 à 160 km/s. Ce n'est qu'une fois parvenue sur la Séquence principale dans un état d'équilibre à l'âge de la maturité que l'étoile perd de nouveau de la masse à travers le vent stellaie et retombe à une vitesse de rotation plus faible.

On arrive ainsi à montrer que le moment cinétique d'une étoile T Tauri est directement proportionnel à la vitesse de rotation et à la masse de l'étoile ainsi qu'au carré de son rayon.

Equilibre hydrostatique

D'un point de vue statistique, 3120 étoiles naissent chaque seconde dans l'univers visible (cf. U.Cornell). La plupart d'entre elles sont entourées d'un disque protoplanétaire. Etant donné que la matière s'effondre sur la protoétoile grâce au couplage entre la force de gravité et le champ magnétique, en théorie l'étoile pourrait accréter toute la matière et ne jamais former de planètes. Or le système solaire contient tout de même 8 planètes. Comment l'effondrement a-t-il été arrêté ?

A mesure que la température et la densité augmentent près du centre, la pression du rayonnement suit la même courbe, générant une force de pression dirigée vers l'extérieur. On estime que le Soleil atteignit cet équilibre entre la force gravitationnelle et la pression interne appelé l'équilibre hydrostatique en 25 millions d'années, à la fin de la phase T Tauri. Ca c'est la théorie. Mais en pratique, durant la phase T Tauri que nous venons de décrire, il existe des mécanismes qui nous échappent encore.

Quand théorie et observation ne concordent pas

En tant que T Tauri, les jeunes protoétoiles ou YSO de classe I sont en phase d'accrétion et commencent à émettre de puissants vents stellaires et un jet bipolaire qui repoussent toute la matière restante dans le disque interne, formant une énorme cavité autour de la protoétoile. En théorie, la pression du vent stellaire suffit à vider complètement l'hydrogène contenu dans l'environnement immédiat de la jeune protoétoile en quelques dizaines de milliers d'années. La jeune protoétoile n'étant plus alimentée, elle arrête sa croissance. Elle est sur le point d'arriver à maturité sur la ZAMS évoquée plus haut.

Les mécanismes de transport évoqués plus haut ne résolvent pas totalement la question du moment cinétique. Si l'éjection de matière par les pôles de la protoétoile permet de réduire son moment cinétique et favorise la formation du disque d'accrétion, en même temps ce processus empêche l'accrétion de matière sur l'étoile.

Comme nous l'avons expliqué, si quelques jeunes étoiles accrètent ~90% du gaz contenu dans le disque, on constate que dans la majorité des cas seuls 30% de la masse initiale d'hydrogène du nuage protostellaire s'effondrent et sont accrétés par la protoétoile. Le modèle actuel n'explique pas ce faible taux de conversion de l'hydrogène ni ce que devient le gaz qui n'a pas été utilisé. C'est ici que théorie et observation ne concordent pas.

Pour tenter de comprendre comment se forment les étoiles et affiner ce modèle, l'équipe de Nolan M. Habel de l'Université de Toledo, dans l'Ohio, analysa des centaines de protoétoiles situées dans le Nuage Moléculaire d'Orion précité.

Sachant que la chaleur rayonnée par le disque d'accrétion des protoétoiles émet dans l'infrarouge lointain (cf. la loi de Wien), on peut les détecter à grande distance, d'où l'intérêt d'utiliser des télescopes spatiaux sensibles à ce rayonnement et des radiotélescopes submillimétriques pour étudier les disques circumstellaires et protoplanétaires. Habel et ses collègues ont donc utilisé les télescopes spatiaux Hubble et Spitzer de la NASA et Herschel de l'ESA pour photographier 304 protoétoiles, dont quelques spécimens sont présentés ci-dessous.

Ces images montrent le détail des cavités produites par les protoétoiles à différents stades d'évolution T Tauri. A partir de la forme et de l'étendue de ces structures, les chercheurs ont pu mesurer les quantités de gaz rejetées pour former les cavités et ont découvert que même les étoiles dont l'étape de formation est la plus avancée possèdent encore des cavités étroites dans leur environnement gazeux.

A gauche, quatre images prises par le Télescope Spatial Hubble (HST) montrant des régions protostellaires en formation dans le Nuage Moléculaire d'Orion situé à 1500 années-lumière. A droite, gros-plans pris par le HST à 1.60 et 2.05 microns de trois exemples de protoétoiles présentant des cavités étroites de tailles croissantes. Documents N.M. Habel et al. (2021).

Jusqu'à présent, les modèles indiquent que le processus se poursuit jusqu'à ce que tout le gaz entourant l'étoile ait été rejeté, interrompant la croissance de la protoétoile. Or de toute évidence, ce mécanisme ne suffit pas pour expliquer la masse des jeunes étoiles arrivées à maturité.

Dans un article qui publié dans "The Astronomical Journal" en 2021 (en PDF sur arXiv), Habel et ses collègues ont montré que les cavités ne se développent pas régulièrement au cours de la croissance des protoétoiles. Ainsi, durant la phase de classe I où l'étoile accrète beaucoup de matière, ils n'ont trouvé aucune étoile développant une cavité. En revanche, la cavité semble réellement s'étendre lorsque l'étoile rejette tout le gaz du nuage protostellaire qu'elle n'a pas utilisé.

Selon Tom Megeath, coauteur de cette étude, "nous constatons qu'à la fin de la phase protostellaire, au moment où la majeure partie du gaz du nuage environnant est tombé sur l'étoile, un certain nombre de jeunes étoiles montrent encore des cavités assez réduites. Notre idée de la manière dont les étoiles s'arrêtent de grossir ne correspond donc pas à ces données". Selon Habel, "Il doit exister un autre processus pour éliminer le gaz qui ne finit pas dans l'étoile."

Pour comprendre pourquoi une partie du nuage protostellaire de gaz n'est pas accrétée par les protoétoiles, les chercheurs comptent beaucoup sur le télescope spatial James Webb (JWST). En effet, grâce à sa vision infrarouge, il permet aux astronomes de sonder les régions internes des disques protostellaires et de mesurer le taux d'accrétion du matériau du disque sur les protoétoiles afin de mieux comprendre la manière dont le disque de gaz interagit avec la protoétoile et les gaz qu'elle éjecte.

La morphologie imbriquée des vents dans les disques protoplanétaires

Grâce au spectrographe NIRSpec du JWST, une équipe internationale de chercheurs dirigée par Ilaria Pascucci du JPL de l'Université d'Arizona a étudié la morphologie des vents de disque dans plusieurs disques protoplanétaires. Ces vents de disque pourraient être la clé pour comprendre comment agit l'accrétion dans les disques protoplanétaires et comment les planètes se forment et migrent ensuite (cf. I.Pascucci et al., 2024 et en PDF).

Comme nous l'avons expliqué, les protoétoiles se développent par accrétion, en absorbant le gaz du disque qui tourbillonne autour d'elles, mais pour que cela se produise, le gaz doit d'abord perdre une partie de son moment angulaire, c'est-à-dire son inertie, sinon le gaz tournerait constamment autour de l'étoile et ne tomberait jamais sur elle.

Les vents de disque sont devenus des acteurs importants qui évacuent une partie du gaz de la surface du disque - et avec lui, le moment angulaire - ce qui permet au gaz restant de se déplacer vers l'intérieur et de finalement tomber sur l'étoile. Mais comme d'autres processus sont à l'œuvre pour façonner les disques protoplanétaires, il est essentiel de pouvoir distinguer les différents phénomènes.

Dans un disque protoplanétaire il existe trois principaux types de vents :

- Les vents de disque froid ou vents MHD sont des flux de gaz qui soufflent du disque protoplanétaire vers l'espace. En effet, les données cinématiques obtenues sur des étoiles jeunes (âgées de ~0.1 à 10 millions d'années) ayant une masse supérieure à celle de l'enveloppe en accrétion (Tauri de classe I et II) suggèrent qu'il doit exister des vents MHD étendus radialement. Ils sont alimentés en grande partie par des champs magnétiques et sont lancés sur une large gamme de rayons de disque et donc de vitesses de sortie, à proximité du rayon de corotation du gaz (~0.1 UA) et se propagent à travers une grande partie de la région de formation des planètes (jusqu'environ 1.3 UA, c'est-à-dire la zone des planètes rocheuses dans le système solaire). Une caractéristique distinctive des vents de disque est leur morphologie imbriquée ainsi que de leur chimie à tous les stades de l'évolution du disque stellaire.

- Les vents X sont générés lorsque la matière du bord intérieur du disque est poussée vers l'extérieur par le champ magnétique de l'étoile. Les lignes de champ stellaire se couplent étroitement au disque au rayon de corotation et lancent des vents MHD rapides (~ 150 km/s). Les vents X peuvent également collimater un jet.

- Les vents photoévaporatifs se développent uniquement à l'endroit où le gaz du disque a suffisamment d'énergie thermique pour échapper au champ gravitationnel stellaire, c'est-à-dire au-delà d'environ 1 UA et avec des vitesses ≤ 10 km/s. Contrairement aux vents de disque, l'absence de recollimation signifie que les jets rapides ne sont pas produits et que l'angle d'ouverture du vent reste proche de celui du lancement.

Selon Pascucci, "La manière dont une étoile accumule de la masse a une grande influence sur la façon dont le disque environnant évolue au fil du temps, y compris sur la façon dont les planètes se forment plus tard. Les façons spécifiques dont cela se produit ne sont pas comprises, mais nous pensons que les vents entraînés par des champs magnétiques sur la majeure partie de la surface du disque pourraient jouer un rôle très important."

Tandis que la matière du bord intérieur du disque est poussée vers l'extérieur par le champ magnétique de l'étoile grâce au vent X, les parties extérieures du disque sont érodées par des vents thermiques, qui soufflent à des vitesses beaucoup plus lentes.

Selon Tracy Beck du STScI de la NASA et coautrice de cet article, "Pour faire la distinction entre le vent entraîné par le champ magnétique, le vent thermique et le vent X, nous avions vraiment besoin de la sensibilité et de la résolution élevées du JWST."

A gauche, 4 panneaux montrant les images composites NIRSpec de 4 systèmes protoplanétaires vus de profil. L'émission [Fe II] à 1.644 µm est en bleu, l'émission H2 à 4.695 µm en vert et l'émission continue de la raie H2 est en rouge. L'émission CO vers 4.7 à 4.9 µm est indiquée dans le panneau inférieur droit en N/B. Le jet collimaté tracé dans [Fe II] se trouve à l'intérieur du cône de l'émission H2 plus large et, dans le cas de HH30, également dans l'émission CO. A droite du centre, gros-plan sur l'image composite de HH30 avec le même code de couleurs et après suppression de l'émission du disque. L'émission [Fe II] en bleu trace le jet étroit perpendiculaire au disque, l'émission H2 en vert trace la lumière diffusée par les petits grains à la surface du disque, et l'émission CO enregistrée par ALMA est en rouge dont la vitesse dans le référenciel local est d'environ 8.3 km/s. A l'extrême droite, la trace du centroïde de vitesse du jet [Fe II] en bleu et les traces des bords extérieurs des composantes H2 en vert et CO en gris détectées par NIRSpec. On constate la formation d'un cône dont l'ouverture est plus grande pour le CO que pour H2 et les deux émissions enfermées dans le vent plus froid du CO. Cette figure démontre la structure imbriquée des vents de disque. On distingue de petits décalages entre les lobes bleu et rouge des jets [Fe II]. Les cartes H2 ne montrent aucune structure de vitesse résolue, comme prévu si le gaz moléculaire se déplace à des vitesses inférieures à celles du jet. Documents I.Pascucci et al. (2024).

Les chercheurs ont sélectionné quatre systèmes protoplanétaires apparaissant de profil vus depuis la Terre dont HH30 Tauri présenté ci-dessus à droite et dont voici une photo en lumière blanche (son jet mesure plus de 1000 UA).

Contrairement au vent X étroitement focalisé, dans cette étude les chercheurs ont étudié les vents de disque qui s'étendent jusqu'aux orbites de formation des planètes rocheuses vers 1.3 UA et également plus loin au-dessus du disque que les vents thermiques, jusqu'à des centaines d'unités astronomiques.

En ciblant avec l'instrument NIRSpec du JWST des molécules distinctes comme H2 et CO dans certains états de transition (par exemple H2 0-0 S(9), CO (v=1-0) et CO (2-1)), les chercheurs ont pu suivre différentes couches de vents. Les observations ont révélé une structure tridimensionnelle complexe du jet central, imbriqué à l'intérieur d'une enveloppe en forme de cône de vents provenant de disques de plus en plus éloignés, similaire à une structure en oignon.

Selon Pascucci, "Nos observations suggèrent fortement que nous avons obtenu les premières images des vents qui peuvent supprimer le moment angulaire et résoudre le problème de longue date de la formation des étoiles et des systèmes planétaires."

Selon Naman Bajaj, étudiant gradué (post-licence) du JPL et coauteur de cet article, "Leur orientation a permis à la poussière et au gaz du disque d'agir comme un masque, bloquant une partie de la lumière brillante de l'étoile centrale, qui autrement aurait submergé les vents."

Il ressort de cette étude que le vent MHD génère un jet rapide d'environ 100 km/s, formé par la recollimation du vent intérieur qui se trouve à l'intérieur du gaz atomique et moléculaire se déplaçant à des vitesses plus faibles. Cependant, les flux à plus faible vitesse proviennent uniquement de la matière entraînée par le vent rapide, qui balaie le gaz près de la surface du disque et, lorsqu'une enveloppe en accrétion (en chute) est présente, elle rassemble également la matière de l'enveloppe près du bord extérieur du disque.

Les chercheurs ont également détecté dans chacun des quatre disques un trou central prononcé à l'intérieur des cônes, formé par des vents moléculaires.

A l'avenir, l'équipe de Pascucci espère étendre ces observations à davantage de disques protoplanétaires, pour avoir une meilleure idée de la fréquence des structures de vents de disque dans l'univers et de la façon dont elles évoluent au fil du temps.

Selon Pascucci, "Nous pensons qu'elles pourraient être courantes, mais avec quatre objets, c'est un peu difficile à dire. Nous voulons obtenir un échantillon plus large avec le James Webb, puis voir également si nous pouvons détecter des changements dans ces vents à mesure que les étoiles s'assemblent et que les planètes se forment."

En complément des observations du JWST, pour résoudre en partie les problèmes décrits ci-dessus, on peut faire appel aux radiotélescopes et examiner les champs magnétiques entourant les protoétoiles. Ceci nous conduit jusqu'à la cavité centrale du disque circumstellaire dont nous allons décrire la formation et la structure magnétique. C'est l'objet du prochain chapitre.

Prochain chapitre

La cavité centrale magnétosphérique

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