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La formation du système solaire
Phase protostellaire et transfert du moment cinétique (III) La phase protostellaire est la troisième et dernière phase de la formation d'une étoile mais aussi la plus complexe. Comme nous l'avons évoqué, le problème central dans la formation de n’importe quelle étoile escortée de planètes est de trouver un mécanisme expliquant le transfert du moment cinétique (moment angulaire) pendant l’effondrement du nuage de gaz et de poussières. Au stade initial de l'effondrement préstellaire, les particules se déplacent aléatoirement bien que la nébuleuse protosolaire présente déjà un bilan net de rotation. Autrement dit, les collisions entre le gaz et les particules amortissent tous les mouvements autres que ceux allant dans la direction orbitale acquise par inertie. Par conséquent, même durant la phase protostellaire tous les constituants du nuage de gaz et de poussières restent dans même plan car aucune force ne les pousse vers l'extérieur de l'épaisseur du disque. Ceci explique que les planètes du système solaire présentent toutes (à l'exception de Pluton) une très faible inclinaison orbitale. Mais pendant que l'effondrement se poursuit, la vitesse de rotation du nuage augmente en raison de la conservation du moment cinétique. En effet, par analogie avec une patineuse faisant la toupie, elle tournera sur elle-même beaucoup plus vite si sa masse est concentrée en serrant ses bras et ses jambes le long de son corps. L'effondrement gravitationnel est donc très efficace le long de l'axe de rotation de la nébuleuse protosolaire. Par conséquent, ce qui était encore au début une masse informe en lente rotation s'effondre pour former un disque mince d'environ 400 UA de diamètre soit quatre fois le grand-axe de l'orbite de Pluton dont la plus grande partie de la masse se concentre près du centre, dans le disque d'accrétion et le coeur. Ce nuage est composé pour 75% de sa masse d'hydrogène, de 23% d'hélium et de 2% d'éléments lourds. Durant les 30000 premières années de la phase protostellaire, le nuage rayonne encore principalement en infrarouge et dans les bandes radios submillimétriques et millimétriques. Il faudra attendre environ 200000 ans et la première phase T Tauri (Type I) sur laquelle nous reviendrons pour que la protoétoile rayonne par elle-même et observer un profil d'énergie proche de celui du corps noir superposé à une composante IR et radio respectivement propres au disque d'accrétion et à l'anneau de poussière (voir plus bas). A petite échelle on constate que la vitesse angulaire de la protoétoile augmente rapidement. Ainsi au cours de la contraction d'un nuage moléculaire géant de 23 pc soit 75 années-lumière de rayon, Peter Bodenheimer a montré que la vitesse angulaire de la protoétoile augmente progressivement d'un facteur 1014 ! Dans une telle structure, le moment cinétique est proportionnel à R1.6. Le moment cinétique d'une étoile T Tauri rapide par exemple est de l'ordre de 1018 cm2/s alors qu'il est devenu 1000 fois plus lent (1015 cm2/s) dans le cas du Soleil aujourd'hui.
Les astronomes ont très trop remarqué que le Soleil tournait lentement lui-même (1 rotation en 25 jours à l'équateur à la vitesse de 2 km/s et de 33 jours aux latitudes polaires) et représente près de 99.86% de la masse du système solaire, les planètes ayant capturé les 0.14% restants dont 71% par Jupiter, ce qui laisse un peu plus de 0.04% de matière pour former les 7 autres planètes et tout ce que contient le système solaire comme planètes naines, astéroïdes et comètes ! Mais si on calcule le moment cinétique de rotation du Soleil et celui de révolution des planètes, on constate que le moment cinétique du Soleil ne représente que 3% du total alors qu'il est le plus massif, tandis que celui des planètes dont la masse vaut 0.14% du système solaire, représente 97% du moment cinétique total. Un transfert du moment cinétique du Soleil s'est donc produit dans le passé. Mais vers quoi et sous quelle forme ? On a longtemps cru que sous l'effet de la force centrifuge, la protoétoile en formation éjecta de la matière sous forme d'un disque équatorial qui donna naissance aux planètes. En réalité, c'est le contraire qui s'est produit ! Et c'est justement les études de l'origine et des modes de transfert du moment cinétique qui ont permis de comprendre ce phénomène. Plusieurs mécanismes de transport interviennent pour extraire le moment cinétique dont le principal est la formation d'un disque d'accrétion. Il s'accompagne de plusieurs autres mécanismes dont un transport turbulent dans le disque qui intervient également dans le processus d'accrétion-éjection mais dont l'efficacité dépend d'autres facteurs (densité, température, champ magnétique, etc.). En complément mais de façon accessoire, le transport est assuré par des vents magnétohydrodynamiques (pour les jets) et occasionnellement par des ondes globales de marée (cas des systèmes doubles). Enfin, le champ magnétique joue un rôle majeur dans la formation des jets et de la cavité centrale. Détaillons ces principaux modes de transfert. 1. Formation du disque d'accrétion Les simulations montrent que le transfert du moment cinétique s’accomplit soit lors de la formation d’un système binaire (étoile double) soit durant la formation d’un disque d'accrétion perpendiculairement à l'axe de rotation de la protoétoile. Ce concept étant la clé de l'évolution protostellaire et se formant dans de nombreuses autres circonstances, donnons-en une définition claire limitée dans le cadre de la formation d'une étoile.
Définition Un disque protostellaire est un anneau fluide composé de gaz et de poussières qui se forme dans le plan équatorial d'une étoile en formation. La définition d'un disque est plus compliquée qu'il n'y paraît car le simple critère de rotation n'est pas suffisant (les parois de la cavité des flots bipolaires sont en rotation et ne sont pas un disque), un critère géométrique n'est pas suffisant (un disque n'est pas un simple cylindre) et un critère de vitesse n'est pas suffisant (d'autres paramètres interviennent). C'est pourquoi on utilise également un critère de densité : on considère qu'il se forme un disque à condition que l'objet soit suffisamment dense, avec une symétrie raisonnable et qu'il soit en rotation (et supporté par la rotation, c'est-à-dire qu'il soit en équilibre grâce à la rotation et qu'il ne s'effondre pas sur lui-même). De plus, les simulations ont montré qu'en présence d'un champ magnétique relativement intense, on n'obtient pas nécessairement de bras spiraux. Sachant ce qui vient d'être dit, un disque se définit par au moins 5 critères : 1. Critère de vitesse : un anneau en lent effondrement radial mais dont la vitesse azimutale est supérieure à sa vitesse radiale; 2. Critère de vitesse lié à l'état : un anneau proche de l'équilibre hydrostatique impliquant que la vitesse azimutale est supérieure à la vitesse verticale. 3. Critère rotationnel : un coeur central en rotation mais physiquement distinct du disque et dont l’énergie cinétique de rotation est supérieure à l'énergie radiative (pression thermique); 4. Critère de connectivité : l'anneau appartient au disque s’il est lié au plan équatorial du disque (équateur centrifuge); 5. Critère de densité : dans les simulations on ajoute le critère η > 109 cm-3 pour éviter que le disque ne forme de grands bras spiraux afin que les résultats soient plus réalistes. Ces critères représentent autant de paramètres dans les simulations qui viennent s'ajouter aux autres paramètres physiques (densité, masse, température, pression, champ magnétique, viscosité, etc.). Dimensions Un disque préstellaire mesure théoriquement en début de cycle environ 1000 UA de rayon et 30 UA de hauteur. A l'équilibre hydrostatique, la hauteur théorique Hth du disque vaut : Hth = √(cs2/4πGρ) avec cs la vitesse du son (vitesse des perturbations adiabatiques de densité) et la ρ densité, soit une hauteur d'environ 40 UA pour 200 UA de rayon. Le rayon minimum d'un disque est imposé par la gravitation. Il y a d'une part la limite de Roche qui vaut 1.26 Rs (1.26 fois le rayon de l'astre secondaire) soit 1.7 million de kilomètres (0.011 UA) pour le Soleil, et d'autre part le rayon de Schwarzschild (Rs) imposé par la théorie de la relativité : Risco= 6GM/c2 ≈ 3 Rs Ce rayon peut se réduire à 0.6 Rs pour un trou noir de Kerr (en rotation) présentant un spin maximum. Sous cette distance minimale qu'on va considérer comme valant 1.26 Rs pour des étoiles ou des planètes, le disque est instable et ne peut théoriquement pas maintenir d'orbites stables ni former d'astre par accrétion (à quelques rares exceptions liées à des collisions à faible vitesse entre corps glacés de faible densité). Dans tous les cas, même si un astre se maintient temporairement sous cette distance (cas de l'exoplanète HD 188753a Cygni), il finira par se désintégrer et se transformer en un nuage de débris destiné à s'écraser sur l'astre hôte. On reviendra page suivante sur la dimension parfois gigantesque des disques protoplanétaires, en particulier à propos des étoiles Herbig Ae/Be.
Dynamique Dès que le disque est en rotation et s'effondre sous sa propre gravité, son énergie gravitationnelle potentielle se transforme en énergie cinétique et est distribuée aux particules. Les analyses spectroscopiques montrent que la matière située dans les parties internes du disque tombe sur l'embryon stellaire. Cette "pluie" de matière fait partie du processus d'accrétion qui va progressivement faire grossir la protoétoile. La matière transite ainsi assez rapidement de la périphérie du disque jusqu'au centre. La présence du disque est donc primordiale car il est à l'origine de tout le mécanisme de formation protoplanétaire qui se déclenchera par la suite. Nous verrons plus loin que la matière du disque trouve rapidement un équilibre entre la force de gravitation et la force centrifuge et suit alors une rotation semblable aux planètes du système solaire en suivant ce qu'on appelle la troisième loi de Kepler (V ~ 1/r2) dite rotation képlérienne. Cette remarque est importante car jusqu'au début des années 2000, on croyait que le disque tournait de façon rigide, la matière étant a priori figée dans les lignes du champ magnétique et donc forcée de tourner à la même vitesse que la protoétoile. Or ce n'est pas le cas. Pour la première fois en 2006 A.Meilland du CNRS et son équipe ont pu mesurer la vitesse de rotation du disque circumstellaire entourant l'étoile α Arae située à 240 années-lumière. Grâce à l'interféromètre AMBER du VLT de l'ESO dont la résolution à cette distance était inférieure à 1 UA, ils ont pu mesurer directement les visibilités ou contrastes et les phases diférentielles (il s'agit d'interférométrie) du disque et déterminer que sa rotation était bien képlérienne.
Enfin, le fluide présentant une certaine viscosité (cf. les équations de Navier-Strokes), les différentes couches du disque distribuées radialement frottent les unes contre les autres générant une friction qui produit de la chaleur, ce qu'on appelle un chauffage. Près du centre, la matière tombe alors en spirale en émettant un rayonnement thermique. Si la conversion de l'énergie gravitationnelle en énergie thermique est faible autour d'une protoétoile, le rendement atteint 10% autour d'une étoile à neutrons et peut atteindre 40% autour d'un trou noir. 2. Développement du champ magnétique Comme nous l'avons évoqué, les globules de Bok sont des objets trop "jeunes" pour développer un champ magnétique. Mais dès que le nuage protostellaire présente un coeur de Larson, un champ magnétique se forme qui se couple à la poussière, favorisant la formation du disque circumstellaire. Ainsi, très tôt dans leur génèse, les coeurs préstellaires sont magnétisés, ce qui modifie le processus d'effondrement. Effet du freinage magnétique Ce champ magnétique qui est des plus utiles présente toutefois un effet négatif : le freinage. Le freinage magnétique est dû à la "résistance" des lignes de champ à être torsadées. On peut considérer ce phénomène à l'image d'un ressort qu'on essaie de tordre et qui va opposer une résistance à cette torsion. La différence avec le ressort, c'est que le moment cinétique est en partie dissipé par la propagation d'ondes le long de ces lignes de champ; on observe une dissipation du moment cinétique (et donc de l'énergie), et par conséquent un ralentissement de la rotation de l'ensemble. Ce freinage magnétique induit par le couplage du champ avec la poussière est capable de transporter efficacement le moment cinétique et peut potentiellement empêcher la formation du disque si l'énergie cinétique est insuffisante, même lorsque l’intensité magnétique est relativement faible (paramètre de magnétisation μ = 5-10) comme l'ont montré Richard Mellon et Zhi-Yun Li ainsi que Patrick Hennebelle et Sébastien Fromang en 2008 parmi d'autres chercheurs. Pour éviter ce qu'on appelle la "catastrophe du freinage magnétique", les astrophysiciens ont fait appel à une théorie MHD (magnétohydrodynamique) dite non idéale par opposition à la MHD idéale à fort nombre de Reynolds magnétique (Rm ~ 1), qui fait notamment intervenir des mécanismes de diffusion magnétique (par ex. la diffusion ambipolaire du plasma). Ce processus diminue efficacement le champ magnétique en particulier dans les régions centrales les plus denses de la protoétoile. Mais contrairement à ce qu'on s'attendait, le champ magnétique est non seulement diffusé mais il est expulsé vers la région du "choc d’accrétion" (voir page 5) induit par cette diffusion ambipolaire. Autrement dit, le freinage magnétique est très efficace au point d'empêcher la formation d'un disque au stade initial de la formation protostellaire. Analyse de la polarisation des raies du CO Comme on le voit ci-dessous au centre, en 2016 des radioastronomes ont utilisé les radiotélescopes du réseau SMA pour étudier une protoétoile de classe 0 (cf. la classification des protoétoiles) cataloguée NGC 1333 IRAS 4A située à 750 années-lumière dans la constellation de Persée. Grâce à cette puissante installation, une équipe internationale d'astronomes a pour la première fois détecté et mesuré à 880 microns (0.88 mm) soit 340 GHz le champ magnétique se développant autour de cette étoile de faible masse et découvert sa forme typique en sablier (les traits rouges) telle que les manuels l'enseignent. L'image qui mesure environ 7" de côté représente une longueur physique de 2700 UA. Cette carte représente le continuum du rayonnement de la poussière émise à grande échelle par le nuage de molécules denses qui enveloppe les deux protoétoiles (symbolisées par les deux triangles noirs). La gravité attire le gaz et la poussière vers le centre en même temps que le système tourne sur lui-même, entraînant une légère torsion des lignes de force du champ magnétique. Les analyses ont également montré que les prédictions concernant la structure du champ magnétique basées sur les modèles d'effondrement MHD du coeur sont conformes aux observations.
Une observation en haute résolution du coeur de NGC 1333 IRAS 4A complète cette analyse. Au cours d'une étude qui s'est déroulée entre 2013 et 2014, les astronomes dont Leslie Looney de l'Université d'Illinois à Urbana-Champaign et son équipe du NRAO ainsi que Tao-Chung Ching et ses collègues de l'Université Nationale de Tsing Hua ont pu mesurer la polarisation des raies du CO à 8.1 et 10.3 mm de longueur d'onde (37 GHz et 29.1 GHz) avec une résolution de 0.2" ou 50 UA autour de cette protoétoile. Ils ont découvert qu'à mesure que la matière contenue dans le nuage protostellaire entourant la protoétoile s'effondre et est accrétée vers le centre, les lignes de force du champ magnétique sont entraînées avec elle et prennent une forme fortement torsadée. Par conséquent, la structure du champ magnétique près de la protoétoile est différente de sa structure à plus grande distance. La géométrie de ce champ représente la trace réminiscente de la rotation primordiale du nuage moléculaire entourant la protoétoile. Le dessin présenté ci-dessus à droite illustre l'enroulement des lignes de force du champ magnétique autour de la région centale de cette protoétoile à mesure qu'elle accrète la matière du disque. Les analyses de Looney
et ses collègues montrent également que le disque contient de nombreuses
particules de taille centimétrique. Cette protoétoile étant âgée
d'environ 10000 ans, on en déduit que de telles grains de poussière se
forment rapidement dans l'environnement d'une étoile en gestation. Dans le
cas de cette protoétoile, son disque d'accrétion représente une masse
de 2 M Précisons qu'il est difficile d'imaginer un disque sans champ magnétique torsadé car le champ magnétique est nécessairement torsadé par la rotation du disque, étant dans ces conditions en grande partie gelé dans la matière. Si le champ magnétique est torsadé ("twisté") au-dessus du disque, cela peut avoir un effet de confinement du disque du fait de la pression magnétique exercée. Ainsi nous verrons qu'un champ magnétique torsadé est nécessaire à la formation du jet bipolaire. Notons que grâce à SMA, Maud Galametz du CEA et ses collègues ont également étudié à 345 GHz soit 0.87 mm de longueur d'onde le champ magnétique de 12 autres protoétoiles de classe 0 jusqu'à 5000 UA de distance. Leurs résultats publiés en 2018 (en PDF sur arXiv) corroborent les études antérieures des coeurs massifs, de la polarisation et confirment les modèles de l'effondrement magnétique (cf. M.Joos et al., 2012). Pour
des champs magnétiques intenses (paramètre de magnétisation μ = 17), les
simulations montrent que le disque d'accrétion se forme quel que soit
l'alignement entre l'axe de rotation de l'étoile et celui du champ
magnétique alors que les disques faiblement magnétisés se fragmentent (ce
qui explique la décroissance brutale de leur masse). Entre les deux
extrêmes, l'orientation du champ magnétique doit être d'au moins 20°
voire 45° pour former un disque massif d'au moins 1 M
Ceci dit, les problèmes sont multiples pour parvenir à observer ces champs magnétiques aux longueurs d'ondes millimétriques et submillimétriques, les questions de résolution dans ces longueurs d'ondes (~35 UA à 340 GHz) n'étant pas des moindres. C'est la raison pour laquelle même avec des observations de champ magnétique des objets de classe 0, la géométrie "fine" du champ est encore très mal connue. Nous verrons plus loin que ce champ magnétique contrôle non seulement la formation du disque, mais également la cavité centrale, le taux d'accrétion et le jet bipolaire. Nous n'avons donc pas fini d'en entendre parlé. 3. Instabilités et turbulences L'observation du milieu interstellaire montre que les structures gazeuses sont fragmentées à toutes les échelles. La thermodynamique nous apprend que la turbulence[5] est effectivement un phénomène dynamique couplant les structures à différentes échelles allant des nuages moléculaires de quelques dizaines d'années-lumière aux disques protostellaires de quelques unités astronomiques. Il existe ainsi des lois d'échelle reliant la dispersion de vitesse et la taille de ces structures. Ceci explique pourquoi l'énergie cinétique est distribuée à toutes les échelles jusqu'aux étoiles, mécanisme appelé la cascade de Kolmogorov (1941) dont le nom illustre bien la hiérarchisation du phénomène des tourbillons. De plus, grâce aux travaux de Olin Wilson et ses collègues consacrés au milieu interstellaire, on sait depuis 1959 que ce gaz interstellaire turbulent est compressible (comme tous les gaz), ce dont Kolmogorov n'avait pas tenu compte. Cette compressibilité signifie qu'il peut exister une turbulence supersonique (avec des vents de plusieurs centaines de km/s) avec des effets visibles dans le milieu intertellaire (front de choc, etc.). Toutefois, à ce jour il n'existe pas de théorie et donc d'équations exactes de la turbulence compressible et nous verrons à propos des jets bipolaires que seules l'observation et les simulations peuvent aider les chercheurs à comprendre ce phénomène. Cette turbulence à plusieurs origines. En allant des petites vers les grandes échelles il peut s'agir des effets de la friction, du jet bipolaire, d'une zone ionisée en expansion, de l'explosion d'une supernova, du cisaillement galactique, etc. A l'échelle des disques d'accrétion, cette turbulence s'explique par les mouvements de friction et donc la viscosité de la matière qui génère des turbulences dans le disque à l'origine de l'émission de chaleur. Cela signifie également qu'un fluide en équilibre (hydrostatique et thermique) n'implique pas nécessairement que le milieu est stable (il existe des régimes stables hors équilibre, cf. la Grande Tache Rouge de Jupiter qui évolue dans un milieu chaotique). La dimension de Kolmogorov définit l'échelle spatiale à partir de laquelle la viscosité l'emporte sur l'écoulemernt laminaire et permet de dissiper l'énergie cinétique d'un flux laminaire. On constate que le milieu devient turbulent lorque le nombre de Reynolds (rapport entre les forces d'inertie et les forces visqueuse) Re ~ 1, ce qui correspond à la taille des plus petits tourbillons (vortex). Notons que cet écoulement turbulent présente une dimension fractale. Seule difficulté, a priori il n'existe pas d'instabilités dites linéaires hydrodynamiques (instabilité de Taylor-Couette) dans un disque d'accrétion et donc en principe pas de tourbillons, cellules fermées et autres vortex brisant la symétrie de l'écoulement des fluides. Il faut donc se reporter sur des instabilités globales (des instabilités non axisymétriques) mais peu efficaces pour créer des turbulences ou, plus probables, des instabilités locales, par exemple un cisaillement ou "shearing" dans le disque. Amplifiées par le chauffage qui se développe dans le plan du disque, des instabilités convectives peuvent se développer dans le plan vertical et éventuellement servir de transport radial au moment cinétique. Mais ce mécanisme n'est pas très efficace et selon certains modèles (modèle α par référence au paramètre de diffusivité thermique α) il se déplace vers l'intérieur plutôt que vers l'extérieur du disque. En revanche, si le disque est couplé à un champ magnétique, une forte instabilité linéaire sous forme de cisaillement peut transporter le moment cinétique vers l'extérieur, le mécanisme pouvant entretenir le champ magnétique par effet dynamo. Lorsque le milieu est couplé à un champ magnétique, on parle de turbulence MHD. Elle se caractérise par un nombre de Reynolds élevé. Il s'agit des conditions qu'on rencontre également dans le Soleil ainsi que dans les vents solaire et cosmique. Les tourbillons engendrés par cette turbulence peuvent être isotropes et s'aligner soit parallèlement soit perpendiculairement au champ magnétique (cas des cirrus galactiques) soit non-isotropes. Ces derniers types de tourbillons sont plus réalistes et s'allongent dans la direction du champ magnétique à grande échelle au cours de la cascade turbulente en émettant tout un spectre de rayonnements perpendiculairement au champ magnétique. Des zones d'accrétion chaotiques dans W51 En principe, les disques circumstellaires des protoétoiles sont d'immenses structures bien identifiables par les radiotélescopes millimétriques comme ALMA. Le disque circumstellaire est stable et le flux de matière s'accrète de manière régulière (mouvement képlérien) avec le même moment angulaire ou cinétique sur le coeur protostellaire en même temps qu'il émet un puissant jet bipolaire. Il existe toutefois des exceptions. Grâce à ALMA qui est capable de pénétrer loin dans la Voie Lactée à travers les nuages de gaz et de poussières, l'astrophysicien Ciriaco Goddi de l'Université Radboud de Nimège, aux Pays-Bas, et ses collègues ont recherché des grandes structures protostellaires dans le complexe W51, une région HII géante couvrant 1° dans le ciel située à ~17600 années-lumière dans la constellation de l'Aigle. En Bande 6, c'est-à-dire entre 216-237 GHz soit ~1.3 mm de longueur d'onde, la résolution d'ALMA est de ~20 mas, ce qui correspond à une distance linéaire d'environ 100 UA à la distance de W51. A voir : Le complexe W51, Boowiki
Au lieu de trouver
de grands disques stables, les chercheurs ont découvert que les zones d'accrétion de trois jeunes protoétoiles
massives ( Les chercheurs ont découvert que ces jeunes protoétoiles massives ne se forment pas dans de grands disques protostellaires stables mais à partir de filaments dans des nuages chaotiques, comme l'avaient déjà suggérées des simulations MHD 3D (cf. B.Commerçon et al., 2011; A.T. Myers et al., 2013; D.Seifried et al., 2015). Au moins durant les premières années d'existence de ces protoétoiles, la matière ne suit pas un flux général d'accrétion mais provient de toutes les directions à des vitesses irrégulières. C'est probablement pour cette raison que seuls de petits disques stables (mais invisibles) ont pu se former, d'un rayon de 100 à 500 UA selon les systèmes. Ces petits disques émettent également un jet. Selon Goddi, "Un tel modèle d'influx non structuré avait été proposé auparavant, sur la base de simulations informatiques. Nous avons maintenant les premières preuves observationnelles pour soutenir le modèle." L'effet de l'instabilité magnéto-rotationnelle (MRI) Comment une planète peut-elle se former dans un disque d'accrétion ? Pour comprendre ce phénomène, des expériences furent notamment réalisées au Laboratoire de physique des plasmas de Princeton (PPPL) dépendant du Département de l’Energie américain (DoE). Les résultats obtenus par le physicien Derek M.H. Hung de l'Université de Princeton et ses collègues furent publiés dans la revue "Nature" en 2019 et démontrent la validité d’une théorie appelée l’instabilité magnéto-rotationnelle évoquée plus haut (acronyme MRI en anglais), qui cherche à expliquer la formation des corps célestes.
Selon cette théorie, le MRI permet aux disques d'accrétion composés de gaz, de poussières et/ou de plasma en rotation autour des protoétoiles et des planètes en croissance ainsi que des trous noirs de s'effondrer. Cet effondrement se produit parce que la matière tourbillonnante est turbulente (phénomène connu sous le nom de "flux Képlérien") et devient progressivement instable dans le disque. L'instabilité provoque la diminution du moment cinétique (processus qui empêche les planètes de tomber dans le Soleil ou sur l'astre hôte) dans la partie interne du disque qui permet ensuite à la matière de s'accréter en corps célestes. Contrairement aux planètes en orbite, comme nous venons de l'expliquer, la matière présente dans les disques d'accrétion denses et massifs peut subir des forces et notamment des frictions entraînant la perte du moment angulaire du disque et attirer la matière vers les objets autour desquels elle gravite. Cependant, ces forces n'expliquent pas complètement à quel taux la matière tombe dans les objets massifs et forme des planètes ou des étoiles dans un délai raisonnable. Au cours d'une expérience réalisée au PPPL, les physiciens ont utilisé deux cylindres concentriques (cf. cette photo) remplis d'eau tournant à des vitesses différentes et y ont fixé une boule en plastique remplie d’eau attachée par un ressort à un poteau situé au centre de l’appareil; le ressort d'étirement et de flexion imitait les forces magnétiques dans le plasma d'un disque d'accrétion. Les chercheurs ont ensuite mis les cylindres en rotation et filmé le comportement de la balle vue de haut en bas. Tant qu'il n'y avait pas d'étirement, le moment angulaire ne variait pas. Rien ne se passait non plus lorsque le ressort était trop fort. En revanche, lorsque le ressort était faible - analogue à la condition des champs magnétiques dans les disques d'accrétion - le comportement du moment cinétique de la balle était conforme aux prévisions de l'évolution d'un disque d'accrétion régi par le MRI. En effet, les résultats ont montré que la balle en rotation et faiblement attachée avait gagné du moment cinétique et s'était déplacée vers l'extérieur au cours de l'expérience. Étant donné que le moment cinétique d'un corps en rotation doit être conservé, tout gain de moment doit être accompagné d'une perte de quantité de mouvement dans la section interne, permettant à la gravité d'attirer la matière du disque dans l'objet en orbite. Revenons
à présent à la formation de la protoétoile. Sur base des simulations on observe que la turbulence permet la
diffusion du champ magnétique dans le coeur en effondrement, la réduction
de l'intensité magnétique et réduit le freinage magnétique, mécanismes qui
favorisent la formation d'un disque massif (1 M De plus, en présence de turbulence, l’axe de rotation de la protoétoile s'incline par rapport au champ magnétique, favorisant également la formation d'un disque massif qui peut se fragmenter, même pour des valeurs modérées de magnétisations (paramètre de magnétisation µ ≥ ~5). En raison de ces turbulences, la nébuleuse protostellaire devient plus chaude près du centre où s'accumule la plus grande partie de la matière, facilitant le développement de la protoétoile. Parvenue à ce stade, elle entre dans la grande famille des T Tauri. Prochain chapitre
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