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La formation du système solaire
La croissance des grains de poussière (VII) On ignore précisément quelle fut la température des grains de poussière durant la phase de condensation et quel "ciment" maintient les grains condensés jusqu’à former des objets solides de l'ordre d'un mètre de diamètre. Pour expliquer à la fois la formation des planètes et des astéroïdes et autres TNO, leur existence et leur composition chimique, nous savons qu'au moins trois facteurs interviennent : - La lumière : comme on le voit clairement dans le disque de Fomalhaut, la pression de radiation exercée par les photons permet de déplacer les corps les plus légers, c'est le principe utilisé pour "propulser" les voiles solaires. Grâce à cette action, de microscopiques particules de métaux, de roche, de glace et de gaz présents dans le disque protostellaire peuvent s'agglomérer. - La gravité: la matière attirant la matière, la plus grande masse attire la plus petite et c'est l'effet boule de neige. Le centre du disque protosolaire s'effondrant sur lui-même sous l'effet de sa propre gravité, un champ gravitationnel se développa et commenca à différencier les éléments en fonction de leur masse; les métaux et les roches se rapprochèrent du proto-Soleil tandis que les glaces et les gaz, beaucoup plus légers, restèrent à bonne distance. - La chaleur : la température centrale du disque protosolaire augmentant jusqu'à dépasser 2000°C, à quelques millions de kilomètres de distance, les glaces se sont sublimées. Ces éléments volatils ont ensuite été poussés vers l'extérieur du disque protosolaire, au-delà de la ceinture des astéroïdes. Les chercheurs estiment que la nébuleuse protosolaire produisit rapidement une température de 1700 à 2300°C, en particulier dans la région des astéroïdes vers 2.5 UA. Ceci est important car des réactions chimiques spécifiques se produisent à certains seuils de température et expliquent le paysage diversifié du système solaire et notamment le fait qu'il n'y pas de planète gazeuse en dessous de l'orbite des astéroïdes et qu'elles présentent un noyau métallique. Pour expliquer ce phénomène nous devons introduire quelques notions de géochimie. Géochimie Les modèles numériques se basent notamment sur les lois de la géochimie qui indiquent que les matériaux volatils (H, He, C, O, N, etc), les silicates (Ca, Al, Si, Ti, etc) et les métaux (Fe, Ni, etc) se condensent à différentes températures, ce qui permet de définir le degré de volatilité des différents éléments en fonction de la température de condensation (Tc). Bien que les seuils de température ne soient pas abrutes comme la théorie pourrait le sous-entendre, les différents éléments ont été classés en 4 catégories : - Les éléments réfractaires, Tc > 1400 K (> 1127°C) ou > 1600 K (> 1327°C) pour les platines - Les éléments modérément réfractaires, Tc ~1300 K (~1027°C) - Les éléments modérément volatils, 800 K > Tc < 1200 K (527 à 927°C) - Les éléments volatils, Tc < 800 K (< 527°C). Ensuite, il faut identifier les éléments réfractaires et volatils que les géochimistes et géologues classent en différentes familles en fonction de leurs affinités pour les roches silicatées, métalliques et leur volatilité, classification que l'on peut assez facilement faire correspondre avec le tableau périodique des éléments de Mendeleïev : - Eléments lithophiles : éléments silicatés ne présentant aucune affinité pour le fer et ses alliages. Ils comprennent certains platines. Ils peuvent être réfractaires ou volatils, compatibles ou incompatibles (transformation ou non de roche en magma). On les retrouve généralement dans le manteau et la croûte des planètes. - Réfractaire : Be, Al, Ca, Ti, V, Sr, Zr, Nb, Ba, terres rares (Sc, Y et les 15 lanthanides de Z=51 pour La à Z=71 pour Lu), Hf, Ta, Th, U - Modérément réfractaire : Mg, Si, Cr - Modérément volatil alcalin : Li, B, Na, K, Mn, Rb, Cs... - Volatil : F, Cl, Br, I. A consulter : Tableau périodique des éléments - Webelements - Periodic Table of Tech Tableaux de Mend eleïevThe Lund/LBNL Nuclear Data Search Table des isotopes radioactifs et des isotopes
- Eléments sidérophiles : éléments ayant une affinité pour la phase métallique. Ils comprennent également quelques platines. Ils peuvent être réfractaires ou volatils, compatibles ou incompatibles. Ils sont généralement localisés dans le noyau des planètes. - Réfractaires : Mo, Ru, Rh, W, Re, Os, Ir, Pt - Modérément réfractaires : Fe, Co, Ni, Pd - Modérément volatils : P, Cu, Ga, Ge, As, Ag, Sb, Au - Eléments chalcophiles : éléments se comportant comme le soufre. Ils sont très volatils.
- Volatils : S, Se, Cd, In, Zn, Sn, Te, Hg, Pb, Tl, Bi -
Eléments atmophiles : éléments très volatils. On les retrouve principalement
dans l'atmosphère et l'océan. Volatils : H, He, C, N, O, Ne, Ar, Kr, Xe. Nous détaillerons plus bas la datation des poussières, des chondres et autres inclusions. Rappelons qu'en 1973 l'astrophysicien Alister G. Cameron publia un article dans lequel il décrit pour chaque élément découvert dans les météorites et dans le Soleil le mécanisme présumé de nucléosynthèse ainsi qu'une table des abondances des éléments qui devrait être caractéristique de celle de la nébuleuse protosolaire. A consulter : Tableau périodique des éléments de Mendeleïev Tableau périodique adapté de Mendeleïev basé sur les processus astrophysiques et cosmologiques Séquence de condensation thermo-chimique Pour comprendre comment la matière originellement sous forme de gaz et de poussière se condensa et s'accréta pour former les planètes, l'analyse des inclusions réfractaires (les CAI ou inclusions riches en calcium et en aluminium et les AOA ou agrégats amiboïdes à olivine) et des chondres contenues dans les météorites carbonées, apporte des renseignements très précieux sur les processus qui se sont déroulés au début de la formation du système solaire, notamment sur la composition des poussières, leur teneur et leur proportion isotopiques, la température du milieu, le taux de refroidissement, etc., autant de données qui permettent de construire des modèles de l'évolution primordiale du système solaire et des planètes.
Pendant le refroidissement du disque protoplanétaire et pas nécessairement en fonction de la distance au Soleil, comme le décrivent les diagrammes ci-dessous, on observe d'abord la condensation en petite quantité d'éléments hautement réfractaires (lithophiles ou sidérophiles) comme le tungstène (W), l'osmium (Os) et le zirconium (Zr). Ce dernier élément est particulièrement intéressant car il peut former des cristaux de zircon en présence d'oxygène (ZrO2). Outre qu'il s'agit d'une pierre fine, c'est un excellent indicateur à la fois pour situer une planète dans la zone habitable et apporter la preuve de la présence d'eau à l'époque de sa formation. Il est probable que ces trois éléments ne se sont jamais vaporisés dans la nébuleuse protosolaire. En effet, le zirconium présente une température de fusion de 1855°C (2128 K) et les deux autres au-delà de 3000°C, le passage de 1 atm au vide étant pratiquement sans effet car il n'y a pas de sublimation pour ce type d'élément. Vers 1400°C (1700 K) on observe la condensation et la formation des premières inclusions réfractaires de type CAI. Il s'agit de cristaux de calcium et des oxydes d'aluminium, de magnésium et de titane formés en grandes quantités dans la partie interne du disque protoplanétaire. Vers 1200°C (1470°C) les composés métalliques à base de ferro-nickel précipitent directement à partir de la phase gazeuse. Vers 1176°C (1450 K) les oxydes métalliques réagissent avec le gaz pour former des minéraux silicatés (contenant du silicium et de l'oxygène) de calcium, d'aluminium et magnésium parmi lesquels des chondres d'olivine et de pyroxène riches en magnésium (olivine Mg2SiO4, enstatite Mg2Si2O6, etc) formant les inclusions réfractaires de type AOA. Ces matériaux sont très communs. On les retrouve dans les météorites primitives (chondrites et achondrites) et métamorphiques (les fameuses pallasites notamment) ainsi que dans le manteau de la Terre, la croûte lunaire, sur Mercure, Vénus et les astéroïdes. Entre 1177°C et 777°C (1450-1050 K) les métaux (Fe, Ni, Cu, etc) se condensent. Les silicates alcalins comme le sodium (Na), le potassium (K) et le rubidium (Rb) se condensent vers 726°C (1000 K) formant des feldspaths qui sont des sels solubles (NaAlSi3O8, KAlSi3O8, CaAl2Si2O8, RbAlSiO3) aux dépens de certains minéraux formés précédemment. Les silicates alcalins sont très connus malgré leur nom barbare. Combinés à des oxydes métalliques, ils se colorent et forment des pierres fines (agates, cornalines, améthystes) et hydratés ils se transforment en opales. Combinés à d'autres impuretés, ils se transforment en silex ou en grès.
Vers 425°C (700 K), le fer condensé à plus hautes températures réagit avec le soufre présent dans le gaz et forme de la troïlite ou sulfure de fer (FeS) qu'on retrouve également dans quelques météorites. A plus basses températures, certains métaux combinés à l'oxygène et ayant réagi avec le magnésium forment des silicates comme l'olivine riche en fer ((Fe)2SiO4) ou des oxydes comme la magnétite (Fe3O4). On retrouve ce minerai de fer dans les chondrites carbonées de type C1, dans la météorite ALH84001 originaire de Mars et plus étonnant, dans certaines bactéries et cellules. En dessous d'environ 127°C (400 K), les sulfates, les carbonates et les silicates hydratés se forment par réaction avec les premiers minéraux et le gaz. Lorsque la température de la nébuleuse protosolaire descend sous 27°C (300 K), les composés carbonatés précipitent. Enfin, dans les milieux denses et sous 1 atm, l'eau se transforme en glace vers 0°C (273 K) selon la sanilité entraînant une chute globale de la pression. Dans le vide ou les atmosphères très tenues comme celle de Mars (6 mb en moyenne contre 1013 sur Terre), l'eau gèle vers -88°C (185 K). Elle se forme la nuit ou dans l'ombre des cratères, dans le sous-sol ou tombe sous forme de précipitations de flocons de neige.
Il faut de très basses températures pour que les substances volatiles se condensent et se transforment en glace : l'ammoniac (NH3) se transforme en glace à -77.7°C sous 1 bar ou 1 atm), le méthane (CH4) gèle à -182°C sous 1 atm et à -250°C ou 23 K dans le vide et l'azote (N2) se liquéfie à -196°C sous 1 atm et se glace à -210°C sous 1 atm. On retrouve ces molécules dans différentes proportions dans les planètes gazeuses ainsi que sur Titan. Les éléments constituants ces matières étant beaucoup plus abondants que les éléments réfractaires (cf. tableau page suivante), leur processus de condensation sous forme liquide et/ou solide se produit à un taux presque aussi élevé que la formation d'une boule de neige. En revanche, il est peu probable que les gaz atmophiles les plus volatils comme l'hydrogène et l'hélium se soient jamais condensés à ce stade. En effet, l'hydrogène n'est liquide que vers -252°C et solide vers -259°C sous 1 atm. Il faut des pressions titanesques pour le rendre solide et même métallique (à plus de 2 millions d'atm) comme dans les profondeurs de Jupiter. Quant à l'hélium, il est liquide vers -269°C sous 1 atm mais ne passe à l'état solide que sous une pression d'au moins 26 atm. On reviendra page suivante sur la ligne de glace. En résumé, une toute petite proportion de la masse de la nébuleuse protosolaire se condensa à haute température et forma les matières réfractaires, les oxydes, les silicates et autres roches à l'origine des planétésimaux qui formèrent les planètes telluriques et les astéroïdes. Ce sont les basses températures qui ont permis la condensation de la plus grande partie de la masse de la nébuleuse protosolaire en un mélange différencié de carbonates, silicates hydratés, sulfates, glaces et de gaz non condensés très volatils. Enfin, vu la petite proportion de silicates et de roches formée au cours du processus et étant donné que les planètes géantes ont accrété l'essentiel des poussières et du gaz, dans les régions les plus froides et les plus reculées du système solaire seules des comètes dormantes, des "boules de neige sâles" ont pu se former. Cette séquence thermo-chimique est confirmée par les analyses géochimiques et par les simulations fondées sur la théorie de l'accrétion qui montrent que les petites planètes telluriques se sont formées près du Soleil et les grandes planètes gazeuses à plus grandes distances. Toutefois, depuis la découverte de milliers d'exoplanètes nous verrons que cette dichotomie doit être nuancée : dans certains systèmes des exoplanètes gazeuses évoluent près de leur étoile et dans d'autres des exoplanètes géantes telluriques évoluent à grandes distances. Datation des premiers matériaux Alors que les scientifiques pensaient autrefois que les planètes et les petits corps s'étaient formés à partir de poussière et de gaz à grande distance du Soleil, depuis quelques décennies les scientifiques se sont rendus compte que les forces gravitationnelles associées aux planètes géantes, telles que Jupiter et Saturne, peuvent entraîner la formation et la migration des planètes en formation et des astéroïdes. La théorie du Grand Tack que nous décrirons page suivante vient du constat que les astéroïdes ont été séparés de Jupiter sous l'effet de forces gravitationnelles antagonistes, la migration ultérieure mélangeant ensuite les deux groupes d'astéroïdes. Ce mouvement précoce des astéroïdes carbonées comme la météorite d'Allende ou de Murchison prépara le terrain pour une nouvelle dispersion des corps riches en eau dans le système solaire et notamment vers la Terre. Pour comprendre ce mécanisme essentiel qu'on peut retrouver dans les systèmes exoplanétaires, il est très important de bien comprendre comment il s'est développé en analysant les météorites carbonées et les astéroïdes afin de déterminer les caractéristiques et notamment la date du début ou la durée, l'endroit et la composition du milieu où se sont déroulées les différentes phases de formations des grains de poussière jusqu'aux planétésimaux et aux planètes. Âge des premiers grains de poussière En 2020, l'équipe de Philipp Heck de l'Université de Chicago publia dans les "PNAS" les résultats de l'analyse de grains de poussière de carbure de silicium (SiC) de la météorite de Murchison de type CM2 tombée en 1969 en Australie. Les chercheurs découvrirent que 60% des grains de SiC sont âgés entre 4.6-4.9 milliards d'années, 10% ont plus de 5.5 milliards d'années et le reste est d'un âge intermédiaire. Toutefois, un grain est âgé de 7.5 milliards d'années, un record absolu (le précédent record était de 5.5 milliards d'années) ! La datation de tous les échantillons figure dans la table S3 de l'annexe de l'article. Comment les chercheurs ont-ils procédé pour dater ces échantillons ? Selon Jennika Greer, postdoc au Field Museum et à l'Université de Chicago et coauteure de l'étude, "On commence par réduire des fragments de la météorite en poudre. Une fois que tout est séparé, cela ressemble à de sorte de pâte à l'odeur âcre qui sent le beurre d'arachide pourri." Pour isoler la matière présolaire dans toute cette poussière, la poudre est ensuite dissoute dans de l'acide jusqu'à ce qu'il ne reste que les grains présolaires. Une fois les grains isolés, les chercheurs déterminent à quels types d'étoiles ils appartenaient ainsi que leur âge. Selon Heck, "Nous avons utilisé des données essentiellement sur l'âge d'exposition aux rayons cosmiques. Certains de ces rayons cosmiques interagissent avec la matière et forment de nouveaux éléments. Plus ils sont exposés, plus ces éléments se forment. On peut comparer cette méthode à la mise en place d'un seau sous la pluie. En supposant que les précipitations sont constantes, la quantité d'eau qui s'accumule dans le seau vous indique la durée de l'exposition." En mesurant la quantité de nouveaux éléments produits par les rayons cosmiques présents dans un grain présolaire, on peut calculer combien de temps il a été exposé aux rayons cosmiques, ce qui nous indique son âge.
Selon Heck, "Grâce à ces grains, nous avons maintenant des preuves directes qu'il y eut une période d'intense formation stellaire dans notre Galaxie il y a 7 milliards d'années." Cette découverte prouve que les grains présolaires flottaient déjà dans l'espace à cette époque, collés ensemble dans de grands agglomérats. Personne ne pensait que c'était possible à cette échelle. Rappelons que les météorites - surtout carbonées comme celles de Murchison et d'Allende mais également les achondrites comme les howardites et les uréilites - contiennent outre du SiC, des nanodiamants (cf. P.Németh et al., 2015; F.Nabiei et al., 2018; Y.A. Abdu et al. 2019) et du graphite. Considérés commes des grains présolaires, ils fournissent des preuves directes des processus qui se sont produits dans les étoiles individuelles, en particulier dans les géantes AGB, les supernovae et les novae à effondrement de coeur (cf. K.Loddersa et S.Amarib, 2005; J.José et M.Hernanz, 2007; P.Hoppe, 2010). Puisque ces molécules sont thermodynamiquement instables dans la nébuleuse protosolaire, leur survie permet de fixer des contraintes sur les conditions physico-chimiques à l'époque de la formation du système solaire (cf. A.M. Davis, 2011). Quand se forma le système solaire ? Non pas tout le cortège planétaire ordonné tel qu'on le connaît, mais les inclusions réfractaires (CAI et AOA) et les chondres qu'on retrouve dans la plupart des météorites et dont l'accrétion ultérieure donna naissance aux astéroïdes et aux planètes. Pour y répondre, nous devons déterminer l'âge des premières CAI et des chondres. Comme nous l'avons expliqué, ces inclusions de taille micrométrique à centimétrique se sont formées dans un environnement à haute température (vers 1400°C ou 1700 K), probablement près du jeune Soleil. Elles ont ensuite été transportées vers la région où les météorites carbonées (et leurs corps parents) se sont formées, où elles se trouvent aujourd'hui. Les premières CAI et chondres se sont formées il y a 4.56730 ±0.00016 milliards d'années. Ce sont les matériaux les plus anciens du système solaire (cf. S.S. Russel et al., 2005; Y.Amelin et al., 2010; J.N. Connelly et al., 2012). Retenez bien cette date car c'est à ce moment là que débuta l'histoire du système solaire avec l'accrétion des premières poussières sur des molécules plus massives, les noyaux des embryons des futures planétésimaux et des protoplanètes.
Selon une étude publiée dans la revue "Science" en 2020 par Gregory A. Brennecka du LLNL et ses collègues, en observant d'autres systèmes planétaires qui se sont formés de la même manière que le nôtre, les astronomes ont estimé qu'il faut probablement environ 1 à 2 millions d'années pour qu'un nuage protoplanétaire s'effondre et que l'étoile commence à briller. Mais jusqu'à présent, le calendrier exact de formation n'était pas vraiment connu pour le système solaire. Selon le cosmochimiste Greg Brennecka du LLNL, "l'effondrement qui a conduit à la formation du système solaire s'est produit très rapidement, en moins de 200000 ans. C'était un processus rapide." Les chercheurs ont mesuré les compositions isotopiques du molybdène (Mo) présent dans des CAI provenant de météorites carbonées, dont la célèbre Allende, la plus grande chondrite carbonée trouvée sur Terre. Du fait que les CAI présentent des isotopes du molydène particuliers couvrant toute la gamme de matériaux qui se sont formés dans le disque protoplanétaire, ces inclusions ont dû se former au cours de la période d'effondrement de la nébuleuse protosolaire. Les auteurs estiment que "la majorité des CAI se sont formées sur une période d'environ 40000 à 200000 ans." C'est la première fois que les astrophysiciens peuvent chiffrer avec précision la durée de la formation du système solaire. Quand les chondrites carbonées sont-elles arrivées dans le système solaire interne ? Dans un article publié dans la revue "Nature" en 2020, John A. Tarduno de l'Université de Rochester et ses collègues ont exploité les faibles données magnétiques imprégnées dans des météorites carbonées de type CV (type Vigarano) et CM (type Mighei). Combinées à des simulations, ils ont déterminé que les astéroïdes parents de ces chondrites riches en CAI sont arrivés dans la Ceinture externe des astéroïdes vers 2-4 UA il y a au moins 4.562 milliards d'années, c'est-à-dire 4.2 à 4.8 millions d'années après la formation des CAI. C'est la première fois que des chercheurs parviennent à déterminer cette date à partir d'une mesure du champ magnétique des météorites. A présent que nous comprenons mieux les réactions physiques et géochimiques qui déclenchent les phénomènes d'accrétion initiaux et la condensation de la matière au sein des disques protoplanétaires et savons à quelle époque et en combien de temps se sont formés les CAI et les premières météorites carbonées, l'étape suivante est la formation des protoplanètes à partir des poussières. Une nébuleuse solaire hétérogène Pendant des années, puisque le modèle des isotopes du potassium présolaire trouvés dans les chondrites non carbonées correspondait à celui observé sur la Terre, les cosmochimistes et les planétologues ont cru que ce type de météorite était probablement à l'origine du potassium terrestre. C'est notamment le cas des enstatites et des aubrites (cf. C.Zhao et al., 2019). Ce n'est que récemment que les scientifiques ont remis en question l'idée selon laquelle les conditions dans la nébuleuse solaire étaient suffisamment chaudes pour brûler tous les éléments volatils. Dans un article publié dans la revue "Science Advances" en 2020, la géocosmochimiste Yaray Ku de l'Université d'Harvard et son collègue Stein B. Jacobsen, ont démontré pour la première fois l'existence d'une hétérogénéité dans la composition en potassium des météorites héritée de la nébuleuse protosolaire. En résumé, il y aurait eu très peu de mélange dans le disque protosolaire, favorisant l'hétérogénéité de l'isotope du potassium-41 (fille du calcium-41). Ce modèle est compatible avec les données observationnelles car il n'exige pas de corrélation entre l'appauvrissement en potassium et la composition isotopique. De plus, cette hétérogénéité dans le disque protoplanétaire explique également pourquoi Mars et la Terre, pourtant si proche à l'échelle astronomique, ont des compositions si différentes. Mais les recherches devaient se poursuivre pour mieux comprendre quels furent les processus qui façonnèrent le système solaire et déterminèrent la composition des planètes. Dans un nouvel article publié dans la revue "Science" en 2023, la géocosmochimiste Nicole X. Nie de la Carnegie Institution de Washington et ses collèges ont apporté des preuves supplémentaires que les éléments volatils auraient pu survivre à la formation du Soleil. En effet, certaines météorites primitives contiennent un mélange différent d'isotopes du potassium que ceux trouvés dans d'autres météorites plus altérées.
Les chercheurs ont mesuré les rapports de trois isotopes du potassium dans des échantillons de 32 météorites différentes. Le potassium est particulièrement intéressant car c'est un élément dit modérément volatil, c'est-à-dire que son point d'ébullition relativement bas le fait s'évaporer assez facilement. Par conséquent, il est difficile de retracer l'histoire de ses rapports isotopiques antérieurement à la formation du Soleil car ils n'ont pas survécu dans les conditions chaudes protostellaires assez longtemps pour conserver un enregistrement facilement lisible. Selon Nie, "Cependant, en utilisant des instruments très sensibles et adaptés, nous avons trouvé des modèles dans la distribution de nos isotopes de potassium qui furent hérités de matériaux présolaires et différaient entre les types de météorites." Les chercheurs ont découvert que certaines chondrites carbonées - conmptant parmi les météorites les plus primitives - qui se sont formées dans le système solaire externe, contenaient une plus grande quantité d'isotopes de potassium produits par les supernovae, alors que les chondrites non carbonées tombées sur Terre contiennent les mêmes rapports isotopiques de potassium que ceux observés sur notre planète et ailleurs dans le système solaire interne. Selon Anat Shahar de la Carnegie Institution de Washington et coautrice de cette étude, "Cela nous indique que, comme une pâte à gâteau mal mélangée, il n'y avait pas une répartition uniforme des matériaux entre les confins du système solaire où les chondrites carbonées se sont formées et le système solaire interne, où nous vivons." Dorénavant les chercheurs vont utiliser ces données pour améliorer les modèles de formation des planètes. Les recherches se poursuivent. Après le début de l'effondrement de la nébuleuse protosolaire, les premiers solides qui se formèrent furent les inclusions réfractaires (CAI) rapidement suivies par les chondres qui se sont formées lors d'évènements de chauffage relativement courts survenus il y a 4.567 milliards d'années. L'une des théories considère que les CAI se sont formées dans des courants de convection circulant au bord de la région la plus chaude de la nébuleuse interne. L'environnement ambiant dans la Ceinture des astéroïdes au moment où les petits corps se sont assemblés devait être thermiquement assez calme. En effet, le fait que le matériau présolaire ait été préservé dans les météorites plaide contre le réchauffement généralisé de la région des astéroïdes, tout comme la présence de minéraux aquifères et la teneur relativement élevée en éléments volatils dans de nombreuses chondrites. Cette théorie est confortée par la plupart des modèles astrophysiques actuels. Malgré les preuves d'une température globale basse dans cette région du système solaire, l'abondance de chondres dans presque toutes les météorites chondritiques atteste d'épisodes transitoires locaux de températures très élevées (seules les chondrites CI n'ont pas de chondres comme la météorite d'Ivuna, et contiennent encore la matière brute qui façonna le système solaire et donc la proto-Terre).
Si les chondres étaient relativement rares dans les météorites, leur formation pourrait être considérée comme d'importance secondaire dans le système solaire primitif. Mais les chondres et leurs fragments constituent la majeure partie de la masse de la classe la plus abondante de météorites, les chondrites ordinaires, et une grande partie des autres chondrites, ce qui suggère que leur formation était d'une importance majeure. Même si les corps parents des chondrites ordinaires ne se sont formés que dans une région limitée de la Ceinture principale des astéroïdes adjacente à la résonance majeure qui est censée mettre du matériel chondritique sur des orbites croisant la Terre, cette région représente environ 10% de la Ceinture des astéroïdes. Il est également probable que les astéroïdes parents d'autres météorites chondritiques se soient formés en dehors de cette région, même s'ils se trouvent aujourd'hui réunis dans la Ceinture principale. La théorie des ondes de choc Depuis le milieu du XXe siècle, de nombreuses théories ont été proposées pour expliquer la formation des chondres dont les décharges électriques, les ondes de choc, les collisions entre les astéroïdes fondus associées à un jeune Soleil actif, mais aucune ne fait encore consensus. D'abord parce que les planétologues manquent de preuves pour valider l'une ou l'autre théorie. Ensuite, parce que la plupart des météorites (chondrites carbonées, sidérites, pallasites, etc) contiennent plusieurs structures distinctes témoignant clairement d'une succession d'évènements : déformation suite à un impact, onde de choc, fusion, recuit, cristallisation, etc. Connaître l'âge des chondres et la chronologie des processus qui les ont formées sont cruciaux pour valider l'une ou l'autre de ces théories. Si les chondres se sont réellement formées sur une période variant entre 1 et 10 millions d'années après les inclusions réfractaires, cela excluerait certains modèles. Il y aurait moins de problèmes si les âges mesurés de la plupart des chondres reflètent le dernier moment où elles furent chauffées ou modifiées dans leur corps parent. Cependant, l'activité volcanique sur certains astéroïdes massifs s'est également poursuivie pendant environ 170 millions d'années, altérant encore un peu plus les chondres. L'âge des chondrites ne peut donc généralement être déterminé que relativement à une phase évolutive (cf. la datation des météorites) et par conséquent parfois leur origine précise reste difficile à déterminer.
Le processus responsable du chauffage des chondres reste en partie inconnu. Les isotopes radioactifs à courte vie de l'aluminium-26 et du fer-60 semblent être les sources de chaleur les plus probables. Mais la chaleur dégagée par des courants électriques induits par la forte activité du jeune Soleil et la libération d'énergie potentielle gravitationnelle au fur et à mesure que les astéroïdes se sont formés peuvent également y contribuer. Ensuite les chondres se sont refroidies pour présenter l'aspect qu'on leur connait. Les chondrites présentent des variations isotopiques pour certains éléments modérément volatils comprenant notamment le potassium et le rubidium, dont l'origine est incertaine et pourrait avoir impliqué des processus d'évaporation/condensation dans le disque protoplanétaire, un mélange incomplet des produits de la nucléosynthèse stellaire ou une altération aqueuse sur les corps parents. Depuis des décennies, les planétologues sont face à un mystère : des éléments comme le potassium et le rubidium sont moins abondants sur Terre que le prévoient les modèles sur base de la compréhension générale par les scientifiques de la formation du système solaire. Ils pensent que l'explication se trouverait dans une chaîne complexe de chauffage et de refroidissement, mais personne ne connaît la séquence exacte. Cela reste une grande question ouverte de la cosmochimie. Pour tenter d'y répondre, dans une étude publiée dans la revue "Science Advances" en 2021, Nicolas Dauphas de l'Université de Chicago et ses collègues ont mesuré les abondances des différents métaux et les isotopes du potassium et du rubidium présents dans plusieurs météorites carbonées (Orgueil, Ivuna, Murchison, Mighei, Allende,etc) et des roches silicatées terrestres étalons ou géostandards (basaltes BCR-2 et BHVO-2, andésite AGV-2 et granite G-3). Les chercheurs ont découvert que la température des chondres chuta au taux moyen d'environ 560 K par heure (~470 K/h pour Rb et ~900 K/h pour K), ce qui est un refroidissement très rapide. Ce taux de refroidissement est en accord avec le taux de refroidissement d'environ 10 à 1000 K/heure observé dans les expériences de trempe en laboratoire visant à reproduire les textures des chondres
Sur la base de ces contraintes, les scientifiques ont déduit quel type d'évènement aurait été suffisamment soudain et violent pour provoquer ce réchauffement et ce refroidissement extrêmes. Ils proposent que de puissantes ondes de choc ont traversé la nébuleuse protosolaire. Selon Dauphas, "Les grands corps planétaires proches peuvent créer des ondes de choc, qui auraient chauffé puis refroidi la poussière lors de son passage." Cette nouvelle preuve isotopique fait pencher la balance en faveur de la théorie des ondes de choc et résout une partie importante du mystère de la formation des planètes. A présent, les planétologues peuvent quantifier ce qui s'est produit lors du refoidissement. Selon Timo Hopp, co-auteur de cette étude, "Nous savons que d'autres processus se sont produits - ce n'est qu'une partie de l'histoire - mais cela résout vraiment une étape dans la formation des planètes." Ensuite, des corps de grande taille se sont formés non seulement dans la Ceinture des astéroïdes, mais partout dans le système solaire. En même temps, ils ont commencé à s'agréger en corps plus grands pour finalement former les planètes telluriques. Agrégation des grains de poussière De quelle manière les grains de poussière peuvent-ils se coller les uns aux autres pour former des planétésimaux (Ø 1 km) ? Nous savons que dans nos habitations l'électricité statique et la force de cohésion - l'adhérence - peuvent entraîner la formation de fines particules de poussière qui finissent par s'agglomérer. De même, dans l'espace, l'adhérence fait que les particules de poussière se collent les unes aux autres, les grains de poussière de taille micrométrique se transformant en agrégats de taille millimétrique. Lorsque ces agrégats dépassent quelques centimètres de diamètre, ils sont soumis à des mécanismes de concentration telle que l'instabilité de ruissellement, permettant la formation d'amas auto-gravitationnels qui peuvent potentiellement former des planétésimaux de taille kilométrique et plus tard des planètes (voir plus bas). Mais entre ces deux extrêmes, la façon dont les agrégats se développent est restée en grande partie mystérieuse jusqu'à présent. En effet, des simultations numériques (cf. Jamstec, 2023) suggèrent que la croissance par collision des microparticules de poussière cosmique d'une taille comprise entre quelques millimètres et quelques centimètres est entravée par le rebond collisionnel; elles rebondissent les unes sur les autres plutôt que de coller ensemble, la probabilité d'adhésion diminuant lorsque la taille des particules augmente, bloquant leur croissance. Dans ces conditions, comment combler l'écart entre la barrière de rebond et le début de l'instabilité de la diffusion ?
Dans une étude publiée dans la revue "Nature Physics" en 2019, l'équipe de Tobias Steinpilz de l'Université de Duisburg-Essen a montré qu'en microgravité - des conditions similaires à celles qu'on trouve dans l'espace interplanétaire - les grains de poussière développent spontanément de fortes charges électriques et se collent ensemble, formant de gros agrégats. Les simulations numériques montrent avec surprise qu'à condition qu'au moins une charge électrique soit présente, bien que les charges similaires se repoussent, des agrégats se forment malgré tout, apparemment du fait que les charges sont si fortes qu'elles se polarisent et agissent donc comme des aimants. Selon les chercheurs, "la charge de collision favorise une croissance précoce des grains de poussière que les modèles actuels de formation planétésimale ne peuvent pas prendre en compte." Des processus similaires semblent être à l'œuvre dans les laboratoires industriels, notamment là où les réacteurs à lit fluidisé produisent des granulés allant des plastiques aux produits pharmaceutiques. En effet, au cours de ce processus, le gaz de soufflage pousse les particules fines vers le haut et lorsque les particules s'agglomèrent en raison de l'électricité statique, elles peuvent coller aux parois de la cuve du réacteur, entraînant des arrêts et une mauvaise qualité du produit. Cette étude a peut-être permis de surmonter un obstacle fondamental à la compréhension de la formation des planètes et apporte une nouvelle compréhension sur le rôle de la polarisation électrique dans le mécanisme d'agrégation. Elle peut également aider les ingénieurs à améliorer les traitements industriels. La formation et la nature des astéroïdes Bien longtemps avant la formation des planètes, au fil des révolutions sur des orbites parfois forts excentriques, certains planétésimaux et astéroïdes sont entrés en collision et furent détruits créant de plus petits corps, d'autres furent éjectés hors du système solaire et sont venus s'ajouter à la poussière interstellaire. En 2006, l'équipe d'Erik Asphaug de l'Université de Californie à Santa Cruz s'est intéressée à la formation et la nature des astéroïdes. Ils ont réalisé des simulations et montré que les planétésimaux et autres embryons planétaires en collision ne fusionnent pas simplement, comme on le suppose généralement. Comme le montre les simulations ci-dessous de collisions rasantes ou "hit and run", dans de nombreux cas, le plus petit corps différencié (avec un noyau, un manteau et une croûte) s'échappe de la collision mais est il fortement déformé, dépressurisé, dépouillé de ses couches externes et les plus petits sont déchiquetés en une chaîne de débris. Voyons cette séquence en détails et ce que les simulations nous apprennent.
Ci-dessus à gauche, dans la séquence du haut, l'impacteur a la moitié de la masse de la cible. Dans la séquence du bas, l'impacteur a un dixième de la masse de la cible. Dans les deux cas, l'impacteur et la cible sont des corps différenciés. Le rouge indique les noyaux métalliques et le bleu les manteaux rocheux des corps. Lorsque la masse de l'impacteur est voisine de celle de la cible (séquence du haut), elle perd son manteau rocheux mais le résidu reste intact. Toutefois, son rapport métal/silicate a augmenté. Les débris rocheux peuvent s'accumuler pour former un objet ayant une quantité de fer inférieure à la normale. Lorsque l'impacteur est plus petit (séquence du bas), il est détruit et une chaîne de protoplanètes riches en métaux en résulte, conduisant à la formation d'astéroïdes riches en métaux. Dans la simulation présentée ci-dessus à droite (cliquez sur l'image pour lancer le GIF animé), au moment de la collision rasante avec un petit impacteur, ce dernier vole en éclats et forme une chaîne de débris. Les plus gros s'enrichissent en fer car les roches moins denses du manteau de la cible subissent de puissantes forces de marée et s'éloignent du corps. Sur la simulation, un placage de roche subsiste autour de chaque corps riche en fer. Cela signifie que les objets bleus que l'on voit au centre de la chaîne de débris sont principalement des protoplanètes ou des astéroïdes composés de fer. C'est exactement ce qu'on observe de nos jours dans le système solaire où les astéroïdes représentent une véritable mine de ressources tellement leur teneur en minerais est élevée. On y reviendra. En résumé, cette simulation montre que des collisions rasantes peuvent former des astéroïdes riches en métaux et expliquer la pétrogénèse des météorites. Efficacité du process d'accrétion Quelles sont les propriétés essentielles des planétésimaux pour qu'ils forment des planètes ? Il a fallu des décennies de recherches et de tâtonnements pour répondre à cette question et nous n'avons encore qu'un début de réponse. Mais elle devient tous les jours plus détaillée et s'applique à un plus grand nombre de corps. L'agrégation des planétésimaux en objets de la taille des planètes est un mécanisme complexe, difficile à comprendre et à simuler de manière précise. Dans le cas du système solaire, il semble que le processus d'accrétion ne démarra qu'une fois les planètes géantes, et Jupiter en particulier, provoquèrent suffisamment de perturbations pour briser les anneaux du système protoplanétaire. C'est en tout cas sur base de cette hypothèse qui fait consensus que nous allons détailler la suite des évènements. Mais nous verrons (voir page 9) que dans le cas de la Terre, la proto-Terre se serait formée très rapidement en accrétant directement des poussières. La théorie de l'accrétion et l'observation des disques de poussière entourant les exoplanètes proches semblent confirmer que ce mécanisme est efficace au point de former des planètes de la taille voire même plus grandes que Jupiter.
En 2004, Scott Kenyon et Benjamin Bromley ont simulé sur ordinateur un nouveau modèle de disque protoplanétaire contenant un milliard de particules-tests représentant autant de planétésimaux de 1 km de diamètre gravitant autour d'une étoile de type solaire. Ils ont découvert que le processus de formation des planètes était remarquablement efficace. A partir des résultats de leur simulation, les chercheurs sont parvenus au scénario suivant. Au commencement, les collisions entre planétésimaux se produisent à des vitesses assez lentes, permettant aux objets qui se heurtent de fusionner et d'accroître leur masse. A une distance voisine de celle de la Terre (1 UA) il faut compter seulement 1000 ans pour que des planétésimaux de 1 km se transforment en objet de 100 km. 10000 ans plus tard ces objets se sont transformés en protoplanètes de 1200 km de diamètre et il faut encore attendre 10000 ans pour obtenir des protoplanètes de 2000 km de diamètre. Des objets de la taille de la Lune pourraient donc se former en l'espace de 20000 ans. Pendant que les planétésimaux du disque se développent par accrétion, leur pesanteur s'accroît en parallèle. Lorsque ces objets atteignent 1200 km de diamètre, ils commencent à perturber les plus petits. Par effet gravitationnel, les gros planétésimaux donnent de l'impulsion aux plus petits qui gravitent si rapidement qu'ils se heurtent au lieu de fusionner, ils se pulvérisent et augmentent la quantité de poussière dans l'environnement immédiat des protoplanètes. Tandis que ces dernières continuent à accumuler des planétésimaux par accrétion-fusion, les fragments restants se transforment progressivement en poussière interplanétaire. Cette poussière se forme donc à la même distance que la planète et sa température indique donc la température de la planète en cours de formation. Ainsi, la poussière qui suit Vénus sur son orbite est plus chaude que la poussière orbitant à hauteur de la Terre. Si une exoplanète en cours de formation est invisible, on peut malgré tout la détecter à travers le nuage de poussière qui s'agglomère autour d'elle et qui émet un rayonnement infrarouge. Selon Kenyon et Bromley la taille des plus grands objets contenus dans le disque protoplanétaire détermine le taux de production de poussière. Cette quantité est maximale lorsque les planétésimaux mesurent 1200 km. Si cette simulation apporte des informations utiles, elle reste sommaire et n'explique pas la distribution des masses dans le système solaire. Pour y répondre il faut réaliser des simulations MHD plus sophistiquées. Le piégeage des particules : retour des tourbillons et de la MHD Si ce sont bien les effets gravitationnels et la friction du gaz qui ont permis aux premiers planétésimaux de migrer vers l'étoile, cela sous-entend d'abord qu'il y eut des interactions entre le disque protoplanétaire gazeux et les effets de marée de l'étoile afin qu'elle attire les corps vers elle. Mais ces corps auraient dû immédiatement s'effondrer sur l'étoile sans avoir eu le temps d'atteindre une taille de plusieurs dizaines de kilomètres. Quel mécanisme permet d'interrompre cette attraction fatale ?
Les astrophysiciens ont proposé plusieurs théories pour piéger les planétésimaux. L'une d'entre elles tient compte de tourbillons présents dans le disque protoplanétaire qui permettent également de s'affranchir de la "barrière du mètre" lors de l'accrétion des poussières. C'est le même phénomène qu'on retrouve au centre des océans où de grands gyres attirent d'abord les petits particules puis finalement des débris de plus en plus importants. Les simulations montrent qu'il peut exister des instabilités de courant dans le disque protoplanétaire générant des mouvements en sens contraire. Sous l'effet de cette turbulence, des tourbillons de gaz se forment dans le disque au sein desquels les poussières peuvent s'accumuler. Si la vitesse relative des particules est suffisamment faible, elles peuvent "se coller" les uns aux autres. La densité va ainsi augmenter au centre des tourbillons jusqu'à déclencher un effondrement gravitationnel et rapidement former des planétésimaux de plusieurs kilomètres. Dans une variante de ce modèle, la poussière est piégée dans les régions à fort gradient de pression dans le disque de gaz, qu'on appelle des singularités. Ces structures peuvent se former en différents endroits du disque : dans des "zones mortes" (dead zones) c'est-à-dire sans activité magnétique, vers la ligne de glace ou encore dans des régions de surdensités créées par des instabilités magnétohydrodynamiques (MRI). Dans ces différentes zones de piégeage, l'accrétion se poursuit de la même manière que dans le modèle des tourbillons. Les simulations MHD Dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal" en 2023, les astrophysiciens Brooke Polak de l'Université d'Heidelberg et Hubert Klahr de l'Institut Max Planck d'Astronomie ont réalisé de nouvelles simulations plus précises pour tenter de comprendre comment les planétésimaux forment des planètes. Les chercheurs ont modélisé une phase clé de la formation des planètes du système solaire : la façon dont de petits cailloux - des graviers de taille centimétrique - s'agrègent pour former des planétésimaux de plusieurs dizaines à centaines de kilomètres de diamètre.
Grâce à une méthode innovante de simulation de la formation des planétésimaux, les deux chercheurs ont pu prédire la distribution de taille initiale des planétésimaux dans le système solaire : combien sont susceptibles de s'être formés dans les différentes "tranches de taille" entre environ 10 et 200 km. Comme illustré à gauche, leur simulation reproduit correctement la distribution de taille initiale des planétésimaux, qui peut être comparée aux observations des astéroïdes actuels, ceux situés dans la Ceinture principale mais également ceux de la Ceinture de Kuiper. De plus, leur modèle permet de prédire avec succès les différences entre les planétésimaux formés près du Soleil et ceux formés plus loin, ainsi que la prévalence de planétésimaux binaires. Voyons cela en détails. Simuler la transformation de cailloux centimétriques en planétésimaux est un défi. Jusqu'aux années ~2010, on ne savait pas comment cette transition pouvait se produire. A l'époque, les simulations ne permettaient pas aux cailloux de s'agréger au-delà d'une taille d'environ un mètre. Comme expliqué ci-dessus, ce problème particulier fut depuis résolu après avoir pris conscience que le mouvement turbulent dans le disque protoplanétaire permet de rassembler une quantité suffisante de cailloux pour former des objets plus gros. Mais les échelles disparates des divers objets impliquées rendent encore les simulations de la formation des planètes peu réalistes. Les nouvelles simulations dites de continuum modélisent le disque protoplanétaire en divisant l'espace en une grille de régions séparées - l'analogue tridimensionnel de la division d'un plan en un motif d'échiquier. On utilise ensuite les équations de l'hydrodynamique (HDM) pour calculer comment la matière s'écoule de chaque cellule de la grille vers les cellules voisines et comment les propriétés de la matière changent au cours de ce processus. Mais pour obtenir des résultats significatifs, il faut simuler une section du disque protoplanétaire représentative, c'est-à-dire de plusieurs centaines de milliers de kilomètres de diamètre au minimum. Or jusqu'à présent la puissance de calcul des superordinateurs reste insuffisante pour simuler la structure planétaire globale ne fut-ce qu'à l'échelle des planétésimaux kilométriques. Une alternative consiste à développer des simulations qui modélisent des groupes de cailloux en tant que "super-particules" séparées, puis les fusionnent en objets ponctuels uniques une fois qu'ils se rapprochent des 1000 km de diamètre. Mais cette méthode ne parvient pas à capturer un autre aspect important de la formation des planétésimaux : les planétésimaux binaires serrés où deux petits corps tournent l'un autour de l'autre en orbite proche ou même se rejoignent en tant que "binaire à contact". La simulation de Polak et Klahr traite de petits groupes de cailloux comme un nuage de gaz - un "gaz de cailloux" - dans un nuage qui s'effondre dans un disque protoplanétaire de manière analogue aux particules d'un gaz. Selon la température et la pression, ce mélange peut subir des transitions de phase, devenant liquide ou solide. Au lieu de modéliser explicitement les collisions entre les différents groupes de cailloux, les chercheurs ont attribué une pression à leur "gaz de galets". Pour la pseudo équation d'état qui donne la pression en fonction de la densité, ils ont choisi une équation d'état dite adiabatique qui, dans une configuration planétaire à symétrie sphérique, a une structure de densité similaire à celle de la Terre. Dans ces conditions, le "gaz de galets" peut également subir un changement de phase. A faible densité, il existe une "phase gazeuse" dans laquelle des galets séparés volent et se heurtent fréquemment. Si on augmente la densité, on peut observer la transition vers une "phase solide", où les cailloux forment des planétésimaux solides. Le critère clé pour déterminer quand le "gaz de galets" devient solide est de savoir si l'attraction gravitationnelle des cailloux est supérieure ou non à la pression subie par les collisions.
Etant donné que les équations simplifiées de Polak et Klahr sont beaucoup moins complexes que celles des modèles collisionnels de super-particules, les chercheurs ont pu utiliser la puissance de calcul disponible pour simuler des détails plus fins qu'auparavant, jusqu'aux échelles où les planétésimaux binaires peuvent former des binaires à contact (les simulations précédentes moins précises supposaient simplement que deux planétésimaux se rapprochant pour former un système binaire se transformeraient en un seul objet sans structure, et donc manqueraient complètement les configurations binaires serrées et binaires à contact). Comme l'une des nombreuses simulations l'illustre à droite, les résultats montrent que la distance au Soleil est un facteur clé. Une région qui s'effondre très près du Soleil ne produira que quelques planétésimaux voire un seul tandis qu'à plus grandes distances, chaque région qui s'effondre formera de plus en plus de planétésimaux simultanément. De plus, les plus grands planétésimaux se forment près du Soleil. Les plus gros planétésimaux produits par un nuage de galets qui s'effondre à la distance de la Terre (1 UA) sont environ 30% plus massifs et 10% plus gros que ceux produits dix fois plus loin. Dans l'ensemble, la production de planétésimaux s'avère très efficace, avec plus de 90% des cailloux disponibles se retrouvant dans les planétésimaux, quel que soit leur emplacement dans le système solaire. Il s'avère que la distribution de taille des planétésimaux prédite par la simulation est conforme aux observations et donc exacte. Il y a même une surprise. Selon Polak, "Auparavant, on pensait que la distribution de taille initiale des astéroïdes reflétait la distribution de masse des nuages de galets. Nous avons donc été très surpris que nos simulations, utilisant toujours la même masse initiale pour les nuages de galets, ont créé la même distribution de masse d'astéroïdes lors de l'effondrement gravitationnel que celle trouvée dans les observations. Cela modifie considérablement les contraintes sur les processus qui créent les nuages de galets dans la nébuleuse solaire." Autrement dit, les simulations des premiers stades du système solaire n'auront pas à se soucier d'obtenir la taille adéquate des nuages de cailloux car le processus de formation des planétésimaux se chargera lui-même de la bonne distribution des tailles. Les simulations montrent également que la moitié des astéroïdes binaires sont très proches les uns des autres, leur distance mutuelle étant inférieure à quatre fois le diamètre des planétésimaux eux-mêmes. Les prédictions de la prévalence et des propriétés de ces astéroïdes binaires correspondent parfaitement aux propriétés observées dans les objets de la Ceinture principale et de la Ceinture de Kuiper. L'un des résultats de ces simulations prédit que des astéroïdes binaires serrés se forment en grand nombre dès le début, lorsque les cailloux fusionnent en planétésimaux, par opposition à la formation ultérieure par quasi-collisions et autres interactions. La mission spatiale Lucy de la NASA, lancée en 2021 vers onze astéroïdes dont deux de la Ceinture principale et sept Troyens, offre une opportunité particulièrement intéressante de tester cette prédiction. En effet, tous les planétésimaux ne finissent pas dans la Ceinture principale ou dans la Ceinture de Kuiper. Certains sont piégés dans une co-orbite avec Jupiter, ce sont les Troyens. La mission Lucy visitera le couple Patrocle-Menoetius en 2033. Chacun mesure 100 km et les deux Troyens sont séparés de seulement 680 km. Selon les simulations de Polak et Klahr, ces deux corps ont la même couleur et la même apparence extérieure car ils se sont formés à partir d'un seul et même nuage de galets; ce sont des jumeaux. Cette simulation présente toutefois des limitations. Elle n'examine que la formation planétésimale jusqu'aux environs de l'orbite actuelle de Neptune soit 30 UA. Mais les deux chercheurs prévoient d'explorer la genèse du système solaire à des distances encore plus grandes (par exemple jusqu'à l'orbite du KBO binaire Arrokoth situé à ~45 UA qui fut visité en 2019 par la sonde spatiale New Horizons de la NASA). Une autre limitation de cette simulation est que les planétésimaux ne peuvent se former que comme des sphères parfaites de différentes tailles. Une équation d'état plus complexe qui intègre la capacité des corps solides à conserver leur forme permettrait une description plus réaliste des objets avec les propriétés matérielles d'un mélange de glace poreuse et de poussière. Sur cette base, les calculs pourraient être étendus à des planétésimaux de formes variées, permettant une meilleure concordance entre notre compréhension théorique de la formation du système solaire et les observations. C'est l'objet des futurs travaux de Polak et Klahr. Prochain chapitre
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