|
La formation du système solaire L'enrichissement stellaire (II) De nombreuses questions restent en suspens concernant l’évolution primordiale du système solaire. Elles concernent à la fois le paradoxe des mécanismes d'accrétion-éjection sur lequel nous reviendrons, le rôle du champ magnétique, la structure du disque d'accrétion, l'évolution du disque circumstellaire, la croissance des grains de poussière jusqu'aux planétésimaux, l'ordre de formation des planètes (les gazeuses avant les telluriques), le transfert du moment cinétique aux planètes, la faible inclinaison orbitale des planètes (< 6°), leur orbite prograde (sens anti-horloger), sans oublier l'origine des éléments lourds. Heureusement, grâce aux grands télescopes et au développement de nouvelles techniques d'observations notamment en infrarouge, en astronomie spatiale et le support des simulations numériques, les astonomes ont plus appris sur la formation du système solaire au cours des 25 dernières années que durant les deux siècles précédents. Nous allons passer en revue les différentes questions citées ci-dessus, en commençant par la plus ancienne sur le plan historique, celle de l'enrichissement stellaire. Quelle est l'origine des éléments lourds (éléments plus lourds que H et He) que l'on trouve sur Terre et partout dans le système solaire ainsi que dans le milieu interstellaire ? Un indice nous est donné par la présence du fer dans le milieu interstellaire. La physique nucléaire nous apprend que le Be-7 ou le C-14 par exemple se forme par spallation des rayons cosmiques, c'est-à-dire suite à l'impact de particules de haute énergie sur des noyaux qui désintègrent l'élément en jets de particules plus légères (cf. les nucléides cosmogéniques). A l'autre extrémité du tableau, l'isotope du Fe-60 se forme uniquement au cours d'une réaction de nucléosynthèse stellaire, le Fe-56 étant l'élément stable issu de la double désintégrations β+ du Ni-56 en Co-56 puis en Fer-56. Quant aux éléments plus lourds que le fer, ils se forment uniquement au cours d'une réaction nucléaire explosive, notamment au cours de l'explosion d'une supernova et de la fusion de deux étoiles à neutrons grâce au processus r. A consulter : List of Discovered Interstellar Molecules, Obs. Paris
Le Soleil contenant lui-même pratiquement tous les éléments chimiques simples, on en déduit que ces derniers ont forcément été créés avant sa naissance et proviennent donc d'un autre réservoir cosmique, lui-même résultant de réactions nucléaires. Mais proposer l'idée est une chose, la prouver s'avère bien plus complexe. Le rôle de la chimie de choc des supernovae En 1962, l'astrophysicien Alistair G. Cameron (1925-2005) alors au Caltech avant de devenir professeur d'astronomie à l'Université d'Harvard publia dans la revue "Icarus" un article intitulé "The formation of the sun and planets" dans lequel il proposa un modèle de l'histoire protosolaire basé sur l'étude de la radioactivité éteinte dans les météorites et dans l'atmosphère[4].
Dans son article de 1962 dont la NASA fera un livre (RP-102), Cameron tenta de démontrer en 56 pages que l'existence de ces isotopes radioactifs ne pouvait s'expliquer que par l’explosion d'une supernova qui aurait enrichi le milieu interstellaire avant la formation du Soleil. Dans d'autres articles publiés en 1972 et 1977 parmi d'autres (cf. cet article de 1973), Cameron développa l'échelle de temps et proposa finalement un scénario complet de la genèse de la nébuleuse protosolaire. Selon son scénario, la formation du système solaire se serait déroulée en trois étapes. Tout aurait commençé dans un nuage géant de gaz et de poussière de 105 M qui s’étendait sur quelques milliers d'années-lumière. Par poussière, on entend des petits grains solides composés de minéraux, de matière organique et parfois de glace y compris de glace d'eau. Ce nuage était constitué de 78% d'hydrogène, 20% d'hélium, 2% d'atomes lourds et de 1% de grains de poussière, ces derniers représentant tout de même l'équivalent de 1000 M. La concentration d'hydrogène n'était pas encore très élevée, équivalente à 10-17 atmosphère, quelque 1000 molécules/cm3. Au coeur de ce nuage géant des poches de haute densité se sont formées, pouvant localement atteindre 100000 molécules/cm3. En s'effondrant sous l'effet de la gravitation, ces poches de gaz et de poussière ont donné naissance à plusieurs associations d'étoiles, dont les plus turbulentes furent de classes O et B d'environ 10 M. Très massives, ces étoiles ne survécurent pas plus de 10 millions d’années. Elles explosèrent en supernova, libérant dans l'espace une immense bulle qui balaya le coeur du nuage moléculaire de son gaz et de ses poussières. Dans une seconde étape, pendant ce temps les étoiles moins massives et moins chaudes synthétisèrent des éléments lourds au cours des différentes phases de la nucléosynthèse. Quelques étoiles géantes, riches en carbone qu'on appelle les étoiles AGB (la branche asymptotique des géantes) transformèrent l’hélium en éléments plus lourds pendant qu’une fraction de leur enveloppe s'échappa dans l'espace, porteuse des germes des nouveaux éléments synthétisés. Au bout de 130 millions d’années environ, de nouveaux nuages protostellaires se formèrent et donnèrent naissance à une deuxième génération d'étoiles chaudes des classes O et B. 20 millions d’années plus tard, les étoiles plus massives ayant déjà explosées, seules les étoiles voisines d’une à deux masses solaires se transformèrent en étoiles géantes AGB d'environ 1 M. Dans un autre article intitulé "Formation and Evolution of the Primitive Solar Nebula" qui fut repris en 1985 dans le livre "Protostars and Planets II" de Black et Matthews (pp.1073-1099), Cameron proposa que ces étoiles AGB peu massives moururent calmement en soufflant leur couche superficielle dans l’espace, libérant environ 20% de leur masse sous forme de nébuleuse planétaire. Leur coeur se transforma en étoile naine blanche.
Dans une troisième étape, sous l'effet des ondes de choc, une bulle géante de gaz et de poussières se comprima et forma de petits nuages de quelques masses solaires qui servirent finalement de matière première à de nouvelles étoiles, parmi lesquelles on retrouva le futur Soleil en gestation. Ces cascades de naissances et d'enrichisssements stellaires par spallation et nucléosynthèse permettent d'expliquer la présence dans les météorites de radioactivité éteinte et les grandes anomalies isotopiques. L'explosion d'une seule supernova ne peut expliquer une telle diversité. Précisons qu'il est peu probable que le Soleil soit issu d'une nébuleuse planétaire, même sous l'effet d'ondes de choc. En effet, la plupart de ces nébuleuses sont formées par l'explosion d'étoiles relativement peu massives et la masse de poussière et de gaz ionisé éjectée dans l'espace représente généralement une fraction de masse solaire, donc insuffisante pour former une étoile solaire. Notons que leur étoile centrale compacte présente une masse comprise entre ~1.4 et 3 M, au-delà de laquelle elle s'effondre en trou noir. Une nébuleuse planétaire ne suffirait donc pas. Il faut donc considérer comme Cameron l'a suggéré que le Soleil s'est formé à partir de la condensation d'un nuage bien plus vaste et massif enrichit en isotopes par l'explosion d'une ou plusieurs supernovae.
Bien que séduisante, la théorie de Cameron a toutefois été remise en question car il faut la démontrer, ce qui n'est pas évident vu l'époque considérée. Une contrainte très importante pour tester l'hypothèse de la chimie de choc d'une supernova est la composition des météorites puisque qu'ils renferment des isotopes datant de l'époque de la formation du système protosolaire. Parmi ces météorites, les chondrites carbonées sont les plus intéressantes car elles contiennent la plus grande proportion de matière primitive. Le fait que ces isotopes existaient toujours lors de la formation de ces chondrites dépendait de l'abondance de leurs produits de décomposition, ce qu'on appelle les isotopes filles, découverts dans certaines chondrites primitives. En mesurant l'abondance de ces isotopes filles, les scientifiques ont la possibilité de savoir quand et éventuellement comment ces chondrites se sont formées. Compte tenu des rapports d'abondances de ces isotopes filles et donc de leur demi-vie, la probabilité que le jeune proto-Soleil ait été contaminé par une ou plusieurs supernovae est très faible en théorie (< 1%). En effet, il est difficile d'imaginer que cette contamination radioactive se soit déroulée dans un laps de temps aussi court et juste au moment où une supernova explosa près de la nébuleuse qui donna naissance au Soleil. Si comme nous l'avons évoqué, l'existence d'une nurserie d'étoiles résout une partie du problème, reste la question de l'explosion même d'une supernova. C'est justement pour tester cette théorie et l'influence des isotopes filles que la géophysicienne Myriam Telus de l'Université d'Hawaï et ses collègues ont étudié le rapport d'abondance des isotopes à courte vie comme le fer-60 (qui décroît en nickel-60) d'une demi-vie de 2.6 millions d'années par rapport à l'isotope stable du fer-56 (le fer le plus connu avec une abondance naturelle de 91.7% parmi tous les isotopes de cet atome). Comme l'avait souligné Cameron, ce fer-60 se forme en grande quantité par nucléosynthèse dans les étoiles AGB (selon la quantité de matière qu'elles perdent en fin de vie, toutes ne deviennent pas des supernovae mais peuvent se transformer en étoiles naines blanches et chaudes). Si ces étoiles AGB ou ces naines blanches sont agencées en systèmes binaires - et elles sont probablement très nombreuses -, certaines peuvent accréter la matière de leur compagnon jusqu'à exploser en supernova de Type Ia.
Telius et ses collègues ont étudié 24 chondres de météorites dont les résultats furent publiés dans la revue "Geochimica et Cosmochimica Acta" en 2017. Leur étude montre qu'il n'y a toujours pas de preuve formelle définitive démontrant que les isotopes radioactifs ont été injectés par une onde de choc. Toutefois, la quantité de Fe-60 présente dans le système solaire primitif est compatible avec l'explosion d'une supernova. Compte tenu de ce dernier résultat, l'astronome et théoricien Alan Boss de l'Institut Carnegie et sa collègue programmeuse Sandra Keiser (1957-2017) ont modélisé la formation du système solaire. Boss a revu ses modèles antérieurs d'effondrement du nuage protosolaire déclenché par les ondes de choc et étendu le temps de calcul au-delà de l'effondrement initial jusqu'aux étapes intermédiaires de la formation du proto-Soleil. L'une de ses simulations extraite d'un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2017 est présentée à gauche. En associant les résultats de cette modélisation à l'analyse des échantillons de météorites, Boss conclut que "l'onde de choc d'une supernova est l'origine la plus plausible des isotopes radioactifs à courte vie dans notre système solaire", une conclusion qui aurait fait plaisir à Cameron. Une nouvelle étude publié dans la revue "Science Advanced" en 2018 par Nan Liu de l'Institut Carnegie et ses collègues confirme que les grains de poussière composés de carbure de silicium (SiC) découverts dans certaines météorites terrestres (cf. cette photo d'un grain de poussière interstellaire) sont âgés de plus de 4.6 milliards d'années. Ils proviennent de supernovae et sont en corrélation avec un excès des isotopes du titane-49 (produits par la décroissance du vanadium-49) et du silicium-28 à courte période (330 jours pour le titane-49) produits lors de l'explosion de ces étoiles massives. Selon les chercheurs, ces grains de poussière se sont formés dans le courant de particules émis par une ou plusieurs supernovae de Type II plus de deux ans après l'explosion des étoiles progénitrices pour finalement parvenir jusqu'à la nébuleuse protosolaire où ils furent incorporés dans la matière des météorites et des planétésimaux. Nous avons la preuve qu'au moins une supernova explosa à proximité du système solaire peu avant sa formation. Selon un article publié dans la revue "Icarus" en 2022 par le géologue Jan D. Kramers de l'Université de Johannesbourg et ses collègues, la météorite d'Hypatia découverte en 1996 à l'ouest de l'Égypte, à proximité du champ de verre lybique, contient des concentrations chimiques anormales (lire l'article de Kramers et al. présenté lors d'une conférence du LPI en 2015 et l'article sur la pétrographie d'Hypatia publié en 2018). En fait, la roche d'Hypatia n'a pas été classée comme météorite - elle ne figure pas dans la base de données du LPI, même en sachant qu'elle provient de l'espace, car seulement environ 4 grammes de la masse totale d'origine ont été analysés sur un total d'environ 30 grammes. Les autres fragments mesurant entre quelques millimètres et quelques centimètres ont été envoyés à divers laboratoires pour étude. La Meteoritical Society exigeant que 20% de la masse d'origine d'une météorite lui soit réservée pour la déclarer officiellement comme une météorite, ce quota n'a pas été atteint. Mais tous les météoritologues savent très bien qu'Hypatia est une météorite, et pas n'importe laquelle ! Hypatia est une chondrite carbonée contenant des micro-diamants, des isotopes du carbone et des gaz rares et plus étonnant, des métaux dans un rapport Si/Fe et Mn/Fe dix fois inférieur (0.1) à ceux du système solaire - elle contient trop de fer et trop peu de silicium -, un rapport argon-40/argon-36 d'environ 0.23, largement inféroeur à la valeur atmosphérique (296, cf. H.Sumino et al., 2005) et donc trop faible pour être d'origine terrestre, ainsi que 15 éléments chimiques parmi lesquels des isotopes He, Ne, Xe et N qui n'existent pas dans le système solaire ou dans le milieu interstellaire proche du Soleil. En comparant leurs abondances à celles prédites par les modèles de supernovae, seuls 9 des 15 éléments (Si, S, Ca, Ti, Va, Cr, Mn, Fe et Ni) correspondent aux modèles. Sur les 7 autres, 6 proportions (pour Al, P, Cl, K, Cu et Zn) sont 10 à 100 fois supérieures aux modèles comme illustré ci-dessous à droite.
Ces isotopes inhabituels proviennent d'un corps parent primitif qui n'a pas subi de traitement thermique dans la nébuleuse solaire. Ils furent vraisemblablement formés dans une naine blanche qui explosa en supernova de Type Ia il y a plus de 5 milliards d'années. Le progéniteur de la supernova formait probablement un système binaire avec une géante rouge qui s'effondra en naine blanche. Celle-ci accréta la matière de son compagnon jusqu'à atteindre une masse critique et explosa, libérant son gaz et des noyaux radioactifs. Par la suite, ce nuage de gaz et de poussière n'a plus jamais interagit avec d'autres nuages. Ces gaz et ces poussières furent ensuite incorporés dans des petits corps dont l'un forma le corps parent d'Hypatia qui mesurait probablement plus d'un mètre de longueur. La présence d'un excès de xénon-129, fille de l'iode-129 éteint (demi-vie de 15.7 millions d'années) qu'on retrouve également dans les chondrites carbonées, permet d'utiliser ces éléments comme chronomètres et indiquent qu'ils se sont formés au cours des premiers 4 millions d'années de l'histoire du système solaire. Cet astéroïde se serait formé dans une région froide et calme éloignée du Soleil, soit dans le Nuage de Oort soit dans la Ceinture de Kuiper. Il finit par dériver vers le Soleil et un fragment tomba sur la Terre. Selon Kramers, "si cette hypothèse est correcte, la météorite d'Hypatia serait la première preuve tangible terrestre qu'une supernova de Type Ia explosa près de la Terre. Peut-être tout aussi important, cela montre qu'un petit agglomérat isolé de poussière cosmique a pu être incorporé dans la nébuleuse solaire sans s'y mélanger complètement." La fratrie du Soleil Compte tenu de la composition actuelle du Soleil et des météorites, le Soleil serait une étoile de 3e génération. Etant donné la richesse du milieu interstellaire et notamment des nombreux amas d'étoiles existants dans notre grande banlieue (cf. la Voie Lactée), le Soleil serait probablement né dans un nuage moléculaire mesurant entre 6 et 20 années-lumière de diamètre au sein d'un amas stellaire comprenant entre 1000 et 10000 étoiles. Pour appuyer cette hypothèse, les astronomes recherchent également ces fameuses étoiles membres de la fratrie du Soleil - les Sun siblings - dont la plupart sont aujourd'hui dispersées dans la Voie Lactée et difficiles à identifier.
En 2018, une équipe internationale d'astronomes dirigée par Vandan Adibekyan de l'Institut d'Astrophysique et de Science Spatiale d'Espagne (IA) publia dans la revue "Astronomy & Astrophysics" les résultats d'une nouvelle méthode de détection des étoiles de type solaire. Elle fut appliquée au projet AMBRE développé par l'ESO et l'Observatoire de Côte d'Azur qui permet de déterminer les paramètres des atmosphères stellaires à partir de données spectrales et de les combiner aux données astrométriques du satellite Gaia de l'ESA. A ce jour, une seule étoile de la fratrie du Soleil fut identifiée, HD 186302, qu'on peut considérer comme son frère ou sa soeur jumelle. En effet, cette étoile située à 186 années-lumière dans la constellation du Paon (Pavo) est de classe spectrale G3 et évolue sur la Séquence principale. Son âge et sa composition chimique sont identiques à celles du Soleil. Ce type d'étoile en fait également un excellent candidat pour rechercher des traces éventuelles de vie dans le cadre de la théorie de la lithopanspermie interstellaire (le transfert de la vie entre systèmes exoplanétaires). Selon Adibekyan, il est possible que la soeur du Soleil possède une exoplanète, une Terre 2.0 orbitant autour d'un Soleil 2.0, qu'elle réside dans la zone habitable, soit rocheuse et ait été contaminée par des "semences" issues de la Terre. Mais cela reste purement spéculatif. Mais malgré toutes nos théories et nos technologies, plus d'un demi-siècle après les premières esquisses de Cameron, les astronomes n'ont toujours pas de réponse définitive à la question de savoir si la formation du Soleil est purement liée au hasard ou si elle doit être considérée comme un évènement exceptionnel. Si on penche pour la première solution qui est bien sûr la plus naturelle a priori, alors la présence d'une supernova est indispensable, une hypothèse que supportent les dernières études. Si on va plus loin, on peut alors se demander si le développement de vie sur Terre se serait également produit sans l'explosion d'une ou plusieurs supernovae, une question qui restera encore longtemps ouverte. Les trois étapes de la formation stellaire A présent que nous connaissons l'origine des éléments lourds présents dans le système solaire, nous pouvons passer à l'étape suivante qui consiste à élaborer un scénario expliquant la formation du Soleil lui-même. La formation d'une étoile est le résultat de réactions complexes au sein d'un milieu gazeux faisant intervenir des interactions non linéaires et combinées de la gravité, du champ magnétique, de la turbulence et du rayonnement. Selon le scénario proposé en 2000 par Philippe André du CEA de Saclay et ses collègues, la formation d'une étoile solaire se déroule en 3 grandes étapes : - La fragmentation du nuage moléculaire : grâce aux effets conjugés de la gravitation, du champ magnétique, de la turbulence et du rayonnement radiatif étroitement liés dans des interactions non linéaires, la nébuleuse protosolaire se fractionne et forme des structures sombres et opaques, les globules de Bok (ou de Thackeray) dont la dimension est de l'ordre de 1 année-lumière pour une masse de plusieurs dizaines de masses solaires. Lorsque le nuage moléculaire devient instable, on assiste à son effondrement et le début de la phase préstellaire. - La phase préstellaire : le nuage moléculaire froid s'effondre sous l'effet de la gravitation. Lorsqu'on observe un disque protoplanétaire, des proplydes se forment. Lorsque la densité centrale atteint 10-13 g/cm3 et la température environ 2000 K, il se forme un coeur de Larson. Sous une pression de 1 g/cm3 et une température supérieure à 1000 K, le premir coeur se désintègre et un 2e coeur de Larson se forme, le véritable coeur de la future protoétoile. La phase préstellaire dure environ 1 million d'années et l'objet rayonne surtout dans les bandes submillimétriques, millimétriques et micro-ondes.
- La phase protostellaire : C'est à partir de cette phase qu'on peut littéralement parler de la naissance de la nébuleuse protosolaire. Le nuage prend la forme d'un disque d'accrétion entouré d'un anneau de poussière. Au centre, la protoétoile accrète la matière et devient plus massive et brillante au point de rayonner d'abord en infrarouge puis dans le visible. Sa courbe d'énergie est celle d'un corps noir sur laquelle se superpose un rayonnement thermique (pic infrarouge entre 50-100 microns). Durant cette phase qui peut durer plus de 10 millions d'années, l'astre va progressivement rayonner des bandes radios vers l'infrarouge puis le spectre visible en épousant finalement la courbe du corps noir. La protoétoile affiche un champ magnétique générant un jet bipolaire qui participe au transfert du moment cinétique. Cette protoétoile est de classe T Tauri et évolue vers la Pré-Séquence principale jusqu'à ce que la température dans son noyau atteigne 10 milliards degrés où elle entame enfin son ascension sur la Séquence principale du diagramme de Hertzsprung-Russell : l'étoile est née ! Nous allons à présent détailler chaque étape avant d'aborder la question de la formation des planètes. Fragmentation du nuage moléculaire Refroissement du nuage moléculaire Etant donné que les nuages protostellaires sont enrichis en poussières et riches en métaux suite à l'explosion des étoiles des générations antérieures, une partie sur mille de l'hydrogène ionisé qu'ils contiennent se lie au reliquat d'électrons et de protons libres pour former de l'hydrogène moléculaire ou dihydrogène (H2), ce qui permet au gaz de fortement se refroidir. En effet, un nuage d'hydrogène pur comme celui qui forma les étoiles de première génération (Population III) ne peut pas descendre en dessous d'une température de 1000 K au début de son effondrement car il ne contient aucun élément lourd pour refroidir le gaz. Alors qu'un nuage constitué d'hydrogène atomique pauvre en métaux présente une température minimale de l'ordre de 10000 K, un nuage dense d'hydrogène moléculaire enrichi en métaux peut présenter une température voisine de 15 K, -258°C en début de contraction, suffisamment faible pour que la vitesse cinétique n'entrave pas l'effondrement du nuage. Selon les modèles, les nuages dépourvus de molécules s'effondrent gravitationnellement mais ils ne se fragmentent pas et forment des disques de très grandes tailles qu'on retrouve typiquement dans le coeur des galaxies. En revanche, si le nuage contient des molécules, il va se refroidir par l'extérieur. On observe alors une chute de la pression qui va permettre à la gravité d'opérer étant donné que le milieu présente moins de résistance. Par conséquent, grâce à un mécanisme hydrodynamique puis MHD en présence de champ magnétique, par endroit la structure commence à se fragmenter et à s'effrondrer, formant un ou plusieurs disques de taille stellaire. A mesure que la densité du nuage moléculaire augmente, la quantité de molécules d'hydrogène et d'atomes d'hydrogène augmente également, favorisant le refroidissement et sa contraction. Grâce à ce mécanisme de refroidissement, il est possible de former des étoiles de très faibles masses, typiquement entre 0.1 et 1 M mais également des étoiles très massives de 50 ou 100 M. Phase préstellaire 1. Formation des globules de Bok Comme on le voit sur les photos suivantes, tout au début de leur formation, durant la phase Pré-Séquence principale, à la limite de la phase préstellaire, les futures protoétoiles en gestation sont enveloppées dans un cocon de gaz et de poussière qui leur donne un aspect compact et totalement obscur devant l'arrière-plan des nébuleuses brillantes. Cet objet est appelé un globule de Bok en hommage à Bart Bok qui attira l'attention des astronomes sur ces objets en 1947. En 1950, l'astronome sud-africain David Thackeray découvrit des globules sombres similaires qui furent baptisés les globules de Thackeray. Aujourd'hui le terme "globules de Bok" englobe les deux entités. Ces objet appelés des précuseurs sont en équilibre. La masse de ces globules de Bok est de l'ordre de 20 M (elle varie entre 2-50 M) et leur taille moyenne est de 1 année-lumière. Nous nous attarderons dans un instant sur l'une d'entre elles, Barnard 68.
A ce stade, le nuage est tellement froid qu'il est indétectable en dessous de 20 microns (IR) et rayonne surtout grâce aux grains de poussière dans les bandes radios thermiques submillimétriques, millimétriques et micro-ondes (pic entre 100-500 microns soit 3000-600 GHz ou 0.1-0.5 mm de longueur d'onde). En 2001, João Alves de l'ESO et son équipe ont établi la cartographie infrarouge des poussières (colonne de densité) enveloppant l'objet préstellaire caché dans la nébuleuse obscure Barnard 68, un globule de Bok (nuage moléculaire) d'environ 2 M située à 407 années-lumière dans Ophiuchus mesurant plus de 10000 UA (aussi vaste que le Nuage de Oort). Comme on le voit sur le graphique présenté ci-dessous à droite, les chercheurs ont montré que le profil de densité du coeur peut être représenté par ce qu'on appelle une sphère de Bonnor-Ebert, une sphère de gaz à température uniforme en équilibre hydrostatique, c'est-à-dire où la pression de radiation compense la force de gravité (cf. W.B. Bonnor, 1956). Lorsque la masse du nuage de gaz est supérieure à la masse de Bonnor-Eber, on assiste à un effondrement gravitationnel qui permet de former des objets beaucoup plus petits et plus denses dont les coeurs des protoétoiles.
2. Noyau chaud et corino chaud Au cours de l'effondrement initial du coeur de la protoétoile, lorsque le gaz très froid (< 500 K) commence à se réchauffer, les chercheurs évoquent la formation d'un "noyau chaud" (hot core) ou d'un "corino chaud" (hot corino). En fait, les noyaux chauds et les corinos chauds représentent le même concept. La seule différence formelle est que le terme "noyau chaud" est utilisé pour qualifier les protoétoiles de masse élevée et "corino chaud" pour les protoétoiles de faible masse. Mais souvent dans la littérature, les auteurs utilisent indifféremment les deux termes (par ex. W.R.M. Rocha et al., 2023 et J.Ospina-Zamudio et al., 2018). On reviendra sur ces objets en bioastronomie à propos des iCOM. 3. Formation du coeur de Larson Si le nuage moléculaire est suffisamment froid et massif, on assiste à son effondrement gravitationnel et la fragmentation du noyau préstellaire. La densité centrale va rapidement augmenter en tendant vers une loi en carré inverse (1/r2) indépendamment des conditions initiales (rapport qu'on retrouve aussi dans les ondes sonores, électromagnétiques y compris la lumière et dans l'attraction gravitationnelle). Cette loi est typique du mouvement newtonien et va générer des trajectoires coniques (elliptiques, paraboliques ou hyperboliques). La température au centre du nuage préstellaire est contrôlée par les mécanismes de chaleur et de refroidissement. Dans les régions les plus denses (critère de densité >105 particules/cm3 qu'on écrit 105 cm-3), le gas et la poussière sont couplés thermiquement du fait des collisions alors qu'on n'observe pas le même mécanisme à l'extérieur du noyau. Sur base de l'analyse spectroscopique des raies submillimétriques du CO et NH3 observées dans ces nuages, la température de la poussière dans le coeur est de l'ordre de 8-12 K, soit plus froide que celle de la périphérie du nuage qui est à 15 ou 20 K. Lorsque la densité au centre du nuage atteint 10-13 g/cm3, il devient optiquement épais. Un premier coeur de Larson se crée d'une masse d'environ 0.01 M (cf. les simulations de Richard Larson réalisées en 1969) qui correspond au cœur préstellaire adiabatique (sans échange de chaleur). Son rayon est d'environ 5-10 UA (équivalent à la distance du Soleil à Jupiter ou Saturne).
Vers 2000 K, lorsque le rapport effectif des chaleurs spécifiques (pression/volume) γ ≈ 1.4 soit 7/5, on observe le démarrage du processus de dissociation de la molécule d'hydrogène (H2). A ce stade le taux de dissociation du dihydrogène est encore très faible (0.081% vers 2000 K contre 95.5% vers 5000 K) car son énergie de liaison de 4.48 eV est la plus élevée parmi tous les éléments ayant 1 électron de valence dans leur enveloppe, ce qui la rend extrêmement stable et peu réactive. Mais si on augmente la température, son énergie va augmenter, diminuant sa stabilité et finir par briser sa liaison. Ce seuil de température est donc important car l'énergie de liaison du dihydrogène est largement supérieure à l'énergie thermique (la chaleur) des molécules d'hydrogène à cette température. La réaction de dissociation est donc hautement endothermique. Lorsque la densité atteint 10-5 g/cm3 et la température au moins 4000 K, on assiste à un second effondrement du coeur. En raison de la contraction gravitationnelle, la vitesse d'effondrement dépasse 20 km/s et le premier coeur est rapidement englouti et détruit. Lorsque la densité centrale atteint environ 1 g/cm3 soit la densité de l'eau et une température supérieure à ~10000 K, un deuxième cœur de Larson se forme qui correspond cette fois au véritable coeur de la future protoétoile (cf. A.Bhandare et al., 2020). Son rayon varie entre 3-5 R. 4. Développement d'un champ magnétique Si un système planétaire peut théoriquement se former en l'absence de champ magnétique, l'accrétion de matière vers le coeur préstellaire et la formation d'un disque sont favorisées par la présence d'un champ magnétique. D'ailleurs, dès que des particules chargées se déplacent (par ex. des électrons), elles développent autour d'elles non seulement un champ électrique (omnidirectionnel) mais également un champ magnétique (perpendiculaire au sens de déplacement), cf. le concept de champ ou le fonctionnement d'un électoaimant. Ainsi, très tôt dans sa genèse un nuage moléculaire présente un champ magnétique qu'il a acquis dès que le milieu interstellaire s'est condensé et que les particules chargées se sont mises en mouvement. Il joue donc très tôt un rôle aussi important que la gravité et mérite bien sa place parmi les interactions fondamentales. A grande échelle, son effet est toutefois caché ou perturbé par celui de la gravité, rendant sa détection parfois impossible. Rappelons que c'est le champ magnétique qui explique par exemple la forme de la couronne solaire qu'on observe pendant les éclipses totales, ce sont également les lignes de ce champ de force qui permettent la sustentation des protubérances au-dessus de la surface du Soleil, de même que ce sont les lignes de force du champ géomagnétique qui transportent les particules du vent solaire vers les cornets polaires où elles interagissent pour former les aurores. C'est également le champ magnétique solaire qui maintient la queue ionique bleutée des comètes, le champ magnétique qui explique la structure des cirrus galactiques et autres IFN ainsi que la structure des galaxies (profil HI). Ce champ magnétique joue donc un rôle clé dans de nombreux phénomènes célestes faisant intervenir des plasmas, c'est-à-dire des gaz ionisés et des particules chargées.
L'étude des nuages moléculaires géants comme DR21 présenté ci-dessous situé dans le complexe Cygnus X (voir cette photo annotée) déjà évoqué à propos du milieu interstellaire révèle que la formation des étoiles se produit généralement au cours d'un processus en deux étapes. Tout d'abord, sous l'effet d'une compression comme l'onde de choc d'une supernova, les flux supersoniques (nous sommes dans le vide mais le milieu est gazeux) compriment le nuage sous forme de filaments denses mesurant plusieurs années-lumière. Ensuite, si le milieu est suffisamment froid et massif, la gravité provoque l'effondrement des régions les plus denses qui forment des condensations de gaz. Certaines vont directement former des coeurs préstellaires tandis que d'autres vont entrer en collisions, accréter de la matière et devenir plus massives et finir par former les coeurs de futures protoétoiles massives. Dans ce scénario, les régions denses très massives (> 20 M) se forment préférentiellement aux intersections des filaments de gaz, produisant d'innombrables sites de formation stellaires qu'on appelle des nurseries ou pouponnières stellaires. Ce mécanisme semble logique et devrait être efficace, mais quand on calcule le taux de formation d'étoiles dans les nuages moléculaires denses on constate qu'il n'atteint que quelques pourcents du taux théorique si le nuage s'effondrait librement. Pour résoudre cette difficulté, les astronomes ont suggéré que les champs magnétiques renforcent les coeurs préstellaires afin qu'il résistent à l'effondrement induit par l'autogravité. Ce mécanisme très important demande quelques explications.
Deux grandes installations radioastronomiques sont aujourd'hui utilisées pour étudier les champs magnétiques, le réseau ALMA installé dans le désert d'Atacama au Chili et SMA installé au pied du Mauna Kea à Hawaï sur lesquelles nous reviendrons à propos de la radioastronomie. Les champs magnétiques sont difficiles à mesurer et à interpréter. D'une part les nuages préstellaires sont denses et absorbent la lumière, rendant l'observation des détails (coeur, enveloppe, disque, etc) pratiquement impossible, et d'autre part le rayonnement qui à ce stade est principalement émis par la poussière est de très faible intensité et se situe initialement dans la partie radioélectrique et millimétrique (~30 GHz) du spectre. Seule la mesure de la polarisation linéaire, c'est-à-dire l'alignement des ondes radio émises par la poussière permet de relever l'orientation du champ magnétique. Dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2017, une équipe d'astronomes du CfA dirigée par Tao-Chung Ching de l'Université Nationale de Tsing Hu à Taiwan utilisa le SMA pour étudier six coeurs denses préstellaires (coeurs de Larson) situés dans la région DR21 de Cygnus X.
Les chercheurs ont mesuré l'intensité du champ magnétique à partir de la polarisation du rayonnement millimétrique. En effet, les grains allongés de poussière s'alignent le long des lignes du champ magnétique et présentent un maximum d'émission le long de leur grand axe, perpendiculairement au champ. Ils diffusent également la lumière dans une direction préférentielle de polarisation (comme dans le cas de la composante F de la couronne solaire composée de poussière, on peut aussi photographier cette composante sous filtre polarisant). Les chercheurs doivent ensuite corréler la direction du champ dans ces coeurs avec la direction du champ le long des filaments de gaz à partir desquels les coeurs préstellaires se sont formés. Les astronomes ont constaté que le champ magnétique le long des filaments est bien ordonné et parallèle à la structure, tandis que dans les coeurs préstellaires, la direction du champ est beaucoup plus complexe, parfois parallèle parfois perpendiculaire. Ils ont observé que pendant la formation des coeurs massifs, les champs magnétiques à petites échelles deviennent insignifiants (0.4–1.7 mG) comparés aux effets de la turbulence et de l'effondrement gravitationnel. En fait, durant cette phase le champ magnétique ne joue de rôle important qu'au stade initial de l'effondrement des filaments.
Le champ magnétique explique non seulement la formation des coeurs préstellaires mais aussi la formation des étoiles massives jusqu'à 120 M. Grâce au pouvoir de résolution d'ALMA, Patricio Sanhueza du NAOJ et ses collègues ont sondé à 1.2 mm de longueur d'onde le gaz et la poussière du disque massif entourant l'objet protostellaire IRAS 18089-1732 à des échelles d'environ 1000 UA, révélant des détails de l'ordre 700 UA. Les résultats de leur étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021. IRAS 18089-1732 alias GRS G012.89 +00.49 est une région HII (ionisée) située dans une zone très obscurcie du Sagittaire à environ 7600 années-lumière. Elle est très étudiée car au centre de la nébuleuse d'émission, dans un espace d'à peine 10" d'arc, se trouve une protoétoile qui présente une luminosité de 1300 L et une masse gazeuse d'environ 1000 M. Il s'agit donc d'un objet très massif. Comme illustré ci-dessous au centre et à droite, au centre de cet objet on distingue clairement une forme en spirale dans la distribution de la poussière et du gaz, formant un tourbillon de matière tombant vers l'intérieur, sur le noyau stellaire en formation. À l'aide de mesures de polarisation de la poussière, les auteurs ont modélisé le champ magnétique pour confirmer que les lignes du champ de force sont bien entraînées avec le gaz, produisant une configuration qui comprend une composante toroïdale équatoriale (en forme de tore) enroulée autour de la protoétoile. En analysant le bilan énergétique du système, Sanhueza et ses collègues ont montré que l'effet de la gravité dépasse les autres processus à l'œuvre dans cette région - y compris la turbulence, la rotation et le champ magnétique, qui jouent tous des rôles à peu près égaux pour éviter l'effondrement d'IRAS 18089-1732. Bien que les champs magnétiques exercent une influence importante à plus grande échelle, ils passent au second plan dans la région la plus interne où la gravité domine. Ainsi, dans les centres chauds et enveloppés des nuages moléculaires en effondrement, même les tourbillons magnétiques finissent par succomber face à l'écrasante force de la gravité à l'origine de ces protoétoiles.
Si la technique de polarisation est utilisée avec succès aux longueurs d'ondes millimétriques et lointain infrarouge, alternativement on peut utiliser l'émission produite par la rotation des molécules qui peut également être polarisée (cf. Goldreich et Kylafis, 1981). Bien que très faible (~1%), cette polarisation révèle la configuration du champ magnétique. La géométrie des lignes de force est très importante car de son orientation va dépendre le développement ou non du disque comme c'est également le cas du disque entourant les trous noirs. Bien que certains radiotélescopes comme ALMA atteignent une résolution de 0.0001" ou 0.1 mas et permettent enfin d'étudier les systèmes préstellaire et protostellaire proches en haute résolution (cf. cette carte du disque de Tau Ceti), à ce jour il existe encore peu d'études du champ magnétique in situ des systèmes préstellaires. Aussi les astronomes les étudient principalement sur base de simulations (la résolution d'équations physiques) ou de modèles (construction ad hoc pour représenter un objet physique) et réservent son étude directe aux protoétoiles. On y reviendra donc lorsque nous décrirons cette phase importante page suivante mais il faut savoir que le champ magnétique est déjà à l'oeuvre dès que le nuage moléculaire est chargé et se met en rotation. 5. Illumination des proplydes Après quelques dizaines de millions d'années de gestation marquées par des phases de contraction et d'élévation de température, le nuage moléculaire finit par ressembler à un petit globule brillant généralement asymétriquement, c'est un proplyde, à l'image de ceux présentés ci-dessous. A ce stade, la surface de l'astre préstellaire atteint déjà plusieurs milliers de degrés et est déjà capable d'ioniser le milieu interstellaire, illuminant une partie du disque par photoévaporation. On reviendra sur ce mécanisme.
De part leur nature, les globules de Bok et les proplydes se trouvent dans des régions HII de formation stellaire. Les plus beaux exemples se trouvent dans les nébuleuses diffuses les plus denses telles M42, la Carène NGC 3372 ou encore la Rosette NGC 2237. Les proplydes sont capables de former des étoiles très massives. Or le Soleil est peu massif et ne s'est vraisemblablement pas formé de cette façon. En revanche, il a pu se former dans un frEGG (voir plus bas), tels ceux qu'on observe dans la nébuleuse de l'Aigle présentée ci-dessous. Des nurseries d'étoiles Selon le modèle stellaire élaboré par l'équipe de William Fowler (celui de l'article B2FH), le disque protosolaire s'effondra sur lui-même en l'espace de 50 millions d'années. Durant les 10 premiers millions d'années, alors que la nébuleuse se contractait, la température effective du proto-Soleil resta relativement constante, de l'ordre de 4478 K en surface soit quelque 1300 K inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui. Sa luminosité diminua également proportionnellement à sa dimension superficielle d'un facteur peut-être égal à 30. Alors que les astronomes désespéraient de pouvoir un jour observer ce phénomène, grâce au Télescope Spatial Hubble, l'équipe de John Hester de l’Université d'Arizona découvrit en 1995 une pépinière de jeunes étoiles au sein de la célèbre nébuleuse de l'Aigle, M16. La découverte fit sensation.
Comme on le voit ci-dessus, entourées de volutes de gaz et de poussière brun-ocre sur fond azur, on découvrit les fameux "Piliers de la Création" abritant encore de jeunes étoiles nées il y a à peine 7000 ans en train de s'extraire de leur nuage dense de gaz et de poussière. Un phénomène similaire se produit dans la nébuleuse du Cone située dans la Licorne. Ces globules sombres à la brillance asymétrique sont appelés des frEGG. Les détails de l'évolution du processus de formation des étoiles (effondrement du nuage protostellaire, efficacité de la formation des étoiles, distribution des masses dans une population stellaire, étendue et masse des amas d'étoiles, etc) dépendent de l'environnement local et restent une question majeure en astrophysique. Les étoiles massives produisent une forte rétroaction sur leur environnement via le vent stellaire, le rayonnement UV et finalement, les ondes de choc des supernovae qu'elles forment en fin de vie, autant de composantes qui peuvent modifier la probabilité de formation d'étoiles dans les nuages proches et limiter le processus d'accrétion des protoétoiles. Mais en raison de la structure complexe des nuages moléculaires froids dans lesquels se forment les étoiles massives, nous n'avons qu'une compréhension partielle des divers processus physiques formant ces étoiles. Tous ces problèmes astrophysiques semblent se résoudre si on considère la nouvelle classe de nurserie stellaire située dans des régions HII géantes appelée "free-floating Evaporating Gaseous Globules" (des Globules Gazeux en Évaporation flottant librement), frEGG en abrégé, proposée en 2002 après la découverte du premier frEGG dans la nébuleuse de l'Aigle, M16 illustrée ci-dessus (cf. M.J. McCaughrean et M.Andersen, 2002). Ces globules gazeux composés d'hydrogène moléculaire dense et de poussière se détachent telles des appendices sombres sur le fond stellaire ou nébuleux brillant. Ils ont une forme cométaire dont la "queue" mesure ~100 UA avec une zone plus brillante et totalement opaque du côté de la nébuleuse où les étoiles sont en gestation ou viennent de naître.
Observés en infrarouge proche à haute résolution, environ 15% des frEGG des "Piliers de la Création" de la nébuleuse de l'Aigle montrent la présence d'une association de jeunes étoiles de faible masse ainsi que de jeunes objets stellaires (YSO) relativement massifs aux extrémités de la nébuleuse (cf. J.M. Oliveira, 2008). Grâce au Télescope Spatial Hubble, l'astrophysicien Raghvendra Sahai du JPL et ses collègues ont découvert par hasard deux nouveaux frEGG dans la région de formation d'étoiles massives du Cygne. Des analyses préliminaires des archives du télescope infrarouge Spitzer suggèrent que ces globules seraient nombreux. Les chercheurs ont examiné quatre régions formant des étoiles massives (W5 dans Cassiopée, la Rosette dans la Licorne, le Cygne et le Carène) et constaté la présence généralisée de frEGG. Ces études ont permis de modéliser la distribution d'énergie spectrale (SED) dans l'infrarouge et d'élaborer un modèle 2D du transfert radiatif des poussières afin de contraindre les paramètres physiques de base tels que la température effective stellaire, la luminosité, la masse et la masse du disque associées aux YSO. L'analyse spectrale des frEGG révèle qu'il s'agit de nuages de gaz moléculaire froid dont la masse totale varie entre 0.5 et quelques masses solaires, infirmant ainsi l'hypothèse initiale basée sur leur morphologie selon laquelle ils étaient similaires aux proplydes décrits ci-dessus découverts dans Orion (cf. R.Sahai et al., 2012; R.Sahai, 2017). Lorsqu'une étoile très massive et chaude arrive à maturité (parvenant sur la Séquence principale) et commence à briller, son intense rayonnement ultraviolet ionise sa nébuleuse protostellaire, créant une grande bulle chaude de gaz ionisé appelée une sphère de Strömgren. Les frEGG sont de jeunes globules denses de gaz regroupés dans une sphère de Strömgren, et nombre d'entre eux donneront naissance à des étoiles. Sur l'image de J025157.5+600606 prise par le HST présentée ci-dessus au centre, la frontière entre le frEGG et la sphère de Strömgren apparaît comme une région violette brillante tandis que la chaleur de l'étoile chaude à proximité photoévapore la couche externe de gaz. Cette perte de densité signifie que nous pouvons regarder à l'intérieur de la bulle et voir des étoiles en train de naître. En raison de la densité élevée des frEGG, ce processus n'empêche pas la formation d'étoiles à l'intérieur de la bulle. Mais cela finit par l'entraver, en réduisant l'approvisionnement en gaz qui alimente la protoétoile. Pour cette raison, les étoiles nées à l'intérieur des frEGG ont une masse relativement faible par rapport aux étoiles beaucoup plus massives des classes O et B qui perdent leur gaz nébulaire par photoévaporation. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. En effet, les étoiles de faible masse et plus froides ont une durée de vie beaucoup plus longue que leurs consoeurs plus massives. Il est même possible que le Soleil soit né de cette manière. Selon les auteurs, "En raison de leurs morphologies distinctes et isolées, les frEGG nous offrent un nouvel exemple passionnant et clair du processus de formation d'étoiles au voisinage d'amas d'étoiles massives. Les frEGG nous offrent l'opportunité d'étudier les premiers analogues de l'environnement physique où naquit notre Soleil puisque, comme les frEGG, la nébuleuse protosolaire aurait été ensemencé par des nucléides radioactifs provenant des supernovae proches." Grâce ces travaux, on espère comprendre les détails de la formation des étoiles. A la fin de la phase préstellaire qui peut durer 1 million d'années, le coeur de la future protoétoile est formé et si la masse centrale du nuage est suffisante, l'effondrement gravitationnel est inéluctable. La prochaine et dernière étape de notre scénario va conduire l'astre juvénile de la phase protostellaire jusqu'à la Séquence principale et l'âge de la maturité. C'est cette phase protostellaire assez longue caractérisée par des évènements spectaculaires que nous allons à présent décrire. Prochain chapitre Phase protostellaire et transfert du moment cinétique
|