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Le milieu interstellaire

La nébuleuse obscure de la Tête de Cheval B33 dans la Ceinture d'Orion se profilant devant le voile brillant de la nébuleuse IC 434, non loin de la nébuleuse de réflexion NGC 2023. Document Rolf Olsen.

Température et couleur des nébuleuses (II)

Température des nébuleuses

Malgré l'expansion adiabatique (sans transfert thermique), dans les régions HII le gaz ionisé reste chaud. Bien que le mécanisme soit encore mal compris, on suppose que la température du gaz est entretenue par un processus de dissipation de la turbulence régnant dans le plasma.

Comme nous l'avons évoqué, dans les nébuleuses ionisées par les étoiles proches comme M42 la "nébuleuse d'Orion" ou M45 l'amas des "Pléiades", le gaz peut atteindre des températures de plusieurs milliers de degrés (10000 K), une valeur confirmée par la radioastronomie et la spectroscopie.

Mais en réalité, si vous mettez un thermomètre au sein d'une région HII, le mercure risque de tomber à 200°C... sous zéro ! Pourquoi alors dit-on d'un côté que la température est de 10000 K si elle est si froide en réalité ?

Il s'agit en fait de la température de brillance ou température d'équilibre, c'est-à-dire celle équivalent à la température du corps noir s'il était porté à la même température. Ce concept sous-entend que l'objet, quel que soit son état physique, est dans le vide et ne tient pas compte de la présence éventuelle d'une atmosphère (même s'il concerne en général des corps gazeux) à travers laquelle le rayonnement et notamment la chaleur peut irradier de proche en proche.

La température comme nous l'entendons dans son acceptation habituelle cache en fait une notion thermodynamique assez subtile. Elle est déterminée lorsque toute l'énergie des particules considérées est distribuée de manière régulière à travers le spectre, c'est-à-dire sur les différents niveaux de rotation, vibration et translation des molécules ou des atomes. Lorsque cet état est atteint la matière est parvenue à ce qu'on appelle l'équilibre thermodynamique (parfois localement seulement).

Entre les galaxies (à l'exception des amas de galaxies) cette température d'équilibre a été atteinte depuis des milliards d'années et correspond au rayonnement cosmologique micro-onde qui baigne l'Univers par 2.7 K soit -270.42°C. A part les trous noirs, il n'existe aucun endroit plus froid dans l'Univers.

Si l'équilibre thermodynamique n'est pas atteint, on peut par exemple mesurer une température électronique de translation qui correspond à la température des électrons. Cette valeur peut être très différente de la température du milieu ambiant. Ainsi, sur le front de choc brillant d'un rémanent de supernova (SNR), la température électronique peut atteindre plusieurs millions de degrés; la nébuleuse émet des rayons X pouvant dépasser 4 keV. Avec un tel niveau de radiation, bien que le milieu soit froid, s'en approcher à moins de 100 années-lumière serait fatal.

La nébuleuse du Boomerang détient le record de basse température avec seulement 1 K. Doc NASA/ESA/STScI.

En revanche, comme nous l'avons expliqué, dans la plupart des nébuleuses brillantes le milieu est très raréfié malgré les apparences. Avec une densité de l'ordre de 10 à 1000 atomes/cm3, le milieu est bien trop diffus pour que les collisions inélastiques permettent de modifier la quantité de mouvement et d'énergie des particules. En d'autres termes, le milieu n'atteint donc jamais son équilibre thermodynamique, du moins par cette méthode de transfert.

La température de 10000 K dont on parle au sein d'une nébuleuse ou même des étoiles correspond en fait à une température électronique de translation; il s'agit de la température de brillance liée aux mouvements des particules. Elle est proportionnelle à l'énergie cinétique (1/2 mv2) des particules et à la constante Boltzmann (kB = 1.38 J/K).

C'est la raison pour laquelle il règne un froid intense dans une nébuleuse malgré l'agitation des électrons. Aux limites des nébuleuses, loin du rayonnement UV stellaire, la température électronique peut même tomber à près de 100 K (-173°C) parfois même à 20 K seulement (-253°C), l'espace ne contenant plus qu'environ 0.15 atome/cm3. La température peut même chuter jusqu'à 10 K à l'intérieur des nuages moléculaires géants très denses.

Le record est détenu par la nébuleuse du Boomerang présentée ci-dessus à gauche dont l'étoile progénitrice est au stade Post-AGB. Cette nébuleuse planétaire située à 5000 années-lumière dans le Centaure est la plus froide de l'univers avec une température de seulement 1 K, -272.15°C, soit inférieure à celle du rayonnement cosmologique (2.73 K). Le fait qu'il s'agisse d'une jeune nébuleuse planétaire émettant un vent stellaire très puissant pourrait expliquer cette très basse température. On y reviendra.

Souvent, au coeur des régions HII comme les nébuleuses brillantes ou chaotiques de M16 de l'Aigle, M20 du Trèfle et M42 d'Orion, se trouvent des régions obscures. Si dans les zones brillantes et chaudes les atomes d'hydrogène ionisé émettent fortement dans la raie de l'hydrogène alpha à 656.3 nm, en revanche, il règne un froid glacial dans les globules de Bok et les nuages moléculaires géants. Leurs émissions ne sont généralement détectables qu'en infrarouge et dans les bandes millimétriques. Ces régions HII très denses et obscures sont composées d'hydrogène moléculaire (H2) souvent enrichies en métaux. Ce sont ces métaux qui permettent à la matière de se refroidir parfois jusque 10 K et qui participent à l'effondrement du nuage jusqu'à former de nouvelles étoiles et parfois d'un système planétaire (cf. la formation du système solaire).

Bref, en dehors de la banlieue des étoiles, des fronts de choc et des atmosphères denses planétaires, l'univers demeure un milieu glacial où il ne fait pas bon vivre et même carrément hostile ! Nous verrons toutefois à propos de SETI qu'en théorie il est possible de tirer avantage de ces très basses températures.

Couleur des nébuleuses et excitation du gaz

Comment peut-on expliquer le fait que des nébuleuses composées de gaz froid brillent dans la nuit et présentent souvent une couleur rouge ? Ce phénomène est lié aux états et propriétés physico-chimiques de la matière dont elles sont composées.

A gauche, les différents niveaux d'excitation et les raies correspondantes. A droite, les différentes séries de raies de l'atome d'hydrogène en fonction de la longueur d'onde caractérisant ses différents états d'excitation. La série de l'hydrogène de Balmer s'étend dans le spectre visible entre 364.6 nm et 656.3 nm. Documents T.Lombry et NRAO.

Les atomes et les molécules qui peuplent le milieu interstellaire sont chargés électriquement. La plupart n'ont pas de structure symétrique comme peut l'être la molécule H2 et possèdent ce qu'on appelle un dipôle électrique qui leur permet d'être excités et d’être détectés par leurs émissions électromagnétiques. Cet apport d’énergie s’établit par transition radiative si le milieu est dense ou par collision si l'atmosphère est ténue.

Comme nous venons de l'expliquer, une nébuleuse peut briller dans le spectre visible, infrarouge ou radioélectrique si les électrons constituants les atomes des nuages de gaz et de poussière sont excités par le rayonnement des étoiles et passent à un niveau d'énergie supérieur, ce qu'on appelle une transition électronique.

Pour qu'il y ait émission de raies lors de la recombinaison (cf. les principes de la spectroscopie), les photons incidents doivent avoir une énergie suffisante pour ioniser l'hydrogène (H+). Cela correspond à une longueur d'onde inférieure à 912 Å, soit un niveau d'énergie d'au moins 13.6 eV. Cela correspond à une température électronique de 32000 K.

En dessous de ce niveau d'énergie, les électrons vont essayer de revenir à un état plus stable en émettent le surplus d'énergie sous forme de rayonnement dont la fréquence dépend de leur état d'excitation. Pour émettre la raie de l'hydrogène alpha à 656.3 nm présentée ci-dessous, le niveau d'énergie requis est de 1.9 eV et correspond à la transition des électrons vers le niveau 2 comme on le voit ci-dessus.

Les raies spectrales de la série de Balmer de l'Hydrogène

Spectre d'absorption (haut) sur fond continu et spectre d'émission (en bas) de l'atome d'hydrogène. Ceci explique pourquoi une nébuleuse brillante est colorée et souvent rouge : contenant énormément d'hydrogène, le gaz est excité par les étoiles environnantes et l'électron de l'atome d'hydrogène saute vers un niveau d'énergie supérieur. Il redescend vers un état plus stable en émettant un rayonnement, notamment à la longueur d'onde de 656.3 nm, la raie de l'hydrogène alpha, dans la partie rouge du spectre. C'est le principe de la fluorescence. Document T.Lombry.

Cette émission peut également se produire dans la partie UV (série de Lyman entre 121.5 et 91.9 nm), proche infrarouge (série de Paschen entre 820.1 et 1874.5 nm), lointain infrarouge (série de Brackett entre 1458.0 et 4052.5 nm) et même sous forme d'ondes radioélectriques.

Les émissions radioélectriques, synchrotrons et X sont générées par des processus non thermiques issus par exemple d'interactions entre les électrons et les champs magnétiques, entre la matière et le vent interstellaire émis par les supernovae ou le rayonnement de freinage émis par les électrons ralentissant dans un gaz chaud ionisé (plasma).

Voyons justement certains types de raies qui sont restées énigmatiques pendant quelques décennies, les "raies interdites".

Le nébulium et les raies interdites

Dans l'histoire de la spectroscopie, certaines raies détectées dans les nébuleuses comme les raies [O I], [O II], [O III], [N II], [Ar IV] et beaucoup d'autres n'ont jamais été observées sur Terre. Le premier élément de ce type fut découvert par Sir William Huggins en 1864 dans la nébuleuse planétaire NGC 6543 "l'oeil de chat" du Dragon.

Comme on le voit ci-dessous, en photographiant son spectre, il découvrit une raie brillante ne correspondant à aucun élément connu et l'appela le "nébulum" qu'il modifia en "nébulium" sur la suggestion de Miss Agnes Clerke qui l'avait également identifié indépendamment de lui.

Toutefois au début du XIXe siècle, il n'existait plus de place dans le tableau de Mendeleïev pour le "Nébulium". Ce n'est qu'en 1928 que le physicien et astronome Ira S. Bowen du Caltech (qui fut directeur des Monts Wilson et Palomar entre 1946/48-1966) montra que les raies du "nébulium" correspondaient en fait à des transitions "interdites" entre des sous-niveaux des atomes ionisés O+, O++ et N+.

Quelques illustrations de "raies interdites". Ci-dessus à gauche, la raie du "nébulium" (N) découverte par W.Huggins en 1864 dans le spectre de la nébuleuse planétaire NGC 6543 du Dragon. A droite, le spectre de la nébuleuse planétaire IC4593 obtenu par les membres du Under Oak Obs. Ci-dessous à gauche, le spectrogramme de la nébuleuse planétaire NGC 7009 obtenu par l'UCL et à droite celui de la galaxie spirale barrée NGC 7070.

Ces états électroniques n'existent pas sur Terre car ce sont des niveaux métastables. Dans les conditions terrestres habituelles de densité, un électron occupant l'un de ces niveaux en est très rapidement éjecté suite aux interactions avec d'autres constituants. Cette transition étant impossible, elle a été qualifiée de "raie interdite" et symbolisée par l'élément placé entre deux crochets comme on le voit dans le spectrogramme ci-dessus (en bleu).

En revanche, dans un milieu raréfié et donc dans le milieu interstellaire, que ce soit au sein des nébuleuses ou des galaxies, les nuages de gaz sont tellement dilués que les atomes évoluent dans des conditions très favorables à l'apparition de ces états.

A l'inverse des raies ordinaires qui se forment par ionisation-recombinaison sous l'effet du rayonnement UV, les raies interdites se forment par collision des électrons par d'autres particules et passent dans un état métastable pendant de longues périodes avant de retomber à un niveau plus stable.

Dans les nébuleuses, la probabilité de transition de [O III] à 495.9 nm par exemple est de 6.7x10-3/s et sa durée atteint 148 secondes. Par comparaison, la "raie aurorale" qui illumine les aurores vers 100 km d'altitude d'une belle lumière bleue à 436.3 nm ne dure que 0.6 seconde.

La raie de l'hydrogène à 21 cm

C'est Hendrik Van de Hulst, un jeune chercheur au service de Jan Oort à l'Observatoire de Leyde qui prédit en 1944 l'existence de la raie de l'hydrogène neutre HI à 21 cm de longueur d'onde (précisément 21.1061140542 cm ou 1420.4057517667 MHz). Elle fut détectée en 1951 par Harold Ewen et E.M.Purcell et aussitôt les radioastronomes s'empressèrent de dresser la cartographie radioélectrique de la Voie Lactée.

A gauche, extrait d'une carte radioélectrique de la Voie Lactée établie à 480 MHz par le pionnier de la radioastronomie Grote Reber en 1946 qui sera plus tard incorporé aux équipes de l'observatoire radioastronomique de Green Bank. A droite, carte de la Voie Lactée établie dans l'hydrogène neutre à 21 cm. Documents NRAO et NRAO/LabPlot adapté par l'auteur.

Chimiquement parlant, la raie émise par l'hydrogène à 21 cm de longueur d'onde correspond à la transition entre deux sous-niveaux de l'atome neutre d'hydrogène, en fait à la rotation du spin du proton dans l'interaction qui le lie à l'électron, ce qu'on appelle l'inversion de spin. Dépendant de conditions physiques typiques du milieu interstellaire et n'existant donc pas sur Terre, la raie à 21 cm est également "interdite" et sa probabilité d'émettre spontanément est très faible (3x10-15/s), l'équivalent d'une désexcitation tous les 10 millions d'années; on devrait donc observer très peu d'hydrogène en émission. Comment alors expliquer que les radioastronomes en observent partout ?

Les cosmologistes et les astrophysiciens nous disent que l'hydrogène constitue environ 76% de la masse visible de l'Univers. On sait également que la différence d'énergie entre les deux transitions f1 et f0 de l'hydrogène est de 0.07 K et que le niveau excité est environ 3 fois plus peuplé que le niveau fondamental.

De leur côté, les radioastronomes nous disent que l'hydrogène neutre dessine les deux tiers de la Voie Lactée et est omniprésent sur la fréquence de 1420.4 MHz. Il faut en conclure que le faible taux d'émission est compensé par une abondance considérable des atomes d'hydrogène neutre dans toute la Voie Lactée et dans les autres galaxies.

En fait, la valeur retenue est de l'ordre de 1021 atomes/cm2 dans une ligne de visée orientée vers le noyau Galactique ! Dans une galaxie spirale typique, on estime que l'hydrogène neutre représente au moins un milliard de masses solaires soit ~2x1039 kg de matière !

Concrètement, comme on le voit ci-dessous, l'image du disque HI d'une galaxie à 21 cm de longueur d'onde est deux fois plus étendue que l'image du disque stellaire visible en lumière blanche (par ex. NGC 5055 et NGC 6946). On comprend mieux que cette raie radioélectrique soit facilement observable !

Ainsi il existe une corrélation entre la morphologie d'une galaxie et sa constitution. Grâce à l'hydrogène neutre, on découvre que les bras spiralés sont un véritable piège pour le gaz froid. Ces bras qui contiennent de nombreux "trous HI" sont en corrélation avec les régions HII où se forment les étoiles comme l'a montré E.Brinks[1] en 1984.

Ceci dit, malgré l'abondance de l'hydrogène, nous verrons à propos de la matière sombre que cela ne représente qu'à peine 5% de la masse dynamique totale d'une galaxie spirale et 40% d'une galaxie naine irrégulière.

On peut évaluer la quantité totale de gaz en mesurant l'intensité de la raie (la surface du profil spectral de la raie d'émission ou d'absorption). L'analyse spectrale permet également de mesurer la vitesse de rotation de l'objet (du moins s'il n'est pas réduit à un point) à partir de l'effet Doppler sur la largeur des raies spectrales.

Enfin, au moyen de radiotélescopes fonctionnant en interférométrie pour augmenter leur résolution, les radioastronomes peuvent également analyser la raie à 21 cm pour reconstruire le champ de vitesse des galaxies. On y reviendra.

Comparaison entre les images visibles d'une galaxie et celle à la même échelle reconstruite à partir de l'émission de l'hydrogène neutre (HI à 21 cm, en bleu et en orange) enregistrée par le Westerbork Synthesis Radio Telescope. A gauche NGC 5055, à droite NGC 6946. Le gaz HI est deux fois plus étendu que la structure stellaire et présente la même dynamique en spirale. Documents WSRT/SDSS/Battaglia et Howard Trottier.

Les masers ou lasers infrarouges

En 1965, les radioastronomes découvrirent des émissions micro-ondes produites par les molécules hydroxyles (OH). L'étude de ces émissions radioélectriques révéla rapidement que leur intensité était bien supérieure à ce que permettaient les collisions thermiques aléatoires. De toute évidence ces nébuleuses obscures cachaient un mécanisme inconnu capable d'exciter la molécule OH.

On pense aujourd'hui que ce rayonnement infrarouge est produit par des étoiles proches qui excitent les molécules OH de telle sorte qu'elles sont stimulées et se désexcitent en interagissant avec le vent stellaire à certaines fréquences. La radiation ainsi émise stimule d'autres molécules qui rayonnent selon le même processus, induisant une avalanche d'émissions. Ceci expliquerait pourquoi le rayonnement d'ordinaire assez faible est fortement amplifié. Ce phénomène porte le nom de maser, l'acronyme de "microwave amplification by stimulated emission of radiation". C'est donc un rayonnement "laser" mais spécifique au rayonnement infrarouge.

Les effets des particules chargées

Tableau comparatif

Quelques centaines de sources de masers OH ont été détectées ainsi que quelques dizaines de masers H2O dans les régions obscures de la Voie Lactée. On les retrouve également dans les atmosphères des étoiles géantes et des étoiles variables. Les astronomes s'interrogent toutefois sur leur présence en des endroits spécifiques des nuages moléculaires. On pense que ces masers se développent dans les nuages protostellaires et participent à la formation des étoiles.

HeH+, la première molécule

Une équipe d'astrophysiciens allemands et américains dirigée par Helmut Wiesemeyer de l'Institut Max-Planck de Radioastronomie (MPIfR) étudia la nébuleuse planétaire NGC 7027 située à environ 3000 années-lumière dans le Cygne qui résulte de l'explosion d'une géante rouge survenue il y a environ 600 ans. Ils utilisèrent le télescope infrarouge IRTF de 3 m de la NASA équipé du spectraphe iSHELL installé à Mauna Kea, à Hawaï et le télescope SOFIA embarqué à bord d'un Boeing 747SP de la NASA équipé du spectromètre GREAT. Grâce à ces instruments, les chercheurs ont détecté la signature de la molécule HeH+, un ion d'hydrure d'hélium ou hélonium formé dans l'univers primitif. La découverte de cette molécule fit l'objet d'un article publié dans la revue "Nature" en 2019 sous la direction de Rolf Güsten du MPIfR.

Comment se forma HeH+ ? À l'aube de la chimie, lorsque la température dans le jeune Univers tomba en dessous d'environ 4000 K quelque 380000 ans après le Big Bang, au tout début de la recombinaison, les ions des éléments légers (hydrogène, hélium, deutérium et traces de lithium) produits lors de la nucléosynthèse primordiale se sont recombinés dans l'ordre inverse de leur potentiel d'ionisation. L'hélium s'est d'abord combiné avec des électrons libres pour former le tout premier atome neutre, He. A cette époque, l'hydrogène était encore ionisé (présent sous forme de protons nus). Des atomes d'hélium combinés à ces protons formèrent l'ion d'hélonium, HeH+, la première liaison moléculaire de l'Univers et aussi l'acide le plus puissant. Au fur et à mesure que la recombinaison progressa, l'hélonium réagit avec l'hydrogène alors neutre et créa une première voie vers la formation de l'hydrogène moléculaire, H2, marquant le début de la complexité croissante de l'Univers.

A gauche, la nébuleuse planétaire NGC 7027 photographiée par le Télescope Spatial Hubble. A droite, le profil spectrométrique de la molécule HeH+, l'hydrure d'hélium ou hélonium détecté en 2019. Documents HST et MPIfR.

Malgré son importance incontestée dans l'histoire de l'Univers primitif, l'hélonium avait jusqu'à présent échappé aux détecteurs. Etudiée en laboratoire dès 1925, jusqu'à présent toutes les recherches dédiées à cette molécule avaient échoué.

Cette molécule exotique est fragile et ne peut se former que dans des conditions extrêmes et bien particulières. À la fin des années 1970, des modèles astrochimiques suggéraient la possibilité que HeH+ puisse exister à des abondances détectables dans les nébuleuses proches et en particulier dans les nébuleuses planétaires. En effet, le champ de rayonnement dur produit par l'étoile naine blanche centrale dans un milieu porté à plus de 100000 K entraîne les fronts de gaz ionisé dans l'enveloppe éjectée, où la molécule HeH+ devrait se former. On devrait donc en détecter en abondance juste à l'interface entre la première enveloppe d'hélium qui entoure immédiatement la naine blanche, et la deuxième enveloppe d'hydrogène, qui englobe la nébuleuse.

En théorie, la fréquence de rotation la plus basse de cet ion se situe dans la partie submillimérique du spectre. Malheureusement, l'atmosphère terrestre est opaque à ces longueurs d'ondes pour les observatoires au sol, ce qui nécessite de recourir aux observatoires aéroportés comme SOFIA équipé d'un spectromètre haute résolution (le spectromètre STIS du Télescope Spatial Hubble est sensible à l'UV et au proche IR et est utilisé pour enregistrer le spectre des galaxies).

Finalement, en 2019 les chercheurs ont détecté l'hélonium à une longueur d'onde de 0.149 mm soit 2010 GHz comme on le voit ci-dessus à droite.

Notons que de l'eau a déjà été détectée dans cette nébuleuse et quelques autres.

Les nuages moléculaires

Comme nous l'avons expliqué, le gaz présent dans le milieu interstellaire se compose essentiellement d'hydrogène. Il peut se trouver à l'état moléculaire (H2) et mélangé à d'autres molécules. Ces molécules se forment soit par liaison ionique soit par accrétion sur des grains de poussière servant de catalyseur.

HFG1 est une nébuleuse planétaire formée par l'étoile binaire V664 de Cassiopée. Voici une vue générale de la région. La zone au contact du milieu interstellaire forme un front de choc bleuté tandis que l'hydrogène et les gaz lourds rougeâtres perdus par l'étoile s'étendent dans son sillage. Toute la région est en émission. L'image a été prise avec le télescope de 4 m du Kitt Peak sous filtre H-alpha (rouge) et [O III] (bleu). Document NOAO/U.Alaska Anchorage.

La plupart de ces grains sont enrobés de glace d'eau, de méthane, d'ammoniac, etc. A ce jour, les radioastronomes ont identifié plus de 150 molécules dans le milieu interstellaire et notamment dans les nuages moléculaires, dont beaucoup sont impliquées dans les processus abiotiques (par exemple l'acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (HCHO) et le formamide (NH2CHO) qui conduisent au monde vivant). On en reviendra en bioastronomie.

A l'inverse de son état atomique, la phase moléculaire de l'hydrogène ne présente pas de raie spectrale, ni en absorption ni en émission dans la partie visible ou proche infrarouge du spectre car généralement le milieu est froid et la symétrie de la molécule ne lui permet pas de présenter un dipôle électrique. Ces raies sont interdites et nécessitent un niveau d'énergie de rotation assez élevé. C'est la raison pour laquelle les nuages moléculaires d'hydrogène sont difficiles à identifier.

Cette molécule est observable quand le gaz est excité (rotation de la molécule ou vibrations des atomes) et devient chaud, atteignant plusieurs milliers de degrés, notamment dans les régions galactiques de choc. Il émet alors des raies dans la partie infrarouge proche ou moyen selon l'état d'excitation ainsi que dans la partie radio. Mais aux températures normales des nébuleuses et des galaxies (10-200 K), ce gaz est invisible.

En revanche, le rapport d'abondance du H2 par rapport au monoxyde de carbone (CO) est connu - l'hydrogène est 10000 fois plus abondant - et relativement constant à quelques exceptions près dans certaines galaxies, ce qui permet de localiser indirectement les nuages d'hydrogène comme on le voit ci-dessous. En effet, dans le spectre radioélectrique, à 2.6 mm (115.27 GHz) par exemple, les radioastronomes ont découvert au milieu des années 1970 (cf. P.Thaddeus, 1977) de fortes émissions de la Voie Lactée dues au CO. Dans cette raie millimétrique, les nuages moléculaires présentent une densité mille fois supérieure au milieu interstellaire.

Selon l'astronome Craig Kulesa de l'Université d'Arizona, pour 10000 molécules d'hydrogène présentes dans une nébuleuse il y a 1 molécule de CO dont certains isotopes comme le 12C18O sont 560 fois plus abondants que le 12C16O. Ces rapports d'abondances offrent aux astronomes une première méthode pour évaluer la densité et la température de ces nébuleuses ainsi que leur distance et leur vitesse.

Mieux encore, les conditions qui permettent l'existence du monoxyde de carbone permettent également l'existence de l'hydrogène moléculaire. C'est ainsi que les radioastronomes spécialisés dans la radioastronomie millimétrique (3-0.9 mm) travaillant au CfA, au Kitt Peak (ARO), à l'IRAM ou avec le réseau ALMA utilisent la fréquence d'émission du CO pour tracer l'hydrogène et que de nombreuses cartes radioastronomiques nous présentent non pas des cartes de l'hydrogène mais du CO qui lui sert de marqueur.

De plus, le CO présentant des raies régulièrement espacées en fréquence, on peut pratiquement l'observer dans toutes les galaxies à tous les décalages spectraux, où par ailleurs le flux augmente sur le premier niveau d'excitation, ce qui en fait un traceur idéal.

Mais l'hydrogène neutre et le CO ne suffisent pas à dresser la carte complète de la Voie Lactée ou d'une galaxie. D'autres éléments interviennent et en particulier les ions C+, N+ et O+ parmi d'autres, la plupart se manifestant par des raies interdites (par ex. [C II], [N II], [O II] ou [O III]) en raison de la très faible densité du milieu ionisé.

Selon l'état physico-chimique de l'élément, il permet par exemple de cartographier la distribution des nuages interstellaires de gaz froid dans le cas du C+ à 158 microns et du O+ à 63 microns ou le gaz interstellaire chaud ionisé qui entoure les étoiles chaudes dans le cas du N+ à 205 microns et 122 microns. Ces relevés conmptaient parmi les tâches confiées à certaines expériences embarquées à bord des satellites micro-ondes COBE (FIRAS), WMAP et Planck.

Certaines nébuleuses brillantes émettaient des rayonnements à travers tout le spectre, d'autres ne rayonnent qu'en lumière visible ou émettent des ondes radio ou même X si le gaz est porté à très haute température comme dans le cas des nébuleuses planétaires ou du complexe 30 Doradus (la "nébuleuse de la Tarentule") dont la région centrale est présentée ci-dessus à gauche. Cette nébuleuse brillante et chaotique est située dans le Grand Nuage de Magellan (LMC) et constitue une nurserie d'étoiles en formation et l'une des plus grandes régions d'hydrogène ionisé (région H II); elle s'étend sur plus de 1000 années-lumière. Les annotations indiquent la composition de ce nuage. Il comprend notamment des molécules de CO dont le rapport de concentration est constant par rapport à l'hydrogène neutre. Cette photo générale montre les émissions de l'hydrogène alpha codées en vert, les UV en bleu et les rayons X en rouge. A droite, une carte de la molécule CO superposée sur la nébuleuse en hélice (Helix), NGC 7293. Les couleurs sont fonction de la vitesse qui atteint localement 55 km/s. Documents IAA/STScI/U.LA Serena et SORAL/U.Az.

A l'image des nuages denses d'hydrogène moléculaire constituant les nuages protostellaires, selon une étude publiée en 2013 par Jorge Pineda du JPL, l'énorme réservoir de carbone ionisé contribue également à la formation des étoiles dans les bras spiralés mais n'avait jamais été détecté jusqu'à ce que le télescope Herschel (anciennement FIRST) de l'ESA soit lancé en 2009. On y reviendra page suivante.

Notons que certains ions comme O2+ et O3+ qui émettent dans le spectre visible sont particulièrement importants pour évaluer la métallicité (contenu en métaux) du milieu interstellaire.

Récemment, des simulations numériques ont montré comment s'organisent les nuages de gaz intergalactiques. Elles expliquent la faible abondance en métaux de certains nuages denses. L'animation ci-dessous montre la température du gaz du milieu intergalactique en regardant à travers un feuillet situé entre les deux halos principaux. Les couleurs rouges représentent des gaz chauds tandis que les bleues représentent des gaz froids. Une onde de choc est visible se déplaçant sur le feuillet en formation, provoquant sa fragmentation et la formation d'un mélange multiphase de gaz chaud et froid de morphologie granulaire. Les détails de cette simulation furent décrits par l'équipe de Nir Mandelker dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2019.

A voir : Finding a cosmic fog within shattered intergalactic ‘pancakes’, Yale U., 2019

Simulation de l'organisation des nuages intergalactiques

Rappelons que certaines fréquences (millimétriques) permettent de tracer l'acide cyanhydrique (HCN), le formaldéhyde (H2CO) et d'autres molécules du groupe des nitriles (CN) intéressantes pour leur relation avec la "soupe prébiotique" (cf. la liste des raies radioastronomiques et les propriétés des molécules prébiotiques).

Au total, les radioastronomes ont déjà détecté quelque 250 molécules différentes dans l'espace allant des espèces chimiques diatomatiques et des radiaux composés de 2 molécules à des molécules massives contenant plus de 10 atomes y compris les PAH (benzène, etc), jusqu'au fullerène C70 composé de 70 atomes en passant par les bases azotées qu'on retrouve dans les nucléotides. Parmi ces molécules, plus de 70 espèces de grains de poussière ont été détectés dans les enveloppes circumstellaires (CSE) des étoiles AGB y compris des nanodiamants qu'on retrouve dans les météorites, notamment carbonées et certaines achondrites. On y reviendra à propos de la formation du système solaire et de la contamination extraterrestre.

A consulter : Molecules in Space, U.Cologne

Wikipédia - Astrochymist

Des grains de poussière formés dans l'espace. A gauche, un grain de graphite interstellaire de 5 microns. A droite, un grain de poussière interplanétaire de 10 microns récolté à bord de la station Mir. Ci-dessous, un parmi les dizaines de grains de poussière de SiC de la météorite carbonée de Murchison dont la plupart sont âgés entre 4.6 et 4.9 milliards d'années mais le plus ancien est âgé de 7.5 milliards d'années, un record absolu. A droite, un amas de nanodiamants découvert dans la météorite de Kapoeta, une howardite (achondrite) de 11 kg tombée au sud Soudan en 1942. Ils se sont formés par condensation de gaz au début de l'histoire du système solaire. Les diamants ont été piégés dans le matériau de surface du corps parent de la météorite de Kapoeta qui serait l'astéroïde Vesta. Documents Scott Messenger/U.Washington/ SPL, L.Colangeli (2006), P.Heck et al. (2020) et Y.A. Abdu et al. (2019).

Du nuage de gaz à l'étoile

Pour que la matière contenue dans les nébuleuses forme des étoiles comme c'est actuellement le cas dans la nébuleuse de la Carène (NGC 3372), celle d'Orion (M42), dans les "Piliers de la création" (M16) ou NGC 2264 située au coeur de l'Association OB1 et R1 proche de la nébuleuse du Cône présentée ci-dessous, il fallut que l'hydrogène contenu dans ces nuages subisse plusieurs transformations.

Si nous prenons le processus au stade initial, l'hydrogène neutre doit d'abord se refroidir afin que sa pression soit suffisamment faible pour permettre l'action des interactions électromagnétique et gravitationnelle. Ce refroidissement va permettre à l'hydrogène neutre de se condenser et former une molécule d'hydrogène. S'il y a de la poussière, elles vont servir de catalyseur. S'il n'y a pas de poussière, la réaction sera plus lente (comme ce fut le cas à l'époque de l'Univers primordial où les protoétoiles sont apparues).

Selon les analyses, on estime qu'entre 15 et 20% de l'hydrogène neutre contenu dans les galaxies est ainsi converti en hydrogène moléculaire.

Sous cette forme, les nuages moléculaires sont généralement plus concentrés que les nuages d'hydrogène neutre et s'agglomèrent principalement le long des bras spiralés, ionisant parfois le milieu interstellaire de couleurs chatoyantes comme on le voit ci-dessus. Ces nuages contiennent tous un mélange des deux états de l'hydrogène et sont également présents entre les bras, bien qu'en quantité beaucoup plus faible.

Sous l'effet de la gravitation (naturellement ou suite à un choc), ces grains de poussière s'agglomèrent, jusqu'à parfois former des nuages moléculaires géants comme nous venons de l'expliquer.

Des nurseries d'étoiles jeunes et massives en gestation. A gauche, gros-plan sur l'un des "Piliers de la création" de la nébuleuse M16 dite de l'Aigle situé à 7000 années-lumière dans la constellation du Serpent dont voici la vue générale prise par le Télescope Spatial Hubble en 1995. Au centre, un zoom sur la limite extérieure du nuage moléculaire. La photo LRGB prise par le Télescope Spatial Hubble en 2014 a nécessité 30 heures d'exposition. Elle fut traitée par Ignacio Diaz Bobillo et Diego Gravinese. A droite, le nuage moléculaire géant de l'Association OB1 et R1 situé dans la constellation de la Licorne (Monoceros). Cette nébuleuse chaotique mesure 200 années-lumière et émet fortement dans la raie de l'hydrogène alpha. En son coeur se trouve la nébuleuse NGC 2264 qui abrite un amas ouvert d'environ 200 étoiles baptisé "l'Arbre de Noël" (au centre et au-dessus). Cet amas comprend une majorité d'étoiles au stade pré-Séquence principale et 40 étoiles jeunes et massives. La nébuleuse du Cône se trouve dans le bas de l'image. Documents NASA/ESA/STScI/J.Hester/P.Scowen (U.Az), NASA/ESA/D.Bobillo/D.Gravinese et ESO.

D'une masse informe et diffuse au début du processus présentant une densité d'environ 100 molécules/cm3, ces nuages moléculaires peuvent atteindre une masse volumique de 10000 molécules/cm3 dans les condensations (blobs et autres clumps) et même 1 million de masses solaires dans les nuages moléculaires géants dont la dimension varie entre quelques dizaines et centaines d'années-lumière.

Si ces nuages moléculaires sont suffisamment massifs, à mesure que leur densité augmente, le nombre de molécules et d'atomes d'hydrogène augmente également, favorisant le refroissement et sa contraction. Grâce à ce mécanisme, il est possible de former des étoiles de très faibles masses, typiquement entre 0.1 et 1 M mais également des étoiles très massives de 50 ou 100 M.

On reviendra en détails sur l'évolution des nuages moléculaires et des protoétoiles dans l'article consacré à la formation du système solaire.

Pour plus d'informations

Les nébuleuses dont les SNR (sur ce site)

Les amas stellaires (sur ce site)

La formation du système solaire (sur ce site)

Les cirrus et les nébuleuses du flux intégré (IFN) (sur ce site)

Principes de base de la spectroscopie (sur ce site)

Caractériser le milieu interstellaire : une clé pour comprendre l’Univers (PDF), mémoire de Jérôme Pety/UPMC, 2012

Etoiles et matière interstellaire, James Lequeux, Agnès Acker et al., Ellipses Marketing, 2009

Le milieu interstellaire, James Lequeux et Edith Falgaron, EDP Sciences, 2002

Physics of the Interstellar and Intergalactic Medium, Bruce Draine, Princeton University Press, 2011

Interstellar Matters, Gerrit L. Verschuur, Springer-Verlag, 1988/2003.

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[1] Thèse Ph.D de E.Brinks, Université de Leiden, 1984 - "A High Resolution Hydrogen Line Survey of Messier 31", E.Brings et W.Shane, Astronomy and Astrophysics Supplement Series, Vol. 55, pp.179-251, Feb 1984 - "HI Holes in the Interstellar Medium of Messier 31", in Birth and Evolution of Massive Stars and Stellar Groups, Vol. 120, Astrophysics and Space Science Library series, pp.253-258, 1984.


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