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Le Soleil

Rappel historique (II)

L'astrophysique naquit au XVIIe siècle grâce à l'invention de la lunette astronomique. En 1617, reprenant les idées des philosophes Grecs, Johannus Kepler[3] se demandait déjà quelle était l'origine de l'illumination du Soleil : "qui entre-nous n'a pas encore été trop bien expliquée; mais toujours on est sûr qu'il ne s'agit que d'une illumination; on la devinera quand on pourra." Comme William Gilbert, Kepler considérait que le Soleil ainsi que les planètes étaient des aimants. Cette idée sera toutefois écartée par l'invention de la gravitation universelle par Newton qui expliqua le mouvement des astres mieux que la "force physique faisant intervenir un champ sans support matériel".

Près de 20 ans après la théorie des tourbillons de Descartes et 15 ans après l'oeuvre de Pascal, Fontenelle publia les "Entretiens sur la pluralité des Mondes" en 1686. Ainsi qu'il l'écrivit, les savants d'alors se doutaient bien que le Soleil était un corps particulier, "mais quelle sorte de corps ? On est bien embarrassé à le dire. On avait toujours crû que c'était un feu très-pur; mais on s'en désabusa au commencement de ce siècle, qu'on aperçût des taches sur sa surface, qui n'étaient point des planètes, mais des nuages, des fumées, des écumes qui s'élèvent sur le Soleil [...] qui tantôt flottent sur le liquide du Soleil, tantôt s'y enfoncent ou entièrement ou en partie [...]. Peut-être font-elles partie de quelque grand amas de matière solide qui sert d'aliment au feu du Soleil " (éd 1852, Chapitre "Quatrième Soir", pp.101-102).

Ce texte, publié un an avant les célèbres "Principia" de Newton, contribua au développement des sciences, en reconnaissant le bien fondé de la méthode expérimentale et en rejetant toute allusion à la superstition. Fontenelle rejetait la théorie géocentrique et reconnut l'utilité des mathématiques dans le développement de nos connaissances.

A l'aube de la révolution industrielle, l'astrophysique prépara sa seconde mutation, très curieuse par tout ce qui touchait à l'électricité, la thermodynamique ou la photographie.

C'est William Wollaston en 1802 qui fut le premier à découvrir que les spectres stellaires contiennent des raies sombres. Grâce à l'invention du spectroscope par Joseph von Fraunoher en 1814, ce dernier redécouvrit ces raies sombres. Il découvrit également que la double raie jaune du spectre du Soleil correspond à l'emplacement exact de celle qu'il observa dans une flamme, c'est-à-dire celle du sodium. Fraunhofer identifia ainsi plus de 600 raies dans le spectre du Soleil, la plupart étant produites par le fer.

A lire : Discovery and Description of Lines in the Solar Spectrum, J.Fraunhofer

Réimpression de son article de 1898, PDF de 624 KB

La signature du Soleil

A gauche, Joseph von Fraunoher faisant la démonstration du spectroscope qu'il inventa en 1814. Photogravure d'une peinture réalisée par Richard Wimmer publiée dans "Essays in astronomy" (D.Appleton & co., 1900, p.486). Image scannée, restaurée et colorisée par l'auteur dont voici la version noir et blanc. A droite, les premiers spectres du Soleil réalisé par Joseph von Fraunhofer en 1814 et 1898 comparés à un spectre similaire de basse résolution contemporain. L'analyse des raies, leur nombre, leur emplacement et leur largeur permettent de connaître la composition du Soleil, l'état d'excitation des éléments constituants son atmosphère et en corollaire elles permettent d'évaluer son âge et son stade évolutif. Documents Richard Wimmer/T.Lombry, J.Fraunhofer/Deutsches Museum et BASS2000/T.Lombry.

A son tour, Anders Angström découvrit en 1861 que certaines raies sombres du spectre solaire étaient à l'emplacement exact du spectre de l'hydrogène. Pour la première fois, les astrophysiciens avaient la preuve qu'un objet du ciel pouvait contenir un élément existant sur Terre ! Puis, suite à l'observation de l'éclipse de 1868, les astronomes découvrirent "un métal hypothétique écrit Charles Young, qui donne dans le spectre de la chromosphère une raie d'un jaune intense" [4]. D'abord attribuée au sodium par sa couleur similaire, Young baptisera ce nouvel élément, inconnu sur Terre, "hélium". Il ne sera découvert en laboratoire qu'en 1893. Un siècle plus tard, l'image détaillée du spectre solaire allait s'étendre sur des dizaines de mètres, où l'on distinguait une raie pratiquement tous les millimètres.

Vers 1879, Joseph Stephan découvrit la fameuse loi en puissance dite de Stefan (M=σT4) plus connue sous le nom de loi de Stefan-Boltzmann et quelques années plus tard Rosetti, Young, Secchi et consorts soutenaient que la température du Soleil pouvait facilement atteindre plusieurs millions de degrés. Selon Young, "Il peut y avoir, une différence de plusieurs milliers de degrés entre la température à la surface supérieure de la photosphère et celle au centre du Soleil." Nous savons aujourd'hui que cette différence atteint 15 millions de degrés, mais jusqu'en 1926 environ, les astronomes refusèrent cette hypothèse. A l’époque où les mines de charbon étaient florissantes, plus d’un imaginaient que la fournaise solaire était entretenue par des tonnes d’anthracite que Dieu sait qui enfournait dans le Soleil. Mais la durée de vie de ce “Soleil au charbon” était en contradiction avec les âges géologiques comme en témoignent les propos d'Eddington : "même si le Soleil était fait de charbon massif brûlant dans l'oxygène pur, il ne pourrait durer qu'environ 6000 ans."

Eddington crut plutôt que les étoiles étaient constituées d’éléments lourds et que la moitié du Soleil était constituée de fer, ainsi que son spectre de raies le montrait. D’autres, tels Jean Perrin, Sylvia Paine ou Henry Russel soutenaient qu’il était principalement constitué d’hydrogène. En fait les astronomes ne connaissaient ni son âge ni la source de son rayonnement.

D'autres hypothèses furent proposées[5]. Ainsi, Lord Kelvin - qui avait déjà son idée sur l'origine de la vie à partir du bombardement météoritique - imagina que des corps ayant la masse de la Terre percutaient en permanence le Soleil, dissipant suffisamment d'énergie cinétique pour expliquer son rayonnement. Toutefois Young s'y opposa, expliquant que cette matière proche du Soleil perturberait les mouvements de Mercure. von Helmholtz proposa à son tour que si le Soleil se contractait à raison de 76 m par an, il pourrait produire suffisamment de chaleur pour expliquer son émission actuelle : "Si le Soleil continue son rayonnement actuel, écrit-il, il sera réduit à la moitié de son diamètre actuel dans environ 5 000 000 d'années au plus tard." Pour la première fois un scientifique calcula rationnellement la longévité future du Soleil. Sa conclusion jetta toutefois un froid sur notre avenir et nombreux furent les astronomes, y compris von Helmholtz qui recherchèrent les moyens d'entretenir la vie lorsque tous les soleils seraient épuisés.

A gauche, aujourd'hui, 26000 raies ont été recensées dans le spectre du Soleil dont 6000 représentent la signature du fer, un élément qui n'a pas encore été synthétisé par le Soleil mais qui provient des étoiles de la génération précédente, auquel il faut ajouter la vapeur d'eau, eau présente dans les basses couches de l'atmosphère terrestre. 61 des 106 éléments connus se retrouvent dans le spectre solaire. Document Nigel Sharp, NOAO/NSO/Kitt Peak FTS/AURA/NSF. Voici le spectre solaire obtenu grâce au spectrographe à très haute résolution NARVAL installé sur le Télescope Bernard Lyot (TBL) de l'Observatoire Midi-Pyrénées. A droite, en 1926 Arthur S. Eddington[7], le père de l'astrophysique solaire publia un livre intitulé "The internal constitution of the stars", un ouvrage de 400 pages que la presse de l’Université de Cambridge continue d’éditer. Eddington démontra que le Soleil était une immense boule de gaz au centre de laquelle les noyaux d'hydrogène étaient convertis en hélium. Son rayonnement provenait de la conversion d'une faible fraction de la masse des atomes en énergie, en vertu de la loi d'équivalence d'Einstein, E = mc2.

Il fallut attendre que les astronomes maîtrisent la spectroscopie solaire, la thermodynamique des gaz et la toute jeune théorie de l'atome pour mesurer la température et le degré d'ionisation des éléments présents dans l'atmosphère solaire.

Grâce aux travaux pionniers de l'astrophysicien indien Meghnad Saha, en 1920 les astrophysiciens ont pu lier l'intensité de ces "raies d'absorption" à la température et à la composition chimique des étoiles, fournissant la base de nos modèles physiques solaires et stellaires. La prise de conscience de Cecilia Payne-Gaposchkin que les étoiles comme notre Soleil se composent principalement d'hydrogène et d'hélium, avec aucune ou plus que des traces d'éléments chimiques lourds, est basée sur ce travail.

En 1929, les astrophysiciens avaient déjà découvert 58 éléments dans le spectre solaire. Mais Charles St.John[6] astronome à l'Observatoire du Mont Wilson avait découvert dans l’atmosphère du Soleil des éléments qui survivaient dans des conditions exceptionnelles, comme la raie de l’hélium à 468.6 nm, dont le potentiel d’excitation était vraiment très élevée. Il conclut son article en demandant à ses collègues de se consacrer à ce problème : "cette exceptionnellement grande valeur indique quelque condition d’excitation extraordinaire dans les couches relativement élevées de l’atmosphère solaire et attend une explication”". St.John venait de découvrir les caractéristiques de la couronne : un milieu de très faible densité, extrêmement chaud et fortement ionisé.

Si aujourd’hui il semble tout à fait normal de retrouver dans le Soleil l'origine des éléments existants sur Terre (cf. la formation du système solaire), dans les années 1930 il y avait un pas de l'observation à la théorie. Il manquait aux chercheurs une théorie et un outil expérimental capables d'expliquer tout à la fois le rayonnement du Soleil et la présence des éléments chimiques dans son atmosphère.

Production d'énergie par le Soleil

Si Eddington démontra que le Soleil était une immense boule d'hydrogène, ni lui ni aucun savant d'alors ne pouvait expliquer la façon dont le Soleil convertissait l'hydrogène en hélium. Tout ce qu'il pouvait dire c'était que l'ensemble du rayonnement solaire capté au niveau de la Terre sur une surface perpendiculaire à la direction du Soleil, que l'on appelle la constante solaire était d'environ 1367 W/m2/s (voir le graphique ci-dessous). Notons que cette valeur varie de ±3% du fait de l'orbite légèrement elliptique de la Terre et des légères variations de la luminosité totale du Soleil lui-même (ce qui en fait en réalité une étoile légèrement variable). Reportant cette valeur sur toute la surface du Soleil (soit multipliée par 4πr2C), Eddington déduisit que le Soleil irradiait l'équivalent de 3.83x1023 kW ! Si on convertit cette luminosité en énergie comme nous l'a appris Einstein (E=L/c2), cela représente 4.26x109 kg/s soit l'équivalent d'environ 5 millions de tonnes de matière convertis chaque seconde en énergie !

On peut aussi exprimer cette énergie globale en mégajoules (MJ) par rapport au rayonnement incident diffusé comme le calculent les climatologues au moyen d'un pyranomètre ou d'un héliographe. On obtient une moyenne journalière de 11 MJ/m2 desquels il faut retrancher la diffusion (3.8 MJ/m2) et l'absorption (1.9 MJ/m2), ce qui laisse un rayonnement global de 5.3 MJ/m2 disponible pour les organismes vivants.

La puissance reçue chaque seconde sur la Terre est de 1.743x1014 kW, une quantité que l'on estime un milliard de fois inférieure à la puissance que nous réservent les énergies fossiles terrestres accumulées au fil des éons. Sur cette base, Eddington estima qu'en 10 milliards d'années le Soleil n'aurait brûlé que 10% de son combustible. Cette valeur était sous-estimée, car dans 10 milliards d'années le Soleil aura cessé de briller. Il sera devenu une étoile géante avant de s'éteindre progressivement. On y reviendra.

Evolution de la constante solaire

L'irradiance totale du Soleil ou sa puissance relevée sur la Terre vaut environ 1367 watts/m2/s. On peut évaluer la puissance rayonnée par la surface du Soleil à 3.83x1023 kW et il ne s'agit encore que d'une petite étoile ! Notez que l'irradiance fluctue en fonction de la distance du Soleil à la Terre, de la variabilité intrinsèque du Soleil et en fonction du cycle solaire. Documents Greg Kopp/LASP et ACRIM.

Aujourd’hui nous savons qu'étant donné sa masse estimée à 1.989x1030 kg (339246 fois celle de la Terre), chaque seconde le Soleil[8] consomme environ 700 millions de tonnes d'hydrogène - ce qui ne représente que 10-17% de sa masse - qu'il convertit en une quantité presque égale d'hélium, dont il ne perd que les 5 millions de tonnes précités soit 0.7% de la masse sous forme d'énergie (chaleur et lumière). Autrement dit, chaque seconde le Soleil convertit 1 kg d'hydrogène en 0.993 kg d'hélium. La perte de masse (0.007 kg par kilo d'hydrogène ou ~5 millions de tonnes/s) représente l'équivalent énergétique de 100000 tonnes de charbon, 1014 J ou encore 1020 kWh par seconde, dont 16000 tonnes de matière sont convertis en énergie de liaison (16x1023 watts). Chaque année, cela représente une perte de masse de 1.353x1017 kg d'hydrogène.

Les 16000 tonnes perdues chaque seconde en énergie de liaison s'explique du fait que le bilan énergétique de la réaction impose la conversion d'une partie de la masse des atomes en énergie pour assurer la cohésion des particules. Cette règle universelle s'applique à tous les corps structurés, de l'atome aux molécules de votre chaise, sans laquelle cette dernière ne tiendrait pas debout.

Sur base de sa masse et des propriétés des étoiles de même nature, on estime que le Soleil vivra encore 5 milliards d'années. En supposant qu'il consommera son combustible au même taux qu'aujourd'hui, durant cette période il perdra 1.353x1017 kg / 1.989x1030 kg = 0.034% de sa masse actuelle. Autrement dit, au cours de sa vie le Soleil conservera 99.966% de sa masse. Du moins tant qu'il restera sur la Séquence principale car nous verrons que lorsqu'il s'en écartera pour devenir une étoile géante, il perdra une grande partie de sa masse.

Mais par quel processus physique se réalise la fusion de l'hydrogène en hélium ? Un enfant reposerait ici la question fondamentale introduite précédemment : pourquoi le Soleil brille-t-il ? Les astrophysiciens mirent longtemps pour comprendre cette réaction que nous allons décrire dans le prochain chapitre.

Prochain chapitre

La nucléosynthèse stellaire

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[3] René Taton, "Histoire générale des sciences" (4 tomes), PUF, 1958/1995, tome 2.

[4] Charles Young, "The Sun", 1881.

[5] René Taton, "Histoire générale des sciences", op.cit.

[6] La vapeur d'eau trouve son origine sur Terre, dans la mesure où les observations se font à travers les couches basses de l'atmosphère terrestre. - C.St.John, Proceedings of the National Academy of Sciences (USA), 15, 1929, p789.

[7] A.Eddington, “The Internal Constitution of Stars”, Cambridge University Press, 1926/1988.

[8] Lire P.Foukal, "Solar Astrophysics", Wiley-VCH, 1990/2013 - J.Audouze et S.Vauclair, "L'astrophysique nucléaire", PUF-Que sais-je ?,1473, 2003 - P.Lantos, "Le Soleil", PUF-Que sais-je ?, 230, 1994.


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