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Le trou noir

Simulation d'un trou noir primordial traversant le Soleil réalisée avec le superordinateur Pléiades de la NASA. Voir aussi la vidéo. Document Tim Sandstorm/NASA.

Les trous noirs primordiaux (X)

Comme nous l'avons expliqué à propos de la théorie du Big Bang, à l'époque où l'Univers était en train de naître, avant même l'inflation, dans un Univers bien plus petit qu'une particule élémentaire sous l'emprise de fluctuations gravito-quantiques, il devait en théorie déjà exister des trous noirs primordiaux. En effet, dans le flot des perturbations de densité d'énergie à l'échelle du rayon de Hubble (l'horizon massique des particules), des surdensités et des sousdensités d'énergie ont pu soudainement s'effondrer et former des trous noirs primordiaux.

C'est en tout cas l'hypothèse proposée dans deux articles publiés en 1976 dans "The Astrophysical Journal" par les physiciens théoriciens Stephen Hawking et Don Page ainsi que par le mathématicien et astronome Bernard Carr (cf. Hawking & Page, 1976 et B.J.Carr, 1976).

La durée de vie d'un trou noir étant proportionnelle au cube de sa masse, ceux dont la masse atteignait 1012 kg (l'équivalent d'une montagne ou d'un petit astéroïde) se sont évaporés en moins de 14 milliards d'années sous forme de rayonnement de Hawking et ont disparu dans un ultime éclair extrêment violent de rayonnement gamma. Aujourd'hui seuls survivent les trous noirs primordiaux les plus massifs dont la masse dépasse 1012 kg. Leur taille est d'environ 10-12 mm soit voisine de celle du proton (0.84 femtomètre) ce qui rend leur détection directe impossible. La plupart ont donc disparu bien avant les premières réactions de nucléosynthèses de l'ère radiative (~100 s après le Big Bang) mais les plus massifs ont pu survivre jusqu'à aujourd'hui.

Selon Stephen Hawking, s'il en existe encore, un trou noir primordial pèserait 10-8 kg avec une limite maximale fixée par les sondages EROS et MACHO à environ 1023-1031 kg (cf. coll. EROS et MACHO, 1998). Notons que selon des modèles conservateurs simples, les données sur le rayonnement cosmologique de la mission Planck excluent les trous noirs primordiaux de masses comprises entre 100 et 10000 M contribuant de manière importante à la matière sombre (cf. Ali-Haïmoud et Kamionkowski, 2016). Concrètement, un trou noir primordial devrait peser tout au plus une fraction de masse solaire (cf. ce schéma).

S'ils existent encore, comment pourrait-on détecter ces trous noirs primordiaux ou existent-il des phénomènes qui signaleraient leur présence ? Si ces questions sont légitimes, les réponses sont toutes très spéculatives.

Des traces dans les oscillations du Soleil ?

Comme l'ont expliqué Michael Kesden de l'Université du Texas et son collègue Shravan Hanasoge dans les "Physical Review Letters" en 2011, il serait possible de détecter le passage d'un trou noir primordial d'au moins 1018 kg (le poids d'un astéroïde mais de la taille d'un atome) à travers le Soleil car selon les simulations, comme on le voit ci-dessus à droite, cela devrait engendrer des oscillations de grandes amplitudes et de hautes fréquences que les moyens des observatoires actuels (par exemple le réseau d'observatoires GONG et les instruments MDI et HMI de SDO) seraient en mesure de détecter. Dans ce contexte, les étoiles deviendraient des détecteurs sismiques de trous noirs primordiaux.

L'explosion des trous noirs primordiaux

Si la plupart des trous noirs primordiaux sont impossibles à localiser, en revanche nous pourrions détecter leur explosion finale. A ce jour, les seules flashes gamma cosmiques détectés ont été émis par des étoiles, par le coeur de galaxies actives (des trous noirs supermassifs) ou des astres inconnus (cf. les FRB et GRB) mais jamais encore par l'évaporation et la mort d'un trou noir primordial. Mais en théorie, il existerait un moyen de les détecter.

Production d'éléments lourds

Les astronomes pensent généralement que les éléments plus lourds que le fer produits au cours du "processus r" de nucléosynthèse ont été formés soit durant l'explosion des supernovae soit lors de la fusion d'étoiles à neutrons binaires. Mais il est possible qu'un autre mécanisme ait forgé ces éléments lourds parmi lesquels on retrouve le platine, l'or ou l'uranium.

Dans un article publié en 2017 dans les "Physical Review Letters", les théoriciens George Fuller, Alex Kusenko et Volodymyr Takhistov de l'UCLA ont montré que les trous noirs primordiaux qui entreraient au contact d'étoiles à neutrons et les détruiraient pourraient également produire ces éléments lourds. Explications.

Selon les calculs des chercheurs, en de rares occasions il est possible qu'une étoile à neutrons capture un trou noir primordial et que celui-ci la dévore littéralement de l'intérieur (alors que normalement un trou noir primordial traverse entièrement une étoile comme le Soleil et la fait seulement vibrer comme on le voit ci-dessus). Ce processus violent éjecterait une partie de la matière neutronique dans l'espace. C'est ensuite que le processus devient intéressant.

A mesure que l'étoile est engloutie par le trou noir primordial, son taux de rotation (spin) augmente et elle finit par éjecter de la matière neutronique froide dans l'espace qui en se décompressant s'échauffe et produit des éléments. Selon Fuller, "dans les dernières millisecondes de la destruction de l'étoile à neutrons, la quantité de matière éjectée est suffisante pour expliquer l'abondance observée des éléments lourds." Ce mécanisme pourrait aussi résoudre d'autres questions sans réponses, notamment concernant l'abondance des éléments dans les galaxies, y compris dans la Voie Lactée.

Sachant que ces évènements sont très rares, les astrophysiciens ne comprennent pas pourquoi 10% seulement des galaxies naines sont enrichies en éléments lourds. Mais si on tient compte de la destruction systématique des étoiles à neutrons par les trous noirs primordiaux, le manque d'étoiles à neutrons dans les centres galactiques et dans les galaxies naines devient logique, prédisant que la densité des trous noirs devrait également y être la plus élevée. Mais soyons précis pour les identifier car un trou noir primordial n'est pas un trou noir stellaire (né de l'effondrement d'une étoile) ni un trou noir supermassif (situé au centre des galaxies et autres AGN), chacun se comptant par millions et davantage.

Pour valider cette théorie, les astronomes doivent encore trouver les traces de ce phénomène. On pense naturellement aux sources d'émissions dont l'origine est encore mystérieuse comme les émissions infrarouges millimétriques qu'on appelle les "kilonovae", les sursauts radioélectriques des FRB et les émissions de positrons détectées dans le centre galactique par les satellites X.

La matière sombre

Serait-il possible que les trous noirs primordiaux soient constitués et, soyons audacieux, représentent la matière sombre (ou noire) ? Certains chercheurs en sont convaincus.

En 2016, le cosmologiste Marc Kamionkopski de l'Université John Hopkins et ses collèges publièrent un article dans les "Physical Review Letters" où ils se demandaient sérieusement si LIGO n'avait pas détecté des trous noirs primordiaux constitués de matière sombre ? Ils prenaient l'exemple du fameux évènement GW150914 détecté la même année, la première onde gravitationnelle détectée par LIGO. L'article de Kamionkopski n'a pas eu de succès dans la communauté des cosmologistes. Il fut référencé 472 fois, surtout sur des blogs, Twitter et Wikipédia.

"Fonction d'onde". Document Agsandrew/Shutterstock.

L'année suivante, l'astrophysicien Yacine Ali-Haïmoud de l'Université de New York et ses collègues publièrent un article sur arXiv dans lequel ils calculèrent le taux de fusion des trous noirs primordiaux binaires et la probabilité qu'ils soient détectés par LIGO.

Selon les auteurs, si le "bébé univers" engendrait suffisamment de trous noirs pour tenir compte de la matière sombre, au fil du temps ces trous noirs primordiaux formeraient des systèmes binaires jusqu'à fusionner à des taux des milliers de fois plus élevés que ce que LIGO détecte. Ils ont proposé aux chercheurs d'examiner leur idée en utilisant des approches alternatives.

Assez rapidement, beaucoup de chercheurs ont perdu espoir au point même que Kamionkowski déclara perdre tout intérêt pour cette hypothèse.

Toutefois, l'idée n'était pas morte et réapparut dans un article publié en préimpression sur "arXiv" en 2020 par le physicien Karsten Jedamzik de l'Université de Montpellier. Il propose que des paires de trous noirs primordiaux constitués de matière sombre peuvent fusionner et même attirer d'autres trous noirs primordiaux semblables dont les ondes gravitationnelles seraient détectables par les installations de type LIGO.

Dans une interview au webzine "Quanta", Jedamszik déclara : "Il était très important de convaincre la communauté, autant que vous le pouvez, que vous ne dites pas simplement des absurdités."

Dans un second article publié sur arXiv le même jour et corrigé dans la version publiée dans le "Journal of Cosmology and Astroparticle Physics" un mois plus tard, Jedamzik a également calculé le taux de fusion de ces trous noirs primordiaux de matière sombre. Selon ses calculs, "La prédiction naturelle des trous noirs primordiaux de matière sombre donne un pic prononcé autour de 1 M avec une petite fraction massique de trous noirs primordiaux sur une épaule autour de 30 M, dictée par l'équation d'état bien déterminée à l'époque de la CDQ. [...] la prédiction du taux de fusion des trous noirs primordiaux binaires de ~30 M [est] très proche de celle déterminée par LIGO/Virgo. De plus, [...] les limites actuelles de LIGO/Virgo sur l'existence de trous noirs binaires de ~1 M n'excluent pas que des trous noirs primordiaux puissent constituer toute la matière sombre cosmique." Jedamzik reste convaincu que LIGO en aurait détecté : "J'étais, bien sûr, stupéfait de voir que les uns après les autres j'avais obtenu le bon taux."

Mais de nouveau, les rares chercheurs questionnés à ce sujet ne partagent pas son optimisme. L'astrophysicien Carl Rodriguez de  l'Université Carnegie Mellon estime qu' "Il y a des choses étranges à propos de certaines des sources LIGO, mais nous pouvons expliquer tout ce que nous avons vu jusqu'à présent à travers le processus évolutif stellaire normal"" L'astrophysicienne Selma de Mink de l'Université de Harvard qui a proposé des théories sur la façon dont des étoiles isolées peuvent produire les trous noirs binaires massifs détectés par LIGO est plus directe : "Je pense que les astronomes peuvent un peu en rire."

En revanche, selon le cosmologiste Christian Byrnes de l'Université du Sussex, "C'est passionnant. Il est allé plus loin que quiconque." Mais il faut dire que Byrnes a inspiré certains des arguments de Jedamzik.

En fait, selon les spécialistes, à ce jour les fusions d'éventuels trous noirs primordiaux n'ont jamais été détectées par LIGO. Selon la Collaboration LIGO, le trou noir stellaire le plus léger détecté par LIGO avant une fusion pesait 2.59 M tandis que le mergeur le plus léger détecté à ce jour pèse 17.8 M. Le plus petit trou noir détecté par ses émissions en rayons X pèse 4.6 M. LIGO peut détecter le mergeur de deux étoiles à neutrons s'il pèse au moins ~3 M. En dessous de cette valeur, ce n'est pas impossible mais cela exigera une amélioration significative de la sensibilité des détecteurs pour discriminer le signal dans le bruit de fond. On y reviendra (cf. les ondes gravitationnelles).

Quant à imaginer que les trous noirs primordiaux seraient la matière sombre, c'est une extrapolation qu'aucun physicien ou astrophysicien sérieux ne se permettrait car aucun indice, aucune simulation ni aucune donnée observationnelle ne permet d'appuyer cette théorie.

Contraintes sur la fraction de matière sombre (f=ΩPBHDM) contenue dans les trous noirs primordiaux (PBH) en fonction d'une masse MPBH donnée, et la technique déterminant ces limites. Document M.Cirelli (2016).

Mais LIGO pourrait-il détecter un trou noir primordial ? Le graphique présenté à droite préparé par le physicien théoricien Marco Cirelli du CNRS montre que c'est impossible dans l'état actuel de la technologie.

Les trous noirs primordiaux ayant disparu doivent accroître la quantité de matière environnante et produire des rayons X qui pourraient ioniser les atomes et perturber le fond de rayonnement cosmologique à 2.7 K. Dans la gamme de 10-100 M dans laquelle travaille LIGO, cet effet constitue actuellement la contrainte la plus forte sur les trous noirs primordiaux. Selon un article publié dans "The Astrophysical Journal" (en PDF sur arXiv) en 2007, l'astrophysicien Jeremiah P. Ostriker et des collègues ont calculé qu'ils ne peuvent pas constituer plus de 0.01% de l'abondance totale de la matière sombre.

En astrophysique, cependant, non seulement les signaux mais aussi les contraintes doivent être prises en compte. Heureusement, elles sont deux ordres de grandeur moins sévères que ce qu'indique le graphique. De plus, cette limite dépend fortement des détails des modèles comme les paramètres d'accrétion et d'hypothèses plus favorables pouvant faire gagner un ou deux autres ordres de grandeur.

Même en tenant compte des particularités de certains modèles cosmologiques inflationnaires, on reste dans des échelles de masses détectables par LIGO (cf. J.M. Ezquiaga et al., 2018).

En résumé, la possibilité qu'un trou noir primordial dans la gamme 10-100 M soit composé de matière sombre ne devrait pas encore être complètement écartée.

Une autre possibilité est que les trous noirs primordiaux ne produisent qu'une petite fraction de matière sombre, mais le taux de fusion est plus rapide, plus proche de l'estimation proposée par Teruaki Suyama et ses collègues dans un article sur l'évènement GW150914 publié dans "The Physical Review Letters" (en PDF sur arXiv) en 2018.

En supposant que ce scénario soit plausible, comment savoir si LIGO a détecté un trou noir primordial ? La détection directe d'un trou noir n'est pas encouragée si les émissions de rayons cosmiques habituels sont absentes.

Dans la gamme de masses accessibles à LIGO, les meilleurs candidats de trous noirs primordiaux pourraient être découverts grâce à l'observation de l'effet amplificateur offert par les lentilles gravitationnelles (cf. H.Niikura et al., 2017). Des progrès peuvent également être réalisés dans la détection et l'analyse des sursauts radios rapides (FRB, GRB) d'origine généralement extragalactique d'une durée de l'ordre de la milliseconde (cf. K.Andrey et al., 2018). Dans le meilleur cas, le signal radio passant près d'un trou noir de 10 M pourrait être fortement amplifié, conduisant à des signaux répétés détectables sur Terre avec un retard observable. L'astronomie des ondes gravitationnelles peut également offrir un autre moyen. On verra si l'avenir permet de confirmer ces idées.

L'existence des trous noirs primordiaux reste une question ouverte. Il n'existe pas un seul indice appuyant cette théorie parmi les données astrophysiques. Cela ne veut pas dire que ces corps n'existent pas mais à ce jour aucune observation n'a pu confirmer leur existence. En revanche, l'existence des trous noirs stellaires et supermassifs est quasi certaine sans pour autant être confirmée car comme nous l'avons expliqué tout au long de cet article, elle repose comme l'on dit sur un faisceau d'indices concordants qu'aucune autre théorie ne peut aujourd'hui expliquer avec autant de précision.

La croissance des trous noirs serait couplée à l'expansion de l'univers

Pour la première fois, en 2015 l'observatoire LIGO détecta la fusion ou merge de deux trous noirs, c'est l'évènement GW150914, validant ainsi après 100 ans une prédiction majeure de la théorie de la relativité générale d'Einstein (cf. U.Sperhake, 2015; B.P. Abbott et al., 2016).

Les physiciens s'attendaient à ce que les trous noirs résultants aient des masses inférieures à environ 40 M car ils sont les trous noirs progéniteurs sont le résultat de l'effondrement d'étoiles massives. Mais depuis cet évènement historique les observatoires LIGO et Virgo ont détecté la fusion de nombreux trous noirs dont la masse totale est comprise entre 50 et plus de 100 M. Le record est actuellement détenu par l'évènement GW190521 dont le trou noir résultant présente une masse de 142 M.

De nombreuses théories ont été proposées pour expliquer la formation de tels trous noirs, mais aucun scénario n'a jusqu'ici été en mesure d'expliquer la diversité des fusions observées. De plus, il n'y a toujours pas de consensus autour d'un scénario de formation physiquement viable.

Comparaison des observations de fusion (merge) de trous noirs avec les prédictions du nouveau modèle. L'axe horizontal indique la masse totale du trou noir résulant du merge. Document K.S. Croker et al. (2021).

Pour expliquer la masse importante des trous noirs stellaires ayant fusionné, dans une étude publiée dans "The Astrophysical Journal Letters" en 2021 , Kevin S. Croker de l'Université d'Hawaï et ses collègues ont proposé une nouvelle théorie. La masse des trous noirs, petits et grands, peut résulter d'un seul mécanisme : ils gagnent de la masse en raison de l'expansion de l'univers.

Jusqu'à présent, par facilité, les astronomes modélisent les trous noirs dans un modèle d'univers statique. Selon Croker, "C'est une hypothèse qui simplifie les équations d'Einstein, car dans un univers qui ne grandit pas il y a beaucoup moins de paramètres à suivre. Il y a cependant un compromis : les prédictions ne sont valables que pendant un laps de temps limité."

Étant donné que les évènements individuels détectables par les installations LIGO-Virgo ne durent que quelques secondes, lors de l'analyse d'un évènement unique, cette simplification est judicieuse. Mais ces mêmes fusions de trous noirs sont potentiellement en gestation depuis des milliards d'années. Dans l'intervalle entre la formation d'une paire de trous noirs et leur fusion éventuelle, l'univers grandit énormément. Si les aspects les plus subtils de la théorie d'Einstein sont soigneusement examinés, une possibilité surprenante émerge : la masse des trous noirs pourrait croître au même rythme que le taux d'expansion de l'univers, un phénomène que Croker et son équipe appellent le couplage cosmologique.

L'exemple le plus connu de phénomène cosmologique couplé est la lumière elle-même : si l'univers est en expansion, la longueur d'onde de la lumière augmente.

Selon Duncan Farrah, professeur de physique et d'astronomie de l'Université d'Hawaï et coauteur de cette étude, "Nous avons envisagé l'effet inverse. Qu'est-ce que LIGO-Virgo observerait si les trous noirs étaient couplés cosmologiquement et gagnaient de l'énergie sans avoir besoin d'absorber d'autres étoiles ou du gaz ?"

Pour étudier cette hypothèse, les chercheurs ont simulé l'évolution de millions d'étoiles massives binaires. Toutes les couples où les deux étoiles se sont transformées en trous noirs ont ensuite été couplées à la taille de l'univers dès l'instant de leur effondrement. Au fur et à mesure que l'univers s'étendait, la masses de ces trous noirs augmentait à mesure qu'ils se rapprochaient les uns des autres. Le résultat fut non seulement d'avoir un plus grand nombre de trous noirs massifs lors des fusions, mais aussi beaucoup plus de fusions de trous noirs. Lorsque les chercheurs ont comparé les données de LIGO-Virgo à leurs prédictions, cela correspondait plutôt bien.

Selon les chercheurs, "ce nouveau modèle est important car il ne nécessite aucun changement dans notre compréhension actuelle de la formation, de l'évolution ou de la mort des étoiles. L'accord entre le nouveau modèle et les données actuelles vient simplement de la prise de conscience que des trous noirs réalistes n'existent pas dans un univers statique." Les chercheurs soulignent toutefois que le mystère des trous noirs massifs détectés par LIGO-Virgo est loin d'être résolu.

Selon Michael Zevin, postdoctorant Fellow NASA Hubble et coauteur de cette étude, "De nombreux aspects de la fusion des trous noirs ne sont pas connus en détail, tels que les environnements préférés de formation et les processus physiques complexes qui persistent tout au long de leur vie. Bien que nous ayons utilisé une population stellaire simulée qui reflète les données dont nous disposons actuellement, il y a beaucoup de marge de manœuvre. Nous constatons que le couplage cosmologique est une idée utile, mais nous ne pouvons pas encore mesurer la force de ce couplage."

Espérons que l'avenir permette d'améliorer ce modèle.

Les trous noirs et le principe holographique

La théorie de la relativité décrit les trous noirs comme étant sphériques, lisses et simples alors que la théorie quantique les décrit comme étant extrêmement complexes et riches en informations. Depuis quelques décennies les physiciens tentent d'appliquer le principe holographique aux trous noirs dans l'espoir de résoudre cette dualité.

Ces recherches sont assez audacieuses mais méritent qu'on s'y intéresse. Certes, il s'agit vraisemblablement d'images simplifiées de la réalité, mais elles conviennent dans la plupart des cas pour établir des prédictions, comme la notion de sphère céleste permet d’expliquer les lois de la mécanique céleste.

Les paramètres surfaciques

En 1967, Werner Israel décrivit la métrique de Schwarzschild d'un trou noir, c'est-à-dire les équations d'Einstein appliquées à un corps isolé à symétrie sphérique, statique, non chargé et dans le vide, et montra qu'elle était très simple.

Illustration d'un trou noir stellaire transitant devant la Voie Lactée. Document OSU.

Suite à cet article, en 1971 Brandon Carter publia dans les "Physical Review Letters" une étude sur les degrés de liberté d'un trou noir axisymétrique et conclut qu'un trou noir de Kerr, en rotation et sans charge électrique, n'avait que deux degrés de liberté, confirmant les travaux d'Israel.

Ces travaux porteront progressivement au jour l'idée du théorème "pas de cheveux" (cf. page 7).

Vu de l'extérieur le trou noir se résumant à son horizon, à sa surface de contact, les physiciens théoriciens rassemblés autour de Kip Thorne[10], aujourd'hui professeur émérite de Caltech et lauréat Nobel en 2017, ont tenté d'expliquer les particularités des trous noirs, non plus globalement à partir de leur masse, leur charge électrique ou de leur moment angulaire, mais localement en étudiant les propriétés de cette surface.

Leurs études ont permis d'introduire de nouveaux paramètres dits "surfaciques" : la densité de charge, la résistivité électrique et la viscosité. Ces paramètres se rapprochent des modèles de fluides visqueux et conducteurs, tels que les bulles ou les membranes fluides. Ces objets présentent aussi certaines propriétés mécaniques. 

Ce rapprochement a permis aux chercheurs de plancher depuis le début des années 1970 sur un modèle de trou noir semblable à une membrane fluide.

Notons que suite aux travaux du physicien canadien William Unruh publiés en 1981, on a également étudié des trous noirs acoustiques (ou sonique), c'est-à-dire un analogue de trou noir formé dans un fluide soumis à un mouvement circulaire.

Le principe holographique : simuler les trous noirs avec des hologrammes

En 1994, Gerard 't Hooft et Leonard Susskind proposèrent le principe holographique précité (que Susskind tenta sans succès d'appliquer au monde) par analogie à la surface d'un hologramme qui contient toute l'information d'un objet tridimensionnel; l'objet holographique "apparait" en trois dimensions.

Plus important encore, dans cette description holographique, la gravité n'apparaît pas explicitement. En d'autres termes, le principe holographique permet de décrire la gravité en utilisant un langage excluant la gravité, évitant ainsi une confrontation avec la mécanique quantique.

Selon cette approche, la surface de l'hologramme représente l'horizon des évènements du trou noir et fluctue, résolvant le paradoxe de l'information.

Parmi les prédictions du principe holographique ou correspondance AdS/CFT, si on accepte l'idée de Chandrasekhar décrite dans son livre "The Mathematical Theory of Black Holes" (1983) selon laquelle un trou noir peut également subir l'influence d'une perturbation extérieure, le mouvement de sa membrane pourrait générer des ondes de gravité amorties (variables), appelées dans ce cas des ondes gravitationnelles. Comme les ondes sonores se propagent dans la matière, une onde gravitationnelle se propage en modifiant l'espace-temps. Quasi immatérielle, cette onde peut induire des effets d’oscillations dans les corps massifs. Nous y reviendrons en Relativité avec la découverte des ondes gravitationnelles en 2015.

Dans une étude publiée dans les "Physical Review Letters" en 2019, le physicien Koji Hashimoto de l'Université d'Osaka et ses collègues, ont tenté de clarifier les conditions d'existence de l'image des trous noirs dans la théorie quantique des champs (QFT) qui est l'un des problèmes fondamentaux du principe holographique.

Les chercheurs proposent une manière directe de démontrer l'existence des trous noirs à travers l'imagerie d'un anneau d'Einstein, c'est-à-dire une lentille gravitationnelle. Pour y parvenir, ils ont développé une formule dérivée de la théorie des cordes équivalente à la théorie super Yang-Mills sur sa frontière à quatre dimensions qui permet d'obtenir un anneau d'Einstein holographique. En effet, une version de la théorie des cordes appelée le Type IIB sur l'espace Schwarschild-AdS4 connu sous le nom de dualité holographique suggère que tout ce qui se passe à l'intérieur de l'espace de la théorie des cordes peut également être traduit dans un espace plus simple présentant moins de dimensions, comme la limite de l'horizon des évènements.

A gauche, la configuration pour l'imagerie d'un trou noir dual dans l'espace-temps Schwarzschild-AdS4. Une source gaussienne oscillante Jo est appliquée à un point sur la limite AdS. Sa réponseO(x)est observée en un autre point de la limite AdS. A droite, la construction de l'image du trou noir Sch-AdS. Documents K.Hashimoto et al. (2019) adaptés par l'auteur.

Selon les chercheurs, on peut observer un trou noir "à partir d'une fonction de réponse QFT thermique projetée sur une sphère bidimensionnelle à partir d'une source localisée temporellement." Concrètement, comme illustré ci-dessus, la lumière émanant d'une source ponctuelle située sur la limite AdS, sur la surface de la sphère, est mesurée à un autre endroit de la sphère, ce qui devrait révéler le trou noir si la surface matérielle sphérique permet l'holographie. En supposant que les bons matériaux et les bonnes conditions de laboratoire sont réunies, on observerait un anneau d'Einstein. Comme illustré ci-dessous, les chercheurs ont également calculé le rayon de l'anneau d'Einstein qui serait observé si cette théorie était correcte.

Il va sans dire qu'il s'agit de recherches purement théoriques car en pratique aucun laboratoire ne peut réunir ces conditions et fabriquer un trou noir de toute pièce et le projeter sur une table de travail. Les chercheurs peuvent juste simuler les propriétés d'un trou noir grâce à un hologramme virtuel. Mais ils espèrent trouver dans le monde quantique la matière qui leur permettrait de tester leur théorie dans l'espoir d'enfin comprendre comment fonctionne l'Univers à grande et à petite échelle.

Simulations de l'image de l'anneau d'Einstein d'un trou noir dans la métrique Schwarzschild-AdS4 (en appliquant la théorie des cordes de Type IIB au principe holographique). Le rayon de l'anneau d'Eintein dépend de la température. Au centre, une image appliquée au trou noir surpermassif de M87 imagé par l'EHT (l'image de gauche). A droite, simulation de l'image d'un trou noir se déformant selon différents rayons de l'horizon rh = 0.6, 0.3, 0.1 et différents points d'observation θobs = 0°, 30°, 60° et 90°. Documents K.Hashimoto et al. (2019).

Selon Hashimoto, "L'image holographique d'un trou noir simulé peut servir d'entrée au monde de la gravité quantique." Pour son collègue Keiju Murata, "Notre espoir est que ce projet montre la voie à suivre vers une meilleure compréhension de la façon dont notre Univers fonctionne vraiment à un niveau fondamental."

Dans une étude publiée dans la "Physical Review X" en 2020, Francesco Benini et Paolo Milan, deux chercheurs italiens membres du SISSA et de l'INFN proposent également de simuler des trous noirs avec des hologrammes.

Selon les auteurs, "Ce principe révolutionnaire et quelque peu contre-intuitif propose que le comportement de la gravité dans une région donnée de l'espace puisse alternativement être décrit en termes d'un système différent, qui ne vit que le long du bord de cette région et donc dans une dimension de moins."

En appliquant le principe holographique aux trous noirs, Benini et Milan rendent leurs mystérieuses propriétés thermodynamiques plus compréhensibles : en se concentrant sur la prédiction selon laquelle ces objets présentent une grande entropie (cf. l'entropie de l'univers) et en les observant en termes de mécanique quantique, ils peuvent les décrire comme un hologramme : ils ont deux dimensions, la gravité est absente, mais ils reproduisent un objet en trois dimensions.

Benini et Milan ont étudié cette question dans le contexte de la gravité avec une constante cosmologique négative. Ils ont exploré l'exemple le plus simple de la description holographique de la gravité (AdS/CFT), la théorie des cordes de Type IIB sur AdS5 x S5, équivalent à la théorie de super Yang-Mills qui incorpore la supersymétrie, maximalisée à quatre dimensions.

Selon les auteurs, "Nous résolvons ainsi une question de longue date : est-ce que les quatre dimensions N = 4 SU(N) de la théorie de super Yang-Mills sur S3 dans N contient suffisamment d'états pour expliquer l'entropie des trous noirs supersymétriques en rotation chargés électriquement dans l'espace anti–de Sitter 5D ? Notre réponse est positive."

Les auteurs considèrent que "Cette étude n'est que le premier pas vers une compréhension plus approfondie de ces objets cosmiques et des propriétés qui les caractérisent lorsque la mécanique quantique croise la relativité générale."

Le secret d'Uranie

Les astrophysiciens et les physiciens ont fait du chemin depuis les premiers travaux de Laplace, Einstein, Schwarzschild et Chandrasekhar parmi d'autres sur ce qui devront les trous noirs. Aujourd'hui, le modèle unifié des AGN s'accorde parfaitement avec l'hypothèse que ces objets abritent un trou noir supermassif. Mais caché derrière les nuages de poussières et son disque d'accrétion, certaines de ses propriétés sont encore des paramètres cachés sinon inconnus dans les équations qui nous empêchent de lever le voile sur sa réalité entière.

Grâce aux progrès réalisés dans l'instrumentation astronomique, les outils théoriques et les découvertes observationnelles, nous en savons tous les jours un peu plus sur la nature et les propriétés de ces objets très singuliers.

Mais malgré des résultats probants et les prédictions de la théorie des supercordes notamment, la détection d'une nouvelle particule inattendue ou la découverte d'un phénomène contredisant les lois de la physique pourrait faire s'écrouler en larmes Uranie, la Muse de l'astronomie et toute la physique sur laquelle elle repose.

Si la chance n'est pas au rendez-vous du chercheur, théoriciens, astrophysiciens et cosmologistes éprouveront de grandes difficultés pour trouver d’autres théorie pouvant expliquer le comportement très capricieux des galaxies à noyau actif, la fin ultime de l'évolution stellaire ou celle de l'Univers. Gageons que l'avenir leur donnera raison. La nature est un livre ouvert que nous devons apprendre à lire.

Pour terminer et en guise de récréation, voici le récit de voyage d'un aventurier hypothétique qui vous permettra de mieux saisir tous les aspects paradoxaux des trous noirs.

Fiction éducative

L'aventurier du trou noir

"En surfant sur le web j'avais déjà eu l'occasion de voir quelques parties de votre site sur les trous noirs, les supercordes, etc., que j'avais trouvées quasiment sans failles.", Jean-Pierre Luminet, CNRS, 3 août 2006.

Pour plus d'informations

Sur ce site

Les trous noirs supermassifs

Le trou noir supermassif de la Voie Lactée (Sgr A*)

Les trous noirs supermassifs et la vie

Les ondes gravitationnelles

Le trou noir et le principe holographique

La théorie des cordes au secours des trous noirs

Voyage à travers un trou de ver

La théorie des supercordes

Sur Internet

L'origine des trous noirs, YouTube, 2017

Les trous noirs, Les Deschiens, YouTube, 2009

Trous noirs super-massifs, noyaux actifs et quasars (vidéos), F.Comes, Collège de France

The Open TDE Catalog

Black holes: A General Introduction (PDF de 632 KB), Jean-Pierre Luminet

45 years of black holes imaging (1972-1988), Jean-Pierre Luminet

Schwarzschild Radius Calculator, Omni Calculator

Black Hole Temperature Calculator, Omni Calculator

Black Hole Collision Calculator, Omni Calculator

Ray Tracing a Black Hole in C# (programme à télécharger)

Event Horizon Telescope (et les publications)

eLISA, ESA

Les trous noirs, Bruno Navert

Galaxies à noyau actif (PDF), Didier Gilbert s/dir Florence Durret (Mémoire)

Le site de Jean-Pierre Luminet, CNRS

Schwarzschild Spacetime And Black Holes, Markus Hanke

The Kerr spacetime, Markus Hanke

Gravitational lensing by spinning black holes in astrophysics, and in the movie Interstellar, K.Thorne et al., 2016

The Kerr spacetime: A brief introduction" (PDF), Matt Visser, 2008

Lecture Notes on General Relativity (PDF), Sean M. Carroll, 1997

Event Horizon Telescope (EHT) Initiative, Perimeter Institute

CASA's Relativity and Black hole links (Andrew Hamilton)

Black Hole (journey + encyclopaedia), Hubble site

Black holes, index DMOZ

Black holes - Portals into the Unknown, Thinkquest

Black holes, The Official String Theory Website

Black holes FAQ, NASA/GSFC

Black holes FAQ, CfPA

Black holes, DMATP

Publications de Kip Thorne

FAQ to sci.physics on Black holes by Matt McIrvin

NASA Virtual trip to Black Holes and neutron Stars

Quelques livres (cf. détails dans ma bibliothèque dont la section Astronomie)

Voyage dans les mathématiques de l'espace-temps : Trous noirs, big-bang, singularités, Stéphane Collion, EDP Sciences, 2019

Les trous noirs, Elena Ioli, Le Pommier, 2016

Les trous noirs, Matteo Smerlak, PUF-Que sais-je, 4006, 2016

Les trous noirs : A la poursuite de l'invisible, Alain Riazuelo, Vuibert, 2016

Dernières nouvelles des trous noirs, Stephen Hawking, Flammarion/BBC, 2016

Trous noirs, Leonard Susskind, Robert Laffont, 2010/2012; Gallimard-Folio Essais, 2012

Le destin de l'univers. Trous noirs et énergie sombre, Jean-Pierre Luminet, Fayard, 2006/2010; Gallimard-Folio Essais (2 tomes), 2010

La science des trous noirs, Jean-Pierre Lasota, Odile Jacob, 2010

Les trous noirs en pleine lumière, Michel Cassé, Odile Jacob, 2009

Des quasars aux trous noirs, Suzy Collin-Zahn, EDP Sciences, 2009

Relativité générale, George Efstathiou, Michael Hobson et Anthony Lasenby, de boeck, 2009

Sous l'empire des étoiles. Amitié, obsession et trahison dans la quête des trous noirs, Arthur I. Miller, JC. Lattès, 2008

L'Univers dans une coquille de noix, Stephen Hawking, Odile Jacob, 2001

Trous noirs et distorsions du temps, Kip Thorne, Flammarion, 1996; coll.Champs, 2001

Trous noirs et bébés univers et autres essais, Stephen Hawking, Odile Jacob, 2000

Une brève histoire du temps, Stephen Hawking, Flammarion, 1989; J'ai Lu, 2000

Les trous noirs, Jean-Pierre Luminet, Belfond-Sciences, 1987/1989/1998; Le Seuil/Points Sciences, 1992

Le destin des étoiles. Pulsars et trous noirs, George Greenstein, Seuil, 1987

Les trous noirs de l'espace (2 vol.), Pierre Kohler, Beauval, 1981; Famot, 1981

Trous noirs, Isaac Asimov, L'Etincelle, 1978

En anglais

Schwarzschild and Kerr Solutions of Einstein's Field Equation -- an introduction (arXiv), Christian Heinicke et al., 2015

Black Hole, Marcia Bartusiak, Yale University Press, 2015

The Formation and Disruption of Black Hole Jets, s/dir Ioannis Contopoulos, Springer Int'l Publ., 2015

Exploring the Invisible Universe. From Black Holes to Superstrings, B.E. Baaquie, F.H. Willeboordse, World Scientific Publ., 2015

The Cosmic Compendium. Black Holes, Rupert W.Anderson, lulu.com, 2015

Introduction to Black Hole Physics, Valeri P. Frolov et Andrei Zelnikov, Oxford University Press, 2015

Black Holes, J.Hillis Miller/Manuel Asensi, Stanford University Press, 1999

Black Holes and the Universe, Igor Novikov, Canto, 1995

Black Holes. The Membrane Paradigm, Kip Thorne et Robert Price, Yale University Press, 1986

The Mathematical Theory of Black Holes, Subrahmanyan Chandrasekhar, Oxford:Clarendon Press, 1983

Article de John Michell original (et numérisé), 1783.

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