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Le trou noir

Un trou noir actif et son jet de plasma. Document M.Kornmesser/ESO, NASA/JPL-Caltech et T.Lombry.

Le champ magnétique autour d'un trou noir (VI)

Comment peut-on expliquer la persistence du disque d'accrétion, le taux de spin élevé des trous noirs, la puissance et la structure du jet bipolaire ainsi que les éruptions X et gamma ? L'explication n'a pas été simple. Il fallut des décennies pour que les physiciens proposent un modèle convaincant expliquant tous ces phénomènes propres aux trous noirs.

Certains modèles comme celui proposé par Roger Penrose en 1969 prenait en compte le trou noir de Kerr ainsi que l'évaporation quantique (voir plus loin) mais ne tenait pas compte des champs magnétiques. Bien que ce processus permit d'expliquer les émissions gamma par effet Compton inverse (Piran et Shaham, 1977) et les productions de paires (Kafatos et Leiter, 1979), ce type de modèle n'expliquait pas le spectre des AGN et autres quasars. Ce n'est qu'à partir de 1982 que les modèles prirent en considération les effets des champs magnétiques (Wiita, 1982; Dhurandar et Dadhich, 1984; Parthasarathy et al., 1986, etc) et s'appliquèrent enfin aux AGN.

Aujourd'hui, avec plus d'un demi-siècle de recul, d'études comparées et de modélisations, tous les phénomènes observés autour d'un trou noir s'expliquent par l'existence d'un champ électromagnétique et d'interactions quantiques dans sa magnétosphère, c'est-à-dire la région aux abords de l'ergosphère où le plasma interagit avec le trou noir comme l'ont montré Thibaut Damour et Rémo Ruffini[13] parmi d'autres chercheurs dès 1975.

Le dipôle magnétique

Depuis les travaux de Faraday en 1831, nous savons que tout corps en mouvement possède un champ magnétique qui génère un champ électrique (cf. le principe de la dynamo) qui est d'autant plus important que le taux de rotation du corps est élevé et le champ magnétique intense. C'est notamment ce champ magnétique qui permet ou non le développement des disques protoplanétaires autour des jeunes étoiles. Son rôle est donc essentiel.

Les équations de Maxwell qui définissent notamment les lois fondamentales de la magnétostatique, nous apprennent que le flux du champ magnétique traversant une surface fermée est conservé (alors que le flux électrostatique dépend des charges électriques). Tout champ magnétique forme un dipôle (il présente les polarités positives et négatives), comme l'aimant dispose d'un pôle nord et d'un pôle sud. Ce champ magnétique forme un circuit fermé mais les lignes de force sont ouvertes aux pôles. Comme c'est le cas dans la magnétosphère terrestre ou sur le Soleil par exemple, le champ magnétique est constitué de lignes de champ ou lignes de force formant ce qu'on appelle des tubes de flux qui sont tangeants à la surface. Plus les lignes de force sont rapprochées ou serrées plus le champ magnétique est intense à cet endroit de la surface. Un cas typique sont les tubes de flux dans les taches sombres du Soleil.

Ce modèle s'applique également au trou noir. La mesure de son champ magnétique permet de calculer son intensité dans le jet bipolaire, la perte d'énergie de rotation, la limite de l'horizon des évènements et d'autres paramètres sur lesquels nous reviendrons.

Pour mémoire, selon les modèles, l'intensité du champ magnétique varie entre 0.1 mG dans une étoile YSO, 0.25 à 0.65 G sur Terre, ~30 G pour le trou noir Sgr A* et de l'ordre de 1014 G dans le cas d'un magnétar.

Schéma simplifié de la géométrie du champ magnétique dans la partie interne du disque d'accrétion d'un trou noir de Kerr.  Document de E.M. de Gouveia Dal Pino et al. (2005) adapté par l'auteur.

Dans le cas d'un trou noir, la relativité générale montre que le champ magnétique, la charge électrique et le taux de rotation sont liés (comme c'est également le cas pour les particules élémentaires).

Vu de profil, si le disque d'accrétion et les jets peuvent paraître symétriques, en réalité selon les modèles, la structure magnétique ne présente pas une symétrie parfaite entre ses parties supérieure et inférieure. En effet, les instabilités présentes dans le disque d'accrétion modifient cette symétrie en créant localement des boucles magnétiques comme l'illustre le schéma présenté à gauche. Généralement, les lignes du champ magnétique se referment loin du trou noir, dans le disque d'accrétion, formant une configuration bipolaire.

L'accélération des particules et les émissions X se produisent dans le site des reconnexions magnétiques situé à la base de la zone neutre. Quant aux rayons gamma et aux éruptions X, ils sont générés dans la zone de la couronne qui se forme au-dessus de la zone interne du disque d'accrétion où le champ magnétique est ouvert (voir plus bas).

Il existe de nombreuses théories plus ou moins supportées pouvant expliquer les différents phénomènes observés à partir des activités électromagnétique et gravitationnelle d'un trou noir. Par simplicité, certains modèles ne prennent pas en considération le champ magnétique mais comme toute approximation, ils sont aussi la source de plus d'erreurs d'interprétations.

Comme on le voit dans les schémas ci-dessus, les modèles expliquent les interactions se déroulant dans la magnétosphère du trou noir entre le plasma et le champ magnétique sous l'effet d'une gravité intense ainsi que les interactions entre le disque d'accrétion et la couronne.

Les reconnexions entre les lignes de la magnétosphère du trou noir et celles émanant du disque d'accrétion ont lieu dans la Région X située dans la partie interne du disque où la pression magnétique magnétosphérique équilibre la pression dynamique (ram pressure) générée par l'accrétion de la matière. La région d'où émane le jet est en principe la même que celle des éruptions les plus fortes (flares) provoquées par les reconnexions magnétiques et correspond à la partie interne du disque. Notons que ceci est compatible avec le scénario de Blandford-Payne décrivant le flux HDM et la production de jets, si ce n'est que ce dernier ne prend pas en compte les interactions entre les lignes de force du champ magnétique du disque d'accrétion et celles de la magnétosphère du trou noir.

Selon les modèles, l'environnement d'un trou noir serait constitué de différents types de plasmas, par exemple des paires de plasma (électron-positrons) dans le jet et dans la couronne et un mélange d'ions et de paires de plasma dans le disque, mais aucune observation n'a encore permis de confirmer cette hypothèse.

Cette question est importante car ces différents plasmas pourraient influencer différemment la dynamique de la magnétosphère d'un trou noir. A ce jour les quelques études basées sur la magnétohydrodynamique newtonienne ou relativiste sont très difficiles à modéliser et ne représentent que des approximations du comportement des plasmas.

Le disque d'accrétion arrêté magnétiquement (MAD)

Dans l'environnement d'un trou noir, le champ magnétique est essentiellement produit par du plasma fortement magnétisé. En effet, c'est la seule façon d'expliquer comment le gaz surchauffé du disque d'accrétion interne peut résister au champ gravitationnel du trou noir. C'est ce qu'on appelle un disque d'accrétion arrêté magnétiquement ou "MAD" (Magnetically Arrested Accretion Disk). Ce champ magnétique est tellement intense qu'il régule l'accrétion de matière sur le trou noir (cf. G.S. Bisnovatyi-Kogan, 2019; G.Zhang et al., 2024).

Nous verrons page suivante qu'un trou noir n'a pas de champ magnétique mais un peu à la manière d'une protoétoile au stade T Tauri entourée de son disque d'accrétion (à la différence que son disque se forme avant l'étoile), comme on le voit dans les schémas ci-dessous à gauche, lorsqu'une étoile s'effondre et franchit le stade d'étoile à neutrons, l'intensité de son champ magnétique augmente de manière exponentielle jusqu'à ce qu'elle se transforme en trou noir. Ensuite, le trou noir perd ce champ magnétique sous forme de rayonnement électromagnétique tandis qu'un nouveau champ magnétique se développe autour de lui grâce à la matière ionisée contenue dans son disque d'accrétion.

Pour expliquer le rayonnement des trous noirs et autres objets compacts, il faut étudier les propriétés de leur champ électromagnétique et leur effet sur le plasma (jets d'électrons, protons, muons, etc). A gauche, simulation d'une instabilité dans une étoile à neutrons massive générant de gigantesques champs magnétiques d'intensité progressivement exponentielle avant l'effondrement de l'étoile en trou noir. A sa droite, modèle HDM de la formation du jet bipolaire d'un trou noir à partir du champ magnétique. A droite du centre, schéma de la formation des jets relativistes dans la magnétosphère d'un trou noir tel qu'on peut en observer dans les AGN. Le disque est principalement composé d'un plasma d'électrons-ions tandis que la couronne proche du disque serait composée d'un plasma de paires de particules ou d'un mélange d'ions et de paires de particules. Les lignes de force du champ magnétique prennent une forme en spirale (hélicoïdale) en raison de la rotation du disque autour du trou noir, l'intensité du jet dépendant de la pression magnétique. Les flèches sombres indiquent le sens des courants magnétiques J, les flèches blanches celui des jets de paires de plasma qui s'échappent à des vitesses relativistes. A droite, simulation GRMHD montrant la densité du gaz (gauche) et le champ magnétique (droite) d'un trou noir en rotation à l'état MAD vu de profil (haut) et de face (bas). Documents adaptés de D.Siegel/MPI (2003), Christian Fendt/MPI (2009), Shinji Koide, ApJ (2009) et G.Zhang et al. (2024).

L'équipe de l'astrophysicien Guoqiang Zhang de l'Université de Nanjing, en Chine, analysa les différences dans les champs magnétiques, les disques d'accrétion et les jets autour des trous noirs en fonction de leur rotation (cf. G.Zhang et al., 2024) et arriva aux conclusions suivantes :

Effets de la composante toroïdale

Dans un trou noir statique, la composante toroïdale du champ magnétique - c'est-à-dire la partie du champ magnétique qui s'enroule autour de l'axe de rotation du trou noir - est négligeable par rapport à la composante radiale près de l'horizon des évènements. En revanche, dans un trou noir en rotation rapide (spin a = 0.94), la composante toroïdale devient dominante très près de l'horizon des évènements. Le champ toroïdal joue donc un rôle clé dans la régulation de l'accrétion et ces différences proviennent du spin du trou noir (cf. M.C. Begelman et al., 2022 et K.Chatterjee et al., 2022).

Pour rappel, dans la configuration toroïdale d'un trou noir en rotation (trou noir de Kerr), les lignes de champ magnétique sont parallèles au plan du disque d'accrétion et forment des cercles fermés autour de l'axe de rotation du trou noir. Cette composante est souvent renforcée par les effets de cisaillement dus à la rotation différentielle de la matière dans le disque d'accrétion. Ce champ toroïdal joue un rôle crucial dans les processus d'éjection de matière et de transfert d'énergie, en particulier pour la formation des jets, leur collimation et leur stabilité.

Les champs magnétiques toroïdaux sont influencés par l'effet de traînée du référentiel (frame-dragging). Cet effet déforme les lignes de champ magnétique, ce qui peut amplifier la composante toroïdale.

Enfin, les champs toroïdaux stockent de l'énergie magnétique qui peut être convertie en énergie thermique ou cinétique.

A voir : Simulation du jet de Sgr A*

Vue rapprochée du trou noir supermassif situé au coeur d'un quasar. Entouré d'un gigantesque disque d'accrétion, il est en train de capturer une étoile qu'il va bientôt déformer et déchiqueter. Ce trou noir est en pleine activité, émettant un puissant jet hélicoïdal de plasma collimaté à une vitesse parfois relativiste sur une distance pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d'années-lumière, source de rayonnements X, parfois gamma, radioélectriques et de rayons cosmiques très intenses. Imaginez que tout ceci est en mouvement comme le montre la séquence vidéo présentée ci-dessus sur YouTube. Documents Red Visions et C4 Studio pour le National Geographic Channel.

Structure des disques et des jets dans l'état MAD

Les disques rétrogrades (en rotation opposée au sens de rotation du trou noir) sont plus larges que les disques progrades (en rotation dans le même sens que le trou noir). En conséquence, les jets des disques progrades sont plus étroits que ceux des disques rétrogrades, en accord avec les travaux de R.Narayan et al. (2022).

Etat MAD et influence du spin

Le facteur MAD augmente avec le spin jusque a = 0.5, puis diminue au-delà de cette valeur, en accord avec les résultats de R.Narayan et al. (2022). Autrement dit, l'efficacité des interactions MHD dans le disque est optimisée vers a = 0.5. Pour des spins modérés, l'accumulation de flux magnétique sur le trou noir est plus efficace, ce qui favorise un état MAD plus prononcé, dans lequel le flux magnétique devient si intense qu'il limite ou perturbe fortement l'accrétion de matière.

Lorsque l'état MAD est atteint, le système entre dans une configuration dominée par un équilibre entre la pression magnétique et la dynamique d'accrétion. Dans cet état le système "autorégule" la quantité de flux magnétique accumulée autour du trou noir. Même si le champ magnétique initial était plus fort ou plus faible, le disque ajuste l'accrétion de manière à atteindre un équilibre stable caractéristique de l'état MAD. En termes simples, les conditions finales du système ne dépendent pas fortement des conditions initiales une fois que l'état MAD s'est installé. Ainsi, le comportement global est davantage déterminé par des propriétés dynamiques du système, comme le spin du trou noir et la dynamique de l'accrétion, que par l'amplitude du champ magnétique initial.

Ces résultats mettent en lumière l'importance du champ magnétique toroïdal dans la structuration des disques et des jets, ainsi que dans le transport du moment angulaire. Ils permettent aussi de mieux comprendre l'efficacité de la conversion de l'énergie de rotation du trou noir en luminosité d'accrétion et en énergie injectée dans les jets.

La couronne d'un trou noir

Géométrie de la couronne

La couronne du trou noir est une région de plasma en mouvement qui fait partie du flux de matière attirée vers un trou noir, dont les scientifiques n'ont qu'une compréhension théorique.

Comme le Soleil et d'autres étoiles, un trou noir possède également une couronne surchauffée. Mais si la couronne solaire est chauffée à environ 1 million de kelvins, la couronne d'un trou noir atteint 1 milliard de kelvins, d'où son émission de rayons X durs dans la bande 1 keV-1 MeV.

Les astrophysiciens ont déjà identifié des couronnes (cf. NASA) parmi les trous noirs stellaires et les trous noirs supermassifs tels Sgr A* situé au centre de la Voie Lactée.

Composantes d'un trou noir actif. Document T.Lombry.

Les scientifiques spéculent depuis longtemps sur la composition et la géométrie de la couronne : s'agit-il d'une sphère enveloppant le trou noir (cf. Y.-H.Huang et al., 2024), une atmosphère générée par le disque d'accrétion (cf. M.A. Jimenez-Garate et al., 2005; J.Xiang et al., 2009; J.D. Schnittman et J.H. Krolik, 2010) ou un plasma situé à la base du jet (cf. M.Méndez et al., 2022; W.Zhang et al., 2024) ? Disons que les dernières simulations sont en faveur d'une processus engendré par le disque d'accrétion. Reste à le prouver.

Pour déterminer les caractéristiques de la couronne, une équipe de chercheurs dirigée par la postdoctorante Lynne Saade du centre Marshall de la NASA (MSFC) a utilisé le satellite IXPE (Imaging X-ray Polarimetry Explorer) de la NASA pour étudier la polarisation, une caractéristique du rayonnement qui permet de cartographier la forme et la structure des sources d'énergie les plus puissantes, éclairant pour ainsi dire leur fonctionnement interne même lorsque les objets sont trop petits, trop brillants ou trop éloignés pour être vus directement. IXPE permet d'étudier la géométrie d'accrétion du trou noir, la forme et la structure de son disque d'accrétion et des structures associées, y compris la couronne. Les résultats de leur étude furent publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2024.

Selon Saade, "La polarisation des rayons X offre une nouvelle façon d'examiner la géométrie d'accrétion des trous noirs. Si la géométrie d'accrétion des trous noirs est similaire quelle que soit leur masse, nous nous attendons à ce qu'il en soit de même pour leurs propriétés de polarisation."

Les chercheurs ont étudié les émissions X de 12 trous noirs parmi lesquels Cygnus X-1 et Cygnus X-3, des trous noirs stellaires binaires situés respectivement à environ 7000 et 3000 années-lumière de la Terre, et LMC X-1 et LMC X-3, des trous noirs stellaires situés dans le Grand Nuage de Magellan à plus de 165000 années-lumière. IXPE a également observé un certain nombre de trous noirs supermassifs, dont celui situé au centre de la galaxie Circinus, à 13 millions d'années-lumière, et ceux des galaxies NGC 1068 et NGC 4151, situés respectivement à 47 millions et à près de 62 millions d'années-lumière.

Grâce à IXPE, les chercheurs ont démontré que, parmi tous les trous noirs pour lesquels les propriétés coronales pouvaient être mesurées directement via la polarisation, la couronne s'étendait dans la même direction que le disque d'accrétion, fournissant pour la première fois des indices sur la forme de la couronne et une preuve claire de sa relation avec le disque d'accrétion. Les résultats excluent la possibilité que la couronne ait la forme d'un lampadaire flottant au-dessus du disque comme les scientifiques la représentent encore parfois (cf. ESA).

A gauche, schéma du comportement de polarisation d'un trou noir non obscurci dans l'état dur (en phase d'accrétion avec un disque plus éloigné, un jet bipolaire et un spectre de rayonnement plus plat par rapport à l'état "mou" car une plus grande proportion de l'énergie est émise dans les rayons X de haute énergie). Le disque d'accrétion est en orange et la couronne en bleue. Les lignes violettes indiquent le chemin des photons. Les photons du disque d'accrétion se diffusent par effet Compton inverse dans la couronne vers notre ligne de visée. Si la couronne s'étend le long du plan du disque d'accrétion, alors l'angle de polarisation (PA) est orienté perpendiculairement à ce plan, ou parallèlement à l'axe de symétrie du système. Dans ce cas, le vecteur de polarisation est orienté verticalement. A droite, même schéma plus général avec le tore obscurcissant en rouge. Si le tore est étendu dans la direction verticale, alors l'angle de polarisation est orienté perpendiculairement à ce plan, ou perpendiculairement à l'axe de symétrie du système. Dans ce cas, le vecteur de polarisation pointe hors de l'image. Documents L.Saade et al. (2024).

Malgré la grande différence de masse entre les trous noirs stellaires et les supermassifs, les données d'IXPE suggèrent que les deux types de trous noirs créent des disques d'accrétion de géométrie similaire.

Selon l'astrophysicien Philip Kaaret du MSFC et chercheur principal de la mission IXPE, "C'est surprenant, car la façon dont les deux types sont alimentés est complètement différente. Les trous noirs de masse stellaire arrachent de la masse à leur étoile compagne, tandis que les trous noirs supermassifs dévorent tout ce qui les entoure. Pourtant, le mécanisme d'accrétion fonctionne à peu près de la même manière."

Selon Saade, cette perspective est passionnante car elle suggère que les études sur les trous noirs stellaires - généralement beaucoup plus proches de la Terre que leurs cousins plus massifs - peuvent également contribuer à jeter un nouvel éclairage sur les propriétés des trous noirs supermassifs. Cette découverte pourrait aider les scientifiques à comprendre le rôle de la couronne dans l'alimentation et le maintien des trous noirs.

Les chercheurs souhaitent à présent procéder à des examens supplémentaires des deux types de trous noirs. Saade estime qu'il y a beaucoup d'informations à glaner en les étudiant en rayons X : "IXPE a fourni la première opportunité depuis longtemps pour l'astronomie des rayons X de révéler les processus sous-jacents de l'accrétion et d'ouvir la voie à de nouvelles découvertes sur les trous noirs."

La couronne à l'origine des éruptions X

L'astrophysicien Erin Kara de l'Université du Maryland et ses collègues ont publié en 2019 dans la revue "Nature" une étude du trou noir stellaire MAXI J1820+070 découvert en 2018 à ~10000 années-lumière de la Terre dans la constellation du Lion.

L'observation de ses éruptions X et de ses échos au moyen de l'instrument NICER (NASA's Neutron star Interior Composition Explorer) installé à bord de la station ISS a permis de confirmer qu'elles proviennent bien de la couronne ultra-chaude entourant le trou noir comme expliqué ci-dessus.

Jusqu'à présent, ces échos de rayonnement X originaires du disque d'accrétion interne n'étaient visibles que dans des trous noirs supermassifs. J1820 ayant une masse beaucoup plus faible, il évolue beaucoup plus rapidement de sorte qu'on peut observer des changements sur des échelles de temps comprises entre quelques jours et quelques mois.

Les explosions se produisent lorsqu'une instabilité dans le disque provoque un flux de gaz vers l'intérieur, comme une avalanche s'abattant sur le trou noir. Les causes des instabilités du disque sont mal comprises. Comme nous l'avons expliqué, au-dessus du disque se trouve la couronne, une région composée de particules subatomiques portées à environ 1 milliard de degrés qui brille dans les rayons X de haute énergie. Beaucoup de mystères demeurent sur l'origine et l'évolution de la couronne. Certaines théories suggèrent que cette structure pourrait représenter une forme précoce des jets de particules relativistes.

Les astronomes savent depuis quelques années que la limite interne du disque d'accrétion et la couronne située au-dessus de celui-ci changent de taille et de forme pendant qu'un trou noir accrète la matière de son compagnon. Ces changements se produisant dans les trous noirs de masse stellaire sur une période de quelques semaines seulement, si les scientifiques comprenaient mieux ce mécanisme, ils pourraient l'appliquer aux trous noirs supermassifs qui évoluent sur des millions d'années et mieux comprendre comment ils affectent les galaxies au coeur desquelles ils résident.

Une méthode utilisée pour cartographier ces changements est la cartographie de réverbération aux rayons X qui utilise les réflexions ou échos des rayons X de la même manière que le sonar utilise les ondes sonores pour cartographier les reliefs sous-marins. En effet, si certains rayons X de la couronne se dirigent directement vers nous, d'autres éclairent le disque et se réfléchissent sous différents angles et niveaux d'énergies.

A voir : Mapping the 'Light Echoes' of a Black Hole, UMD Science

(cartographie de réverbération aux rayons X)

A gauche, image rayons X du trou noir stellaire MAXI J1820+070 prise par le satellite Swift le 11 mars 2018. A droite, animation de la réverbération des rayons X émis par la couronne (en bleu) de ce trou noir sur le disque d'accrétion (en orange). La mesure des échos permet de cartographier la couronne et le disque de la même manière qu'un radar ou un sonar permet de cartographier un relief. Documents UMD.edu, NASA/Swift et NASA-GSFC.

La cartographie de réverbération aux rayons X de trous noirs supermassifs a montré que le bord intérieur du disque d'accrétion est très proche de l'horizon des évènements. La couronne est également compacte et plus proche du trou noir que du disque d'accrétion. Des observations antérieures des échos de rayons X émis par des trous noirs stellaires suggéraient toutefois que le bord interne du disque d'accrétion pouvait être assez éloigné, jusqu'à des centaines de fois la taille de l'horizon des évènements. Or, malgré sa masse stellaire, J1820 se comporte comme ses cousins supermassifs.

Comme nous le verrons avec d'autres exemples, dans le cas de J1820 l'équipe de Kara a constaté une diminution du délai ou temps de latence entre la première éruption de rayons X provenant directement de la couronne et sa réflexion ou écho sur le disque. Les délais sont 6 à 20 fois plus courts que ceux précédemment observés. Les chercheurs estiment que la couronne se contracte verticalement de 100 à 10 km. Nous avons donc la preuve que ce qui varie dans le système est la structure de la couronne elle-même.

Pour confirmer que le délai entre l'éruption et son écho était dû à une modification de la couronne et non du disque, les chercheurs ont analysé la raie K du fer qui est émise lors de la collision des rayons X de la couronne avec les atomes de fer du disque, les rendant fluorescents. Comme le prévoit la théorie de la relativité d'Einstein, le temps est ralenti en présence de champs gravitationnels intenses et de vitesses relativistes. Lorsque les atomes de fer les plus proches du trou noir sont bombardés par le rayonnement de la couronne, les longueurs d'onde des rayons X sont étirées (vers le rouge) car leur temps propre s'écoule plus lentement que dans le référentiel de l'observateur (dans ce cas, NICER). Les chercheurs ont découvert que la raie K de fer de J1820 restait constante, ce qui signifie que le bord interne du disque restait proche du trou noir - semblable à ce qui se produit dans un trou noir supermassif (si la diminution du temps de latence était dûe au déplacement du bord intérieur du disque vers l'intérieur, la raie K du fer se serait encore plus étirée).

Ces observations apportent aux scientifiques de nouvelles informations sur la manière dont la matière est accrétée par le trou noir et sur la manière dont l'énergie est libérée au cours de ce processus. L'avenir de l'astronomie rayons X s'avère très prometteur.

Réflexion du rayonnement sur le disque d'accrétion

Si un trou noir attire tous les rayonnements et finit par les piéger sous l'ISCO et l'horizon des évènements, dans un article publié dans "The Astrophysical Journal" en 2020 (en PDF sur arXiv), l'astrophysicien (postdoc) Riley M.T. Connors de Caltech et ses collègues ont découvert qu'une partie du rayonnement échappe à l'attraction gravitationnelle du trou noir, fait demi-tour puis rebondit sur le disque d'accrétion. Ce phénomène avait été prédit dans les années 1970 mais n'avait jamais été observé jusqu'à présent (cf. N.Shakura et R.Sunyaev, 1973; H.Krawczynski, 2018).

Illustration de l'émission thermique du disque d'accrétion d'un trou noir et des émissions coronales indirectes (réfléchies) et directes. Document NASA/JPL-Caltech, R.Hurt (IPAC) et R.Connors (Caltech) adapté par l'auteur.

Cette découverte fut rendue possible après une analyse détaillée des données observationnelles archivées de la mission RXTE (Rossi X-ray Timing Explorer) de la NASA qui s'acheva en 2012. Les chercheurs ont spécifiquement examiné le système binaire XTE J1550-564 alias V381 Normae, comprenant un trou noir stellaire de 9 M autour duquel gravite une étoile de type K3III. Il s'agit d'une binaire X de faible masse (LMXB). Le trou noir présente un taux de spin a* ~ 0.5 et émet un jet bipolaire. Pour ces raisons, il est également classé parmi les microquasars.

En attirant l'atmosphère de cette étoile, un disque d'accrétion s'est formé autour du trou noir. En caractérisant le rayonnement X provenant de ce disque, alors que la lumière tombait sur le trou noir, les chercheurs ont découvert des signatures indiquant que la lumière s'est recourbée vers le disque sur lequel elle s'est ensuite réfléchie comme illustré à droite. Selon les modèles, la quantité totale de rayonnement de corps noir réfléchi sur le disque atteint 5.4%. Entre 4 et 100 rayons de Schwarzschild (Rs) du trou noir, la fraction de rayonnement réfléchi diminue d'un facteur 100, conformément aux prédictions.

Selon Garcia, professeur assistant de recherche en physique à Caltech et coauteur de cet article, "Le disque est essentiellement lumineux. Les théoriciens avaient prédit quelle fraction de la lumière se réfléchirait sur le disque, et maintenant, pour la première fois, nous avons confirmé ces prédictions."

Ces résultats feraient plaisir à Einstein car ils offrent également une confirmation indirecte de la théorie de la relativité générale. A l'avenir, ils aideront également à mesurer le taux de spin des trous noirs, qui reste en partie mal estimé car mal compris. Selon Connors, "Ces observations sont une autre pièce du puzzle qui consiste à essayer de comprendre à quelle vitesse tournent les trous noirs."

Origine et structure du jet bipolaire

L'activité du champ magnétique explique également en grande partie l'existence et les propriétés du phénomène le plus spectaculaire d'un trou noir actif, son jet bipolaire de plasma.

Le jet bipolaire supersonique émis par un trou noir comme celui émis par une binaire X ou une protoétoile en formation au stade T Tauri est composé de plasma parfois mélangé à des molécules et des ions dans les cas de la partie basse du jet émis par les protoétoiles. Dans de nombreux cas, ce jet présente un aspect noueux parfois irrégulier comme on le voit-ci-dessous. Il peut également être torsadé et émet un rayonnement X, parfois gamma, lumineux et radioélectrique. Comment expliquer cette structure et ces rayonnements ?

Rappel historique

L'origine et la formation des jets font encore l'objet de débats mais comme l'explique l'astrophysicien Donald Lynden-Bell[14], professeur émérite du Clare College de Cambridge, depuis la fin des années 1970 les astronomes et les physiciens ont accompli un immense travail théorique pour comprendre leur formation et leurs propriétés.

Document IceCube/NASA.

Ce jet de matière est très chaud (~10000 K) et se propage dans le milieu interstellaire où la température est glaciale (~10 K). En principe, sans faire appel à une autre composante, la thermodynamique nous dit que ce plasma devrait entrer en expansion et ne pas être aussi collimaté qu'il apparaît.

Comme le dit Lynden-Bell, il est surprenant qu'un disque en rotation contenant de la matière conductrice fluide génère un jet hautement collimaté perpendiculairement au plan de déplacement. Ce jet peut rester collimater sur des distances des centaines et même des dizaines de milliers de fois la taille du disque qui les génère. Ces jets se déplacent à des vitesses voisines de celle de la lumière alors que les astres qui les produisent présentent des vitesses de 100 à 200 km/s. Il existe donc une corrélation évidente entre la vitesse circulaire maximale dans le disque d'accrétion (ou la vitesse d'évasion de l'objet compact central) et les vitesses observées dans leurs jets.

Bien que le premier jet optique fut découvert dans la radiogalaxie M87 en 1918 par Hebert D. Curtis, il faudra attendre un demi-siècle pour que les radioasstronomes découvrent ce phénomène dans d'autres galaxies et AGN. Le premier représentant fut Cygnus A alias 3C 405 présenté ci-dessous à gauche découvert par Philip Hargrave et Martin Ryle en 1974. On reviendra sur ces curieux objets à propos des quasars.

Après avoir observé d'autres radiogalaxies comme Hercules A, NGC 6258, en haute résolution grâce au VLBI, les astronomes découvrirent que les jets contenaient des noeuds de plasma d'une taille inférieure au parsec. 

A l'époque, c'est-à-dire en 1974, les astronomes parmi lesquels Scheuer, Blandford et Rees pensaient que ces jets étaient nécessaires pour maintenir l'émission radio des lobes qu'on observe aux extrémités de la source. En effet, dans les radiogalaxies, le principal mécanisme d'émission est le rayonnement synchrotron émis par des électrons relativistes spiralant autour des lignes de force d'un champ magnétique. La polarisation du rayonnement (voir plus bas) fut l'une des prédictions observées confirmant la présence de ce mécanisme. Ensuite, les physiciens comprirent assez facilement comment des électrons pouvaient être accélérés, produisaient des chocs comme on en observe dans les lobes radioélectriques, comment les lignes du champ magnétique pouvaient se reconnecter et comment un disque d'accrétion en rotation pouvait produire un champ magnétique capable de produire des électrons rapides qui rayonnaient à mesure qu'ils tourbillonnaient autour du champ.

A voir : Collisions de chocs dans le jet de la galaxie NGC 3862, NASA

Time-lapse de 20 années d'observations par le Télescope Spatial Hubble

A gauche, image composite de la radiogalaxie Cygnus A, 3C 405, située à 600 millions d'années-lumière montrant son jet visible (en rouge) qui s'étend sur 5000 années-lumière et sa composante X (en bleu). Au centre, le jet bipolaire irrégulier émis par le trou noir caché au coeur de Centaurus A, NGC 5128. A droite, le jet de l'objet HH111 mesurant 1500 années-lumière et dont les protons et électrons dont il est constitué se déplacent à 500 km/s. Documents VLA/CXC/NASA/STScI, NASA et NASA/ESA/STScI.

Toutefois, il était loin d'être évident qu'un champ magnétique puisse collimater des jets étroits. En effet, près d'un astre compact, l'enroulement des lignes de force du champ magnétique peut expliquer le confinement du plasma mais à grande distance, l'intensité de ce champ diminuant, un autre mécanisme doit le remplacer et le pérenniser. On se doutait bien que le champ magnétique était ouvert aux pôles d'un astre, encore fallait-il expliquer comment le rayonnement était collimaté et pourquoi certains jets étaient visibles en lumière blanche et d'autres uniquement dans le spectre radio ou X ou à travers tout le spectre.

Si Blandford et Payne précités avaient déjà proposé en 1982 une explication hydromagnétique à la production des jets, ce n'est qu'en 1995 que Ionannis Contopoulos proposa une solution intéressante de la collimation grâce à la théorie MHD (magnétohydrodynamique), supportée à partir de 1999 par les travaux de S. Bogovalov et K.Tsinganos (cf. aussi leurs articles de 2002 et 2005). 

Collimation et puissance du jet

Plusieurs théories peuvent expliquer cette collimation à longue distance, en particulier l'effet d'un champ MHD et l'effet de la pression de radiation du milieu, ce dernier pouvant en plus expliquer les irrégularités visibles dans certains jets. Toutefois, ces modèles souffrent encore de quelques approximations et sont toujours en évolution, d'où l'intérêt d'observer des trous noirs actifs, des systèmes binaires X , des étoiles T Tauri et autres YSO en haute résolution pour analyser tous les phénomènes qui s'y développent, à quel moment, pendant combien de temps, à quelles longueurs d'ondes, etc.

Un jet présentant une série de noeuds résulte soit d'un phénomène de pulsation de la source émettrice (étoile ou trou noir et dans l'exemple ci-dessous, la turbine des avions supersoniques) soit d'une variation de vitesse de ses composantes. Dans le cas d'un avion de chasse en vol, la pression ambiante exerce une force par les côtés sur les gaz d'échappement. Le même phénomène est produit par le gaz présent dans l'environnement des trous noirs qui exerce une pression sur le jet. Dans un trou noir, les gaz ionisés très lumineux qui composent le jet se dilatent et se contractent, donnant l'impression que la lumière du jet est pulsée.

La période de ces variations est proche du temps caractéristique de la composante transversale (RJ /VJ). Ce phénomène peut entraîner une chaîne de chocs régulièrement espacés (~1000 UA pour l'objet protostellaire HH111) pouvant s'étendre sur plusieurs milliers d'années-lumière. Ces noeuds de plasma évoluent dans le temps et se propagent avec des vitesses variant entre quelques dizaines de km/s près de la source à plusieurs centaines de km/s à grande distance. Le record de vitesse est détenu par HH 80-81, un jeune objet stellaire (YSO) dont le jet collimité par un champ magnétique hélicoïdal est propulsé à environ 3000 km/s. Dans le cas des trous noirs galactiques et des AGN, le jet peut atteindre des vitesses supraluminiques par effet relativiste. Parfois ce jet est torsadé si la source est en rotation.

Ci-dessus, distribution des noeuds compacts dans le jet de courant bipolaire émergeant à grande vitesse du quasar 3C345 abritant un trou noir binaire supermassif de 700 millions de masses solaires observé à λ = 7 mm (42.8 GHz) entre 1998-2001. La ligne continue représente la structure hélicoïdale du flux émergeant bipolaire, les lignes de tirets correspondent à l'angle de l'hélice divergente et la ligne de tirets pointillés correspond à l'axe de l'hélice. Ci-dessous, deux F-16 de l'USAF en mission en Syrie en 2014 et dont la turbine en postcombustion émet une flamme présentant des noeuds. Ils sont provoqués par un plasma supersonique en présence d'instabilités et de chocs internes. On observe le phénomène avec les moteurs du SR-71 en postcombustion (et sur cette image) ou avec les moteurs cryogéniques (SSME) de la navette spatiale au décollage. Documents L.I.Matveyenko et al. (2013) et USAF/LM et AFP.

Enfin, on constate que le jet est proportionnellement plus intense dans les trous noirs supermassifs accrétant beaucoup de matière. Il y aurait donc une corrélation entre la puissance du jet et le taux d'accrétion. Encore faut-il le démontrer.

Les jets collimatés les plus longs

Nous avons vu que certains AGN émettent des jets collimatés très loin dans l'espace tels Cygnus A (3C 405) et Virgo A (M87) dont le jet radio mesure 5000 années-lumière (et 4900 années-lumière pour le jet optique de M87). Même certains systèmes protostellaires de Herbig-Haro (HH) peuvent projeter un jet sur plus de 1500 années-lumière.

Mais c'est peu de chose comparé à la distance à laquelle un trou noir supermassif actif peut projeter son jet. Voici quelques exemples classés dans l'ordre décroissant.

Porphyrion : 23 millions d'années-lumière

La radiogalaxie "Porphyrion" fut découverte en 2024 par une équipe internationale dirigée par le postdoctorant Martijn Oei de l'Université de Leyde aux Pays-Bas et du Centre Cahill d'Astronomie et d'Astrophysique du Caltech en Californie (cf. M.Oei et al., 2024). C'est la même équipe qui découvrit Alcyoneus (voir plus bas). "Prophyrion" fait référence au roi des géants de Pallène, les frères des Titans dans la mythologie grecque.

Porphyrion est un AGN, plus précisément une radiogalaxie de Fanaroff-Riley de type II située à z = 0.896 soit 7.5 milliards d'années-lumière dans la constellation du Dragon. Il évolue dans un Univers moitié plus jeune (54.4% de son âge actuel) et moitié plus petit (52.7% de sa taille actuelle). La galaxie hôte est le quasar J152932.16+601534.4 situé à 19" au SSO du centre de Porphyrion dont la masse est dix fois supérieure à celle de la Voie Lactée.

Oei précise que Porphyrion n'est pas une radiogalaxie géante (GRG), terme prêtant à confusion car techniquement la structure du jet d'une radiogalaxie ne fait pas formellement partie de la galaxie elle-même.

Prophyrion fut découverte grâce au réseau radiointerférométrique à basse fréquence LOFAR (Low-Frequency Array) dont les antennes sont installées dans toute l'Europe. L'identification de la radiosource et de la galaxie hôte furent le résultat de la collaboration entre plusieurs observatoires : le sondage DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) opérant au Kitt Peak en Arizona, le spectromètre LRIS (Low Resolution Imaging Spectrometer) installé sur le télescope Keck de 10 m d'Hawaï et le radiotélescope GMRT (Giant Metrewave Radio Telescope) installé en Inde.

A voir : Porphyrion's Giant Jets (animation), Caltech

A gauche, la radiogalaxie Porphyrion imagée par l'installation radioastronomique LOFAR à 144 MHz. La résolution est de 6.2" et l'image couvre un champ de 15' x 15'. La taille de la Voie Lactée (diamètre supposé de 50 kpc) est indiquée pour l'échelle. Au centre, image composite radio-optique de la radiogalaxie géante Alcyoneus avec ses lobes radio imagés par LOFAR (en orange). A droite, illustration de ce jet gigantesque. Voir également l'animation ci-dessus. Documents M.Oei et al. (2024) et S.Landis et K.Rappaport/Science Communication Lab.

Comme illustré ci-dessus à gauche, selon les données de LOFAR, Porphyrion projette un jet bipolaire sur plus de 11.5 millions d'années-lumière dans chaque sens, portant sa longueur totale projetée à 23 millions d'années-lumière. C'est le record ! Malgré cette distance énorme, le jet reste collimaté et présente plusieurs nodosités brillantes dans le premier million d'années-lumière autour du centre ainsi qu'un point chaud à son extrémité sud.

Grâce au spectromètre LRIS, les chercheurs ont découvert que Porphyrion est née de ce qu'on appelle un trou noir actif en mode radiatif (par opposition à un trou noir en mode jet, cf. la classification des AGN). Lorsque les trous noirs supermassifs s'activent et donc que leur force gravitationnelle réchauffe la matière environnante, on pense qu'ils émettent de l'énergie sous forme de rayonnement ou de jets. Selon les chercheurs, les trous noirs en mode radiatif étaient plus courants dans l'Univers primitif tandis que les trous noirs en mode jet sont plus courants dans l'univers actuel.

Le jet bipolaire de Porphyrion affiche une puissance combinée de 1039 watts, équivalente à celle du quasar 3C 273, c'est-à-dire à la production d'énergie de plusieurs billions de soleils. Par comparaison, la puissance lumineuse de la Voie Lactée atteint 1036 watts.

Alcyoneus : 16.3 millions d'années-lumière

En 2022, l'équipe de Martijn Oei de l'Université de Leyden aux Pays-Bas annonça dans un article publié dans la revue "Astronomy & Astrophysics" la découverte d'une nouvelle radiogalaxie géante (GRG) surnnommée "Alcyoneus". Ce nom fait aussi référence à l'un des géants de la mythologie grecque.

L'hôte de cette GRG est la galaxie elliptique J081421.68+522410.0 qui présente une masse stellaire d'environ 240 milliards de masses solaires et abrite trou noir supermassif actif d'environ 400 millions de masses solaires qui explique l'origine de ces lobes radio gigantesques. Cet AGN se situe dans la constellation du Lynx, près de la Grande Ourse, à environ 3 milliards d'années-lumière de la Terre.

A gauche, image composite radio-optique de la radiogalaxie géante Alcyoneus avec ses lobes radio imagés par LOFAR (en orange). A droite, composite radio-optique d'Alcyoneus montrant la paire de lobes radio alimentés par des jets centraux. Les lignes de contours sont de 6" à 5, 10, 20, 40 et 80σ. Documents M.Oei et al. (2022).

Alcyoneus présente une structure radio à trois composantes comprenant un jet central et deux lobes externes dont la longueur totale projetée est de ~16.3 millions d'années-lumière et la longueur totale réelle (non projetée) de 16.43 millions d'années-lumière ! Elle est ~163 fois plus grande que la Voie Lactée.

On reviendra en détails sur Alcyoneus dans l'article consacré aux quasars à propos des radiogalaxies géantes.

NGC 2663 : 1 million d'années-lumière

Le coeur de la galaxie NGC 2663 située dans la constellation de la Boussole (Pyxis) à environ 96 millions d'années-lumière de la Terre abrite un trou noir supermassif actif. Une équipe internationale d'astronomes dirigée par le doctorant Velibor Velović de l'Université de Western Sydney annonça dans les "MNRAS" en 2022, avoir détecté un jet collimaté de 335 kpc soit de plus d'un million d'années-lumière; c'est 50 fois la longueur de cette galaxie ! S'il était visible à l'oeil nu, vu la proximité de cette galaxie, il serait plus grand que le diamètre apparent de la Lune. Malheureusement, il n'est pas visible dans le domaine optique mais uniquement en radio.

Comme le montre la photo ci-dessous à gauche, NGC 2663 est une galaxie elliptique de type E3 d'une magnitude apparente de +11.85 mesurant 3.5' x 2.4' isolée dans un champ stellaire. Elle fut découverte par l'astronome américain Lewis Swift en 1886 et fait partie du Groupe Local au même titre qu'au moins 86 autres galaxies dont la Voie Lactée. Sa masse stellaire est environ 10 fois supérieure à celle de la Voie Lactée.

A gauche, la galaxie elliptique NGC 2663 extraite du sondage DSS2 en bande rouge publié en 2006. Voici une autre photo mieux exposée prise dans le cadre du sondage Carnegie-Irvine Galaxy Survey (CGS). La galaxie s'étend sur environ 3.9' x 2.75'. Au centre, les images du jet enregistrées par les radiotélescopes MWA à 200 MHz (gauche) et ASKAP à 1520 MHz (centre) montrent des nœuds de recollimation potentiels dans le jet sud. A droite, le jet collimaté avec le jet sud sur le côté gauche enregistré par ASKAP. Dans le panneau du haut, les courbes indiquent sa largeur (courbe pleine) et sa luminosité maximale (en pointillés) en fonction de la distance au noyau. Les deux lignes de contours sont de 3σ et 5σ au-dessus du bruit de fond. Dans le panneau du bas figurent la largeur isophote (à luminosité constante) du jet mesurée à partir des données d'ASKAP avec les contours de 3σ (ligne noire) et 5σ (gris), où σ est le bruit de fond. La courbe pointillée montre la luminosité maximale de la ligne de crête du jet. Documents Palomar/DSS2 et V.Velović et al. (2022).

Les auteurs ont découvert ce jet dans le cadre du sondage EMU (Evolutionary Map of the Universe) dans les données enregistrées à la fois dans les domaines radio et rayons X. Il fut détecté grâce au réseau radiointerférométrique ASKAP (Australian Square Kilometer Array Pathfinder) installé à Observatoire de Radioastronomie de Murchison (MRO) comprenant 36 antennes paraboliques de 12 m de diamètre.

C'est la première fois que les astronomes observaient un jet à une échelle aussi grande. Selon les auteurs, "Cela nous indique qu'il y a suffisamment de matière dans l'espace intergalactique autour de NGC 2663 pour faire pression sur les côtés du jet. A son tour, le jet chauffe et met la matière sous pression. Il s'agit d'une boucle de rétroaction : la matière intergalactique alimente une galaxie, la galaxie crée un trou noir, le trou noir lance un jet, le jet ralentit l'apport de matière intergalactique dans les galaxies."

J1601+3102 : plus de 215000 années-lumière

Des astronomes ont découvert le plus grand jet radio bipolaire émis par un quasar évoluant dans l'Univers primitif. Il est associé au quasar J1601+3102 et s'étend sur plus de 10.5" soit une distance projetée d'au moins 66 kpc ou 2150000 années-lumière (cf. A.Gloudemans et al., 2025). La structure fut identifiée à 144 MHz à l'aide du réseau radiointerférométrique à basse fréquence LOFAR dont les antennes sont réparties dans toute l'Europe. Notons qu'à plus haute fréquence, le VLA (sondages FIRST à 1.4 GHz et VLASS à 3 GHz) présentait une résolution insuffisante pour séparer les deux lobes du jet (cf. cette image).

Des observations complémentaires dans le proche infrarouge avec le spectrographe GNIRS du télescope Gemini North de 8.1 m (GNIRS) et dans le visible avec le télescope Hobby Eberly (HET) de 9.2 m de l'observatoire McDonald du Texas, ont été réalisées afin de dresser une cartographie complète du jet radio et du spectre du quasar.

Selon Anniek Gloudemans, chercheuse postdoctorale au NOIRLab et autrice principale de l'article, "Nous cherchions des quasars avec de puissants jets radio dans l'Univers primitif, ce qui nous aide à comprendre comment et quand les premiers jets se forment et comment ils impactent l'évolution des galaxies."

J1601+3102 se situe à z = 4.9. Il s'est formé lorsque l'Univers avait moins de 1.2 milliard d'années, soit 9% de son âge actuel. La masse du trou noir supermassif dérivée de l'analyse de la raie Mg II équivalent à 450 millions de masses solaires.

A gauche, composite radio (LOFAR), infrarouge (Gemini North) et visible (Hobby Eberly) du jet radio bipolaire (en jaune) de plus de 215000 années-lumière du quasar J1601+3102 (en rouge). Voici l'image radio enregistrée par LOFAR. A droite, les propriétés physiques de J1601+3102 comparées à la littérature. Dans le panneau gauche, comparaison de la masse du trou noir de J1601+3102 par rapport à la luminosité bolométrique (totale) d'autres quasars connus à z élevé. Sa masse est inférieure à la moyenne de cette population, alors que le rapport d'Eddington est similaire. Dans le panneau de droite figure la taille projetée du jet de J1601+3102 par rapport aux radiogalaxies et quasars connues à z élevé. J1601+3102 est le premier quasar à z > 4 avec un grand jet radio résolu. Documents LOFAR/DECaLS via NOIRLab et A.Gloudemans et al. (2025).

Selon Gloudemans, "Il est intéressant de noter que le trou noir qui alimente le jet radio de ce quasar n'a pas une masse extrême par rapport à ceux des autres quasars. Cela semble indiquer qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un trou noir massif ou un taux d'accrétion exceptionnellement élevé pour générer des jets aussi puissants dans l'Univers primitif."

Comme on le voit sur les images, les lobes du jet bipolaire sont asymétriques à la fois en termes de luminosité et de distance par rapport au quasar. Selon les chercheurs, cela indique qu'un environnement extrême pourrait les affecter.

D'après Gloudemans, "C'est uniquement parce que cet objet est extrême que nous pouvons l'observer, même s'il est très loin. Cet objet montre ce que nous pouvons découvrir en combinant la puissance de plusieurs télescopes fonctionnant à différentes longueurs d'ondes."

Selon Frits Sweijen, chercheur postdoctoral associé à l'Université de Durham et co-auteur de l'article, "La nature de cette source lointaine rend difficile sa détection à des fréquences radio plus élevées, ce qui démontre la puissance de LOFAR seul et ses synergies avec d'autres instruments."

PSO J352.4034-15.3373 : 160000 années-lumière

Le quasar PSO J352.4034-15.3373 alias PJ352-15 est situé à z = 5.831 soit environ 12.7 milliards d'années-lumière, dans un Univers ayant 7% de son âge actuel et ~15% de sa taille actuelle. Il abrite un trou noir supermassif qui émet un jet de rayons X sur environ 160000 années-lumière, soit 1.6 fois la longueur de la Voie Lactée. C'est le plus long jet de rayons X détecté dans l'Univers primitif (cf. T.Connor et al., 2021; Chandra).

Image rayons X (en pourpre) et optique (visible+IR, en blanc) du jet du quasar PJ352-15 (la tache ronde au centre). Cf. cette image annotée. Document CXC.

Le jet a été détecté dans une plage d'énergies allant de 0.5 à 7 keV. Les chercheurs estiment que la luminosité du jet en rayons X est d'environ 1.5 x 1045 erg/s. C'est une luminosité importante mais d'autres quasars présentant une forte émission X sont dix à mille fois plus lumineux (par exemple 3C 273 situé à z = 0.158 présente une luminosité bolométrique de 2.5 x 1046erg/s et celle du quasar S5 0014+81 dépasse 1048 erg/s).

Cette émission est principalement attribuée à la diffusion Compton inverse, où les électrons relativistes du jet interagissent avec les photons du fond diffus cosmologique, augmentant ainsi leur énergie jusqu'au domaine des rayons X.

Cette découverte est significative car elle représente l'une des détections les plus éloignées d'un jet de rayons X, suggérant que le trou noir de PJ352-15 a accumulé de la masse sur une période prolongée. Elle offre des informations précieuses sur la formation et l'évolution des trous noirs supermassifs dans l'Univers primitif, en particulier sur les conditions prévalant à cette époque et la manière dont les trous noirs interagissent avec leur environnement.

Ces découvertes montrent que ces jets peuvent s'étendre bien plus loin qu'on ne le pensait. Leur étude pourrait aider les astronomes à mieux comprendre les subtilités de la relation entre les galaxies et les jets des trous noirs supermassifs et pourraient, à terme, fournir des informations sur l'impact des jets sur l'évolution de l'Univers. En effet, des indices montrent que les galaxies et leurs trous noirs centraux co-évoluent, et l'un des aspects clés de cette théorie est que les jets peuvent diffuser d'énormes quantités d'énergie qui affectent la croissance de leurs galaxies hôtes et d'autres galaxies proches d'elles. Sachant que dans l'Univers primitif les galaxies formant la toile cosmique étaient plus proches les uns des autres qu'aujourd'hui, ces jets géants ont pu atteindre une plus grande partie de la toile cosmique que les jets des AGN de l'univers local.

En prenant l'exemple des jets géants de la radiogalaxie Porphyrion, Oei conclut : "Jusqu'à présent, ces systèmes de jets géants semblaient être un phénomène de l'univers récent. Si des jets lointains comme ceux-ci peuvent atteindre l'échelle de la toile cosmique, alors chaque endroit de l'Univers a pu être affecté par l'activité des trous noirs à un moment donné du temps cosmique."

Instabilités dans le jet

Konstantinos N. Gourgouliatos de l'Université de Durham et ses collègues se sont intéressés à la manière dont le jet de plasma se désintègre dans les trous noirs supermassifs. Grâce à des simulations dont les résultats furent publiés dans la revue "Nature Astronomy" en 2017, les chercheurs ont constaté que ce jet peut être sensible à une instabilité similaire à celle qui se développe dans l'eau circulant par exemple dans un tuyau courbe ou un cylindre en rotation.

Comme on le voit ci-dessous, ce jet a la forme d'une ovale très étirée dont la limite est incurvée; c'est cette forme qui crée un point faible dans le jet. Selon Gourgouliatos, l'instabilité commence sur la limite incurvée, se déplace en amont sur le jet et converge ensuite en un point - ce que les chercheurs appellent le "point de reconfinement". En dessous de ce point et donc près du lieu d'émission, le jet reste confiné et stable mais tout ce qui est au-dessus est détruit et forme un immense panache de taille astronomique.

A voir : Unravelling the mysteries of extragalactic jets

Simulation des instabilités dans le jet d'un trou noir supermassif

Lorsque le jet se désintègre en formant un panache, il dégage de la chaleur, ce qui facilite sa détection par les télescopes. Les jets et les plumes sont tellement brillants qu'ils dépassent parfois l'éclat de leur galaxie hôte ce qui les rendent facilement détectables.

Les résultats de ces simulations expliquent pourquoi les jets extragalactiques, qui semblent apparemment très stables, peuvent soudainement être perturbés et produire des structures semblables à un panache. Cette simulation a également mis en évidence que l'instabilité associée au cisaillement de la vitesse se développe très rapidement au point de confinement. En effet, comme le montre la simulation, les instabilités apparaissent seulement 10000 ans après le début de l'émission du jet et durent aussi longtemps que le trou noir est actif.

Comme le montra Elena E. Nokhrina de l'Institut de Physique et de Technologie de Moscou dans la revue "Frontiers in Astronomy and Space" en 2017, il semble exister une corrélation entre la puissance totale du jet émis par un trou noir et la perte de son énergie de rotation. Etant donné que les nouvelles simulations indiquent que le champ magnétique dans le jet n'est pas homogène, les astronomes pourront établir des prédictions plus précises du comportement des trous noirs et des AGN.

Enfin, le jet n'est pas toujours rectiligne ni d'une luminosité constante. L'étude des blazars, une sous-catégorie de radiogalaxies de la famille des quasars à luminosité variable a montré que leurs fluctuations lumineuses étaient liées à un effet de précession affectant leur jet qui prend souvent une forme courbée ou sinueuse combiné à un effet Doppler sur le rayonnement. On y reviendra.

Le champ électromagnétique, un accélérateur du jet des trous noirs

Les astronomes savent depuis des années que le champ magnétique autour d'un trou noir supermassif peut devenir instable, mais ils ignoraient jusqu'à présent ce qui se passait exactement lorsque ce champ se déformait et si ce processus pouvait expliquer comment des particules pouvaient atteindre de très hautes énergies.

Dans une étude publiée par Paulo Alves du SLAC et ses collègues dans les "Physical Review Letters" en 2018, les chercheurs ont découvert grâce à des simulations que lorsque le champ magnétique hélicoïdal est fortement déformé, les lignes de force s'enchevêtrent fortement et un champ électrique important est généré à l'intérieur du jet. C'est la combinaison de ces champs électriques et magnétiques qui accélère efficacement les électrons et les protons jusqu'aux plus hautes énergies, de l'ordre de 1011 GeV dans le jet bipolaire.

A voir : Cosmic Jet Simulation, SLAC

Ci-dessus, dans le jet de plasma émis par le coeur d'un AGN, ce sont les distorsions du champ magnétique hélicoïdal qui génèrent un fort champ électrique perpendiculairement au plan de rotation du disque d'accrétion entourant le trou noir. Ce champ électrique amplifie l'énergie des particules chargées, créant ainsi un courant électrique dense le long du jet. Ci-dessous, les simulations réalisées par les chercheurs du SLAC en 2018 ont permis de découvrir que lorsque le champ magnétique hélicoïdal du jet (à gauche) est fortement déformé, les lignes du champ magnétique s'enchevêtrent fortement (au centre), produisant un champ électrique important (à droite) à l'intérieur du jet qui peut accélérer les électrons et les protons jusqu'à des énergies extrêmes. Voir également la vidéo ci-dessus. Documents Greg Stewart/SLAC adapté par l'auteur et P.Alves et al. (2018).

Alors que les électrons les plus énergétiques émettent des rayons X et γ, les protons qui s'échappent du jet peuvent atteindre la Terre et pénétrer dans l'atmosphère sous forme de rayons cosmiques. C'est ce mécanisme d'accélération qui explique à la fois le rayonnement de haute énergie provenant des AGN et les plus hautes énergies observées dans les rayons cosmiques.

Cette découverte n'est qu'un début car il faut à présent que les simulations soient capables d'expliquer et de prédire d'autres phénomènes astrophysiques remarquables. Ensuite, il faut encore comprendre quel mécanisme provoque des fluctuations rapides du rayonnement des jets bipolaires, autant de sujets qui occuperont encore les chercheurs durant quelques années.

Précession du jet bipolaire

Les astrophysiciens ont également compris pourquoi on observait une précession dans le jet émis par le disque interne des trous noirs supermassifs en rotation. Dans une étude publiée en 2018 dans les "MNRAS" (en PDF sur arXiv), Tchekhovskoy précité et ses collègues ont réalisé une simulation du trou noir Sgr A* situé au coeur de la Galaxie sur le superordinateur Cray Blue Waters de l'Université de l'Illinois, en tenant compte de la mécanique des fluides MHD et de la théorie de la relativité générale. Ils ont découvert que lorsque l'axe de rotation du disque d'accrétion est incliné par rapport à celui du trou noir, les jets subissent une précession qui les font périodiquement changer de direction. Cet effet était inconnu jusqu'à ce qu'on réalise cette simulation en 3D car auparavant les astrophysiciens ont toujours supposé que le disque et le trou noir étaient alignés car les calculs étaient plus simples à réaliser compte tenu de la puissance limitée des ordinateurs. Or il s'avère que la plupart des disques des trous noirs supermassifs sont inclinés. Cette précession est le résultat du glissement du cadre de référence (effet Lense-Thirring, voir page 3) produit par la rotation du trou noir.

A voir : Simulation du disque d'accrétion et du jet d'un trou noir supermassif, Casper Hesp

Preuves observationnelles

Ces explications sont fondées sur des théories supportées par des simulations informatiques, mais quelle preuve avons-nous qu'un trou noir "fonctionne" réellement de cette manière ? Comment être certain que des modèles élaborés il y a parfois dix ans ou plus sont toujours d'actualité et que les astronomes ne se fourvoient pas dans des voies sans issue et dans des interprétations purement spéculatives ?

Depuis que les astronomes étudient les disques circumstellaires, les étoiles binaires X et les disques d'accrétion des trous noirs, nous savons que se sont les forces antagonistes d'attraction et centrifuge qui génèrent la viscosité nécessaire au transport de la matière grâce au moment angulaire (et permettent au trou noir de grandir et voir son rayonnement s'amplifier). Mais il faut leur ajouter l'effet du champ magnétique car sans ce dernier l'accrétion s'arrêterait et les jets s'affaibliraient. Mais jusqu'à présent, si ce mécanisme explique assez bien les émissions des trous noirs (de leur disque interne), tant les jets relativistes que les éruptions soudaines ou prolongées (sursauts gamma, flares et autres afterglows), les astronomes n'avaient pas de preuves observationnelles.

Champ magnétique et polarisation linéaire

D'abord, comment prouver qu'un trou noir est entouré d'un champ magnétique ? Avec les moyens actuels, il est très difficile de mesurer directement les paramètres d'un trou noir dont l'intensité de son champ magnétique duquel on peut déduire certains autres paramètres. Une des méthodes consiste à mettre en évidence la polarisation du rayonnement. Comme nous l'avons expliqué, lorsque des électrons se déplacent autour des lignes de force d'un champ magnétique, ils suivent un mouvement en spirale dont l'axe est parallèle au champ. Soumis à cette accélération, les électrons émettent un rayonnement particulièrement intense dans les longueurs d'ondes radioélectriques, c'est l'effet synchrotron. Ce phénomène produit des émissions fortement polarisées à l'échelle microscopique liées à l'orientation locale du champ magnétique. La polarisation du rayonnement est perpendiculaire à la direction du champ magnétique et est linéaire (plutôt que circulaire ou elliptique) en présence d'un champ magnétique intense. La polarisation permet donc de tracer la structure du champ magnétique des trous noirs ou des galaxies et de déterminer ses dimensions, son orientation et son intensité.

A gauche, évolution en spirale d'un flux d'électrons dans un champ magnétique dirigé vers la droite. Le plasma évoluant dans un tokamak ou dans le champ magnétique d'un trou noir se déplace de la mêne manière. A droite, bande dessinée illustrant la manière dont on détecte le champ magnétique d'un trou noir avec un radiotélescope. Documents Ask Mathematician et EHT.

 Une équipe internationale d'astronomes dirigée par Michael D. Johnson du Centre d'Astrophysique Harvard-Smithsonian a analysé pendant près de deux ans le rayonnement du trou noir Sgr A* situé au centre de la Voie Lactée et a enfin obtenu la preuve de l'existence de ce champ magnétique en 2015, soit après plus de 50 ans de recherches théoriques et d'observation des trous noirs ! Analysé par interférométrie VLBI à 1.3 mm de longueur d'onde (en infrarouge lointain vers 230 GHz) et une distance de ~6 rayons de Schwarzschild, l'installation radioastronomique submillimétrique offrait une résolution spatiale record de ~40 μas. Les chercheurs ont mesuré une polarisation des structures de Sgr A* atteignant ~70% et une intensité du flux de plasma en émission atteignant environ 3 mJy/μas2. Selon les modèles, cela correspond à une intensité magnétique de plusieurs dizaines de gauss, en accord avec les estimations précédentes (~30 G). Les résultats furent publiés dans la revue "Science" en 2015 (en PDF sur arXiv).

Précession des jets relativistes

La précession des jets relativistes pourrait expliquer pourquoi des fluctuations de la lumière ont été observées autour de certains trous noirs, en particulier les oscillations quasi-périodiques (QPO) décrits précédemment. Ces beams découverts pour la première fois par Michiel van der Klis, l'un des coauteurs de l'étude précitée publiée en 2018 dans les "MNRAS", fonctionnent à peu près de la même manière que le jet d'un quasar qui semble subir un effet stroboscopique.

Une intensité magnétique propre à chaque trou noir

Les systèmes binaires V404 Cygni et GX 339-4 alias V821 Arae sont chacun constitués d'une étoile géante massive vraisemblablement en orbite autour d'un trou noir stellaire de respectivement 12 et 5.8 M. Ces binaires X de faible masse (LMXB) présentent une luminosité qui oscille périodiquement (QPO) et émettent des rayonnements X et visibles qui ne sont pas d'origine thermique. Ces systèmes binaires sont suffisamment proches (respectivement ~8000 et ~20000 années-lumière) pour que les télescopes terrestres et spatiaux puissent les étudier en haute résolution.

En 2015, une équipe d'astronomes dirigée par Yigit Dallilar de l'Université de Floride utilisant le télescope spatial Swift détecta une éruption X variable dans le système V404, la première depuis 1989, signe que le trou noir venait d'absorber une importante quantité de plasma de son compagnon. Comme nous l'avons expliqué, la région coronale de gaz chaud et l'émission des jets sont contrôlées par le champ magnétique; plus il est intense et proche de l'horizon des évènements du trou noir plus les jets sont brillants car le champ magnétique agit comme un accélérateur synchrotron.

A voir : V404 Cygni Jet Flares, U.Southampton, 2017

Flaring Black Hole Accretion Disk in the Binary System V404 Cygni, NASA

Illustrations d'un trou noir entouré de son disque d'accrétion dont la partie interne est à l'origine de l'émission d'un jet composé de plasma et de gaz chaud. Le flux sortant forme une spirale collimatée par le champ magnétique. Documents NASA/JPL-Caltech et T.Lombry.

Dans un article publié dans la revue "Science" en 2017, Yigit Dallidar de l'Université de Floride et ses collègues ont présenté les résultats des analyses de la vitesse de décroissance du flux de V404 à chaque longueur d'onde (en optique, IR, X et radio). Cela leur permit de contraindre la taille de la région émettrice, de déterminer le refroidissement du plasma à l'intérieur du rayonnement synchrotron et de mesurer le champ magnétique autour du trou noir. Selon les auteurs, son champ magnétique s'avère beaucoup plus faible que le prévoit les modèles. Les modèles actuels seraient donc très simplifiés et tout indique que la valeur du champ magnétique est différente pour chaque trou noir. Cela suggère que sa dynamique est plus complexe qu'on le pensait.

Délai entre les émissions X et visible

Poshak Gandhi de l'Université de Southampton et ses collègues ont étudié V404 Cygni et GX 339-4 au moyen du télescope William Herschel de 4.20 m installé à La Palma dans les îles Canaries et simultanément avec le télescope spatial X NuSTAR. Ils ont découvert que les rayonnements X et visible émis par le disque interne d'accrétion étaient décalés dans le temps de 0.1 seconde. Ces observations ont été rendues possibles grâce aux capacités de la caméra CCD ULTRACAM (la même qui est installée sur les VLT depuis 2005 dont voici une revue) capable d'enregistrer jusqu'à 500 images RGB par seconde (taux de 500 Hz) et de détecter des évolutions très rapides dans les disques d'accrétion et le jet bipolaire.

Bien que le disque d'accrétion de GX 339-4 Arae soit plus petit que celui de V404 Cygni, dans les deux cas le délai est identique et donc indépendant de la taille du disque. Selon les chercheurs, ce délai pourrait dépendre de la masse du trou noir. Cette découverte fut publiée en 2017 dans la revue "Nature Astronomy".

C'est la première fois que les astronomes réalisent une telle mesure. Ce délai de 0.1 s représente le temps entre la formation du jet de plasma dans le disque interne et le moment où il est suffisamment accéléré pour commencer à briller. Sachant que le jet le plasma peut se propager à une vitesse maximale de celle de la lumière, les chercheurs en ont déduit que la distance d'accélération était de 30000 km, presque trois fois le diamètre de la Terre, soit 0.1 seconde-lumière maximum.

Ces découvertes sont importantes car elle vont permettre aux chercheurs de mieux modéliser la structure du champ magnétique dans le disque d'un trou noir et dans tous les autres objets émettant un jet brillant généré par un champ magnétique intense, notamment les BL Lacertae massives où les astrophysiciens avaient déjà suggéré l'existence d'un délai entre les émissions X et visibles. Il faut à présent que les chercheurs confirment ces observations sur d'autres astres émettant des jets bipolaires, y compris sur les trous noirs les plus massifs.

Par chance, en étudiant l'objet ASASSN-14li (voir ci-dessous), les astrophysiciens sont justement parvenus à établir une corrélation entre la puissance du jet et la masse du trou noir.

Intensité du jet

Entre 2014 et 2017, les astrophysiciens Dheeraj R. Pasham de l'Université du Maryland et Sjoert van Velzen de l'Université de New York ainsi qu'une équipe d'astronomes dirigée par Thomas Holoien des Observatoires Carnegie ont étudié la structure de l'objet ASASSN-14li situé à environ 290 millions d'années-lumière au moyen des télescopes orbitaux rayons X dont Chandra.

ASASSN-14li  fut découvert dans le cadre de la recherche des supernovae (programme ASAS-SN) car il s'est manifesté par une explosion bien plus brillante qu'une celle d'une supernova. Son étude révéla qu'il abritait un trou noir supermassif en train d'engloutir les débris d'une étoile qu'il a détruite. En effet, il traîne autour de lui une queue de plasma appelée des perturbations de marée qui tombent sur le trou noir comme on le voit sur l'illustration ci-dessous. En gravitant autour de lui, cette matière entre en collision avec sa propre traînée, produisant des éruptions de perturbation de marée, TDE en abrégé, à travers tout le spectre (X-UV-optique-radio) comme l'a montré l'étude de Dheeraj R. Pasham et son équipe publiée en 2017. C'est le premier exemple de TDE que découvrirent les chercheurs.

A voir : ASASSN-14li - Star's debris colliding with itself

De nouveaux résultats obtenus par Pasham et van Velzen publiés dans "The Astrophysical Journal" en 2018 montrent que sur une période d'environ 200 jours d'observation, les profils temporels des émissions radio et rayons X de cet objet sont identiques à 90% mais décalés d'environ 13 jours. On en déduit qu'une énorme quantité de matière tombe sur ce trou noir et donc que la puissance de son jet dépend directement du taux d'accrétion de la matière. C'est la première fois que les astronomes prouvent l'existence de cette corrélation dont on soupçonnait l'existence depuis des années.

Le délai de 13 jours entres les deux types d'émissions est également un indice car ces rayonnements sont produits par des électrons accélérés par un champ magnétique intense. Or, jusqu'à présent on pensait qu'au cours de la destruction d'un étoile, une onde de choc se propageait vers l'extérieur et apportait de l'énergie au plasma contenu dans le milieu interstellaire, réaction qui génère également des émissions radioélectriques sur certaines raies spectrales. Si ce scénario se vérifie parfois, dans ce cas ci il n'explique pas la similitude entre les émissions rayons X produites par les débris stellaires chauffés à blanc et les émissions radio. Autrement dit, un autre phénomène doit expliquer la production des électrons.

Selon les chercheurs, la région émettant les rayons X s'étend sur 25 fois la taille équivalente du Soleil soit dans un rayon de ~17 millions de kilomètres tandis que les émissions radio couvrent 400000 fois la taille équivalente du Soleil soit un rayon supérieur à 1800 UA. Seule explication, dès l'instant où le trou noir absorbe des restes stellaires, il commence à émettre des ondes radio par le jet bipolaire mais ce point chaud est tellement concentré en électrons que la plus grande partie est réabsorbée par d'autres électrons. Il faut attendre que ces derniers aient parcouru une certaine distance dans le jet équivalent à une durée de 13 jours pour que les ondes radio parviennent à s'échapper dans l'espace.

On découvre ainsi un nouveau mécanisme expliquant le comportement des jets. On suppose que s'il se manifeste dans ce trou noir, il s'applique également aux autres trous noirs galactiques où nous savons qu'ils jouent un rôle important dans la formation d'étoiles en interagissant avec le gaz environnant.

La superradiance

Une autre particularité du trou noir est de pouvoir émettre des ondes électromagnétiques. Ce n'est pas paradoxal. Imaginons un front d'ondes électromagnétiques qui s'incurve en passant près d'un trou noir puis se propage au loin. Etant donné que certaines particules seront capturées par le trou noir, l'intensité du faisceau dispersé sera inférieure à celle du faisceau incident. Mais il est également possible que l'intensité de l'onde dispersée soit supérieure à celle de l'onde incidente.

Deux conditions doivent être remplies : le trou noir doit être en rotation puisqu'il s'agit de la seule énergie qui puisse s'en échapper, ensuite la fréquence du rayonnement doit être inférieure à la fréquence de rotation du trou noir. L'effet de rotation de l'ergosphère devient plus fort à mesure qu'on s'approche du trou noir, ce qui crée l'effet de superradiance. Certains photons passant à proximité du trou noir sont piégés dans l'ergosphère et, à mesure qu'ils se rapprochent de l'horizon des évènements, ils tournent autour du trou noir de plus en plus vite. À chaque révolution, ils gagnent de l'énergie. Certains de ces photons vont traverser l'horizon interne des évènements et seront à jamais piégés. Mais certains se disperseront à partir d'autres photons et s'échapperont de l'ergosphère tout en étant stimulés jusqu'à des énergies excessivement élevées dans le processus.

Ce processus d'amplification est appelé la "superradiance" et fut découvert par Yakov Zel'dovitch et décrit mathématiquement par Robert Dicke en 1954. C'est Igor Novikov alors à l'Université de Moscou qui médiatisa cette théorie avec le succès que l'on sait. Ensuite, comme expliqué précédemment (voir page 4), en 1969 Roger Penrose découvrit qu'on pouvait extraire l'énergie de rotation d'un trou noir et donc créer une superradiance.

Des physiciens dont l'équipe de Jonathan Oppenheim de l'University College de Londres et celle de Daniele Faccio de l'Université Geriot-Watt ont montré qu'on pouvait créer un processus de Penrose et une superrradiance en laboratoire avec des fluides ou des superfluides comme illustré ci-dessous.

Simulations de la superradiance dans un liquide en rotation simulant un trou noir de Kerr. A droite, de la lumière se propage dans un milieu superfluide contenant du graphène. Documents Jonathan Oppenheim (2016) et Daniele Facccio et al. (2021).

Le processus de superradiance est instable (cf. P.Pani, 2019). Sur des échelles de temps très longues, suffisamment de photons et autres bosons peuvent être stimulés jusqu'à des énergies suffisamment élevées pour que tout l'environnement du trou noir se transforme en une "bombe" géante, les photons piégés explosant en une seule réaction gigantesque.

La superradiance se manifeste également dans les ondes gravitationnelles. Le facteur d'amplification est faible pour les ondes électromagnétiques, il est de 4.4%, mais il atteint 138% dans le cas des ondes gravitationnelles.

Selon Novikov, si on parvient à placer une sphère artificielle réfléchissant les ondes électromagnétiques autour d'un trou noir en rotation, la condition de superradiance peut être rencontrée un court instant. Cela signifie que pendant que les ondes sont attirées vers le trou noir, elles seront amplifiées, puis se propageront dans l'espace avant d'être réfléchies par la sphère qui l'entoure. Elles seront réattirées vers le trou noir où l'amplification se répétera. Ce processus provoque une augmentation de l'énergie de radiation du trou noir en avalanche. Le trou noir et la sphère réfléchissante deviennent un générateur de rayonnement qui, sous la pression de radiation, finira par faire exploser le système. Les physiciens qui ne s'intéressent soi-disant pas à la finalité de leur découverte, préfèrent plus prosaïquement appeler ce processus "une instabilité superradiante". Mais concrètement c'est une bombe gravitationnelle !

Deux articles scientifiques ont récemment abordé ce sujet en transformant les axions en bombe gravitationnelle (cf. H.Kodama et H. Yoshino, 2011; L.Tsukada et al., 2020). Mais à l'échelle des temps cosmiques, ce processus se produit assez lentement pour que nous ne l'ayons pas encore observé dans l'univers.

Effet de la superradiance sur la matière sombre

La superradiance peut s'étendre au-delà des photons et s'applique en fait à n'importe quel type de boson, y compris tous les vecteurs d'interactions comme le boson de Higgs, mais également à la matière sombre (ou noire).

Pour rappel, la matière sombre est la forme dominante de matière dans l'Univers. On estime qu'elle représente 85% de la masse de l'Univers. En 2016, on calcula que la matière baryonique (étoiles et baryons) représente 5% de la densité critique de l'Univers contre 27% pour la matière sombre et 67% pour l'énergie sombre (cf. ce schéma).

Extrait d'une simulation montrant un nuage de photons sombres superradiants se formant autour d'un trou noir en rotation. Consutez également les simulations sur le site de Will East/Perimeter Institute.

Une possibilité est que la matière sombre soit un nouveau type de particule ultra-légère qui partage de nombreuses caractéristiques avec les bosons mais n'interagit pas avec toutes les particules ordinaires (baryoniques). Le meilleur candidat est l'axion (cf. l'asymétrie CP et R.Peccei et H.Quinn, 1977).

Avec une masse au repos d'environ 10-5 eV/c2, l'axion serait 28 ordres de grandeur plus léger que le proton et 1 million de fois plus léger que l'électron et serait neutre. Ces axions constitueraient les "photons sombres" (ou photons noirs) ultra-légers qui inonderaient littéralement l'Univers depuis l'aube des temps. Mais du fait qu'ils n'interagissent pas avec la matière ordinaire, s'ils existent réellement ils sont extrêmement difficiles à observer et à détecter, même indirectement.

Selon certaines théories, des bosons ultra-légers pourraient se rassembler autour des trous noirs et réduire leur spin en raison de l'instabilité de la superradiance. La mesure du taux de TDE pourrait évaluer l'existence de ces particules. Un tel projet est à la portée du télescope Vera Rubin de 8.42 m (cf. D.Egaña-Ugrinovic et al., 2022).

La superradiance peut agir sur les photons sombres aussi bien que sur les photons ordinaires. Lorsque des photons sombres s'accumulent autour des trous noirs, ils peuvent être piégés et acquérir une énergie très élevée, où ils peuvent se transformer en d'autres particules et même se matérialiser sous forme de photons ordinaires.

Depuis des décennies, les physiciens étudient cet étrange phénomène, notamment parce que le processus de superradiance offre une possibilité d'observer directement la matière sombre si elle est constituée d'un boson ultra-léger (si les bosons de la matière sombre sont trop lourds, ils ne se rassembleront pas autour des trous noirs de la même manière, et le mécanisme de superradiance ne fonctionnera plus). En effet, sur bases des données sur les trous noirs, les astronomes sont parvenus à fixer une contrainte sur le nombre de photons sombres dans l'Univers.

La superradiance n'a pas encore été observée autour des trous noirs, ce qui signifie que les photons sombres pourraient ne pas exister. Mais une étude publiée en préimpression sur "arXiv" en 2022 par l'équipe d'Enrico Cannizzaro du Département de Physique de l'Université Sapienza de Rome remet en question ces résultats, affirmant que la situation peut être beaucoup plus complexe.

La plupart des études sur la matière sombre supposent qu'elle est constituée d'un seul nouveau type de particule, par exemple les axions. Mais certains chercheurs estiment qu'il n'y a aucune raison pour que l'univers de la matière sombre ne soit pas aussi complexe et aussi riche que celui de la matière ordinaire. Contrairement aux travaux précédents, l'étude de Cannizzaro et ses collègues suppose l'existence de deux matières sombres différentes : une composante similaire aux photons sombres (un boson) et une autre correspondant à une nouvelle particule (par exemple un électron de matière sombre).

Les chercheurs ont découvert que les interactions entre les différents types de matière sombre peuvent perturber le processus de superradiance, empêchant ainsi les photons sombres d'être stimulés et de s'échapper du trou noir. Au lieu de cela, au cours de leur révolution autour du trou noir, ils pourraient continuer à frapper les autres espèces de particules de matière sombre, réduisant leur niveau d'énergie.

Concrètement, cela signifie que nous ne pouvons pas prendre les limites observées pour argent comptant. Ce n'est pas parce que les astronomes n'ont pas vu de superradiance que cela signifie nécessairement que les photons sombres n'existent pas. Cela pourrait simplement signifier que la physique de la matière sombre est beaucoup plus compliquée que nous ne le pensons.

Nous verrons que la matière sombre est également une candidate idéale pour expliquer la formation des trous noirs supermassifs dès la naissance de l'Univers.

A présent que nous avons décrit la structure, les paramètres et les rayonnements d'un trou noir, décrivons quelques-unes de ses plus étonnantes propriétés.

Prochain chapitre

L'évaporation des trous noirs

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[13] Lire l'article de Thibaut Damour et Remo Ruffini (1975) décrivant la manière dont l'énergie électromagnétique peut s'extraire grâce à la polarisation du vide en créant des jets et des sursauts gamma et celui de Thibaut Damour (1978) sur les courants turbulents des trous noirs.

[14] Consultez le livre "The Formation and Disruption of Black Hole Jets", s/dir Ioannis Contopoulos, Springer Int'l Publ., 2015, dont le chapitre 1 écrit par D.Lynden-Bell consacré aux jets. Lire également les articles de Waggett et al. (1977), Lynden-Bell (1978, voir aussi 2003), Cohen et Readhead (1979), Blandford et Payne (1982), Appl et Camenzind (1993), Ouyed et Pudritz (1999), Gammie et al. (2003).


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