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La faculté d'adaptation
Les slimes, les inclassables (IV) En 1973, une habitante du Texas découvrit une masse jaunâtre près de son habitation. La femme avait appelé les pompiers et la police qui ont brûlé la "chose avant de... lui tirer dessus, sans résultat !" Plusieurs heures plus tard, la masse informe avait doublé de volume. On sait aujourd'hui que ces colonies à l'aspect visqueux comme le spécimen présenté à droite sont des "slimes" (qui signifie également vase, substance visqueuse en anglais) également appelées "blob" par référence au film de fiction. La slime ou blob n'appartient à aucun règne connu, ni animal, ni végétal, ni champignon ou lichen. Cet étrange organisme a tout de même été classifié parmi les protistes; c'est une espèce primitive de cellule eucaryote. Comme la majorité des espèces vivantes à l'exception des végétaux chlorophylliens et quelques bactéries, les slimes sont hétérotrophes; elles ne peuvent pas synthétiser leurs constituants et doivent compter sur un organisme vivant pour se nourrir de matière organique préexistante. Il existe plusieurs espèces ou lignées de slimes : - les slimes plasmodiales (myxomycètes, c'est-à-dire des cellules uniques à plusieurs noyaux) dont la masse cytoplasmique appelée plasmode est enfermée dans une membrane souple sans cloisement interne. Elle finit par se cloisonner en noyaux individuels pour former des spores. La plus commune des slimes est la Physarum. Elle ressemble à une mousse ou une éponge jaune et visqueuse constituée d'une seule cellule géante (contre ~30 trillions chez les humains) contenant des milliers de nuclei. - les slimes cellulaires (dictyostélidés) qui sont des groupes unicellulaires qui collaborent pour former des structures fructifères pour disperser leurs spores. - les protostélidés qui produisent de petits organes de fructification dotés de tiges cellulaires. Les deux dernières variétés de slimes sont présentées ci-dessous. A voir : Slime Molds, Biology LibreTexts
Les slimes plasmodiales tissent des réseaux et se déplacent comme des amibes engloutissant des bactéries (contrairement aux champignons, qui digèrent les aliments à l'extérieur). Cette masse informe est mobile et peut parcourir ~1 cm/heure. Observée au microscope, des chercheurs ont découvert que ce sont les mouvements du fluide dans son protoplasme qui permettent à la slime d'avancer, y compris sur les parois verticales (troncs et murs) et de s'adapter aux formes les plus diverses. Selon l'éthologue Audray Dussutour du CNRS à Toulouse et ses collègues qui étudient le blob depuis plusieurs années (cf. A.Dussutour et al., PRS B, 2016), la slime Physarum n'a pas de bouche, ni d'estomac ni de cerveau, pas d'organe des sens et pourtant elle se nourrit, sent son environnement et est capable de résoudre des problèmes. Les slimes se nourrissent de matière organique, de bactéries et de champignons et vivent près de leur source de nourriture. Elles vivent à l'abri du rayonnement solaire direct - comme les humains, elles craignent les UV - sous les feuilles et dans les substrats humides. Elles sont communes sur le couvert forestier et les grumes en décomposition. Une seule forêt peut abriter une cinquantaine d'espèces de myxomycètes. Elles ne s'exposent à la lumière que lorsqu'elles cherchent de la nourriture en tissant leur réseau tentaculaire ou lorsqu'elles fructifient lors de la reproduction en formant des spores. Cultivée en laboratoire, partant d'un rayon de 1 cm, si on nourrit une slime Physarum de flocons d'avoine, elle double de taille tous les jours et finit par couvrir une surface de 17 m2 quinze jours plus tard ! Comme les champignons, lorsque les conditions deviennent défavorables, que ce soit par manque de nourriture ou par manque d'humidité, les slimes se déssèchent et se transforment en sclérote, un état dormant dans lequel elles peuvent rester des années jusqu'à ce que les conditions redeviennent favorables. D'autres variétés forment des spores.
Le
blob, une intelligence sans cervelle ? A écouter : Le blob, un amibozoaire qui vous veut du bien, France Culture, 2019
La slime n'est ni mâle ni femelle mais dispose d'un éventail de 720 types sexuels. Alors que chez les humains le déterminant sexuel repose sur les chromosomes X et Y, la slime possède trois sites génomiques offrant respectivement 15, 16 et 3 possibilités d'allèles bien que tous ne soient pas compatibles. Chaque noyau cellulaire de la slime produit une spore ou semence; autrement dit c'est tout l'organisme qui entre en reproduction. La slime a un cycle de vie diplontique (par référence au stade diploïde) : le stade diploïde est généralement multicellulaire et suivi par la méiose qui produit des gamètes haploïdes. Lors de la fécondation, elles fusionnent pour former un zygote diploïde qui se divise pour donner un organisme diploïde multicellulaire. Particularité des slimes, si leur durée vie peut atteindre 15 mois en laboratoire, elles sont sensibles aux conditions environnementales, à la température, à la sécheresse, à l'acidité, aux polluants, et bien sûr au manque de nutriments. En fin de vie, la Physarum jaune devient brunâtre, elle vieillit suite au stress oxydatif, elle ne se nourrit plus, se déssèche et meurt. En forêt par exemple, du fait qu'elle a également des prédateurs, sa durée de vie ne dépasse pas quelques mois. En revanche, si en fin de vie on déclenche sa dormance, la slime se transformera en sclérote. Si on la réveille quelques mois plus tard en l'humidifiant et avec un peu de nourriture, tout son organisme sera régénéré, comme si on avait remis son compteur biologique à zéro. C'est une faculté extraordinaire que les scientifiques cherchent à comprendre. Selon Jonatha Gott de l'Université Case Western, la slime est particulièrement attrayante pour la recherche sur les médicaments contre le cancer car elle fournit aux chercheurs plusieurs échantillons identiques en même temps. De plus, contrairement à d'autres organismes, son génome contient un nombre inhabituellement élevé de corrections qu'il réalise pendant la phase d'édition de son ARN. Le résultat de la copie de son ADN est également extrêmement précis car s'il ne le fait pas, l'organisme meurt. Cet organisme a une manière vraiment étonnnante d'exprimer ses gènes. La slime ne craint ni le feu ni l'eau. Plus étonnant, on a découvert que si on coupe une slime plasmodiale en deux, elle cicatrise en deux minutes et reforme une seule masse. Chaque moitié peut aussi continuer de croître indépendamment et les noyaux dans chaque moitié continuent de se diviser et de se développer en synchronisation. Elle peut également vivre à l'abri de la lumière. C'est une variété de slime plasmodiale, accompagnée de cyanobactéries, qui colorent les berges du fameux lac du Grand Prismatic Spring et de Mammoth Hot Spring dans le parc national de Yellowstone.
Autre surprise, certaines espèces sont capables de se nourrir de métaux lourds tels ceux libérés par l'industrie et d'autres produisent des antibiotiques et des antifongiques, des facultés qui pourraient s'avérer utiles pour lutter respectivement contre la pollution et les infections. Les slimes et autres myxomycètes s'adaptent à leur environnement au point que les espèces se comportent différemment d'une région du monde à l'autre. Leur distribution spatiale dépend des conditions climatiques et des biotopes (couverture végétale) mais également des différences écologiques locales (cf. S.Stephenson et al., 2007). Même au sein d'une même espèce, soumises au même problème, dix slimes peuvent le résoudre de dix manières différentes, notamment en s'y adaptant, en l'évitant ou en le fuyant. Bien que le sel lui soit délétère, elle peut s'en accomoder. Des tests en laboratoire ont montré que si on sepoudre un pont conduisant à sa nourriture avec du sel, si au début elle met des heures pour parcourir 1 cm, au bout de 5 jours elle s'est accomodée et finit par atteindre sa nourriture aussi vite que la slime de contrôle. Bien que la slime soit dépourvue de cerveau, elle peut résoudre des problèmes et se souvenir, notamment grâce à un mucus qu'elle laisse trainer derrière elle. Elle peut également transmettre ce qu'elle a appris à un partenaire en fusionnant avec lui. En effet, des tests effectués sur des milliers de slimes ont montré qu'elle peut transférer ses connaissances à une autre slime. On peut même lui injecter le souvenir des effets du sel et toutes les générations s'en souviendront. Révélateur de son génie, la slime peut étabir des réseaux optimisés. Cet organisme primitif qui n'a même pas de cerveau ni de pattes et ne voit pas son environnement est capable d'aider l'homme à optimiser ses systèmes technologiques comme par exemple son réseau ferrovière comme le montrent les deux expériences ci-dessous (en vidéo) ! En recherche fondamentale, des chercheurs étudient la manière dont l'information est encodée dans la slime. On sait qu'elle présente un cycle de vie avant d'entrer en dormance et développe une activité électrique qui fluctue en fonction de ce cycle et de son activité. En étudiant ces mécanismes, les chercheurs espèrent un jour comprendre "l'intelligence cellulaire" et pourquoi pas développer des robots intelligents aussi géniaux que les blobs.
A voir : Trans-Canada
Slimeways Tokyo rail network designed by Physarum plasmodium
Enfin, comme on le voit ci-dessus, on a découvert plusieurs slimes fossilisées dans de l'ambre datant respectivement de 35, 40 et dernièrement de ~100 millions d'années (cf. J.Rikkinen et al., 2019; G.Poinar/F.Vega, 2021). Les chercheurs furent surpris de découvrir de si vieux spécimens d'un genre vivant encore aujourd'hui (bien que les espèces étudiées sont éteintes aujourd'hui). Cette découverte fournit des informations uniques sur la biodiversité et la longévité des adaptations écologiques des eucaryotes plasmodiaux comme les myxomycètes. Selon Rikkinen "Nous interprétons cela comme une preuve d'une forte sélection environnementale. Il semble que les slimes qui propagent de très petites spores à l'aide du vent aient un avantage". En effet, leur capacité à développer des stades de repos durables (sclérotes) dans leur cycle de vie contribue probablement également à la remarquable similitude de ces fossiles avec ses plus proches parents actuels. Aujourd'hui, on dénombre plus de 900 espèces de slimes qui se différencient par leur rapport protéine/sucre mais on estime qu'il pourrait exister 10000 espèces de myxomycètes. Des blobs à bord d'ISS ou le rôle éducatif du blob Les slimes plasmodiales sont très connues et très médiatisées, notamment en France grâce à Audray Dussutour qui est autant passionnée par les blobs que par son désir de transmettre sa passion au public et en particulier aux étudiants. En 2021, la chercheuse proposa aux écoliers de 4500 établissements français le projet "Élève ton blob" (cf. Facebook) tandis que le CNES en partenariat avec le CNRS négocièrent avec la NASA pour emporter une colonie de blobs à bord de la station ISS que va étudier Thomas Pesquet pendant la mission Alpha (cf. le décollage de la fusée sur YouTube). Le but est de conduire en parallèle et pendant 7 jours une expérience sur les blobs au sol et en impesanteur et de comparer les observations. A voir : Elève ton blob durant la mission Alpha, CNES, 2021 A acheter : Blobshop - Kit de culture de Blob Le protée, amateur de grottes Parmi les organismes plus complexes, en Slovénie en 1989 des chercheurs ont découvert le protée (Proteus anguinus) présenté ci-dessous, un batracien ressemblant à une salamandre cavernicole, dépigmenté et muni d’une grande gueule plate. Avec ses allures de petit diable blanc et aveugle, ses pattes antérieures graciles et sa collerette externe de branchies, sa découverte avait effrayé la population locale et certainement mis mal à l'aise bien des téléspectateurs émotifs. Mais ce petit animal est capable de jeûner 4 ans et pourrait, semble-t-il, vivre 100 ans... En fait il a dû s'adapter à cet environnement voici quelque 30 millions d’années suite à un évènement géologique qui engloutit son biotope. Le protée ne pourrait pas vivre ailleurs et est parfaitement adapté à ce milieu a priori inhospitalier. Depuis cette découverte les chercheurs sont parvenus à créer une nouvelle espèce de protée dont les yeux sont fonctionnels. Protée
dans la grotte de Choranche dans le Vercors (F)
Notons qu'il existe des protées en France. En effet, afin de préserver l'espèce qui est en voie de disparition, il fut introduit dans la grotte de Choranche, dans le Vercors (voir la vidéo ci-dessus). Vivre dans les roches Nous savons que la litière et l'humus de nos champs et forêts contiennent des millions de bactéries au mètre carré. C'est en 1926 que pour la première fois des microbiologistes découvrirent des bactéries au fond de puits de pétrole dans l'Illinois, mais leur découverte n'a pas été prise au sérieux pendant plusieurs décennies (cf. E.S. Bastin et al, 1926). Ce n'est que dans les années 1950 que des microbiologistes firent une série d'expériences sous la couche sédimentaire du fond du Pacifique et découvrirent l'existence de "populations de bactéries allant de quelques centaines à quelques milliers de grammes dans les sédiments pélagiques [...] leur abondance diminue avec la profondeur" (cf. Morita et ZoBell, 1953). Puis, comme nous l'avons expliqué, à partir de 1977 les chercheurs découvrirent les premiers évents hydrothermaux au large des îles Galápagos où tout un écosystème prospérait en l'absence de toute lumière, y compris un grand nombre de bactéries. Dans les années 80 et 90, les scientifiques ont rassemblé de nouvelles preuves qu'il existait de la vie dans les roches situées sous les continents et sous les océans et qu'il ne s'agissait probablement pas du résultat des seules réactions abiotiques. Autrement dit, des microbes étaient parvenus à s'adapter et à vivre dans les roches. Aujourd'hui, les chercheurs estiment que tous les micro-organismes vivant dans le sol pèsent plus que tous les organismes vivant en surface ! En 2018, des chercheurs membres du Deep Carbon Observatory ont estimé que la vie profonde représente une masse de 15 à 23 milliards de tonnes de carbone soit 245 à 385 fois plus que celle de tous les êtres humains réunis ! Selon Virginia Edgcomb, microbiologiste marine à l'Institut de Woods Hole (WHOI), on estime le nombre de microbes vivant sous terre à environ 1030 cellules, un ordre de grandeur supérieur au nombre de microbes supposés vivre dans le sol ou dans l'océan, ce qui captiva l'attention des microbiologistes.
Le domaine situé sous le fond marin peut être divisé en deux régimes distincts : les sédiments et la roche. Le premier comprend la boue et les détritus qui s'accumulent au fond de l'océan. Cette couche présente la structure d'une éponge dense. Bien que 90% de son poids soit constitué d'eau, rien ne peut la traverser efficacement; des fluides et des composés chimiques y diffusent lentement. Les cellules microbiennes y sont enterrées ainsi que toute matière qu'elles pourraient utiliser comme source d''énergie. Dans les zones peu profondes, en particulier près des côtes où les nutriments sont plus abondants, cette vie enfouie prospère. Des millions voire un milliard de bactéries peuvent exister dans 1 cm3 de sédiment. À mesure que les chercheurs creusent plus profondément, ils trouvent moins de cellules. Pourtant, on en trouve encore.
L'écorce terrestre malgré les hautes pressions qu'elle subit est également un milieu sinon propice où l'on trouve certaines formes de vie. Cette découverte étonna tous les scientifiques. En effet, dans les années 1990 des géologues et des microbiologistes embarqués à bord d'un navire d'exploration japonais ont foré jusqu'à 2.5 km sous le plancher océanique, lui-même situé à 1.2 km sous la surface et ont remonté des carottes de roche. Ils ont découvert des microbes jamais observés auparavant vivant dans une couche de sédiments vieille de 20 millions d'années. D'autres équipes ont découvert des bactéries vivant jusqu'à 3.2 km de profondeur dans les interstices, les fractures et les pores des roches continentales terrestres. Dans les années 2010, des chercheurs du WHOI et de l'Université Tongji en Chine ont également découvert des bactéries extrêmophiles vivant jusqu'à 750 mètres dans des fissures de gabbros sous le plancher de l'océan Indien (cf. V.P.Edgcomb et al., 2020). Par endroit leur densité est proche de 2000 cellules/cm3. Ces organismes comprennent des Chroococcidiopsis, des cyanobactéries extrémophiles et des Pseudomonas connues pour les nombreuses façons de métaboliser l'énergie. Certains parmi ces extrêmophiles sont autotrophes, ils produisent leur propre nourriture, comme le font les plantes en photosynthétisant la lumière du Soleil. Ce sont les mêmes micro-organismes qui métabolisent le méthane à 80 cm de profondeur sous la surface du désert aride d'Atacama au Chili (cf. K.A.Warren-Rhodes et al., 2019) ou que les cyanobactéries qui utilisent l'hydrogène dans la roche terrestre (cf. F.Puento-Sánchez et al., 2019). L'analyse des activités enzymatiques, des biomarqueurs lipidiques et des expressions génétiques a permis aux chercheurs de déterminer que certains micro-organismes dépendent de la décomposition de la matière organique pour leur subsistance. Ils se nourrissent probablement de fragments de molécules organiques, tels que des fragments d'acides aminés et des traces de graisses s'infiltrant dans l'eau via des fissures dans la croûte océanique. Certains micro-organismes ont également la capacité de stocker du carbone dans leurs cellules tandis que d'autres peuvent l'extraire de PAH (des molécules d'hydrocarbures polyaromatiques). Y trouvant très peu de ressources, ces micro-organismes présentent un métabolisme très lent au point qu'on estime qu'ils pourraient survivre 10000 ans ! En Afrique du Sud, dans la mine de Béatrix, au fond d'un puits profond de plus de 2 km, Gaetan Borgonie du CNRS et des collègues ont tenu le pari de découvrir non seulement des bactéries mais également des micro-organismes pluricellulaires. Personne ne les croyait. Et de fait, entre 400 et 500 m de profondeur, là où du gaz carbonique fut injecté et où la nourriture est très rare, les chercheurs ont découvert à l'intérieur et autour des trous de carottage forés dans la roche des biofilms constitués de bactéries filamenteuses blanches autothrophes. On retrouve les mêmes genres de bactéries dans des grottes (cf. M.Cappelletti et al., 2019).
Après avoir laissé pendant plusieurs mois un système de filtration dans ces tubes de carottage pour recueillir tout ce que l'eau d'infiltration transportait comme substance, les chercheurs ont découvert que cette eau contenait des nématodes, une espèce de vers plat sans anneaux. Un peu plus loin, toutes les fissures rocheuses aussi petites soient-elles, contenaient également ces biofilms. Des échantillons observés au microscope montrent que ces colonies bactériennes attirent les nématodes. Mais de quoi se nourrissent ces micro-organismes ? Les nématodes se nourrissent de bactéries. Quant aux bactéries, l'eau qui suinte de la roche produit une réaction produisant de l'hydrogène. En présence de gaz carbonique, l'hydrogène forme des molécules organiques complexes comme le méthane dont se nourrissent ces bactéries. Notons que ce sont des bactéries similaires (Thiolava veneris) qui furent découvertes autour des volcans sous-marins (cf. R.Danovaro et al., 2017). Mais au lieu de métaboliser le méthane, elles métabolisent les composés sulfureux. Se nourrir de roches Quand on évoque un organisme capable de se nourrir de roches, de minéraux, on imagine une créature extraterrestre. Mais en réalité, il en existe au moins une sur la Terre ! Un nouveau genre de ver appelé Lithoredo abatanica de couleur blanche, translucide et visqueux a été identifié dans de petits tunnels larges comme un pouce creusés dans les roches et les berges calcaires dans un segment de la rivière Abatan, à Bohol, aux Philippines où il altère et mange les roches. Ces cavités servent également d'habitats pour d'autres espèces (cf. D.L. Distel et al., 2019). Repéré pour la première fois en 2006 mais seulement étudié en détail des années plus tard, L. abatanica est si particulier que les chercheurs ont dû créer un nouveau genre pour le classifier. Contrairement à ses cousins xylophages comme les mollusques tels que les vers de mer (shipworms) ou les bivalves comme le taret (Teredo navalis) qui consomment généralement du bois, cette espèce ronge et consomme du calcaire. Mais elle ne possède pas de tube digestif, juste une gueule munie d'une palette légèrement dentelée et un intestin, ni des mêmes bactéries symbiotiques produisant des enzymes digérant la lignine que ces cousines et ne consomme pas beaucoup de nourriture. Elle semble assurer son métabolisme en comptant sur d'autres bactéries résidant dans ses ouïes qui lui procurent des nutriments. A
voir : Snippet: Shipworms that eat rocks
Malgré son comportement inhabituel, les scientifiques ne savent pas pourquoi cette petite créature vit dans ces conditions extrêmes car elle ne semble pas tirer de bénéfice nutritionnel des minéraux qu'elle ingère. Nous savons que les bouquetins ou les condors peuvent vivre à très haute altitude dans des région où l'air est jusqu'à 30% moins riche en oxygène et les sols semi-désertiques. L'homme parvient pour sa part après une longue adaptation à travailler en bordure du lac Titi-Caca situé à 3812 m d'altitude et atteint avec difficulté le sommet de l'Everest à 8846 m où il préfère écourter son séjour en raison de la raréfaction de l'air et du froid intense qu'il y règne. Par ailleurs il y a peu sinon aucun avantage à vivre à de telles altitudes. Disposant de moitié moins d'oxygène, les populations du lac Titi-Caca ont vu leur sang se gorger d'hémoglobine pour assurer un meilleur transport de l'oxygène à travers l'organisme. Plus haut les sols sont complètement dénudés et asséchés par le climat d'altitude. Ces phénomènes alliés au froid, à la raréfaction de la végétation et de la faune, rendent ces régions Andines mais également les montagnes Rocheuses, Himalayennes ou Alpines très inhospitalières. Si Sir Hillary pouvait avoir les cheveux aux vents sur le toit du Monde en raison de la proximité du courant jet Himalayen, on peut se demander si des bactéries emportées par les vents ne pourraient pas survivre dans les nuages qui évoluent à de telles altitudes ou si elles pourraient survivre encore plus haut.
En 2000, Birgitt Sattler de l'Université d'Innsbruck en Autriche découvrit des bactéries vivant et se multipliant dans les nuages. C'est en analysant des gouttelettes d'eau récoltées au sommet du Mont Sonnblick dans les Alpes autrichiennes que les chercheurs ont découvert ces étonnantes bactéries inconnues. Les échantillons récoltés contenaient jusqu'à 1500 bactéries par millilitre d'eau et se présentaient sous deux formes : des bâtonnets et de longs filaments. Depuis, d'autres études ont confirmé que les aérosols et notamment le sable emporté par les vents contient jusqu'à un million de microbes par gramme. On ignore aujourd'hui quel peut-être le rôle de ces microbes dans la biosphère. Mais d'un côté, nous avons les preuves qu'il n'est pas sans conséquences sur le corail (voir plus bas) et leur présence expliquerait également la propagation des maladies d'un continent à l'autre. On y reviendra dans l'article Des milliards de microbes nous tombent du ciel. D'autre côté, nous savons que la haute atmosphère contient des composés oxygénés appelés carbonyles qui, lorsqu'ils sont exposés à la lumière participent à la fabrication de l'ozone atmosphérique. Or selon Daniel Jacob de l'Université d'Harvard ces molécules se dissocient rapidement et ne peuvent pas vivre suffisamment longtemps pour être portées par les vents du sol jusqu'aux nuages où elles agissent.
La question qui se pose est de savoir si les bactéries découvertes par Sattler ne pourraient pas les fabriquer sur place ? En effet, dès 1998 et les recherches de l'Ecossais Tim Lenton, les scientifiques ont suggéré que les bactéries contenues dans l'atmosphère pourraient servir de noyaux de condensation à l'eau, assurant la formation de petits cristaux de glace. On sait par ailleurs que les bactéries terrestres Pseudomonas syringuae participent à la cristallisation de l'eau très froide (on les connaît aussi pour provoquer des maladies chez les tomates). Si leur proche parents vivent dans les nuages, cela relance l'idée d'inséminer les atmosphères de Mars ou de Vénus afin de leur rendre vie ou d'envisager sérieusement une forme de vie dans les atmosphères des planètes géantes dépourvues de surface solide. L'Harmattan tueur de corail Cette hypothèse s'est trouvée renforcée en 2002 par des recherches effectuées par le microbiologiste américain Dale Griffin de l'USGS. On s'est demandé longtemps pourquoi les coraux des Caraïbes blanchissaient et mouraient sans raison apparente, le milieu étant en parfait équilibre.
Après avoir effectué des analyses sous-marines et atmosphériques on a trouvé semble-t-il une corrélation entre cette mortalité et les grandes tempêtes de sable Saharienne. En effet, en 1983 l'Harmattan d'Afrique occidentale souffla sur l'océan Atlantique nord de grandes quantités de sable se chiffrant en milliards de tonnes (localement les nuages de sable peuvent présenter une densité dépassant 6000 mg/m2). Peu de temps après on observa la mort subite des oursins diadème sur l'île de la Barbade. Des plongeurs ont même retrouvé une couche de sable ocre provenant du Sahara dans une grotte engloutie dans les Bahamas, preuve que ces tempêtes de sable existent depuis des dizaines de milliers d'années. Ce sable serait même à l'origine de l'extension des Bahamas (cf. P.K.Swart et al., 2014). En 1989, une nouvelle tempête de sable visible sur les images satellites fut associée au blanchiment du corail aux Antilles. Ces phénomènes se répètent régulièrement. On y reviendra en météorologie à propos des vents locaux et des nuages de sable. Les analyses microscopiques ont révélé que les grains de sable africains emportés par les vents contenaient plus de 200 bactéries et près de 100 champignons indigènes différents ! Occasionnellement ces microbes pathogènes peuvent traverser l'Atlantique et empoisonneraient ainsi les écosystèmes à plus de 7000 km de distance ! C'est en tous cas une bonne théorie pouvant expliquer comment des champignons africains se sont retrouvés aux îles Vierges et se sont attaqués au corail. Sachant que localement les nuages de sable contiennent plus de 3000 mg de sable/m2 et qu'un grain de sable de 1 gramme contient 1 million d'organismes, une grande tempête de sable des milliards de milliards de milliards d'individus mortels pour les écosystèmes les plus fragiles. Même la perte de 90% de cette population en cours de route (par manque de nourriture, en raison du froid, des rayons UV, etc) laisserait suffisamment de germes pathogènes dans l'atmosphère pour détruire tout un écosystème en quelques mois. A lire : Coral Mortality and African Dust Les bactéries comme variable météorologique Parallèlement à cette étude Parisa Ariya, chimiste de l'atmosphère à l'Université McGill au Canada, a également découvert que ces micro-organismes étaient présents par milliards dans l'atmosphère et jusqu'à plus de 60 km d'altitude. En tant que météorologiste, elle s'est demandée si ces bactéries ne jouaient pas un rôle dans le climat. En effet, jusqu'à présent on a sous-estimé le rôle des bactéries en météorologie, or elles sont présentes dans toute l'atmosphère y compris dans les nuages. Comme on l'a vu, elles peuvent donc servir de noyaux de condensation et participer activement à la formation des nuages et des précipitations. Les chercheurs canadiens effectuent actuellement des études pour incorporer ces micro-organismes dans les modèles climatiques afin de vérifier s'ils y jouent un rôle prédominant : les bactéries aéroportées influencent peut-être la dissémination des maladies, la formation des nuages, voir carrément le climat. Si leur présence permet d'affiner les prévisions météos, la preuve sera apportée. Sans oxygène et sans atmosphère Parmi les astrophysiciens défendant la vie extraterrestre, feu Carl Sagan et Edwin Salpeter de l'Université de Cornell se fondèrent sur les critères submentionnés pour étudier les effets sur la vie des conditions sévères que l'on connaît sur d'autres mondes. Leurs études ont confirmé que la vie peut parfaitement subsister dans une atmosphère très hostile. Des exobiologistes ont montré que des micro-organismes et même certaines variétés de cactus peuvent vivre dans une atmosphère comme celle de Mars, à de très basses températures et virtuellement privés d'oxygène et d'eau. On découvrit même un streptocoque sur l'une des caméras de la sonde Surveyor 3 laissée sur la Lune et récupéré par les astronautes d'Apollo XII : il avait survécu pendant deux ans aux rigueurs lunaires, irradié par les ultraviolets et bombardés de rayons cosmiques. Mais sans oxygène, même sans atmosphère et placées dans le vide, certaines plantes peuvent produire leur propre atmosphère, tandis que certaines algues marines, les laminères, sont en mesure d'accumuler leur propre réserve d'oxygène entre les cellules distendues de leur organisme, pendant que d'autres accumulent le gaz carbonique. Certaines araignées aquatiques telle l'argyronète ou araignée scaphandrier stocke l'oxygène vital dans d'énormes bulles d'air qu'elle maintient dans sa toile sous la surface de l'eau. L'homme n'a pas inventé le bathyscaphe ! Cliquer ici pour lancer une séquence Real Audio (.RAM de 45 Kb) sur l'argyronète préparée par TeleQuebec. D'autres insectes emportent leur réserve d'air sur le dos, tels les hémiptères ou les dytiques.
Enfin, aux Etats-Unis, les mouches d'Alcali (Ephydra hians) vivant autour du lac Mono en Californie sont couvertes de poils, y compris sur la tête. Elles profitent de cette adaptation pour plonger dans l'eau, les bulles d'air emprisonnées entre leurs poils leur servant de réserve d'oxygène. S'il est vrai que sans oxygène libre la vie est généralement impossible, il est des êtres qui peuvent s'en passer : les organismes anaérobies dont plusieurs espèces de bactéries. Ainsi la levure de bière trouve en l'absence totale d'oxygène l'énergie nécessaire à sa survie dans la fermentation alcoolique qu'elle provoque par oxydo-réduction. En 2010, l'équipe de Roberto Danovaro de l'Université polytechnique des Marches en Italie découvrit trois espèces de métazoaires (des Spinoloricus cinziae de la famille des loricifères) dans les abysses de la Méditerranée vivant en anaérobie. Ces organismes vivent par 3000 m de profondeur, dans une couche d'eau hypersaline et chargée en sulfures toxiques. Parmi ces loricifères certains portaient des oeufs non fertilisés. Analysés au microscope, ces organismes n'abritent pas de mitochondries, la centrale énergétique de tous les organismes consommant de l'oxygène, mais des hydrogénosomes qui permettent la synthèse d'ATP d'une manière analogue à l'oxygène. N'en sachant pas plus sur ces organismes, leur mode de fonctionnement reste une énigme.
Sans ADN mitochondrial Il existe un animal, certes minuscule, dépourvu d'ADN mitochondrial (ADNmt) et capable de vivre sans oxygène : Henneguya salminicola, un cnidaire anaérobie de la même famille que les méduses et parasite de certains poissons (saumons) et vers. C'est le premier animal connu qui ne possède pas d'ADNmt. Son étude a fait l'objet d'un article publié par le microbiologiste Stephen D. Atkinson de l'Université d'état d'Oregon et ses collègues dans les "PNAS" en 2020. Cette découverte est intéressante pour l'aquaculture notamment car cela permettra aux chercheurs de mieux lutter contre ces parasites anaérobies pour lesquels il existe déjà quelques médicaments spécifiques. En marge de cette découverte, ce cnidaire dépourvu d'ADNmt soulève la question de l'origine des mitochondries et par voie de conséquence de la respiration aérobie. Dans cet ADNmt se trouve justement les gènes responsables de la respiration mitochondriale. Or la grande majorité des organismes eucaryotes ne peuvent pas survivre sans oxygène. Pour y remédier, des unicellulaires eucaryotes comme certains loricifères précités ont délaissé la respiration mitochondriale et vivent sans oxygène.
L'oxygène : quand un poison devient source de vie Paradoxe de l'évolution, l'oxygène fut un gaz mortel le jour où la nature le produisit à partir de l'activité microbienne des stromatolites dans la mer primitive il y a 3.8 milliards d'années. Aujourd'hui, malgré les apparences l'oxygène est toujours toxique en raison de son rôle d'oxydant; c'est un désinfectant et un germicide quand il dégage son gaz dans l'eau oxygénée (le peroxyde d'hydrogène, H2O2) ou dans l'eau de Javel (NaClO). Mais les organismes ont trouvé une parade géniale pour l'utiliser dans une fonction essentielle : la respiration. A malin, malin et demi. L'oxygène a la propriété de séparer les composés organiques, libérant les atomes individuels des gaz organiques ou des hydrocarbures. Pour ne pas être détruit par l'oxygène, la vie dû s'adapter. Soit elle se résignait à combattre ce gaz, soit elle trouvait une parade pour l'utiliser, le consommer. L'oxygène fut donc utilisé par les processus métaboliques.
Aujourd’hui encore toutes les cellules ne sont pas autonomes. Les cellules modernes se divisent en deux familles : les autotrophes qui se suffisent à elles-mêmes et trouvent dans la matière inorganique et le rayonnement solaire toute la matière nutritive dont elles ont besoin. Elles rassemblent les algues bleues, les algues vertes, les bactéries photosynthétiques pourpres et les plantes; les cellules hétérotrophes rassemblent toutes les autres cellules. La plupart des bactéries et des animaux sont incapables de synthétiser les substances nécessaires à leur métabolisme à partir de la matière inorganique. Ils doivent donc vivre en collaboration avec un organisme qui leur fournira l’énergie à partir de l’oxydation du glucose par exemple. On voit donc que la conquête essentielle de l'évolution des êtres vivants fut la capacité de dégager de l'énergie et de l'exploiter dans les échanges moléculaires. Le processus de la respiration transforme l'oxygène à des fins énergétiques pour les besoins des cellules (en particulier le travail musculaire) et rejette de l'eau et du gaz carbonique. Cette transformation dépend du milieu dans lequel l'oxygène se trouve et doit être dissout pour arriver jusqu'aux cellules (de l'air vers le sang chez l'homme). Pour l'utiliser, les organismes ont développé des organites spécialisées comme les branchies ou les poumons et un réseau sanguin d'alimentation. De nombreux cas intermédiaires existent dans la nature : les hémoglobines, la diffusion chez la méduse, les trachées des araignées ou des chenilles, les intestins des poissons d'Amazonie ou la surface de la peau du ver de terre. Etant donné que la chimie organique implique que le processus devait se faire à basse température pour éviter de détruire ses composants, les enzymes eurent pour fonction d'activer les molécules mises en présence. Ainsi face à du sucre (glucose), dont le potentiel énergétique est important, en présence d'oxygène les enzymes des mitochondries déclenchent les réactions fondamentales de la respiration.
Du poisson à l'homme en passant par le ver de terre, aujourd'hui nous sommes tous avides d'oxygène et ne pourrions pas nous en passer. Nous sommes la preuve vivante de l'évolution darwinienne. Quant au rayonnement ultraviolet, sachant qu'il est mortel pour tous les organismes car il casse les liaisons moléculaires, comment la vie s'y est-elle adaptée ? Dans les pages et dossiers précédents, nous avons expliqué qu'elle était, a posteriori, la composition originelle de l'atmosphère de la Terre. A partir de la composition actuelle de l'atmosphère, nous pouvons en déduire qu'elle fut son évolution antérieure. Aujourd'hui le rayonnement ultraviolet est peu intense car la Terre est protégée par la couche d'ozone. Sans ce filtre protecteur, les seules parades sont des boucliers de protection externes, comme la carapace, ou internes, comme le bronzage et la pigmentation de la couche carnée. Mais il s'agit de protections apparues très tardivement dans l'évolution. Antérieurement, si la couche d'ozone n'existait pas, il n'y avait donc que deux alternatives : soit la vie s'adapta à sa présence, soit la vie n'apparut qu'une fois la couche d'ozone mise en place. La première solution s'élimine d'elle-même puisqu'au cours de l'évolution, il n'y a trace d'aucune forme de vie, aussi complexe ou rudimentaire soit-elle qui puisse subsister en sa présence : le rayonnement ultraviolet stérilise toujours les organismes. L'évolution fit donc en sorte que le monde soit climatiquement habitable avant de donner son feu vert à la vie. Celle-ci n'eut plus grand mal à se développer ensuite à partir des composés ammoniaqués et hydrogénés. Il faut dès lors reconnaître que l'éventail des niches biologiques terrestres relance le débat de la vie sur une planète où l'oxygène n'existe pas, où le rayonnement ultraviolet est modéré. On ne peut plus avancer l'idée que la vie n'existe pas dans ces conditions. La plupart des astres peuvent donc abriter une quelconque forme de vie et nous avons expliqué à propos de la contamination extraterrestre que Jupiter ou Mars peuvent convenir. Titan, Europe ou Io cache peut-être des formes de vie extrêmes. La vie n'existe peut-être pas au sol, mais dans les profondeurs de leur écorce ou dans des régions préservées de leur atmosphère dans le cas de Jupiter. Finalement, par leur abondance et leurs facultés d’adaptation, les bactéries ne sont-elles pas plus représentatives du monde vivant que notre orgueilleuse espèce humaine vieille d’à peine quelques millions d’années...? L'hydrogène comme source de vie L'hydrogène est l'élément le plus abondant dans l'univers, en particulier dans les nébuleuses et les étoiles formant les galaxies. L'hydrogène est un puissant agent réducteur qui réagit avec les oxydes et les chlorures de nombreux métaux. Il est extrêmement inflammable et explosif. L'être humain ne le supporte pas. En effet, si on respire des concentrations élevées d'hydrogène, il est nocif pour la santé. On peut éprouver des maux de tête, des vertiges, des nausées, perdre connaissance, voire même mourir. C'est donc un gaz toxique et même écotoxique puisque la grande majorité des organismes ne le supporte pas.
Pourtant certains organismes s'en accomodent. Selon une étude publiée dans la revue "Nature Astronomy" en 2020 par l'astrophysicienne Sara Seager du MIT et ses collègues, des microbes pourraient survivre et même se développer dans des atmosphères composées à 100% d'hydrogène, ce qui suggère que l'éventail des niches écologiques serait potentiellement beaucoup plus étendu qu'on ne le pense. Jusqu'à présent les exobiologistes (ainsi que les astrophysiciens, planétologues, biochimistes, climatologues, etc) estiment que les atmosphères planétaires dominées par l'hydrogène ne sont pas favorables au développement de la vie. En fait il existe peu d'études sur le sujet, à l'exception des micro-organismes connus pour dépendre de l'hydrogène pour survivre. Seager et ses collègues ont examiné dans quelle mesure deux micro-organismes pouvaient se développer en laboratoire dans une atmosphère composée à 100% d'hydrogène : la bactérie Escherichia coli aérobie et dépourvue de noyau et la levure, un champignon unicellulaire généralement anaérobie, qui en possède un. Les chercheurs ont découvert que les deux micro-organismes continuaient à se reproduire, passant de leur métabolisme préféré consommateur d'oxygène à des processus anaérobies moins performants. Seule différence, leur taux de croissance était plus lent dans les atmosphères d'hydrogène, peut-être en raison du manque d'énergie que les micro-organismes recevraient normalement de l'oxygène. La colonie de E. coli atteignit environ la moitié de la population qu'elle aurait eu dans l'air ordinaire, et les levures étaient des centaines de fois moins abondantes qu'elles ne l'auraient été autrement. Les chercheurs ont noté que même si E. coli est une bactérie relativement simple, elle pourrait produire 45 gaz différents tels que l'ammoniac (NH3) et le protoxyde d'azote (N2O). Les exobiologistes pourraient utiliser ces gaz comme signatures potentielles d'une activité biologique dans les atmosphères des exoplanètes. Elles s'ajoutent aux biosignatures existantes (oxygène, méthane, dérivés azotés, phosphine, etc). On y reviendra. Le mimétisme et le camouflage Parmi les stratégies de protection et de survie, il y a un principe que la plupart des animaux appliquent avec zèle : le mimétisme. Le mimétisme est la faculté d'un organisme à se confondre avec son environnement ou à imiter d'autres animaux pour augmenter ses chances de survie. Il existe deux stratégies ou méthodes : l'homochromie qui consiste à imiter la couleur d'un autre animal ou du milieu et l'homotypie qui consisteà imiter la forme d'un autre animal ou du milieu. Certains animaux exploitent les deux stratégies, notamment les insectes (phasmes, mantes religieuses, chenilles, etc) et certains poissons (hippocampes, etc). Le but de cette stratégie est de tromper un ou plusieurs sens d'un prédateur au moyen d'un subterfuge visuel, sonore, olfactif, gustatif ou tactile. A
voir : Le
camouflage de la chenille du baron Next Level Camouflage (Markia hystrix), David Weiller
Le mimétisme concerne avant tout le camouflage. Nous connaissons tous les facultés étonnantes du chaméléon ou de la pieuvre qui prend instantanément la couleur de son support, y compris des motifs géométriques, l'exemple de la mante religieuse ou du phasme dont la couleur ou la forme se confond avec celle de son environnement pour ne pas attirer l'attention, du plumage ou de la couleur des oeufs des oiseaux des zones humides qui se confond avec celle de leur environnement ou le pelage fauve, moucheté ou zébré des félins qui se confond avec la couleur et l'aspect de la savane, des bois ombragés ou des roches. Même stratégie de camouflage chez les rapaces. A lire : Camouflages et mimétismes en biologie sous-marine (PDF), Bruno Montiel
Le mimétisme peut aussi servir à imiter l'aspect d'un prédateur afin de détourner son regard ou l'effrayer. Ainsi nous connaissons le papillon Caligo (Caligo eurilochus sulanus) dont les ocelles noires cerclées de jaune rappellent les grands yeux des rapaces. Même principe chez les insectes, les nudibranches (limaces de mer), les poissons, les reptiles et les oiseaux notamment qui affichent parfois de grandes ocelles ou des motifs très colorés pour disuader les prédateurs, des signaux d'alerte colorés les prévenant parfois qu'ils ne sont pas comestibles (car ils renferment du poison). Le ronronnement des félins et des viverridés Le chat comme le guépard, la panthère noire et même la genette (viverridé) ronronnent lorsqu'ils sont au repos, près d'un être qu'ils affectionnent mais aussi lors d'une situation stressante. Ce ronronnement produit par les cordes vocales est induit par un signal neural dont le mécanisme est encore mal compris. Il est également déclenché par l'hypothalamus situé dans le cerveau qui secrète des endorphines. Ces hormones aident à calmer l'animal et le soulager en cas de douleur. Plus étonnant, le ronronnement émet une vibration de basse fréquence (~26 Hz) qui permet de solliciter les ostéoblastes, les cellules régénérant la matrice osseuse. C'est particulièrement important chez un sprinter comme le guépard dont le corps puissant et souple subit des accélérations et décélérations très rapides lorsqu'il chasse une proie avec parfois le risque de se féler ou se briser un os. Le ronronnement est donc à la fois un mécanisme de communication, de défense et métabolique qui veille à la survie de l'animal. Chez l'être humain, les vibrations que subit le corps sollicitent également le renforcement des os d'où l'avantage de pratiquer un sport dit porté comme la marche ou le basket plutôt qu'un sport auto-porté comme le cyclisme ou la natation qui sollicite peu les os et réduit la matrice osseuse. Rouge sang dites-vous ? Chez les mammifères, respiration et sang sont liés. Sans ce vecteur si particulier, les milliards de cellules que nous possédons mourraient, intoxiquées par les substances nocives, empêtrées dans leurs déchets et asphyxiées par manque d’oxygène. Au cours de l'évolution, le sang apparaît pour la première fois chez les annélides. Il constitue un liquide vecteur de l’oxygène, des éléments nutritifs et des déchets de toutes les cellules. Mais il se différencie peu de l’eau de mer bien qu’il participe à la régulation homéostatique, c’est-à-dire que sa composition et sa salinité sont déjà contrôlées. A
voir : A Tale of Two Species
- Blue Blood,
PBS Le sang bleu des limules
Chez les insectes, à notre grand étonnement le sang n’a pas de fonction respiratoire qui est assignée à d'autres organes. Leur sang permet le déploiement des ailes après la métamorphose de la nymphe par exemple, l'enroulement de la trompe du papillon et participe à certains mouvements du corps ou ne transporte que les nutriments. Chez les invertébrés le transport de l'oxygène peut être assuré par d'autres substances que les globules rouges et l'oxygène est souvent dissout dans le liquide plutôt que transporté par des globules. Le sang des vertébrés cumule toutes ces activités. Il participe également au contrôle de l’organisme en stoppant les hémorragies, réparant les coupures, en cicatrisant les plaies et en assurant la défense immunitaire. Le sang humain contient 55% de plasma, 45% de globules rouges et ~1% de globules blancs et de plaquettes. Il faut également savoir que la couleur rouge qui le caractérise n'a rien d'universel. Ce pigment est lié à l'hémoglobine des hématies qui renferme du fer. Les globules rouges ont un diamètre qui oscille entre 7 ou 8 microns chez l'homme et presque 0.1 mm chez le fameux protée (batracien). Le sang de la limule (Limulus sp.), du crabe royal (Paralithodes camtschaticus), des pieuvres, des calmars mais également des scorpions et des araignées est bleu lorsqu'il est oxygéné (sinon il est incolore) en raison de la présence d'hémocyanine qui contient un dérivé du cuivre. Rappelons qu'en raison de son utilisation intensive par l'industrie pharmaceutique, depuis 2018 la limule figure sur la Liste Rouge de l'IUCN des espèces vulnérables ou menacées d'extinction (cf. la biodiversité).
Chez certains annélides polychaetes (Eudistylia vancouveri) et beaucoup d'insectes comme le phasme le sang est vert car il est coloré par la chlorocruorine et ne véhicule que les nutriments; il est rose chez d'autres et jaune chez le papillon Lymantna mâle; enfin le sang du poisson des glaces (Champsocephalus gunnari) dont il existe au moins 120 espèces vivant dans les eaux Antarctiques est blanc et contient des protéines antigel (glycoprotéine) qui inhibent la formation des cristaux de glace. Le plantimal, ou quand le végétal rejoint l'animal et vice versa Il existe des formes de vie vraiment étonnantes qui ne sont plus tout à fait des plantes ni des animaux mais des hybrides. Nous connaissons un hybride naturel qui est même fécond (car généralement ils sont stériles) et un autre issu de l'hybridation artificielle. La limace de mer Elysia chlorotica Les limaces de mer sont des mollusques marins de l'ordre des Opisthobranches (différent de celui des nudibranches) qui portent leurs branchies sur le dos. Elles se nourrissent généralement d'anémones et d'oeufs de poissons.
L'une de ces créatures, Elysia chlorotica qui vit le long des côtes de l'Amérique du Nord se nourrit de l'algue Vaucheria litorea, une algue vert-jaune filamenteuse. Elle en extrait les chloroplastes (plastides) qui assurent la photosynthèse et les stocke dans ses muqueuses digestives où elles continuent à fonctionner. Cette particularité permet à l'E. chlorotica de continuer à vivre même en l'absence de toute nourriture protéinée animale. En effet, normalement les plastides contiennent des protéines codées par le génome de l'algue. Or dans ce cas-ci, des analyses ont montré que la limace a intégré ces gènes, notamment psbO, dans son propre génome ! Plus étonnant, ce matériel génétique a été transmis aux générations suivantes, l'E. chlorotica n'ayant plus besoin de se nourrir d'algues pour produire l'énergie dont elle a besoin ! Toutefois, les bébés limaces ne peuvent pas assurer leur propre photosynthèse tant qu'elles n'ont pas ingéré leurs premiers chloroplastes. Des expériences conduites par le biologiste Sidney K. Pierce de l'Université de Suth Florida à Tampa ont montré que même privée de nourriture, et à condition d'être exposée 12 heures à la lumière, l'E. chlorotica pouvait survivre pendant un mois uniquement grâce à la photosynthèse ! Cette faculté unique en son genre prouve qu'un transfert de gène est possible entre des règnes différents et prouve une fois de plus que les animaux et les plantes sont unis par leur ADN et appartiennent à la même famille des êtres vivants. Le Pétunea "Edunia" En 2009, l'artiste américain Eduardo Kac spécialisé dans les formes de communications et le Bio-art notamment présenta l'Edunia, une nouvelle fleur hybride issue du génie génétique, fruit du croisement de son ADN humain avec celui d'un Pétunia comme l'explique le schéma présenté ci-dessous. L'Edunia, contraction de Eduardo et Pétunia, fut exposé du 17 avril au 21 juin 2009 au Weisman Art Museum de Minneapolis puis à Paris et Vienne. L'Edunia est le résultat de 5 années de recherches en biologie moléculaire. Kac voulut créer un Pétunia hybride contenant un gène humain, dans ce cas-ci celui responsable de l'identification des corps étrangers (gène présent dans les globules blancs), et qu'il s'exprime dans une protéine exclusivement visible dans "les veines" rouges de la fleur comme on le voit ci-dessus. Cette plante qui a intégré un gène de Kac est ainsi partiellement humaine et s'est parfaitement bien adaptée à son nouveau statut.
Au-delà du symbolisme que représente ce projet artistique, cette expérience prouve qu'un transfert de gène est également possible de l'animal vers le végétal et qu'il existe donc une continuité entre les différentes formes de vie. Prochain chapitre |